Étiquette : éditions Isabelle Sauvage


  • Chloé Bressan | [je couds et recouds le même labyrinthe]




    [JE COUDS ET RECOUDS LE MÊME LABYRINTHE]



    Attirée par ta manière, ciel d’ailleurs resplendissant, grand quand tu te lèves, si étendu. Depuis trois ombres revenues, je couds et recouds, le soir, le même labyrinthe. Nos mains deviennent un projet irréaliste. Ce même projet de hâte qui démystifie les dangers. Je me mets à découdre tous les désirs d’avenir. Aux ciels couchés le long des heures sur les chemins, aux herbes, tu laisses, tes bottes, ta montre, tes notes, ton sac à provisions, tu laisses, tes angles, tes mines, tes travers, tes démons, tu laisses. Je me mets à parler de toi comme si j’habitais le chas de l’aiguille cousant l’éclat sur ta chemise, tu la laisses, elle aussi. Bien sûr qu’on abandonne l’enfant à ce moment-là. Bien sûr tu te redresses, drapé d’un nouveau décor en toi-même, tu laisses le panier d’osier, les noix, les colliers d’ail, tu laisses les sirops d’alcool, les macérats, ton tabac, tu laisses même les fruits sur l’arbre. Tu laisses sur la margelle de quoi recoudre quelques heures, devenues poisseuses, à la limite de ne plus voir la substance inconnue des femmes. Suis-je, parmi elles, celle qui t’apaise le plus ? Sans retenir ton nom, sans te demander si l’ange s’est lavé dans la sauge pendant que tu chantais. Depuis trois ombres revenues, je cous et recouds, le soir, le même labyrinthe. Dédale, je t’appelle, dédale.



    Chloé Bressan, Claire errance, Éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait, 2015, page 23.






    Chloé Bressan, Claire errance







    CHLOÉ BRESSAN


    Bressan_chloe2
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    une notice bio-bibliographique sur Chloé Bressan
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la fiche de l’éditeur sur Claire errance
    le site de Chloé Bressan





    Retour au répertoire du numéro d’août 2015
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Anaïs Bon | François Heusbourg | [ Le chemin qui passe par la forêt et par les champs ne varie guère]




    [LE CHEMIN QUI PASSE PAR LA FORÊT ET PAR LES CHAMPS NE VARIE GUÈRE]




    Le chemin qui passe par la forêt et par les champs ne varie guère. Là, l’aubépine, là le poirier aux fruits surs. Je m’y promène toujours en silence, cherchant une réponse à mes propres pensées, dans l’invention d’un compagnon qui n’a jamais été donné à cette solitude. Ombrage, source, chien, et le premier village traversé, et les derniers cent mètres du retour n’ont jamais connu nos échanges.

    Car si nous marchons là, sur ce même parcours où nos pas marquent la terre grasse, ce n’est pas le même chemin. On retrouve pourtant l’aubépine, la poire, la source à voix claire sous son appentis de bois ; pourtant la pente.

    À la forêt et aux champs ta présence enlève une chose : le vide où tombe ma pensée restée sans réponse, et l’obligation de t’inventer.






    Le masque de l’absent
    Ph., G.AdC






    J’habite tout l’espace de ma solitude
    en songe je conquiers                des habitations
    qui se dérobent
    les livres sont à terre, la poussière tirée sous les meubles
    je ne sais plus qui de moi ou de ma vie regarde l’autre
    par la fenêtre

    les vêtements retrouvés sont un peu courts
    dehors, le jour s’endort
    le temps de rêver est le temps d’être seul
    ceux que je croyais à mes côtés sont partis
    les compagnons véritables se dévoilent
    ils portent le masque de l’absent

    « qui chuchote mon nom »



    Anaïs Bon | François Heusbourg, seul / double, éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait, 2015, pp. 12-13.







