Étiquette : éditions Isabelle Sauvage


  • Laurine Rousselet, Nuit témoin

    par Angèle Paoli

    Laurine Rousselet, Nuit témoin,
    éditions Isabelle Sauvage,
    Collection Présent (im)parfait,
    29410 Plounéour-Ménez, 2016.



    Lecture d’Angèle Paoli


    LAISSER CRISSER « LA DISTANCE SANS TRÉBUCHER »




    Nuit. Nuit témoin. La nuit accueille. Elle vibre en long poème haletant. Traversée de rage de désir de désespoir. La poésie de Laurine Rousselet habite la page. Strophes délimitées par des interlignes de blancs. Une possible respiration pour reprendre haleine, entre le heurt et le choc des énumérations où s’affrontent le rouge du sang qui alimente les massacres, tueries et horreurs qui abreuvent les jours et s’enflent au cours des nuits, et le bleu de l’espoir (peut-être ?) qui tente d’exister au cœur même du chaos.

    Crire crisse pareil au cri qui se lit en sourdine dans la rage violence du désir qui sourd et perle à même la peau, sexes noués confondus jusqu’à l’extase avant que de se séparer et de rendre chacun à sa solitude première. Écrire/crire/crier pour dire l’absence, ce vide insoutenable qui ronge jusqu’à la fuite la folie la fureur. Crire pour parfois laisser place au sommeil des enfants, à leurs rires à leurs jeux. Crire la vie ses bonheurs ses déchirements, et les larmes qui perlent au fil des vers.

    « quelques perles de jais sur ma table

    dans les yeux tout le papier de la nuit couché »

    « tant de sueur perlée devant le pas de la porte

    coller sa bouche à l’esprit qui s’absente

    en vrac tenir parole »

    C’est à ses deux enfants que Laurine Rousselet dédie Nuit témoin. Amalia et Elias. Ils sont là, endormis au creux des nuits, dans le silence de leurs rêves. La vie se lit dans les soupirs de leur respiration, redonnant un peu de courage à celle qui le cherche sous le flux de l’encre. Car seule la ferveur rageuse de l’écriture ramène la mémoire sur la frontière entre un passé incompréhensiblement défunt et un présent incertain soumis à la course effrénée qui se livre. Seul le crire peut rendre à la jeune quarantenaire — « quarante trente et un décembre tourbillonnent / sentir passer quand la voix se durcit » — l’exaltation de jadis, celle qui lui permet encore, malgré la déchirure, de prolonger en apnée sa survie. Son passé d’amoureuse éclate, sexes emboîtés dans le délire de l’alcôve. Sueurs de l’amour liqueurs partagées dans l’intime accolement de la chair, perles du désir accrochées à la peau, autant de signes du partage, fusion de feu qui continue de hanter la chair à vif de la brûlure :

    « l’absence au présent connaît ton visage

    le buvard immaculé d’encre

    tes doigts sur mon cou qui lui parlent

    descendent pour s’enfoncer

    faire disparaître »

    Par-delà l’intime, Nuit témoin recueille. Héritière de la vie, elle reçoit, condensé d’émotions, témoigne de ce qui déchire et qui hante, ces naufrages humains qui jamais n’ont de cesse :

    « le présent déborde d’effroyable

    sans contours flous

    tremper la vue un instant

    sur cette bouillie humaine

    se figer devant l’impensable

    jour après jour

    physiquement »

    Et au cœur de la nuit, se heurter à l’indicible, mots sans voix qui résistent ; musèlement de l’écriture, incapacité à « crire » :

    « s’ensuit la salve de ma langue verrouillée

    les signes condamnés dans la ferraille »

    Sous la force de la dévastation, il arrive que le « je » tente une percée. Mais la mise à distance se heurte à l’échec. Sa propre reconstitution échappe à la poète :

    « à chaque écroulement

    je m’inconnue »

    Insoluble et résistante, ancrée au cœur du poème, la négation s’impose dans sa force persistante, obtuse :

    « les visions ne surmontent rien

    telles des apostrophes pourfendant l’air

    elles vagabondent

    ni plafond

    ni bonne santé

    ni trou

    ni coups d’horloge

    tout est corps et objet entièrement nu »

    Et toujours la nuit assiste :

    « les poignets se balancent dans le noir

    nuit témoin ».

    Parfois, sous la déchirure, perce la voix de l’autre, l’être de désir et de feu, égarement des langues qui se mêle à la fureur blessée. Et partout, dans ces poèmes haletants, sans ponctuation ni trêve, ce qui draine l’errance et conduit la poète, c’est la fuite. Une fuite éperdue dont l’écriture porte les marques, course sans fin ni frein qui se lit à travers l’énumération de verbes d’action à l’infinitif :

    « sauter dans la vie

    les deux pieds trempés d’incertitude »

    « ravir les lettres culbutées

    les assembler

    comme une mémoire projetée »

    « se détourner de l’évasion

    pour emporter le cœur loin de la perte »

    « affronter la suavité

    débaucher l’irrévocable

    cavaler au rythme du crachat

    et de l’acharnement »

    « Cavaler ». Cavaler sans relâche. Cavaler sans cesse pour échapper à ce qui blesse. Et, pour cela, répondre aux injonctions permanentes incrustées dans la pensée. Autant de signes qui se manifestent ; incitant la poète à affronter. À trouver en elle la force d’aller de l’avant, malgré tout, par le travail et par l’écriture :

