Étiquette : éditions Isabelle Sauvage


  • Laurine Rousselet | [franchir la porte]





    [FRANCHIR LA PORTE]




    franchir la porte       stupéfaction
    l’odeur du désir collé à nos bouches
    bloquer le thorax démesurément
    fenêtre sombre
    plein soleil se cache
    s’entendre griffonner       strier
    déborder du rectangle de la pièce
    nos embardées pour nous quitter plus

    vrombissements      impulsions       précisions
    s’accoupler       fouetter       galoper

    le corps passionnément
    dans un soulagement partagé
    additionne le trouble à l’insensé
    chargées de nos manques
    les cuisses même y répondent

    l’intensité explose aux flancs
    sur ta peau des lettres de passage
    accidents       ailes       foudroiements
    ruine balance
    qui dira quel est son sens ?

    remplir présent
    impose au cœur de se fixer
    s’enfler de la mort pour ouvrir chemin
    les marches rouges pour nous enraciner
    attendre soir d’été
    l’avancée dans le corps toujours
    pour balayer secrets

    l’horreur te quitte, le temps d’une virgule
    délire de l’immensité pulvérisant l’espoir
    à l’intérieur ruine balance
    transport       dévoration       les yeux roulent
    se perdre dans la vitesse       s’ancrer
    horizon avalé       pliure       tremblement
    claquement d’eau       déformation
    à l’assaut de l’océan le silence éclate

    éprouver forces opposées
    quand l’œil se dégage de l’encrier
    pour rapidement replonger
    quarante et un ans carillonnent
    à la fréquence d’un trait par brassage

    assis à la table le sens
    désir       crâne       doigt       coïncidence
    le danger dans la vision de l’enjambée
    l’absence souffre de résidus
    d’odeurs repêchées sur la rade
    intense avalée de lumière blanche

    le galop vers l’explosion
    l’infirmité au-dessus du manifeste
    lundi couvre noyade
    l’écriture minuscule se gonfle
    de petits signes tourbillonnent
    s’avancent à vide dans le soir





    Laurine Rousselet, Ruine balance, éditions Isabelle Sauvage, Collection « Présent (im)parfait », 2019, pp. 37-38.






    Rousselet_couv-Ruine






    LAURINE  ROUSSELET


    Laurine Rousselet par Hubert Haddad
    Hubert Haddad,
    Portrait de Laurine Rousselet, 2006





    ■ Laurine Rousselet
    sur Terres de femmes


    [le concret s’avance au creux de la main] (extrait de Nuit témoin)
    [la débâcle vient du réel] (extrait de Journal de l’attente)
    [en haut du temple] (autre extrait de Journal de l’attente)
    Nuit témoin (lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    [illisibilité afflux soulèvement]



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Laurine Rousselet
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une lecture de Ruine balance
    → (sur lelitteraire.com)
    une lecture de Ruine balance par Jean-Paul Gavard-Perret
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la page de l’éditeur sur Ruine balance de Laurine Rousselet
    → (sur Levure littéraire 12)
    Laurine Rousselet, Syrie, ce proche ailleurs (lecture d’AP)





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  • Brigitte Mouchel | à tenter de voir dans la nuit ‒ un homme ?



    À TENTER DE VOIR DANS LA NUIT ‒ UN HOMME ?
    (extrait)




    L’’île est un plateau calcaire avec, au nord, une impressionnante falaise, tandis qu’au sud, la côte est très découpée, formant des promontoires et des anses profondes qui abritent de petites plages de sable. Les habitants vivent de pêche et de tourisme. L’intérieur de l’île, aride et caillouteux, a un aspect désertique.

    Certains parlent d’une île-sentinelle.

    Ils tentent la traversée dans des embarcations de fortune. Chaque fois, ils racontent. Après quelques heures de navigation, un autre bateau s’approche, le passeur saute à bord et le bateau disparaît. Ils sont abandonnés, pertes humaines, dommages collatéraux aux guerres, à la misère.


    Et ta carcasse raide, le froid au creux du dos, cette rencontre tactile contre la nuit
    où tu ne perçois rien, monochrome ‒ palpite
    parfois apparaît une trouée
    un faible éclat de jour ‒ ou de vie, de terre et d’humains ‒ qui fait comme un voile
    une sorte de visage ‒ la trace d’un visage ‒ à peine un éclat, même pas, faible, et rien ne peut désemparer l’éclatante noirceur ‒ l’attente, le temps à peine ‒ ne passe
    une vague lumière, des traces voilées comme buée ‒ ta bouche ? ‒ il n’y a personne




    Brigitte Mouchel, « à tenter de voir dans la nuit ‒ un homme ? » (extrait), in Et qui hante, éditions Isabelle Sauvage, collection « présent (im)parfait », 2018, pp. 67-68.






