| NOÉMIA DE SOUSA Source ■ Voir aussi ▼ → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage) la fiche de l’éditeur sur Notre voix |
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| NOÉMIA DE SOUSA Source ■ Voir aussi ▼ → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage) la fiche de l’éditeur sur Notre voix |
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| WARSAN SHIRE Source ■ Voir aussi ▼ → (sur vimeo.com) Warsan Shire reads her poem ‘Conversations about home at the deportation centre’ → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage) une notice bio-bibliographique sur Warsan Shire → (sur okayafrica.com) [Interview] Warsan Shire’s Raw & Vulnerable Poetry → (sur YouTube) [un poème de Warsan Shire] Excuses pour avoir perdu en amour (Excuses for why we failed at love) |
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| ERWANN ROUGÉ Ph. Michel Durigneux Source ■ Erwann Rougé sur Terres de femmes ▼ → Proëlla (lecture d’AP) → [même si cela ne sert à rien] (extrait de Proëlla) → [on ne fait qu’écrire] (extrait de Voa, Voa) → Passerelle, Carnet de mer (lecture de Sylvie Fabre G.) → [quand le ciel est ainsi] (extrait d’Étais de Jean-François Agostini) ■ Voir aussi ▼ → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage) la fiche de l’éditeur sur L’Enclos du vent d’Erwann Rougé → (sur Les Carnets d’Eucharis) d’autres extraits de L’Enclos du vent d’Erwann Rougé → (dans la poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Erwann Rougé → le blog de Magali Ballet |
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LOU RAOUL Ph. ©Lou Raoul ■ Lou Raoul sur Terres de femmes ▼ → [galope le printemps] (extrait de Traverses) [+ une notice bio-bibliographique] ■ Voir aussi ▼ → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage) la page de l’éditeur sur Otok → (sur Ce qui reste) d’autres extraits du recueil Traverses → (sur Terre à ciel) une page sur Lou Raoul → (friches et appentis) le blog de Lou Raoul |
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SOFIA QUEIROS Source ■ Sofia Queiros sur Terres de femmes ▼ → Normale saisonnière (lecture d’Isabelle Lévesque) → Normale saisonnière (extraits) → et puis plus rien de rêves (extraits)[+ une notice bio-bibliographique] → Jour 13 (extrait d’Une même lunaison) ■ Voir aussi ▼ → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage) la fiche de l’éditeur sur Sommes nous |
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1932 — ENTRE ODESSA ET MARSEILLE. ILS, lancent tout au long du voyage des petits cailloux blancs, De petits cailloux ramassés là-bas en Bessarabie. Regardent longtemps l’horizon, la mer puis la nuit. Plof.
Après une lente descente, les petits cailloux blancs se déposent sur les fonds marins : sables, vasières, abysses. Quelques-uns sont gobés par des poissons et d’autres disparaissent, granulats de mémoire sous la couche de boue ou de limon. Là-bas au loin, les attend un train puis un autre train. Et le vent souffle. Julien Simon, Inventaire, un souffle, Éditions Isabelle Sauvage, Collection Chaos, 2016, page 11. |
JULIEN SIMON
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« JE DÉBORDE À LA MARGE » Honneur aux serrures. Quel titre ! L’association est inattendue. Et si le lecteur pense trouver ici tout l’attirail du parfait serrurier, il sera vite déconcerté. Association de malfaiteurs, alors ? Non, bien sûr. Car il s’agit de poésie. La maîtresse d’œuvre de ce recueil est Anne Calas, dont les précédents ouvrages m’ont déjà sensibilisée à l’originalité de l’écriture. Avec ce dernier opus qui met les serrures à l’honneur, la poète, qui est aussi comédienne chanteuse jardinière, mécanicienne à ses heures (garagiste ?) et surtout grande amoureuse, poursuit son entreprise d’ouverture d’« espaces poétiques ». Et pour permettre au champ des possibles d’avoir lieu, il faut faire sauter les serrures. Les serrures antérieures. Celles du passé de la langue du langage de l’écriture. Et du sexe. Il y faut un optimisme lumineux, une confiance exubérante dans l’amour qu’elle porte à celui à qui elle dédie son livre (à Yves). « J’écrirai toujours pour toi », écrit-elle. Rien n’arrête Anne Calas. Rien n’arrête son élan son bonheur à dire et à nommer. Son bonheur est plénitude. Le déverrouillage se fait en deux temps (au moins) : « en hiver, au printemps, honneur aux cylindres ! »