    Seul double






    ANAÏS BON


    Anaïs Bon



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    une notice bio-bibliographique sur Anaïs Bon
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la fiche de l’éditeur sur Seul / double






    FRANÇOIS HEUSBOURG


    François Heusbourg 3




    ■ François Heusbourg
    sur Terres de femmes

    extraits d’Hier soir publiés chez Æncrages & Co
    d’autres extraits d’Hier soir
    [ma peur perce les pieds](extrait de Zone inondable)
    Zone inondable (lecture d’AP)



    Retour au répertoire du numéro de juillet 2015
    Retour à l’ index des auteurs


    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Anne Malaprade, Lettres au corps

    par Angèle Paoli

    Anne Malaprade, Lettres au corps,
    éditions isabelle sauvage, Collection présent (im)parfait, 2015.




    Lecture d’Angèle Paoli


    DANS LA “CHAMBRE D’ÉCRITURE” D’ANNE MALAPRADE



    Lettres plurielles pour un corps singulier. Lettres au corps. L’énigme du titre happe l’attention. Quel être au corps ? Pour quel alphabet ? Ce corps unique est-il celui de l’écriture ? Corps qui lie Anne Malaprade, l’épistolière de cet ouvrage, et son auteur, à l’écriture des autres ; non pas tous les autres mais quelques-uns ; qu’elle fréquente et qu’elle aime — corps et mots. Corps des mots.

    Lettres. Adressées à. Quoi ? Qui ? Depuis quelle temporalité ? Il faut chercher jouer le jeu, tenter de deviner sous les indices ou derrière. Admettre de se tromper de ne pas trouver. S’essayer à. Décrypter, pour le plaisir de déchiffrer. De cerner les rouages. De livrer un diagnostic. Qu’est-ce qui meut Anne Malaprade ?

    Lettres au corps. Sept lettres sans destinataire apparent. Singulières. Énigmatiques. Hors normes. En jouant sur les invariants formels de l’art épistolaire, Anne Malaprade déconcerte. Adresse, espace-temps, énonciation, signature du scripteur. Tous les codes sont décalés — non sans un certain humour — et s’offrent au plaisir du déchiffrage. Détournement d’un genre pour aller au-delà. À la recherche de l’écriture. D’une écriture.

    Ainsi de la première lettre, adresse et final :

    « Paris, présent continu / À l’inconnue, dans l’accord au nom des choses et relations, […] Chère inconnue, j’ai promis d’écrire la nécessité en toutes lettres. »

    Au-delà du jeu épistolaire, ces lettres sont bien autre chose. Fondatrices d’une écriture qui s’affirme dans ses choix. Lesquels vont aux écritures qui interrogent la « tentation de l’ordre ». Anne Malaprade aime que les textes qui la portent procèdent par écarts, distorsions, déhanchements. Qu’ils lui opposent une résistance. « Je choisis vos inventions inaccessibles », écrit-elle dans Le mari amant, l’un des deux, ni un ni deux, trois ?

    De ces résistances naît le désir du déchiffrage. Ainsi, dans l’excipit du recueil, « Pour ne jamais en finir », Anne Malaprade met-elle l’accent sur cet exercice constant qu’elle pratique de longue date, révélant la méthodologie qui est la sienne :

    « Non pas travailler, non pas jouer, mais déchiffrer, avec ce qu’il y a de rigueur mathématique et de décompte intérieur, avec ce qu’il faut d’abandon au sentiment et au sexe : ce qu’aucune chambre d’hôtel ne peut surprendre ni suspendre. »

    Aborder le texte de l’autre comme l’on s’attarde à déchiffrer une partition. Dans la durée mais avec légèreté. « À peine accompagner. Essayer, reprendre, interrompre et passer outre. » Sans s’imposer. « Elle déchiffre et ne laisse pas de trace. » Plutôt s’attarder à découvrir, dans la ferveur et la lenteur, le plaisir que cet « envol » engendre. Déchiffrer, pour tenter de rendre au texte sa liberté première.