    Brigitte Mouchel  Et qui hante






    BRIGITTE MOUCHEL




    ■ Brigitte Mouchel
    sur Terres de femmes

    exil (extrait d’événements du paysage)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    une fiche bio-bibliographique sur Brigitte Mouchel
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la fiche de l’éditeur sur Et qui hante





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  • Jean-Pascal Dubost, & Leçons & Coutures II

    par Gérard Cartier

    Jean-Pascal Dubost, & Leçons & Coutures II,
    Éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait, 2018.




    Lecture de Gérard Cartier


    LE « 8½ » DE DUBOST




    Ce second volume de & Leçons & Coutures ne se distingue du premier (Isabelle Sauvage, 2012), que par la taille réduite (du fait de l’absence des notes marginales qui donnaient le sens et les emplois de certains mots archaïques ou régionaux) et par la forme des prosains – l’auteur s’est ici plié à une mesure, d’ailleurs assez libre : neuf lignes (ou, plutôt, huit et demi…). Il m’a aussi semblé que le ton était encore plus libre, l’écriture plus débridée, la syntaxe plus chahutée que dans le premier volume de ce Grand Livre de Dettes. Il s’agit, à nouveau, d’un hommagier de 99 poèmes, chacun dédié à un écrivain, majeur ou lare, prosateur ou poète, de toute esthétique (Jaccottet voisine avec Zanzotto), de toute origine et de toute époque, ce que revendique l’un des exergues, emprunté à Jude Stéfan : « On écrit […] généalogiquement, c’est-à-dire tout au long de l’arbre poétique des siècles ».

    La langue de Jean-Pascal Dubost est fortement mâtinée d’ancien français, tant dans son lexique que dans sa graphie (« griphé en grafie réjouissante »), mais pas seulement : tous les idiomes y concourent, des patois régionaux aux parlers populaires d’aujourd’hui – n’y manque peut-être que le vocabulaire scientifique –, sans compter les néologismes, nombreux et souvent savoureux. L’auteur est un lexicolâtre et un logophile ; son esthétique est proche de celle de Rabelais ; il joue sur l’excès, l’accumulation, la distorsion, les allitérations, jongleries, exclamations, etc. – tout ce qui fait que les mots rythmiquement insinués dans l’oreille provoquent un plaisir quasi charnel. Y concourent, pour le plaisir de l’esprit, proverbes et expressions détournés (le feu de dieu, à propos d’Artaud) et les jeux de mots – quitte à les emprunter à un autre, si l’emportement de l’écriture le réclame : « il faudrait inventer quelque nouveau langage qui n’langage que soi » (à propos de… Théophile de Viau).

    Chaque poème est fait d’une phrase unique, ponctuée, d’une grammaire souvent malmenée jusqu’à la faute et au style télégraf. On pense à ces dragons qui s’enroulent spasmodiquement sur eux-mêmes en formant de multiples anneaux, si bien que, malgré la brièveté de ces textes, il arrive qu’on en perde le fil. L’auteur aussi, semble-t-il, qui court avec jouissance vers la neuvième ligne où, que le sens se soit ou non formé, tombe le couperet du quadratin final. Poèmes que l’on ne comprend parfois que par flambées, sans en être totalement éclairé, mais assez pour en être échauffé ; et qui parfois, au contraire, se donnent de façon presque fluide :
    PHILIPPE JACCOTTET

    Très belles matières et moult delictables choses à revoir et pardurables instantanément comme le vol insaisissable d’un roipêcheur surgissant sur dailymotion après beaucoup d’années (sur la Loire) et bam « la mort d’une mésange dans la maison » écrite au crayon papier sur la dernière page d’un livre achevé d’imprimer le 6 octobre 1975 sur vergé, mais c’est une petite prose de vie pour reprendre terre —

    Il n’est pas nécessaire de connaître tous les écrivains de la Table des matières (qui a lu Hélisenne de Crenne ?) pour apprécier les neuvains qui leur sont consacrés. Ce sont rarement des portraits ou des évocations, et jamais des pastiches (sinon – mais comment résister à la tentation ? – pour Charles Reznikoff, évoqué par un extrait de l’ordonnance de Villers-Cotterêts). Le lien aux auteurs est plus subtil et plus distendu : une citation de quelques mots, parfois non signalée ; une allusion à leur œuvre, ou à leur style (ainsi, sur François Cariès : « Par le chant royal, la grande chanson, le sonnet de cour, le pastiche sioux, le sermon de noce, l’oraison rance, etc. »), ou une simple image, voire un sentiment vague (sur Jean-Claude Pirotte : « Une pluie d’une exquise désuétude… »). On reconnaît souvent le noyau initial du poème à sa justesse. L’auteur, du reste, s’en émancipe ordinairement assez vite pour en venir à ce qui fait le fond de son projet.