« à l’été, honneur aux serrures ! » Huilées par le sperme de l’amant, les serrures sautent : « Le grand foutroir et dans ma bouche le mur absorbe le soleil d’hiver. Une éponge de miel, un liquide marié de meringue sur le pont aux serrures. Yeux noirs de l’enfant Océan chérubin-charbon. Il est midi. » ou encore, côté femme : « si je pouvais l’être enfoui et chaque jour
cet éblouissement de framboise écrasée
cette sidération adolescente à la bouche charnue
tendre douce
qui sait con tente [tout] » On le comprend aisément, cet Honneur aux serrures est un long chant d’amour. Qui offre toutes les palettes du sentiment amoureux et en renouvelle l’énergie : fantaisies, exigences, tendresses, jeux sont conviés sans réserve… Même si le chant d’amour se construit « au milieu d’un grand vide » « parce qu’un beau jour un amour
arrive ». Le chant s’ouvre sur des retrouvailles après un temps d’absence et s’enfle d’aveu en aveu avec des poèmes qui montent en puissance au cours des trois sections. La dernière étant, à mon sens, la plus exaltante. Et l’on passe de l’indécence candide et comique d’une scène réjouissante : « […] tu ris
de me regarder
danser sur le lit pisser debout
devant toi
dans la lumière du matin » à la douceur extrême de la caresse « […] extravagante perception
de l’amour, main pleine
d’un duvet de cygne » pour s’affirmer dans la revendication : « Je revendique le droit d’aimer. Sans défense à la grille. Sans fruits déjà noués. » L’amour se décline à chaque instant, jusque dans cet aveu bouleversant : « Ce n’est pas grave si le temps passe, ce n’est pas grave.
Je t’aime dans mes ruines. » Ainsi Anne Calas ose. Elle dit, suggère parfois plus qu’elle ne dit, avec des images fruitées, colorées, savoureuses, les suavités du sexe rendu à sa jeunesse adolescente. Joueuse, aussi. Elle joue avec les associations inattendues d’objets d’idées d’actions. Parfois jusqu’à l’incongruité mystérieuse dont seule la poète détient les clés : « Sous la cloche de verre une râpe, scories de temps, anneau de Saturne comme pleurerait le papier. » Dans le même poème, on trouve aussi cette sidération devant sa propre création : « L’illusion et la vérité, splendeur des mots sur la page et leurs bouleversements stellaires. » Le territoire qu’explore Anne Calas est riche — rivière / fleuve / lacs / terre / maison / « rideaux fleuris » / allées plantées d’arbres / jardin avec fleurs / mer… — qui se découvre dans la plénitude des saisons et dans la variété des plaisirs qui s’y déclinent. Gourmandises et saveurs, « brassée de pêches blanches », mais aussi petits bonheurs du jour qui se vivent dans le partage et dans la simplicité de la présence. Jusque dans le suspens des gestes : « tu es là, dans la cuisine, assis depuis longtemps,
tu m’attends ». Dans les différentes sections du recueil (trois en tout), on trouve de quoi danser et rire, de quoi jouer et de quoi ravir l’amant : « et je te vois : sidéré devant ce gris-gris revenu du néant un soutien-gorge suspendu au lustre de l’entrée
un feu de plein été… » En dehors de l’amant, on croise tout ce qui constitue le territoire intérieur de la poète. Tout ce qui a modelé ses goûts son caractère sa personnalité. Chanteurs et chansons, Alain Bashung et Bob Dylan, spectacles de jongleries (Rosie Rose), auteurs affectionnés. Henry Miller ; Samuel Beckett — Cap au pire ; mais aussi des poètes comme Mathieu Bénézet et Dominique Fourcade… Et d’autres encore, dont la présence se manifeste par des citations en italiques. Ainsi de ces deux vers : « mâchouillement obscur entre les ventres des bateaux amarrés », empruntés à La Naissance du jour de Colette. La toute première section de la première partie du recueil — « ceci est » — offre à elle seule un échantillonnage intéressant de ces paysages, y compris dans la forme du poème. Ainsi de ce poème qui commence comme un inventaire et se poursuit sur des équivalences inattendues alliant nature et mécanique, marquées par le signe = : « trois étoiles orangées