    « Elle voudrait qu’un texte s’en prenne à l’espace et qu’il s’échappe par la fenêtre du dernier étage. »

    Comment écrire, interroge Anne Malaprade ? Depuis où écrit-on ? Quel est le point de départ ? Cela dépend. Cela dépend des mots des autres et de ce qu’ils entraînent de résonance en elle, de décalage, de distorsions. En tant que lectrice d’abord, en tant qu’écrivain ensuite. Pour la destinataire dont il est question dans la lettre-aveu J’aime votre féminité salée, le départ de l’écriture est multiple ; foisonnant ; ouvert.

    « Vous écrivez depuis le Sud […] Vous écrivez depuis un féminin engagé par une maladie et son histoire […] Vous écrivez depuis une famille et un nom […] Vous écrivez depuis un alphabet que je redécouvre […] Vous écrivez depuis des filles qui cherchent la femme […] Vous écrivez depuis l’accident […] Vous écrivez depuis la main ». Mais aussi : « Vous écrivez l’orpheline qui a trouvé la couleur du manque […] Vous écrivez en névralgie, vous semez, vous déjouez. »

    Que se passe-t-il ensuite ? Une fois décryptés les points d’ancrage de l’écriture de l’autre ? Une fois trouvés les angles d’appui ? Il s’ensuit un « renversement général ». Celui-là même qui fait conclure l’épistolière par une déclaration bouleversante :

    « J’écris depuis la certitude de votre être ».

    Le « renversement général » se poursuit. On en trouve la présence, ailleurs, dans la lettre à Dorothée.

    « De Théodore à Dorothée, la bouche en hiver, février déporté | Vous seriez un don de Dieu ? »

    À partir de cette interrogation court la question du pacte entre épistolière et destinataire. Anne Malaprade avoue :

    « J’aime vos confidences qui renouvellent le pacte sans jamais l’énoncer ».

    Première entorse. Premier renversement. Lequel se poursuit un peu plus loin et se déclare ouvertement :

    « Ce matin vous relisant la lumière s’évapore. Vous contredisez l’hiver par des propositions : “nulle part”. Tout se renverse, la part du nul, la catégorie du féminin, le genre et l’aube, l’indistinction des lieux. De vos livres une pensée blanche persiste à tenir et sous ce verbe je devine d’autres équations, des soulèvements, une rupture en fracas. Il nous reste à frapper le ciel, à attendre d’autres déluges… »

    Ailleurs, dans la lettre adressée à Vous dont le prénom hésite, d’un masculin si féminin, l’épistolière conclut : « Je salue vos entorses de toute beauté. »

    Quant au brouillage dans l’énonciation, il apparaît dès le texte d’ouverture : « L’être à l’importe quoi ». À travers les allitérations en « l », souvent anaphoriques, se décline l’instabilité des pronoms personnels Il/Elle. Qui fusionnent en une entité nouvelle : Ilelle/Ellil. Avant de permettre au je « de s’introduire de manière insistante : « Je reviens… je reviens… je reviens… je reviens… je retourne… » ; puis de laisser la place à l’élision : « ‘lle s’habille/’lle a résisté… »

    Dans l’intervalle des vers de la « Lettre à l’importe quoi » se délie le poème. Il se dénoue, livrant dans les interstices ses questions sa temporalité son histoire ses souvenirs. Jusqu’à la conclusion :

    « L’importe qui gît entre la sœur et le poème »

    Autant de morceaux glanés çà et là au cours des lectures. Avec lesquels recomposer un puzzle qui révèle fractures et séismes. Et qui pourtant persiste à nourrir l’imaginaire de l’épistolière.