    « oublier la chambre où la pluie tombe

    sortir trois pages par jour

    pour se lancer à la poursuite du froid »

    et conserver intact ce condensé de trace que garde la « nuit témoin » ; indice de présence de l’autre, afin de prolonger par-delà l’exil, par-delà la stupeur et la souffrance, ce qui demeure encore de la langue aimée, de la langue perdue :

    « reste le feu dans la voix rauque

    un sourire enroulé à nos deux alphabets

    par la porte le ciel qui répète à nos yeux

    la chance dans force et éclats »

    Crire crier écrire laisser crisser « la distance sans trébucher », telle est la quête éperdue de Nuit témoin, poème trait d’union entre l’avant et le maintenant, écriture-passion ancrée/encrée sur « l’indéchiffrable », long abandon livré au temps d’une course effrénée, tourbillon que rien n’arrête, trouées de rouge qui cherchent leur respir dans « l’obscurité bleuissante de la chambre ».

    Nuit témoin est nuit charnière où abriter la « sidération ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Rousselet_nuit







    LAURINE ROUSSELET


    Laurine Rousselet par Hubert Haddad
    Hubert Haddad,
    Portrait de Laurine Rousselet, 2006





    ■ Laurine Rousselet
    sur Terres de femmes


    [le concret s’avance au creux de la main] (extrait de Nuit témoin)
    [la débâcle vient du réel] (extrait de Journal de l’attente)
    [en haut du temple] (autre extrait de Journal de l’attente)
    [franchir la porte] (extrait de Ruine balance)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    [illisibilité afflux soulèvement]



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site Pierre Campion)
    une lecture de Nuit témoin de Laurine Rousselet, par Laurent Albarracin
    → (sur lelitteraire.com)
    une lecture de Nuit témoin de Laurine Rousselet, par Jean-Paul Gavard-Perret
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Laurine Rousselet
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la page de l’éditeur sur Nuit témoin de Laurine Rousselet
    → (sur le site de France Culture)
    Laurine Rousselet : l’effractionnaire (L’Atelier de la création | 14-15, 18 juin 2013)
    → (sur le site de France Culture)
    Laurine Rousselet dans Ça rime à quoi de Sophie Nauleau pour Journal de l’attente (17 novembre 2013)
    → (sur Levure littéraire 12)
    Laurine Rousselet, Syrie, ce proche ailleurs (note de lecture d’AP)
    → (sur lelitteraire.com)
    un entretien de Laurine Rousselet avec Jean-Paul Gavard-Perret







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  • Anne Malaprade | Une presqu’île. Presqu’elle, presqu’il




    UNE PRESQU’ ÎLE. Presqu’elle, presqu’il.





    Polarité une. Je vais parler sans mon histoire, sans mon affect, sans ma jalousie, grillage imposé entre moi et autrui. Un corps en partage s’allonge sur la pelouse, ça pique, les herbes coupées captivent l’épiderme. De l’autre côté du mur un voisin parle comme un chien à son chien.

    Polarité seconde. Contre toi je bois un grand thé brun qui n’en finit pas de noircir le corps intérieur. Les amants détachés ont peur de faire l’amour dans la chambre orangée dont le lit accueille mollement la détresse. S’abandonner doit servir à quelque chose, s’adresser à quelqu’un ? Puis-je tenir ma promesse — écrire quotidiennement, oublier les livres des autres, masquer que je ne suis pas capable de penser, d’articuler ?

    Polarité un. Ma peau se décolore comme celle de mon père ; je suis rassuré de lui ressembler, consterné d’être si proche alors que j’ai tant fait pour éloigner son avarice. Je regarde le monde à travers ce que tu m’en dis : tes archives sonores. De la radio tu ne retiens que le timbre des voix. La musique ne peut qu’être celle de l’adolescence : confluence des malaises. Oublie les morts pour les vivants. De nouveau personne ne sait si c’est le tu ou le je qui domine. Pourtant chacun sait qu’il y a domination. Quelque chose en quelqu’un contraint quelqu’un. Je ne sais plus quelle est la chose de l’un.

    Polarité nue. J’attends qu’un autre me regarde. Synopsis entêtant. Tu es fidèle à mes faiblesses. Mon regard passe par-dessous le tien, le tien, offensé, passe par-dessus l’habitude. Les yeux se ferment malgré le clair-obscur. Sans doute ne savons-nous plus comment regarder le monde. Les morts n’ont pas de pays : territoire muré. Au début on espérait comprendre pour se battre mais ces visages tournés vers l’arrière reflètent les frictions stérilisées.

    Aimants. Nous avons pêché par la parole. Trop expliqué, trop articulé. Laissons crouler le silence. La paix continue la guerre. « silence, mon amour, laisse agir ma colère. » Des revenants meurent une première fois dans le visible, une seconde contre la peau d’un visible. Dans la librairie ce sont toujours les corps qui parlent à travers les livres, masques et visages sur les murs les tables les plafonds dans les mers en dépit des voix. Dans mon corps tu rêves d’autres bibliothèques.



    Anne Malaprade, Notre corps qui êtes en mots, éditions isabelle sauvage, Collection présent (im)parfait, 2016, pp. 39-40-41.