    Ces prosains, en effet, parlent le plus souvent d’autre chose que du dédicataire : ils explorent les multiples formes d’existence de ce qu’on nomme poésie. Rien ici de didactique, c’est une pensée en acte, un corps à corps avec la langue, dans le but (si but il y a) de la pousser à bout, de lui faire rendre gorge. Ce qui n’empêche pas Jean-Pascal Dubost de nous faire passer en douce quelques petites leçons ; ainsi de cet aphorisme : « la poésie est là où n’est pas la poésie » ; ou bien, à propos d’Hugo enlégendant le monde, cette adresse à « la moqueuse french poetry de la modernité à bras raccourcix » : « faites en autant », qui me réjouit. Au total, ce recueil, plus encore que le premier, constitue une manière d’art poétique – ce qu’est la poésie, ce qu’elle peut et ne peut pas –, délivré par bribes, au milieu d’un flot joyeux et incohérent.

    Il est des recueils dont rendre compte est une pénitence car, malgré leur originalité, leur intérêt ou leur beauté, ils échappent à la saisie critique. Celui-ci, c’est plutôt le contraire. Il faut se réfréner, tant la matière vous sollicite. Sainte-Beuve définissait ainsi l’écriture de Jean-Baptiste Rousseau : baroque, métaphysique, sophistiquée, sèche, inextricable… Cela va comme un gant à Jean-Pascal Dubost, sous réserve d’ajouter : bouffonne, forcenée, profuse, biscornue, espiègle, éperdue, excentrique…



    Gérard Cartier
    D.R. Gérard Cartier
    pour Terres de femmes







    Couv_dubost_18




    JEAN-PASCAL DUBOST


    Dubost-jean-pascal
    Source




    ■ Jean-Pascal Dubost
    sur Terres de femmes


    « prosains » (extrait de & Leçons & Coutures II)




    >■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    une notice bio-bibliographique sur Jean-Pascal Dubost
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la fiche de l’éditeur sur & Leçons & Coutures II




    ■ Autres lectures de Gérard Cartier
    sur Terres de femmes


    Patricia Cottron-Daubigné, Femme broussaille, la très vivante
    Alain Guillard, Quête du nom
    Cécile Guivarch, Vous êtes mes aïeux
    Emmanuel Moses, Ivresse
    Muriel Pic, Élégies documentaires





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  • Anne Malaprade | Négatif, inspiration | Tirage, expiration




    Négatif, inspiration





    […]





    6. Femme incertaine



    Elle scotomise, petits arrangements avec le réel, bifurcations vers l’impossible, l’art et la diplomatie, maladresses, résistances : elle contraint la langue à ne pas voir, elle cache l’oubli dans le vaste palais, elle ment sur les chiffres (elle confond les chiffres dans les nombres), de même elle ne saura jamais expliquer la différence entre métonymie et synecdoque. Son père l’a giflée au nom d’homère depuis elle ne retrouve plus le visage d’ulysse : il se confond sur terre avec celui du prince de h[o]mbourg.

    Elle en reste à l’évidence. Elle se fâche. C’est à la fois simple et compliqué. Elle croit savoir ce qu’elle veut dire mais elle ne trouve plus les références, elle perd les pages, elle cherche des heures dans les romans jaunes, elle lit les notes et les appendices, elle recopie les préfaces, elle se promène autour du livre, elle le visite rarement, elle multiplie les croisements en mont et en aval, elle ouvre ses yeux dans leurs yeux mais rien n’y accède personne ne cède. Les autres avec pondération organisent leurs pensées en phrases. La forme classique éconduit les doutes : ils ont l’art, l’intelligence, la manière, ils composent, ils exposent, ils paraissent satisfaits, ils dorment ils mangent ils baisent ils enseignent.

    Elle prend la tangente. Voyage géométriquement, emprunte les diagonales, construit des hauteurs, tombe toujours de plus haut, tourne avec circonférence, heurte les rayons. Elle copie elle recopie elle photocopie elle entasse les malles sont pleines elle écoute elle répète c’est une prof perroquet. Elle ne cesse de perdre ses vélos, elle crève sur du verre, elle pressent le choc, un piéton une voiture quelque chose fait qu’on glisse, déjà son corps ne vibre plus. Pavés. Elle a tellement peur de perdre ses jambes et la tête. Elle trouve des clés mais les serrures sont montées à l’envers, les poignées, les poignets, le corps et les choses, mais que faire de tous ces signes serpents sifflés. Lorsqu’elle doit expliquer elle tourne auprès mot clé le mot sur le bout d’une langue, elle ne sait pas si elle peut entrer dans le concept elle essaie un conte. Elle a très peur de barbe-bleue. Elle est l’une de celles qui veulent découvrir le secret derrière la porte. Elle est celle qui est morte, qui pourrit, celle que personne ne pleure, la sœur de, la sœur qui, la sœur à venir, la sœur menacée menaçante. Sœur participe, le passé le présent, dans une langue autre on inventerait le participe futur l’épouvante du siècle.