    Ainsi lit-on dans la lettre à Dorothée (sixième lettre) :

    « De vos lettres j’ai recouvert mes murs. L’une, démesurée, sur un papier délicatement cadré, expose une situation dans un paysage, une adresse dans un champ, une table de bois sur un mur blanc, un espace pour préparer le texte comme on cuisine les mains dans les épices. Toutes les odeurs dans le tissu des lettres, votre alphabet pour écharpe. »

    D’où écrit-on ? Les Lettres au corps reviennent sans cesse sur cette question. De quel lieu, depuis quel moment, à partir de quel pronom, depuis quelle personne ?

    « Depuis tout lieu pourvu qu’il soit de nuit, subjonctif imparfait, date précipitée »

    ou bien

    « Présent antérieur, janvier en chute libre, brouillard déguisant votre maigreur »

    Le point de départ de l’écriture, comme les codes qui en sont le prétexte, est souvent distorsion par rapport à la norme. Entorses. Mais aussi, contournement des obstacles. Cela commence avec le « lire ».

    « Lire à l’envers, depuis ce qui n’est pas dit, depuis votre tu. »

    « Mettre à jour et au jour » les obstacles. Ainsi, dans la première lettre, la lettre À l’inconnue, l’aveu d’obstacles à surmonter s’énonce clairement :

    « On m’a demandé d’écrire sur parce que je ne sais pas écrire »

    ou encore :

    « J’écris à côté, ne sachant départir le lieu des lectures de celui de leur réception. »

    Il s’ensuit une déclinaison de possibles : Écrire sur | Écrire sous | Écrire à côté. Écrire en dessous.

    « Elle écrivait : en dessous. Sous les mots d’autres mots dévorent les premiers. Vos mots disposent de cette grâce qui libère les jalousies autant que les envies. Je glisse dans vos mots, soufflée, essoufflée. »

    De « Elle » à l’autre, homme ou femme, l’épistolière se glisse. Tâtonne. Entre dans le paysage. Cherche dans la « chambre d’écriture » de l’autre écrivain, la sienne propre, en écho. En dessous. Et, suivant son exemple, pose d’autres mots. Sous. Ainsi se composent des strates. Sous lesquelles ouvrir son propre chemin. « J’existe parce que je lis et lie », affirme-t-elle dans « L’être à personne. »

    Parfois, cet engagement est cruel. Se nourrissant des évocations de l’autre, la poète en adopte les monstres. Réveille — en l’autre ? en elle ? — des souffrances oubliées.

    « Dans chacun de vos livres se glisse un souvenir, semblable à ce cauchemar par sa nécessité. Je glisse à nouveau sur la torture  : violence à vomir », confie Anne Malaprade dans Vous dont le prénom hésite, d’un masculin si féminin.

    Les mots s’intercalent, qui prennent place dans un espace de partage. Dans ce tressage où se mêlent s’entrelacent allusions personnelles et images mentales, le drame émerge, rendu soudain visible par le dialogue que la poète instaure entre elle et l’autre. Quelque chose de poignant se dégage, qui avoue son impuissance et sa défaite. Qui bat en retraite. Et va jusqu’à l’aveu de la « stérilité » et du « désêtre » :

    « Tu m’as demandé l’être et j’ai attendu entendu le désêtre : une vie de lectures qui ne sait que crier malmener les préfixes les enfants les souvenirs

    d’entre les vivants », écrit Anne Malaprade dans « L’être à personne ».

    Quoi qu’il en soit, quel que soit le mode d’écriture et la lecture qui l’engendre, « lire lier la terre au corps » préexiste. Et si le « je » peut s’affirmer, c’est qu’il existe par les autres, par le bruit de leurs mots. Les mots des autres se cherchent du bout des lèvres avant d’exister pour soi. Cheminement dans le mystère et le silence. Temps suspendu.