un coussin moelleux
deux étincelles
dans le carburateur =
une maison un chemin collimateur à douze tilleuls
six marronniers détonateurs ». Deux pages plus loin, la poète poursuit son jeu des associations où s’unissent les contraires : « les pavés débordent
de pollens
= territoires en pointillés ». Il arrive que la poète utilise les crochets. Elle y range quelques mots. Sans doute pour ménager un ralentissement, ou même une pause dans le rythme effréné qui est le sien. Cela prend parfois la tonalité d’un aparté. D’une confidence qui vient adoucir le contexte. Qui met l’accent sur l’intime : «[…] je m’allonge
dos vibrant comme
un champ électrique
ouvrant sur [ma petite chambre]
je t’espère — anatomie
pont suspendu mon amour » ou au contraire une insistance : « [je veux dire ça] » qui vient appuyer une métaphore culottée. « la maison flotte dans un printemps que l’été serre de près marque
à la culotte [je veux dire ça] ». Je ne peux m’empêcher de sourire à ce « ça » qui me renvoie inévitablement au « ça » de Nathalie Sarraute. Je ris de la transformation qu’Anne Calas lui fait subir. Je ris aussi de la volonté attendrissante et têtue que manifeste la poète pour donner à sa « culotte » une présence dans le poème sans l’ajuster pour autant à un contexte travaillé. J’aime cette liberté de ton si particulière et tout compte fait, assez peu courante, qu’a Anne Calas dans son écriture. Il y a beaucoup à dire encore, tant est riche la foisonnante inventivité de la poète. Jusqu’où cette énergie débordante ? Lorsque dans le poème 15 de « absolutely sweet Mary », la poète écrit : « J’apporte enfin une chaise pour m’asseoir. » le lecteur est tout étonné de cet aveu inhabituel sous la plume d’Anne Calas. Ainsi lire ce dernier ouvrage et les poèmes qui le composent, c’est se laisser prendre dans le tourbillon de la vitalité de la poète, dans son énergie vitale, dans sa soif inextinguible de l’amour. C’est partager un moment de vie qui entraîne dans sa verve créatrice. Car, outre cette vitalité insatiable, Anne Calas a un talent fou. Et cet Honneur aux serrures est une promesse de plaisir pour qui accepte de pousser la porte. Un plaisir qui va croissant au fur et à mesure que l’on progresse dans l’aventure qu’elle nous livre. Sans retenue, avec la prise de risque que cela comporte. Entrer dans les « paysages/intérieurs » d’Anne Calas, c’est faire le choix du multiple. Il y a bien sûr des lieux de prédilection parmi lesquels la maison au pied du Ventoux, ses « effarements d’ailes », ses « persiennes angéliques », ses « sauges bleues » et ses « accélérations verticales ». Mais il y aussi des écarts qui se vivent au-delà des cartes, hors lignes : |
ANNE CALAS
→ Val cosmique (autre poème extrait de Déesses de corrida) → [Ni princesse, ni d’hier ni d’aujourd’hui] (extrait d’Honneur aux serrures) → Littoral 12 (lecture d’AP) → Yves di Manno | Anne Calas | [par transparence d’une vitre] (extrait d’Une, traversée) ■ Voir aussi ▼ → le site personnel d’Anne Calas → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage) la page de l’éditeur sur Anne Calas |
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ANNE CALAS
→ [Mon île fantastique et joyeuse] (poème extrait de Déesses de corrida) → Val cosmique (autre poème extrait de Déesses de corrida) → Littoral 12 (lecture d’AP) → Yves di Manno | Anne Calas | [par transparence d’une vitre] (extrait d’Une, traversée) ■ Voir aussi ▼ → le site d’Anne Calas → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage) la page de l’éditeur sur Anne Calas |