    […]





    Tirage, expiration





    […]





    6. Femme incertaine



    copines au café rouge clair, écoute transversale
    rideaux en bois velours vocal        ne suis qu’appel
    rues dangereuses : laurel et hardy voisins hypocrites
    auraient trouvé une pantoufle de verre sur l’escalier hlm


    les corps travaillent les mains trient les gestes précis
    envoyer écrire poster dans l’urgence flèches et lettres
    empoisonnées, dit-elle, [ricine], enveloppées
    test positif : l’encre réagit sur la peau — elle est donc coupable
    si secrète


    à l’envers les familles s’éteignent, province, pendant que les enfants
    apprennent à l’endroit ce qui au cœur n’est pas centre — paris ?
    continuité du brouillage, corps plein déjà se vide
    vers ce quartier berlinois, il s’exile, dans son ventre à elle
    ça        saigne


    donnez-vous aux fables qu’accomplit le temps




    Anne Malaprade, Parole, personne, éditions isabelle sauvage, Collection présent (im)parfait, 29410 Plounéour-Ménez, 2018, pp. 27-28-87.






    Malaprade_18 2




    ANNE MALAPRADE


    Anne Malaprade 2
    Source




    ■ Anne Malaprade
    sur Terres de femmes

    Lettres au corps (note de lecture d’AP)
    Au conditionnel, dans la ferveur, quoique lente (extrait de Lettres au corps)
    Une presqu’île. Presqu’elle, presqu’il (extrait de Notre corps qui êtes en mots)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions isabelle sauvage)
    une notice bio-bibliographique sur Anne Malaprade
    → (sur le site des éditions isabelle sauvage)
    la fiche de l’éditeur sur Parole, personne d’Anne Malaprade





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  • Jean-Pascal Dubost | « prosains »




    ARIANE DREYFUS



    Il fut une fois la mise en danse sensuelle et sacrée d’une nue-bête-poète dans tout le grand bruit grammatical pris dans la bouche des autres où tout parle, le brin d’herbe, la fleur, le germe, l’élément, où tout est plein d’âmes (oui oui oui !) de doulce fureur et en transe de tous les termes afin, afin de jouir au souverain degré des contentemens suprêmes d’écrire au-dessus des mots, pour retomber sur ses mots —





    PERNETTE DU GUILLET



    Par cette imitante prose vite et clerement ne nous excusons point d’avoir le stylo tant fluant, et prenant grand soulas à ce, pour les vertus honorer de celle Gente Dame d’âge certes, beauté durable au malheur fidèle mais très-courtisée jusque dans la haainne de, jusqu’au décri public et jusqu’à l’orthographic déni, ja chi ja, ne nous excusons point, non mais puis quoi, d’écrire de la poésie —





    ANTJIE KROG



    Comme la liberté ça n’existe balle, ordonc, passer à l’acte poétique et que quelquement cela se fasse, faire que les poème soit une rafale de mots, et un acte utile de combat, et utile comme la pluie, et une arme d’assaut, et de défense contre les attaques, et d’attaques contre les défenses, et une arme de persuasion subliminale, car la poésie, hé, bien visée, ça peut faire mal —





    NATHALIE SARRAUTE



    Un café ; puis-je avoir un café s’il vous plaît ?; café !; café s’il vous plaît ; si vous m’apportez un café , je serai le plus heureux des hommes de cette planète ; un kawa ; ce sera un café ; auriez-vous l’amabilité de m’apporter un café ?; un café, ça ira ; si vous avez le temps, apportez-moi un café ; café, merci ; si ce n’est l’effet de votre bonté, servez-moi un café ; allons pour un café —





    LAMBERT SCHLECHTER



    Vinzou vas-y va, et va pas mou, fais-le fais, le murmure en proserie brute et toute et du sexe dans la plume à la main claviée du charroi vivant de l’écriture toujours sans rime ni réson mais comme un chien fou, va, va-moi, branle ta vieille grammaire, vide la question vide du sens, endélice-toi l’âme, et fais-en l’essay de toi-même en conte grivois, c’est-à-dire : pénètre le monde —



    Jean-Pascal Dubost, & Leçons & Coutures II, Éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait, 2018, pp. 34-35-51-79-83.






    Couv_dubost_18




    JEAN-PASCAL DUBOST


    Dubost-jean-pascal
    Source




    ■ Jean-Pascal Dubost
    sur Terres de femmes

    une lecture de & Leçons & Coutures II, par Gérard Cartier



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    une notice bio-bibliographique sur Jean-Pascal Dubost
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la fiche de l’éditeur sur & Leçons & Coutures II





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  • Christiane Veschambre, ‘Écrire’ Un caractère

    par Angèle Paoli

    Christiane Veschambre, ‘Écrire’ Un caractère,
    éditions Isabelle Sauvage, collection singuliers pluriel, 2018.