    « Contre tes livres contre tes lèvres m’endors. »

    Avec Lettres au corps, Anne Malaprade donne à lire un texte d’une force bouleversante. Un grand texte. D’une beauté singulière.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Malaprade_15





    ANNE   MALAPRADE


    Anne Malaprade 2
    Source




    ■ Anne Malaprade
    sur Terres de femmes

    Au conditionnel, dans la ferveur, quoique lente (extrait de Lettres au corps)
    Une presqu’île. Presqu’elle, presqu’il (extrait de Notre corps qui êtes en mots)
    Négatif, inspiration | Tirage, expiration (extrait de Parole, personne)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions isabelle sauvage)
    une notice bio-bibliographique sur Anne Malaprade
    → (sur le site des éditions isabelle sauvage)
    une présentation de Lettres au corps d’Anne Malaprade





    Retour au répertoire du numéro de février 2015
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index des « Lectures d’Angèle »

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Anne Malaprade | Au conditionnel, dans la ferveur, quoique lente




    J’aime votre féminité salée




    Vous écrivez depuis le Sud, avec ce que le Nord imagine : chaleur, olives, sieste, ville ouverte à la mer, ciel au plus près du sol, poussière, banlieues magnifiques, bibliothèques volées, tilleuls éclaboussés de peinture, amis et galeries, architectures orangées. Vous écrivez depuis un féminin engagé par une maladie et son histoire, un féminin jamais contraint, et ce malgré la loi, les notes, l’institution, les bien-pensants. Vous écrivez depuis une famille et un nom : parents, frère, amants, jumeaux indiscrets : on n’a qu’un nom : on y meurt on y enrage : aucun nom n’y parvient : ni substantif ni nom propre : un nom pour toute une vie de livres, toute une vie dans les parallèles : un autre livre s’écrit dans la vie : respiration, livre : si je devais vous choisir un signe de ponctuation : les guillemets d’une langue toujours écrite dans la poussière.

    Vous écrivez depuis un alphabet que je redécouvre. Les lettres se souviennent et oublient. Vos lettres revendiquent la séparation des temps. Elles carburent et droguent ce que le remède empoisonne. J’ai tellement aimé les écrivains que vous écrivez qu’il me semble pouvoir tout abandonner : les courses et le ménage se feront seuls, les rendez-vous s’accommoderont, la paresse cessera d’être l’injure entre toutes, les lits seront renversés, les vêtements déborderont. Sans accablement.

    Vous écrivez depuis des filles qui cherchent la femme. Des filles à tête de femmes. Des filles à épaules d’homme. Des filles à cris d’enfant. Des filles cassées et remontées : buste animal, voix mixtée, cheveux orphelins, poitrine déséquilibrée. Vous écrivez l’orpheline qui a trouvé la couleur du manque : le rouge tel que le fruit l’invente, celui qu’aucun sang ne fait couler. Vous écrivez depuis l’accident : crevasses, prurits, psoriasis, ça gratte en vous sans savoir ce que ça va gratter. Des sales histoires qu’on arrache aux journaux et aux faits-divers, des histoires que la prose ralentit et que le vers fracture, des histoires qui inventent d’autres crimes pour dévier l’amour en haine.

    Vous écrivez depuis la main. Je l’imagine saisir l’invisible à côté de la vaisselle ébréchée. Je la vois dessiner une manière si spéciale de vivre. Je la découvre empreinte de forces neuves trouvées dans un jardin. Je la sens au bord de l’effacement qui ne se produira pas. Vous écrivez en névralgie, vous semez, vous déjouez.

    Je vous aime d’un amour de femme : lutte discernée, renoncement aux cieux, renversement général.

    J’écris depuis la certitude de votre être.



    Anne Malaprade, Lettres au corps, éditions isabelle sauvage, Collection présent (im)parfait, 2015, pp. 23-24-25.