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« la disposition subjective secrète » (Gilles Deleuze) Ph., G.AdC ATTEINDRE LA « LIBRE BASSE LANGUE » Basse langue ? Titre énigmatique, singulier. Existerait-il donc une « basse langue » comme il existe des basses eaux, des basses saisons, des basses terres ? À lire le dernier ouvrage de Christiane Veschambre, il semblerait bien que oui. Basse langue. Un lien secret court en effet entre les pages du dernier ouvrage de la poète, qui réunit des écrivains aussi différents qu’Erri De Luca, Robert Walser, Emily Dickinson et Gilles Deleuze. Auxquels il faut rajouter Joseph Léo Mankiewicz, dans les pages qui font allusion à The Ghost of Mrs Muir, film inspiré au cinéaste par le roman de l’écrivain britannique R. A. Dick. De son vrai nom Josephine Aimée Campbell Leslie. Rien en apparence qui permette de juxtaposer ces différentes langues avec un titre au singulier, si ce n’est cette « basse langue » qui persiste à bruire entre les blocs distincts façonnés par chacune des langues. Un rien qui assure cependant la continuité de l’interrogation ainsi que l’unité et la profondeur de la réflexion. Le leitmotiv de la « basse langue » s’en revient en effet comme le ferait un boomerang, boumeran, — ainsi Erri De Luca nomme-t-il l’objet que l’enfant de treize ans reçut un jour en cadeau —, d’un auteur à l’autre, entre les pages de Basse langue. À l’origine, il y a la rencontre avec une langue. La langue particulière personnelle des quatre écrivains susmentionnés. Une langue qui engendre un surgissement violent. Un séisme. Une tempête. Une secousse qui s’accompagne de frissons ; de tremblements. Cela survient avec la langue qui « étrange ». Cet « ébranlement ». Quelque chose se produit à la lecture, qui bouleverse et qui poursuit son travail de taupe, en silence et en profondeur. « Quelque chose, entre les blocs a continué de gronder. Je l’appelle la basse langue. C’est tout ce que je sais. » Ainsi s’exprime la poète dans l’incipit de son livre. Qui confie quelques pages plus loin : « Dans la chambre à Naples, disloquée par le tremblement de terre de ma lecture, l’envol et le cri ne m’apaisent pas, ne me rendent pas à une tranquille perception — me font savoir que par basse langue, ma langue de taupe, si elle m’advenait, c’est à une puissance inconnue de ma vie divisée que je serais soumise. » C’est ainsi que, tout en lisant Montedidio et tout en écrivant, Christiane Veschambre sent surgir en elle, sous sa plume, des poussées de langue étrangère, la langue d’Erri De Luca. À travers la voix d’Erri De Luca, la poète de Basse langue sent frémir dans ses fibres une langue archaïque vers laquelle elle tend l’oreille. Écrire, dès lors, n’est autre que se saisir de « la voix de celle qui n’en avait pas. » Écrivant sur la « basse langue », Christiane Veschambre intercale des textes en italiques. Récits sur sa propre enfance, sur le père, sur le rire du père et de la mère, sur l’apprentissage des langues qui mettent l’enfant à distance de ses parents — « la crainte de l’enfant que l’on ne comprend plus » —, sur la mort du père. Et cette découverte, à partir d’une vieille photo, de l’existence d’une « enfant-ma-mère » qui ne « ressemble pas » et que la narratrice ne reconnaît pas. La poète découvre ainsi l’écart qui existe entre la promesse et la réalité. Elle tente de rabouter les morceaux qui nourrissent sa stupéfaction. Les tenir ensemble sous ses yeux. C’est ce à quoi elle s’attache. Rabouter deux éléments du puzzle. « La personne-que-je-connais à l’enfant surgie ». « L’étrangéité » de la mère. Relier la vieille femme martyrisée à l’enfant brûlant de désir de vie. Tentative que seule l’écriture rend tangible. Le « frisson géologique » qui parcourt la narratrice à ce moment même est de même nature que celui qu’elle éprouve au moment de la mort du père. Plus loin, dans le premier volet du texte intitulé « Triptyque de la chambre secrète », Christiane Veschambre évoque son avortement : « On a brisé une certaine chaîne du malheur qui nous a engendrée. » Après le chemin creux du Nid-de-Chiens (la glaise bretonne de sa mère), Christiane Veschambre emprunte en Auvergne les sentes de Chez Sagoueix. Tout en marchant à travers la campagne, la pensée de l’écrivain s’évade. Du côté de Robert Walser. Et « marchant, je deviens celle qui va écrire ce livre. » Robert Walser marchait vite. Il marchait beaucoup, mais jamais ailleurs qu’en Suisse. Dans « les limites assignées » par sa modeste existence. Par crainte de se mettre à « parler de Walser », par crainte de « s’appesantir » sur « les ruisseaux de ses petites proses qui jamais ne forment rivière », Christiane Veschambre se tourne vers Thierry Trani, auteur lui aussi de petites proses. Sans fin en soi. Dont elle cite quelques extraits. Entre les « grottes insoupçonnées » de Thierry Trani et « l’ombre crépusculaire » de Robert Walser, un lien étroit se tisse qui conduit vers « ces pays qui existent pour nous dès avant la naissance. » Les petites proses de Thierry Trani ont été rassemblées — après sa mort — sous le titre de Ultra-petita dans la revue Petite par les soins de Christiane Veschambre et de Florence Pazzottu. D’autres parentés relient les deux écrivains, le Suisse et le Marseillais. La modestie. L’effacement. Modestie ? Effacement ? Christiane Veschambre rend hommage à ces deux figures qui ont modelé sa vie. Elle évoque l’un des lieux modestes de son enfance, un « petit immeuble encastré dans des constructions plus modernes », un « pauvre lieu » privé de confort, mais qu’elle continue d’aimer « tel quel ». Cette même modestie conduit la poète sur les traces d’Emily Dickinson. De l’« hôtesse minuscule », Christiane Veschambre évoque la langue « évidée de tout superflu ». Ce « peu de mots », ce « goutte à goutte ». « Tout racontage tu ». Il n’est pas impossible d’ailleurs que Christiane Veschambre ait emprunté à Emily Dickinson, qui se décrivait comme « petite », le titre de sa revue Petite. Avec Emily Dickinson, le « je » s’efface pour laisser place, dans une énumération anaphorique d’actions, à un « on » indéfini. « On s’est retrouvée à les lire »…
« On s’est retrouvée à arranger les circonstances »…
« On s’était mise à faire confiance. »
« On s’était mise à recueillir le goutte-à-goutte d’une langue qu’on tâtait pour vérifier son évidence »… De même que Robert Walser se contentait de « limites assignées », de même Emily Dickinson se satisfait des limites du jardin paternel. C’est là qu’elle se construit, dans cet univers clos, « pour s’assurer une enceinte terrestre ». « Le jardin, la maison, la chambre : enceinte de confinement pour un noyau soumis à l’Expansion ». Entre Christiane Veschambre et Emily Dickinson court la même impossibilité à obtenir du Père la connaissance de ce que chacune est. Partant, venant du père, nulle re-connaissance possible, nul accomplissement possible. Écrire des livres devient dès lors écrire pour mériter le regard du Père majuscule. « Pour s’établir à l’abri de son regard ». Mais « donner corps à la basse langue » n’est pas chose toujours possible. Il arrive que le travail de taupe échoue et que la basse langue se refuse. De cet échec naît le sentiment d’impuissance et d’extrême solitude des « jours de peine ». La poète fait appel à l’animal qui en elle parfois la rejoint. Elle lui parle : « Je dis : bête poignante, donne-moi la langue qui étrange, la langue qui m’étrange, qui m’étrangle les mots lisses dans la gorge, donne-moi la basse langue. La basse langue, c’est mon pays, une langue sans mémoire, une lande où pousseraient en même terre un vif esprit et les mottes de la taupe excavatrice ». C’est sur ce gué qui passe de la langue à la lande que surgit la réflexion sur Gilles Deleuze, dont la pensée suscite une émotion intense, un bouleversement qui secoue et propulse Christiane Veschambre