    Lecture d’Angèle Paoli


    «ÉCRIRE NOUS TRAVAILLE »




    Qui est « Écrire » ? Qui et non pas Qu’est-ce qu’« Écrire »… « Écrire » est bien le personnage qui occupe le terrain de l’écriture. La totalité du terrain. Jusque dans les recoins les plus personnels, les recoins les plus familiers de l’auteure chez qui « Écrire » a élu domicile. Plus encore qu’un personnage, « Écrire » est Un caractère. C’est ainsi que Christiane Veschambre définit celui qui s’est imposé à elle, prenant ses aises pour l’habiter, elle, tout entière investie par lui, de fond en comble. « Écrire » est donc une entité particulière, endogène, qui vit sa vie propre à l’intérieur de celle sur qui ce caractère a jeté son dévolu sans lui demander son avis. « Écrire » est libre et n’en fait qu’à sa tête. C’est un fichu caractère. Il s’invite quand il veut comme bon lui semble. « Écrire » a ses fantaisies, ses humeurs, ses appétences. « Écrire aime le cinéma » / « Écrire n’aime pas qu’on en parle » / « Écrire aime le chemin des Brûlards. » « Écrire n’est pas une mignonne créature ». « Il est sans pitié ». « Écrire » est exclusif. Il ne transige pas. Il pousse son hôte jusque dans ses derniers retranchements et ses ultimes contradictions. Jusque dans « la solitude par laquelle il nous met en (sa) demeure. » C’est ce que la poète découvre au fur que se profile son compagnonnage avec « Écrire », cet hôte étrange qui la travaille de l’intérieur.

    De ce compagnonnage exigeant, Christiane Veschambre fait un livre. Un livre unique en son genre. Car Écrire n’est ni un essai ni une biographie, ni un traité ad usum Delphini (à l’usage d’écrivains en herbe). Écrire Un caractère se défausse. Écrire échappe. Rejette toute définition.

    « Écrire n’a pas de biographie.

    Il n’a pas de dates de naissance et de mort : n’arrête

    pas de naître et disparaître. »

    Écrire est bien au-delà de tout classement, de toute étiquette. C’est sa grande force en même temps que son originalité : « il » est écrit de l’intérieur de celle qu’il occupe. Toujours en ébullition, jamais définitivement achevé.

    Chaque nouveau texte (les plus longs d’entre eux occupent deux pages) est introduit par une phrase qui met en scène la nouvelle lubie d’« Écrire » :

    « Écrire parfois fait le mort » / « Écrire aime marcher » / « Écrire n’apprend rien »…

    La première entrée en texte donne le ton. Et, plus encore que le ton, l’esprit, l’état d’esprit qui gouverne cet injonctif qu’est « Écrire » :

    « Écrire ne veut pas travailler.

    Écrire nous travaille ».

    Ou encore, un peu plus loin : « Comment Écrire revient — ce n’est pas nous qui revenons. »

    Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Qu’il s’agit de dire. Dire comment « Écrire » se faufile à travers failles et mailles, et dire comment cet « Écrire » prend ses aises, dans l’intime corps-à-corps avec celle qu’il habite. Et comment il la tenaille jusqu’à ce que cèdent les résistances. Autant dire qu’il est actif cet « Écrire ». « Il sécrète son monde, qui n’existe pas avant… »

    Même s’il est formulé au masculin, « Écrire » n’a pas de genre. Un humain, « Écrire » ? Pas vraiment. Même s’il présente tous les traits de caractère d’un humain, il ne faut pas se leurrer :

    « Écrire n’est pas un humain, il s’invite chez des humains et des humains, sous des formes qui parfois (souvent) leur sont étrangères (celles de leur disposition subjective infiniment secrète). Ainsi Lucy Muir écrit-elle en capitaine Gregg, Gustave Flaubert en saint Antoine, Franz Kafka et Clarice Lispector en cloporte, Stéphane Mallarmé en ours, Arthur Rimbaud en autre, et Emily Dickinson en Emily Dickinson (étrangère qui écrit en étrangère). »

    Plutôt qu’un humain, « Écrire » est un « organisme vivant » qui se joue des vivants qu’il choisit d’habiter ; il se moque bien de leurs règles, de leurs usages, de leurs manies de vouloir que la chose écrite entre dans telle case ou dans telle définition. « Écrire » s’impose. Il fait la loi. En être autonome, indépendant. Un brin contestataire. Un tantinet anarchiste aussi.