    Malaprade_15





    ANNE   MALAPRADE


    Anne Malaprade 2
    Source



    ■ Anne Malaprade
    sur Terres de femmes

    Lettres au corps (note de lecture d’AP)
    Une presqu’île. Presqu’elle, presqu’il (extrait de Notre corps qui êtes en mots)
    Négatif, inspiration | Tirage, expiration (extrait de Parole, personne)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions isabelle sauvage)
    une notice bio-bibliographique sur Anne Malaprade
    → (sur le site des éditions isabelle sauvage)
    une présentation de Lettres au corps d’Anne Malaprade






    Retour au répertoire du numéro de février 2015
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Laurine Rousselet | [la débâcle vient du réel]


    Seize heures dix-huit
    Ph., G.AdC







    [LA DÉBACLE VIENT DU RÉEL]



    la débâcle vient du réel
    aujourd’hui prouve la limite
    les volets fermés avouent toucher le drame
    l’enjeu ne vient ni du ciel ni de la terre
    à peine le hasard de la naissance ose coucher

    clairement vivre appelle à flamber
    l’impraticable cherche la clé dans l’argile
    obligeant les mains à échanger
    les forces vives avec des mots

    l’agitation vient du futur que le temps ne verra pas

    être une autorité dit quoi ?
    qu’écrire disparaît à mesure de présence arrachée
    qu’écrire dévore la borne même le fait
    seize heures dix-huit
    les cellules suffoquent devant la fenêtre ouverte




    Laurine Rousselet, Journal de l’attente, Éditions Isabelle Sauvage, Collection « Présent (Im)parfait » dirigée par Alain Rebours, 2013, page 113.







    LAURINE ROUSSELET


    Laurine Rousselet par Michel Durigneux , 2013
    Ph. © Michel Durigneux
    Source




    ■ Laurine Rousselet
    sur Terres de femmes

    [le concret s’avance au creux de la main] (extrait de Nuit témoin)
    Nuit témoin (note de lecture d’AP)
    [en haut du temple] (autre extrait de Journal de l’attente)
    [franchir la porte] (extrait de Ruine balance)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    [illisibilité afflux soulèvement]



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Laurine Rousselet
    → (sur le site de France Culture)
    Laurine Rousselet : l’effractionnaire (L’Atelier de la création | 14-15, 18 juin 2013)
    → (sur le site de France Culture)
    Laurine Rousselet dans Ça rime à quoi de Sophie Nauleau pour Journal de l’attente (17 novembre 2013)






    Retour au répertoire du numéro de février 2015
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Yves di Manno | Anne Calas | [par transparence d’une vitre]



    Anne-Calas-NYC-drap-sér-1-2
    Ph. © Anne Calas | isabelle sauvage
    Source








    [PAR TRANSPARENCE D’UNE VITRE]



    par transparence
    d’une vitre

    à l’autre en travers
    de ses nuits

    (si le jour cède)

    : femme au miroir
    dans la baignoire

    noyée de pluie

    la jambe bue
    repliée sur

    le drap défait

    l’épaule au creux
    de l’oreiller

    le sein caché
    (puis découvert)

    le regard qui
    chavire de cette

    liesse intime

    (la nuit n’y
    est pour rien

    (un miroir)
    suspendu

    au mur
    (du fond)

    comme un sigle
    (une sangle)

    son dos pris
    (dans le cadre)

    : du reflet :

    un regard
    suffirait

    : un portrait

    sur la toile
    cirée dans l’angle

    un vase vide
    (à distance)

    : une carafe
    au bord

                 du lit



    Yves di Manno (texte) | Anne Calas (photographies), « la série monotype », in Une, traversée, Éditions Isabelle Sauvage, Collection Ligatures, 29410 Plounéour-Ménez, 2014, pp. 48-49-50.