    Anne Malaprade, Notre corps qui êtes en mots





    ANNE   MALAPRADE


    Anne Malaprade 2
    Source




    ■ Anne Malaprade
    sur Terres de femmes

    Lettres au corps (note de lecture d’AP)
    Au conditionnel, dans la ferveur, quoique lente (extrait de Lettres au corps)
    Négatif, inspiration | Tirage, expiration (extrait de Parole, personne)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions isabelle sauvage)
    une notice bio-bibliographique sur Anne Malaprade
    → (sur le site des éditions isabelle sauvage)
    une présentation de Notre corps qui êtes en mots d’Anne Malaprade







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  • Isabelle Baladine Howald | [Je — court à la mort]




    [JE — COURT À LA MORT]





    Je — court à la mort


    (devancer sans fin la scène des adieux, je —
    court devant— les mains et bras tendus ouverts
    pour/contre)

    Je ne veux pas que le jour commence je ne veux pas
    que le jour finisse        à chaque mort je       pense
    non, pas pensée       mais       épreuve de l’aube et du soir


    Relever, relever
    Ne pas s’en relever. Mais relever : survivons comme /
    les deux extrêmes —


    va — ferme ces doux yeux / — ne sache pas — je me / charge —    continue — / et tu vivras —, me demandant comment vivre avec celui qui travaille dans la forêt — celui qui coupe les arbres ou recueille la sève — avec le faucheur d’herbes, avec le photographe ou le peintre, celui qui écoute ou celui qui parle,  avec celui qui rit aux larmes sur la photo ou celui qui tient sa tête dans ses mains — celui des figurines. Avec le petit mort. Je me souvenais de ceux avec lesquels j’avais vécu, auprès desquels je ne dormais pas

          et je devenu le cheval frappé



    Isabelle Baladine Howald, Hantômes, I, éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait, 29410 Plounéour-Ménez, 2016, pp. 12-13.







    Howald_hantomes






    ISABELLE BALADINE HOWALD


    Isabelle Baladine Howald
    Source




    ■ Isabelle Baladine Howald
    sur Terres de femmes


    La Douleur du retour (note de lecture d’AP)
    [Je pense à toi qui n’a plus de corps] (extrait de Fragments du discontinu)
    Mouvement d’adieu, constamment empêché (note de lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la page de l’éditeur sur hantômes







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  • Laurine Rousselet | [le concret s’avance au creux de la main]




    [LE CONCRET S’AVANCE AU CREUX DE LA MAIN]





    le concret s’avance au creux de la main
    un pan du passé m’est perdu
    la mémoire a ses départs
    ses coups de pied et famines

    il y a magie si dans l’énormité du jour
    la perte saisit la lettre pour l’obliger à vivre

    au milieu des touffes d’herbe
    je vois racines desséchées
    soupçons de bulbes
    conflits prêts à gonfler

    la bataille reste de crire sur fond blanc



    Laurine Rousselet, Nuit témoin, éditions Isabelle Sauvage, Collection « Présent (im)parfait », 29410 Plounéour-Ménez, 2016, page 44.






    Rousselet_nuit







    LAURINE ROUSSELET


    Laurine Rousselet par Hubert Haddad
    Hubert Haddad,
    Portrait de Laurine Rousselet, 2006





    ■ Laurine Rousselet
    sur Terres de femmes


    Nuit témoin (note de lecture d’AP)
    [la débâcle vient du réel] (extrait de Journal de l’attente)
    [en haut du temple] (autre extrait de Journal de l’attente)
    [franchir la porte] (extrait de Ruine balance)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    [illisibilité afflux soulèvement]



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site Pierre Campion)
    une lecture de Nuit témoin de Laurine Rousselet, par Laurent Albarracin
    → (sur lelitteraire.com)
    une lecture de Nuit témoin de Laurine Rousselet, par Jean-Paul Gavard-Perret
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Laurine Rousselet
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la page de l’éditeur sur Nuit témoin de Laurine Rousselet
    → (sur le site de France Culture)
    Laurine Rousselet : l’effractionnaire (L’Atelier de la création | 14-15, 18 juin 2013)
    → (sur le site de France Culture)
    Laurine Rousselet dans Ça rime à quoi de Sophie Nauleau pour Journal de l’attente (17 novembre 2013)
    → (sur Levure littéraire 12)
    Laurine Rousselet, Syrie, ce proche ailleurs (note de lecture d’AP)
    → (sur lelitteraire.com)
    un entretien de Laurine Rousselet avec Jean-Paul Gavard-Perret







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  • Christiane Veschambre | Une Hôtesse minuscule




    UNE HÔTESSE MINUSCULE




    Elle est venue dans le silence.

    Tout racontage tu.

    Son peu de mots. Posés à pied très légers sur un sol impalpable — pouvait-on croire.

    En vérité fichés comme mégalithes chus de l’espace.

    En vérité les deux à la fois.

    N’ont pas surgi. Ne m’ont pas fait trembler. Sont apparus sans qu’on se rende compte, qu’on en prenne acte. Un peu comme des mots — son peu de mots— insensiblement révélés par une encre sympathique.

    On s’est retrouvée à les lire. Quand ils vous tombaient sous les yeux, d’abord. Et ils étaient là, sous les yeux, on ne les avait pas vus tomber.

    On s’est retrouvée à arranger les circonstances, sans jamais de préméditation, qui permettraient de les lire. Les circonstances du silence.