    Avec le temps et avec la fréquentation assidue, plus ou moins opportune, plus ou moins agréable d’« Écrire », s’établit non pas un dialogue mais une relation fondée sur l’observation. À le fréquenter de près cet « Écrire », « on » finit par le connaître, voire le comprendre. Car sa présence insistante et ses agissements, parfois inattendus, conduisent à la connaissance de soi. Du soi écrivant. Un soi qui remet en question son « je » singulier. Le partenaire pronominal idéal de « il » sur la page, est le « on ». L’impersonnel :

    « Écrire cherche à me traverser d’une puissance — « la puissance d’un impersonnel qui n’est nullement une généralité, mais une singularité au plus haut point », comme l’écrit Gilles Deleuze. Aussi, moi délogé (il est là, à côté), je peux dire on… ».

    Parfois, au détour d’un texte, « je » sort de sa coquille et s’invite, qui relate une expérience particulière :

    « J’avais proposé d’écrire un poème de choses qu’on sait, un poème de choses qu’on ne sait pas… ».

    Mais le « je » qui se dit là s’est momentanément départi d’« Écrire ». « Écrire » s’est éclipsé, qui est absent de ce texte, lequel est introduit par « LES ENFANTS ». « Les enfants avaient écouté la lecture du dialogue entre Ernesto et sa mère » (in Les Enfants, Marguerite Duras). Le « maître d’apprentissage » qu’est « Écrire » a changé de forme, de travail. Il a quitté le corps de la poète qui se fait passeuse en écriture auprès d’enfants, dans un atelier d’écriture. La relation est autre, qui relie l’adulte à l’enfant ou inversement. Pendant ce temps-là, « Écrire » se tient coi.

    Dans le travail d’observation qui se joue de la distanciation instaurée par « Écrire », on énonce tout ce qu’« Écrire » impose de contraintes, impose de doutes, de combinaisons, de compromis avec soi ou contre soi. Tout ce qu’« Écrire » induit suscite révèle. Zones de petits arrangements avec soi et zones d’ombres. On connaît bien tous les atermoiements et tergiversations qu’on s’invente pour repousser le moment de se mettre au travail dans un tête-à-tête avec « Écrire ». Mais on finit par débusquer « Écrire » ; et l’on se moque de lui à son tour. On a appris. Il est désormais possible de déjouer les entreprises d’« Écrire » et de lui lancer des clins d’œil moqueurs, à l’image de ce dernier :

    (« Écrire est moqueur. Se moque des livres écrits avec un moi confortablement logé, bien meublé, accueillant et séduisant, ayant à sa disposition toutes sortes de ressources, culture, habileté, expérience technique, idées, musicalité, ou tout autre capable de composer un livre à son tour bien logeable. Si Écrire passe devant, il regarde son costume et rit. »)

    C’est un portrait d’« Écrire » plein d’humour, vivifiant et « incarné », que propose Christiane Veschambre dans cet ouvrage. Une réussite. Un vrai bonheur.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Christiane Veschambre  Ecrire Un caractère






    CHRISTIANE VESCHAMBRE


    Christiane Veschambre 2
    Ph. Olivier Roller
    Source





    ■ Christiane Veschambre
    sur Terres de femmes


    dit la femme dit l’enfant (lecture d’AP)
    [Nous sommes à l’intérieur du temps] (extrait de dit la femme dit l’enfant)
    [Écrire n’a pas d’objet] (extrait d’’Écrire’ Un caractère)
    Basse langue (lecture d’AP)
    Une Hôtesse minuscule (extrait de Basse langue)
    [Cela s’est passé lundi] (extrait d’Ils dorment)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Christiane Veschambre
    → (sur En attendant Nadeau)
    un entretien avec Christiane Veschambre, par Gérard Noiret
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la page de l’éditeur sur ‘Écrire’ Un caractère





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  • Christiane Veschambre | [Écrire n’a pas d’objet]




    [ÉCRIRE N’A PAS D’OBJET]




    Écrire n’a pas d’objet.
    À la question : « qu’est-ce que vous écrivez ? », on ne sait pas répondre. On répond n’importe quoi, et on pourrait répondre : « n’importe quoi ». Il n’importe le quoi d’Écrire, qui n’a pas d’objet identifié à saisir pour se compléter : il secrète son monde, qui n’existe pas avant. Écrire n’est pas intransitif mais ce à quoi il permet la traversée n’est pas déjà répertorié. N’est pas un objet — même inédit. C’est un accès de vie, en langue, qui file entre les doigts de qui veut le rapporter — le rapporter aux lieux connus du stockage : thème, genre, sujet, histoire.



    Écrire n’a pas (besoin) de moi.
    Il passe par moi pour me déloger. Pousse-toi de là que je m’y mette.
    Ou peut-être est-ce quand on a déjà fait de la place qu’il se pointe. Par exemple, sous irruption de l’Émotion, ça déménage. Et dans ce tremblement de force majeure, les couches superficielles se fissurent, s’ouvrent des crevasses, ou un puits, un tunnel de taupe (on s’est retrouvé cul par-dessus tête sur la motte soulevée), par où guette Écrire qui n’apparaît qu’avec l’exercice du plus singulier, du rigoureusement subjectif — ceux du sujet, de solitude, qui échappe lorsque j’écris avec moi.