hors des limites auxquelles elle se pensait assignée. Elle lit Deleuze, elle l’écoute. Elle se sait sous l’emprise de la « contagion ». Dans la forme et dans la force d’une pensée qui confère à l’impossible sa réalité. Ainsi en est-il aussi du livre que Mrs Muir se doit d’écrire sous la dictée du fantôme qui la visite. Langue étrange étrangère qui descend jusqu’à la « langue triviale » du corps, « langue basse » que lui impose le capitaine Gregg et qui prend corps en elle. Le marin n’incarne-t-il pas « la disposition subjective secrète » — selon l’expression de Gilles Deleuze, de Mrs Muir ? Et le livre qu’elle mènera jusqu’au bout, totalement opposé à « son moi visible, social, psychologique » la libère, en quelque sorte, de l’aliénation qui était la sienne. « Il y a une aliénation dont on ne se libère que par la rencontre dans l’obscurité de son étranger. » C’est ce qui survient à Mrs Muir, mais aussi à Christiane Veschambre, grâce aux rencontres que l’émergence en elle de la « basse langue » lui a permises. Atteindre la « libre basse langue » est-il toujours de l’ordre du possible ? Repousser les résistances, voire les faire reculer, est une épreuve pour qui veut écrire. Pour Christiane Veschambre demeure à jamais la camera obscura, celle dont elle ne se décidera pas à livrer les secrets. La « basse langue » de Christiane Veschambre met au jour tout un réseau de réflexions sur les relations complices qu’entretient un écrivain avec ses lectures. Nourriture foisonnante que cette « œuvre de surgissement » qui irrigue en profondeur une écriture. Et la pousse jusqu’en ses tout derniers retranchements. Angèle Paoli D.R. Texte angèlepaoli |
| CHRISTIANE VESCHAMBRE Ph. Olivier Roller Source ■ Christiane Veschambre sur Terres de femmes ▼ → [Nous sommes à l’intérieur du temps] (extrait de dit la femme dit l’enfant) → Écrire Un caractère (lecture d’AP) → [Écrire n’a pas d’objet] (extrait d’Écrire Un caractère) → [Cela s’est passé lundi] (extrait d’Ils dorment) → Une Hôtesse minuscule (extrait de Basse langue) ■ Voir aussi ▼ → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature) une fiche bio-bibliographique sur Christiane Veschambre → (sur En attendant Nadeau) un entretien avec Christiane Veschambre, par Gérard Noiret → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage) la page de l’éditeur sur Basse langue |
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[LA VAGUE DEVIENT VAGUE] La vague devient vague. Tous les êtres s’y baignent. Les mots seront progressivement blancs, hissés de couleurs comme ça qui se posent. Et au creux, miroiter. Particulièrement. Sur un coin d’heure. Dans un bruit de fracture et d’eau, vibrant, vibrant, nos cris de survivants. La vague tente, contraint, fleurit. Une grandeur, une candeur, quelle cohue, co-errance. Mille corps devenus, qui sourient près du neutre, soupiraient. Ta bouche à ma bouche, qui te détoure et aussi me détoure. Point contre point, quelques bonds. Flottaison. Tant de fleurs. Nos réelles approximations. Elle s’étend, la ligne, et tu ne l’étrécis. Entre les points et les points, au presque, propice, l’invention qui jouait, jouait comme une éternité. Comme de petits moteurs, le cousu des cascades, toi et moi non diminués de la mer. Revêches, adaptées, nos mains amadouées. Rose cri. Bijou clair. Clair rouge offert. Rouge strette. L’heure sonnait. Tout était dense, opaque, en bruine. Les orteils gigotent. Encore ce souffle, les herbes à travers la pierre, nos bouches mues, des murs à nouveau anciens. Violaine Guillerm, Note étrangère, Éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait, 29410 Plounéour-Ménez, 2016, pp. 17-18. |
| VIOLAINE GUILLERM Source ■ Violaine Guillerm sur Terres de femmes ▼ → [seulement me voilà] (extrait de Scordatura) ■ Voir aussi ▼ → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage) la page de l’éditeur sur le recueil Note étrangère |
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