    On s’était mise à faire confiance. On faisait confiance à la poussée de silence qui nous réveillait le matin, au dégoût — son goût perdu — de la parole, devenue monnaie de singe.

    On s’était mise à recueillir le goutte-à-goutte d’une langue qu’on tâtait pour vérifier son évidence. Une langue évidée du superflu — au très peu qui restait, on faisait confiance.

    On était retournée en enfance.

    On s’était quittée pour se déposer on ne savait entre quelles mains.

    C’est ainsi que sont venus sous mes yeux les poèmes d’Emily Dickinson, comme des anges du silence. Des pierres de silence.

    C’est ainsi que j’appris — m’apparut, se présenta à moi — ce qui vivait de l’autre côté du nom identitaire apposé sur la grille du camp de concentration « poésie ».

    De l’autre côté du nom, pas de l’autre côté de la grille : là il n’y avait rien, que le mirage d’un territoire où circonscrire les langues étranges, comme un abcès où fixer la maladie.

    […]



    Christiane Veschambre, Basse langue, Éditions Isabelle Sauvage, Collection singuliers pluriel, 2016, pp. 85-86.







    Christiane Veschambre, Basse langue






    CHRISTIANE VESCHAMBRE


    Christiane Veschambre 2
    Ph. Olivier Roller
    Source





    ■ Christiane Veschambre
    sur Terres de femmes


    Basse langue (lecture d’AP)
    dit la femme dit l’enfant (lecture d’AP)
    [Nous sommes à l’intérieur du temps] (extrait de dit la femme dit l’enfant)
    [Cela s’est passé lundi] (extrait d’Ils dorment)
    Écrire Un caractère (lecture d’AP)
    [Écrire n’a pas d’objet] (extrait d’Écrire Un caractère)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Christiane Veschambre
    → (sur En attendant Nadeau)
    un entretien avec Christiane Veschambre, par Gérard Noiret
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la page de l’éditeur sur Basse langue





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  • 15 avril 1945 | Libération du camp de Bergen-Belsen

    (lecture de Je rêve que je vis ? de Ceija Stojka)

    Éphéméride culturelle à rebours





    La notice de cette éphéméride a été conçue à partir de la lecture de Je rêve que je vis ? Libérée de Bergen-Belsen de Ceija Stojka, Éditions Isabelle Sauvage, Collection chaos, 2016. Traduit de l’allemand par Sabine Macher. Avant-propos de Karin Berger.







    Ceija Stojka, les Tombes de Bergen-Belsen
    Ceija Stojka, Les Tombes de Bergen-Belsen
    Encre sur papier, 22 x 29,5 cm, 2004
    Source







    Le 15 avril 1945, les tanks britanniques libèrent le camp de Bergen-Belsen. Ce jour-là, alors que la jeune Ceija se balade comme à son ordinaire parmi les morts qui gisent en tas dans la gadoue et forment montagne, un paquet venu d’en haut tombe devant elle. « C’est quelque chose emballé dans du papier blanc. Un blanc comme ça, ça n’existe qu’en porcelaine, qu’en pure porcelaine. Et je vois, à l’intérieur c’est rouge » (op. cit. supra, pp. 56-57), s’exclame la petite Ceija… Elle qui ne se nourrit depuis quatre mois que de boulettes de laine arrachées aux cadavres, de feuilles d’arbres et de terre, n’en croit pas ses yeux. Ce qui vient de tomber devant elle parmi les cadavres auprès desquels elle se terre et se couche pour dormir, c’est un cadeau du ciel et c’est un soldat anglais qui le lui envoie. Pourtant l’enfant prend peur. Elle se met à hurler, réclamant sa maman. « Je suis ton libérateur », lui dit l’Anglais. (op. cit. id., page 58).

    Comment être sûre que ce qu’il dit est vrai ? S’approchant de l’enfant, il lui noue un drapeau déchiré autour de la taille et remplit de victuailles le sac ainsi improvisé. « Et maintenant tu vas voir ta mère et tu lui dis que vous êtes libres ! » (op. cit. ibid., page 59).

    Ce récit est celui de Ceija Stojka, rescapée des camps de la mort. Des quatre mois passés en compagnie de sa mère — et de quelques autres Roms de sa famille — au camp de Bergen-Belsen, la narratrice a gardé une mémoire vive. L’enfant de onze ans qu’elle a été a emmagasiné jusqu’au moindre détail ce qui fut sa vie de prisonnière au milieu des cadavres qui s’amoncelaient autour d’elle et que nul ne se préoccupait d’ensevelir. Elle a gardé intact jusqu’au souvenir des paroles échangées avec les siens. Bien des années plus tard, elle restitue oralement le passé comme s’il était toujours présent, avec la même force, la même vitalité, la même authenticité qu’au temps de son enfance. Et parfois même, avec la même juvénile fantaisie. Elle le fait revivre par ses mots, par la liberté de ton qui est la sienne, grâce à ce talent de conteuse hérité de ses ancêtres tsiganes. En 2004, en effet, Ceija Stojka, « écrivain, peintre et musicienne », fait don de ses souvenirs à Karin Berger qui les a recueillis au cours de plusieurs entretiens. La cinéaste les a couchés tels quels sur le papier. Tout ce matériau, Ceija Stojka le confie à son auditrice, sans rien changer de la perception qu’elle a gardée de ce passé, sans déguisement ni mensonge :

    « Les beaux moments que j’ai vécus, ils sont là, mais ma connaissance va bien plus loin, je vois devant moi le déluge, la misère, je vois courir les enfants et les SS qui les poursuivent. Je vois surtout les veilles femmes qui hurlent. Ça ne m’a jamais lâchée. Jamais. Ça ne s’est jamais arrêté. » (op. cit. ibid., page 109).