    Écrire cherche à me traverser d’une puissance — « la puissance d’un impersonnel qui n’est nullement une généralité, mais une singularité au plus haut point », comme l’écrit Gilles Deleuze. Aussi, moi délogé (il est là, à côté), je peux dire on. On peut aussi dire je, qui n’est plus la parole de l’individu repérable, il est, par exemple, la voix d’une « disposition subjective infiniment secrète » — c’est encore Gilles Deleuze qui l’écrit.



    (Écrire est moqueur. Se moque des livres écrits avec un moi confortablement logé, bien meublé, accueillant et séduisant, ayant à sa disposition toutes sortes de ressources, culture, habileté, expérience technique, idées, musicalité, ou tout autre capable de composer un livre à son tour bien logeable. Si Écrire passe devant, il regarde son costume et rit.)





    Christiane Veschambre, ‘Écrire’ Un caractère, Éditions Isabelle Sauvage, Collection singuliers pluriel, 2018, pp. 22-23-24.






    Christiane Veschambre  Ecrire Un caractère






    CHRISTIANE VESCHAMBRE


    Christiane Veschambre
    Ph. Pier Paolo Iagulli
    Source





    ■ Christiane Veschambre
    sur Terres de femmes


    ‘Écrire’ Un caractère (lecture d’AP)
    Basse langue (lecture d’AP)
    Une Hôtesse minuscule (extrait de Basse langue)
    dit la femme dit l’enfant (lecture d’AP)
    [Nous sommes à l’intérieur du temps] (extrait de dit la femme dit l’enfant)
    [Cela s’est passé lundi] (extrait d’Ils dorment)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Christiane Veschambre
    → (sur En attendant Nadeau)
    un entretien avec Christiane Veschambre, par Gérard Noiret
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
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  • Avril 1947 | Ceija Stojka, Nous vivons cachés, Récits d’une Romni à travers le siècle

    Éphéméride culturelle à rebours



    [EN AVRIL 1947]



    En avril 1947, on a quitté nos quartiers d’hiver. On n’avait pas de but précis. On s’est simplement mis en route et on faisait pour le mieux. À partir de maintenant, les routes de campagne, les champs et les bois étaient notre maison.

    Les hommes savaient toujours où il y aurait le prochain marché aux bestiaux où ils pourraient vendre ou échanger leurs chevaux. Dans les années après la guerre, il n’y avait pas encore de tracteurs et les gens de la campagne étaient contents de pouvoir échanger ou acheter un bon cheval de trait bien costaud.

    Pendant que l’homme s’occupait des affaires, la famille attendait à la lisière d’un bois où il y avait aussi un ruisseau. Les femmes profitaient de cette journée. Elles cuisinaient, nettoyaient leurs roulottes et les préparaient tranquillement pour la suite du voyage. Si le soleil le permettait, on faisait la lessive, et les beaux duvets colorés prenaient l’air ; et s’il ne faisait pas trop froid, on lavait aussi les enfants.

    L’hiver suivant on l’a passé, Maman, son compagnon et moi, à Fischamend, en Basse Autriche, près de Vienne. Dans une grande auberge, le mari de Maman nous avait trouvé deux chambres avec une cuisine. L’appartement situé dans l’arrière-cour était très confortablement meublé, et en plus, clair. Les chevaux étaient logés dans les écuries où il y avait aussi ceux du propriétaire de l’auberge. Ils y étaient au chaud. Maman et moi, on a nettoyé notre appartement et on s’est senties chez nous.

    C’est dans cette chambre de plain-pied que j’ai trouvé un petit livre vert. C’était un roman champêtre écrit assez simplement, sur la couverture une jeune fille avec de longues tresses souriait. Il y était question du propriétaire d’un domaine et de la jeune servante. Au début c’était très difficile pour moi de le lire. Si je lisais doucement en silence, je pouvais comprendre le sens. Mais si je lisais à haute voix, je bégayais et n’y comprenais pas un mot moi-même. J’ai donc renoncé à la lecture à haute voix et me suis contentée de savoir lire tout court. A chaque minute de libre, je sortais le petit livre de ma cachette. J’aimais plus que tout lire quand j’étais seule et quand personne ne m’observait. C’était merveilleux. Je remarquais que je saisissais de mieux en mieux le sens et le contenu.