    Il arrive pourtant que la parole bute. Que l’expérience vécue dans les différents camps de la mort où la jeune Romni a séjourné, se heurte à l’indicible. À l’incommunicable.

    « La vraie vérité, la peur et la misère, ce qu’ils ont vraiment fait avec nous, je ne peux pas te le raconter. Je ne peux pas te le transmettre. » (op. cit. ibid., page 110).

    Et Ceija d’ajouter cette remarque étonnante, qui revient à plusieurs reprises dans sa bouche :

    « Et pourtant on ne leur en voulait pas. “Que Dieu leur pardonne leurs péchés !” c’est ce que disait toujours la maman. On avait quand même des sentiments pour eux, parce que ce sont des êtres humains créés par Dieu. Mais eux, ils n’avaient aucun sentiment, les êtres humains, ils les brûlaient vifs et les gazaient. Ils n’avaient pas idée de jusqu’où ils s’emportaient. En réalité, ils me font de la peine ! » (op. cit. ibid., page 110).

    Il en est de même des sentiments qui habitent les déportés pendant les trois ou quatre mois d’errance qui suivent leur libération. L’indicible l’emporte, qu’aucun mot ne peut traduire :

    « On allait d’une route départementale à l’autre, avec des chants, avec des rires, avec des pleurs, avec la peur. Plein de sentiments mêlés qu’on ne peut décrire. » (op. cit. ibid., page 85).

    Quant à la Libération, elle reste un moment incompréhensible, proche de l’inconcevable, tant l’horreur est grande, que les libérateurs découvrent ; tant le contraste est grand entre les vivants et ceux qui gisent à leurs pieds, dans la fange immonde des excréments et de la misère extrême.

    « Non, on ne peut pas le raconter. Il faut que tu imagines, la Libération et en même temps, tous ces cadavres éventrés… » (op. cit. ibid., pp. 60-61).

    Le désarroi est tel que la mère a du mal à y croire. Libres ? Quel sens donner à ce mot et à la réalité nouvelle qu’il recouvre ? Comment vivre libres avec ces images de peur qui collent à la peau ? Comment renouer avec la vie avec tous ces morts qui hantent la mémoire ? Autant de questions avec lesquelles il va falloir apprendre à vivre. Mais Ceija ne désespère jamais. Son témoignage en est la preuve.

    Ainsi, tout au long de l’entretien qu’elle mène avec Karin Berger, Ceija Stojka fait-elle revivre par sa parole lucide claire et directe, l’épopée de la Libération de milliers de prisonniers, toutes races et religions confondues ; l’errance de ces convois humains livrés aux routes, à la recherche de nourriture, la vie précaire, les morts qui jalonnent le retour en Autriche ou ailleurs ; les retrouvailles inespérées avec les survivants, frères sœurs parents dispersés dans d’autres camps où la majeure partie d’entre eux a péri ; les bonheurs simples vécus dans le partage. Mais aussi la difficulté à se réinsérer dans la vie normale, lorsqu’on appartient au peuple maléfique des Roms. Vivre désormais avec la suspicion et le mépris des Gagjé (les non-Roms) et le numéro de déporté à jamais incrusté dans la peau :

    « Elles viennent d’où celles-là ? Tu peux laver et frotter autant que tu veux, ça ne sert à rien, tu es une Romni, tu es un Rom, ça te restera toujours et c’est bien aussi comme ça. Mais personne ne te dit : “Dieu soit loué, vous avez survécu ! Qu’est-ce qui s’est passé ? Comment c’est possible qu’on vous ait déportés ? C’était quoi la raison ?” » (op. cit. ibid., page 96).

    Longtemps après son retour à la vie normale, Ceija Stojka revient sur les lieux de la tragédie humaine qu’elle a traversée. Elle retrouve l’arbre qui lui a permis de se nourrir et de demeurer en vie.

    « Quand je l’ai revu après cinquante-cinq ans, il était comme une très vieille femme. Probablement j’aurais la même tête quand je m’en irai de cette terre-ci. Toute grise. » (op. cit. supra, page 75).

    Ceija Stojka, âgée de soixante-sept ans, est en effet revenue au camp de Bergen-Belsen en l’an 2000. Cette nuit-là, qui a suivi sa visite à l’arbre nourricier, Ceija a fait un rêve :

    « J’ai rêvé que je parlais avec les morts. Ils étaient tous réjouis : “on t’a attendue si longtemps ! C’est bien que tu sois venue ! Tu étais toujours parmi nous !” Et moi je leur dis : “Vous êtes tous de Bergen-Belsen ?” “Oui, mais nous devons rester ici pour toujours !” Puis d’autres tombes s’ouvraient aussi : “Regarde, nous aussi, on est là”, ils criaient, et : “Nous, tu ne nous connais pas encore ! ” Et tout à coup, les gens sortent avec de la terre et forment le tronc d’un oiseau. » (op. cit. ibid., pp. 75-76).

    La métamorphose se poursuit et Ceija de confier à son auditrice :

    « Toujours, quand je vais à Bergen-Belsen, c’est comme une fête ! Les morts volent dans un bruissement d’ailes. Ils sortent, ils remuent, je les sens, ils chantent, et le ciel est rempli d’oiseaux. C’est seulement leur corps qui gît là. Ils sont sortis de leur corps parce qu’on leur a pris la vie violemment. Et nous, nous sommes les porteurs, nous les portons avec notre vie. » (op. cit. ibid., pp. 76-77).

    Sublime moment de parole que ces mots confiés à Karin Berger pour transmettre l’espoir. Plus forts que la mort.



    Angèle Paoli






    Ceija Stojka, peinture, 2011
    « Elle retrouve l’arbre qui lui a permis de se nourrir
    et de demeurer en vie. »

    Ceija Stojka, Sans titre, 2011
    Source







    Ceija Stojka






    CEIJA STOJKA


    Ceija Stojka 3
    Source



    Née en Styrie le 23 mai 1933, « fille de marchands de chevaux rom, les Lovara-Roma », Ceija Stojka est décédée le 28 janvier 2013 dans un hôpital de Vienne. Pendant la Seconde Guerre mondiale, toute sa famille fut déportée dans plusieurs camps de concentration, dont celui de Bergen-Belsen. Rescapée avec sa mère et quatre frères et sœurs, Ceija Stojka a publié plusieurs ouvrages. Wir leben im Verborgenen – Erinnerungen einer Rom-Zigeunerin, publié en 1988 (« Nous vivons cachés – Souvenirs d’une Rom-Tsigane »), a attiré l’attention sur le sort des Roms sous le nazisme. En 1992, elle publie Reisende auf dieser Welt (« Voyageuse de ce monde »). Elle reçoit plusieurs distinctions dont le prix Bruno-Kreisky. Publié en 2005 (Picus Verlag, Vienne), Träume ich, dass ich lebe ? Befreit aus Bergen-Belsen / Je rêve que je vis ? Libérée de Bergen-Belsen (Éditions Isabelle Sauvage, 2016) est son premier livre traduit en français.




    ■ Ceija Stojka
    sur Terres de femmes

    Avril 1947 | Ceija Stojka, Nous vivons cachés, Récits d’une Romni à travers le siècle



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la fiche de l’éditeur sur Je rêve que je vis ? Libérée de Bergen-Belsen de Ceija Stojka





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  • Jacques Roman, Proférations

    par Isabelle Lévesque

    Jacques Roman, Proférations,
    Éditions Isabelle Sauvage,
    Collection présent (im)parfait,
    29410 Plounéour-Ménez,
    2015.



    Lecture d’Isabelle Lévesque




    Ce que l’on prend pour ma voix est la
    voix d’un étranger qui rapporte le récit d’un idiot
    plein de bruit et de fureur. […] Oubliez mon visage, mes
    larmes, mais n’oubliez pas la voix qui ne m’appartient pas, la
    voix incarnée de l’humaine inspiration.


    Jacques Roman,Revue des Belles Lettres, 2012, n°2.



    Placer la voix sur la portée, dans l’action véritable, plurielle. Inverser le cours : « De la faux à la voix » car « je profère en faucheur ». Ce n’est pas une maxime, mais le tour de Jacques Roman. Entre l’abandon et l’élan, énoncer : abattu alimente le surgissement de la parole, « la surprise d’être dressé parlant ». Cette station debout qui d’homo erectus en homo sapiens fit l’homme marchant, courant, chassant et terrorisant « la savane », permit le développement de son cerveau et fit naître la voix « avant le feu ». Le poète se redresse et parle, il renouvelle ce geste de résistance et de vie. Au début fut fait homme, un « soc », conquérant, un soc d’os, arme tranchante. La parole (poétique) : de cet ordre. Voilà ce que nous indiquent les deux pages en italique qui précèdent le corps du livre. Treize textes à dire, dont certains déjà publiés, en arpentant la scène du monde tant que.

    Place à la parole ancestrale, phylogénique et nue-ponctuée, proférée, redite si son élan le requiert. Elle sera : prophétie nourrie d’origine, claire et sonnante. Le poète écrit à haute voix, parfois à voix-cri. Le mot « voix » autour du feu danse, ou sur la phrase se jette, juxtaposé. Comme « mort », décliné, « une voix emportée », pythie à naître ? Proximité de sons : amour, mortel ; proférations déjà sur ce seuil qui fait battre des syllabes proches, « une voix vivante au cœur du corps ».

    Les saisons emportent la voix des aimés, mouvement de nature, mais faire « tourbillonner » la voix « dans l’ouragan », c’est la reconnaître comme sienne. Elle résiste au « souffle de la mort », lu comme oxymore, c’est le vent, le souffle qui balaie car cette voix « hante » (vit). Requiem, non, la voix : ce qui reste, même si le nom sur la pierre n’est plus lisible ou le carnet « effacé », car l’angle bouge et brasse, le support résigné ne montre plus rien. La « voix vierge », sainte de son humanité intangible, parcourt les lieux : jardin, crique, chambre, tout endroit traversé par elle. Elle devient ce qui fonde et résiste. Le poète traversé restitue la naissance, sa voix est « une épaule, un ventre, un sexe », « sans souci de » : en une, toutes, « ni mienne ni tienne », universelle et « l’éternité recommencera ».