    Dans la petite chambre à un lit avec un fauteuil branlant, je laissais libre cours à mes pensées. Tout en regardant le très vieux poêle placé dans un coin de ma chambre, tant de souvenirs me traversaient la tête. Au milieu du tuyau, un anneau manquait et le soir, la lueur du feu éclairait le plafond de ma chambre. Des fois je pensais que je ne faisais que rêver tout ça. Je ne pouvais pas mettre le passé de côté comme mon livre, toujours il me rattrapait. Entre les pensées et la réalité, je me perdais pas mal. Alors je me levais et je touchais tous les objets. Je décrochais du mur la petite nature morte et je la frottais jusqu’à ce qu’elle brille.



    Ceija Stojka, Nous vivons cachés, Récits d’une Romni à travers le siècle, suivi de deux entretiens et un essai par Karin Berger, Éditions Isabelle Sauvage, Collection chaos, 2018, pp. 84-85. Traduit de l’allemand (Autriche) par Sabine Macher.






    Ceija Stojka  Nous vivons cachés 2






    CEIJA STOJKA


    Ceija Stojka 3
    Source




    ■ Ceija Stojka
    sur Terres de femmes

    15 avril 1945 | Libération du camp de Bergen-Belsen (lecture de Je rêve que je vis ? de Ceija Stojka)




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    une notice bio-bibliographique sur Ceija Stojka
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la fiche de l’éditeur sur Nous vivons cachés, Récits d’une Romni à travers le siècle de Ceija Stojka
    → (sur En attendant Nadeau)
    Le manteau de Ceija Stojka, par Gabrielle Napoli
    → (sur remue.net)
    Nous vivons cachés, de Ceija Stojka
    → (sur Mediapart)
    «Nous vivons cachés», récits d’une Romni à travers le siècle: Ceija Stojka, par Jean-Claude Leroy
    → (sur France Culture)
    Un chant Tzigane – Ceija Stojka (1/4) Auschwitz est mon manteau



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  • Nadia Porcar | Notre monde | Noir et blanc | Les îles




    Notre monde


    Quand on est petit, ce n’est pas qu’on trouve ça tellement beau, c’est surtout que ça se trouve comme ça. Il y avait, parole, UN arbre et UN bac à sable et rien d’autre. C’est là qu’on se réunit, c’est notre monde. Là qu’Alain Chabert dira à Nora ou Aïsha : ta mère, on met une pièce et tac, y’a un enfant qui sort.




    […]




    Noir et blanc


    En maternelle, les méchants la traitaient de « régresse à plateau », les gentils l’appelaient « café au lait », tandis qu’elle se sentait absolument caucasienne. Quand elle réussit à se rappeler cette lointaine petite enfance où il ne faisait pas si bon être métis, quand elle parvint surtout à le for-mu-ler, ça alla vite. La nuit même, elle se vit en rêve, rose et noire. Ce drôle d’animal au miroir, avec des taches brunes sur une peau pâle, c’était elle.

    Au réveil, soulagement, déception. Soulagée, car comment aller dans la vie sociale ainsi bariolée ? Déçue parce que, parce que… une panthère, tout de même ! Rien de moins !




    Les îles


    Une amie des Antilles m’a expliqué un jour que là-bas, quand un bébé naissait avec la peau blanche, on disait qu’il était né « sauvé ».




    Nadia Porcar, Le Capital sympathie des papillons, récit, éditions Isabelle Sauvage, Collection singuliers pluriel, 29410 Plounéour-Ménez, 2017, pp. 9, 33, 34.







    Nadia Porcar  Le-capital-sympathie-des-papillons






    NADIA PORCAR


    Nadia Porcar 2




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la fiche de l’éditeur sur Le Capital sympathie des papillons





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  • Hélène Lanscotte | [pas seulement le nombre la multitude]


    [PAS SEULEMENT LE NOMBRE LA MULTITUDE]



    pas seulement le nombre la multitude qui juxtapose
    pareillement

    pas seulement les tournesols à face noire la dessiccation
    de leurs tiges l’abandon résigné

    mais l’absorption dans la surface le laminé clinquant
    la disparition des vivants l’obéissance des œillères dans
    les yeux

    seulement la solitude qui s’en va vers tout ce qui est seul
    vers ce qui jamais ne s’unira à elle

    encore la clandestine




    pas seulement déjouer l’évidence en revenir stupéfaite
    chaque fois infléchir la tête la fleur dans son œuvre

    mais encore se laisser aller à la joie pour ne pas mourir




    pas seulement le lapidaire précieux comparable étonnement

    mais la reprise fine le raccommodage de fils par-delà la
    béance des rompus enjoints de poursuivre chevauchées
    d’allées et de venues pour l’épaisseur de l’histoire en son
    nom

    encore le choix d’unir les nœuds



    Hélène Lanscotte, Ajours, 43 ouvertures pour commencer le jour, Éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait, 2017, pp. 21-22-23.






    Lanscotte.jpg 3






    HÉLÈNE LANSCOTTE


    Helene Lanscotte




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Hélène Lanscotte
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la fiche de l’éditeur sur Ajours d’Hélène Lanscotte





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