    Rester « coi ». La seconde profération prend le contre-pied de la voix. Regarder ce qui demeure, même tu. Développé en « ça », détermination sujette à l’indéfinie matière (des pissenlits), aux soucis (mouron), à ce qui coince, « le travers de sa gorge » jusqu’à « ci-gît », « en attendant que couic ». L’énumération agite les mots sorciers coincés espérant une avancée et « ça piétine ». De Narcisse en Brassens (« les trompettes mal embouchées de la renommée »), tout ramener vers soi pour rester coi dans son vomi inaltéré, de prophète en cigüe, de « pitrerie » en tragédie vendue, d’ores et déjà consumée. L’altération du tout amenuisé, les concaténations l’avalent pour le recracher, faut-il s’en soucier ? Reliés par la voix proférant-muette, alternant de petits riens agglutinés en prose désaxée, la langue n’est pas sept fois tournée. Préceptes ou lieux communs retournés au degré zéro du dire, « ni vu ni connu », alimentent le texte à la façon de. La rature avait nourri un livre précédent de Jacques Roman, édité par Isabelle Sauvage, autre présupposé… Ce qui fut supprimé a construit ce qui est, la voix qui fuse charrie la boue des mots qui feront le terreau chamboulé de chiendent pour pousser (le cri). Alors c’est dialogué, sans ponctuer, car pas ralentir, ça court sous la peau : c’est proféré, de loin, de près. Théâtre dans son enchaînement de didascalies jetées, fosse pleine de cris du haut-parleur activé, machinerie, machiniste, logorrhée, cris d’oiseaux engorgés mal dégrossis, « idiot ligoté » – les mots. Jubilation organique, jouir d’écrire d’une traite à rabattre caquet de couper. Respirer.

    Autre constante en scène, le sang : la langue verse les globules mêlés, le rouge, le blanc. En gorge, style télégraphique réduit à ânonner (« stop »), minimal message au télégraphe passé, moulinette du texte, ou bien, parenthèse ouverte sans être fermée, la longue énumération de topiques broyés, « la poussière nous mord », et la langue joue les calembours variables pour être secouée (« Les mots malades de la peste molle », salut à La Fontaine). Quelle maladie pour cette syntaxe qui oublie les subordonnées au profit d’une parataxe en expansion constante ?

    Mal profond, une colère à libérer les démons, les mots orchestrés sont devenus fous. Folie assumée, proférée, comme préférée au logos imparable qui nous broie. Le noir, « le mot loup et le mot trou le mot trou et le mot clou », pas que les sons, « cet amour engendré du courroux quand au palais va la langue au duel et c’était défi défi contre mots mous ». La langue est libre.

    « qu’une voix en arme vous reconduise au lit de l’imagination qui vous enfanta et que nous revienne la tonalité comme le sang au cœur, qu’elle nous revienne sur les sols à jamais dépeuplés d’aide où poussent les pleurs »

    Proférations en cela de violence à dire intact sans moudre, mouler, assagir. Dire en avant le texte, sur scène, sans jouer, les répliques à inventer. « JE M’APPELLE ÉTRANGER », langage battu, « craché » à devenir inclusif, le répéter. Rage contre le sort réservé à ceux qui (pas « comme nous », les fous, les étrangers pas d’« ici »). Rage contre les puissants, ceux qui cadrent la vie et forment les rangs.

    Montaigne interrogeait : « Qui mit jamais à tel prix, le service de la mercadence et de la trafique ? Tant de villes rasees, tant de nations exterminees, tant de millions de peuples, passez au fil de l’espee, et la plus riche et belle partie du monde bouleversee, pour la negotiation des perles et du poivre : Mechaniques victoires. » Il dénonçait les crimes commis au nom du profit. Jacques Roman en reprend les termes et saisit son bâton :


    « se tailler un bâton de vie de vie le bâton dernier bâton de noisetier bâton de colère sainte et saint bâton musclé déterminé à tenir à distance larageuse mercadence et la trafique le spectacle la comédie la foireuse représentation de la vanité rampante devant l’or en son théâtre »


    Le poète acteur parleur diseur est aussi lecteur : Samuel Beckett, Guy Debord et Montaigne, Molière et Michaux dans son Grand Combat… Il faut se battre, se débattre. Dans un entretien radiodiffusé 1, Jacques Roman affirme que « la poésie commence avec l’injustice et donc avec la colère ». Cela commence avec l’enfance. Aussi. Le bâton, il est ici/là/partout dans cette profération, c’est celui de l’enfant qui gardait les vaches dans les montagnes d’Auvergne, bâton de travail et de jeu (mais c’est aussi celui du Père Ubu). Bâton qui assomme, bastonne et fait fuir ceux qui frappent l’enfant à coups de tisonnier et tous ceux qui ont la main sur nous, qui offensent et qui humilient.


    « bâton maniant terre et maniant monde contre monde maniant en rêve bâton contre salauds contre pape contre curé contre chef contre votre honneur bâton outil sceptre bâton paysan contre canne à pommeau et canne-épée canne à poison et canne-crosse / bâton de vieil enfant »


    Langue débridée d’un poète généreux, donc rageur, à la langue proliférante « pour se familiariser avec la mort » (Bataille à la rescousse) ? Profération née de stupéfaction ou : « Plus m’enlise et plus m’enlise », « créature de quel marécage ? ». La question posée montre la langue écorchée, la fin en questions lancées plusieurs fois par « quoi », sujet de phrases hébétées, Beckett et ses fantômes jouant la question.

    Ni ne se calme ni ne se modère, Jacques Roman.

    Une dernière section chavire le tout : les morceaux laissés pour morts, enlisés, profèrent les avatars assoiffés des parties du livre (toutes les voix), les auteurs lus, leurs personnages, saluent à la fin. Vivants, ils entendent en cortège mêlé le défilé des voix, chœur hypertrophié « de nos morceaux », « legs dûment signé » des proférations. Tous ces faucheurs sont aussi des semeurs au geste large qui disent : « Salut et adieu ! » Agonie superbe avant de partager avec Cesare Pavese « ce long, très long et merveilleux silence ».



    Isabelle Lévesque
    D.R. Texte Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes




    ________________________________
    1. Deux entretiens à retrouver sur Cultur@ctif






    Jacques Roman, Proférations






    JACQUES  ROMAN


    Jacques Roman 2




    ■ Jacques Roman ▼
    sur Terres de femmes

    Le là embrase son corps (extrait de D’entente avec oui)
    [La rature, accouplée à la jouissance d’écrire] (extrait de le dit du raturé/////le dit du lézardé)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le Cultur@ctif Suisse)
    plusieurs pages sur Jacques Roman dont une notice bio-bibliographique
    → (sur Terre à ciel)
    un dossier Jacques Roman
    → (sur letemps.ch)
    un entretien avec Jacques Roman




    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Pauline Von Aesch, Nu compris





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  • Stéphane Korvin | [on déplace les muettes]



    [ON DÉPLACE LES MUETTES]




    on déplace les muettes, on essuie les chutes, on renverse les chaises, la table ressemble à une petite pièce noire, l’ombre descend jusqu’à la cave

    le verbe blottir

    les causes se sont immobilisées, dans le lit tu me cherches des mains

    « quand que je ne serai plus là » reste un grand bruit

    cela n’existe pas les petits coffres murés qui claquent sous la peau ?

    tu m’offres la pluie, l’entrain et une trêve, leurs masses s’échangent : « nous ferons du feu avec nos corps »

    nous le ferons sans boire puisque que j’ai les lèvres brûlées




    Stéphane Korvin, Noise, éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait, 29410 Plounéour-Ménez, 2015, page 72.






    Noise






    STÉPHANE KORVIN


    Korvin_stephane
    Source



    ■ Stéphane Korvin
    sur Terres de femmes

    [le vent se bombe] (poème extrait de bas de casse)



    ■ Voir aussi ▼

    le site de Stéphane Korvin
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    une notice bio-bibliographique sur Stéphane Korvin




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  • Gladys Brégeon | [Ce que je ne voulais pas être]



    À contempler les failles
    Ph., G.AdC







    [CE QUE JE NE VOULAIS PAS ÊTRE]




    Ce que je ne voulais pas être
    Ceux que je ne voulais pas être

    Ce qui en moi demeure

    Ce qui est en soi

    À nos dépens

    Nous laisse sans voix

    Pour écouter
    Pour dire

    D’où l’on vient
    Où l’on va




    À contempler les failles
    Silencieusement
    Sidérales

    Et habiter
    Racines à l’air
    Des espaces recouverts
    Par deux générations de saisons.



    Gladys Brégeon, J’ai connu le corps de ma mère, Éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait, 29410 Plounéour-Ménez, 2015, pp. 14-15.






    Gladys Brégeon, J'ai connu le corps de ma mère






    GLADYS BRÉGEON


    Gladys-bregeon1
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    le site personnel de Gladys Brégeon
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    une notice bio-bibliographique sur Gladys Brégeon
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la fiche de l’éditeur sur J’ai connu le corps de ma mère





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  • Valérie-Catherine Richez | [La nuit prenait parfois cette forme de fugue]




    Nébuleuse passante que rien ne fixe.
    « Nébuleuse passante que rien ne fixe. »
    Ph., G.AdC







    [LA NUIT PRENAIT PARFOIS CETTE FORME DE FUGUE]



    La nuit prenait parfois cette forme de fugue. Incessants mouvements qu’on sent s’échapper de son corps. Les nuages se dispersaient. De longs bancs de brume glissaient par pans rapides voilant la ville de volutes superposées, de liserés déchiquetés. Leurs fuites te ramenaient à ces lointains trajets où l’on a perdu ses repères. Quand tu n’avais plus rien que ce cœur serré sur ton cœur. Nébuleuse passante que rien ne fixe. Saluant ta vie de ton regard répandu sur les choses.

    En un constant frôlement d’adieu.



    Valérie-Catherine Richez, Précipités, Éditions Isabelle Sauvage, 2014, page 24.






    Précipités





    VALÉRIE-CATHERINE  RICHEZ


    Richez
    Source



    ■ Valérie-Catherine Richez ▼

    L’Étoile enterrée (note de lecture d’AP)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    une notice bio-bibliographique sur Valérie-Catherine Richez
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la fiche de l’éditeur sur Précipités
    → (sur Poezibao)
    une note de lecture d’Isabelle Lévesque sur Précipités






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