    Une-traversée





    ■ Yves di Manno
    sur Terres de femmes


    après Privas… Nicolas Pesquès (I). « du geste une écriture » (article republié dans Terre ni ciel)
    féal (poème extrait de Champs)
    Objets d’Amérique (note de lecture d’AP)
    [pour rejoindre en lisière de la page] (extrait de Terre sienne)
    Terre ni ciel (note de lecture d’AP)




    ■ Anne Calas
    sur Terres de femmes


    [Mon île fantastique et joyeuse] (poème extrait de Déesses de corrida)
    Val cosmique (autre poème extrait de Déesses de corrida)
    Honneur aux serrures (lecture d’AP)
    Littoral 12 (lecture d’AP)
    [Ni princesse, ni d’hier ni d’aujourd’hui] (extrait d’Honneur aux serrures)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des Éditions Isabelle Sauvage)
    la fiche de l’éditeur consacrée à Une, traversée






    Retour au répertoire du numéro de décembre 2014
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Sofia Queiros, Normale saisonnière  

    par Isabelle Lévesque

    Sofia Queiros, Normale saisonnière,
    Éditions Isabelle Sauvage,
    Collection présent (im)parfait,
    29410 Plounéour-Ménez, 2014.



    Lecture d’Isabelle Lévesque



    Je tu il cueillir des fleurs dans des jardins ouverts.




    Ordre particulier. C’est un ordre particulier qui fait basculer en fin de phrase le complément circonstanciel de lieu, on l’attendrait avant :

    « L’année débute tôt ce matin de sa fenêtre ».

    Attaque, premiers mots en français du livre. Une succession inhabituelle qui pourrait faire passer le dernier groupe nominal pour un complément du nom.


    Chaque texte de chaque page est précédé d’une prévision météorologique en anglais (toutes sont traduites en fin de volume). Le temps qu’il fait (ailleurs) accompagne notre lecture du temps qui passe (ou qui passait).

    Riens : petites touches bout à bout, tricot d’une grammaire qui change imperceptiblement les règles en touchant l’ordre des mots d’abord. Ces riens rejoignent sans tapage le poème.

    Une personnification de l’année à la « figure de verre » fait simultanément glisser la représentation : description enchaînée sur le visage d’une « femme », petit chaos possible d’un monde délité, « cerisier tombé », mais cela énoncé simplement comme on enregistrerait des dysfonctionnements inscrits dans la commune mesure. Aucun pathos. Si l’année débute de « mauvais augure », c’est qu’un état d’âme contrit rencontre un paysage désolé. Simplement désolé. Fatalement, presque, normale saisonnière : juste retour d’une période sombre, le froid vient en hiver. On n’évite pas. Cette normale, c’est une moyenne. Des hauts, des bas, de l’ordinaire.

    Baromètre du jour. La narratrice revient sur ses pas, « [i]l y a vingt ans tout ronds elle marchait d’un pas alerte sur Chelmsford Avenue. » Au temps d’une autre vie, « roulements de tambours et éclats ». Bilan fragile de contrastes entre le présent désolé de l’hiver et ce temps passé. Elle se dédouble et se regarde. Elle écrit cela qui est passé :

    « Si la neige tient, tout est soudain plus doux. »

    La frontière poreuse entre les deux temps se gorge de mots (doux).

    La force du père : être encore vivant. Même si l’hôpital. (Et mère plus loin.) Même si lui et le bonhomme de neige se confondent comme ils fondent et disparaissent : « le voilà qui se fige et se givre. » Les propriétés s’échangent de la neige et du corps, les réalités se superposent et, dans la langue de la narratrice, le père s’efface.

    Ou alors le père et l’arbre « [f]endu en deux qu’il est ». De qui parle-t-on ? De quelle saison capable de lui glisser quelques feuilles sur les branches – illusion parfaite ? Des expressions, de saison elles aussi, traversent le texte (« cœur à l’ouvrage », « comme neige au soleil », « à ciel ouvert »), elles apparaissent incidemment, charnières visibles d’une perception qui réunit le présent le passé dans la langue parlée, imagée, usuelle et naturelle. Tout semble aller. Couler de source. Mais quelque chose déraille : « A windy day with variable amounts of cloud. »

    Or d’autres jours sont secs et lumineux, saison revient de « lumière, lierre, limace et limonade ». Roulent les sons, ils se défont derrière : « [i]l parle de coq d’âne et d’argent ». Coq à l’âne et l’ordinaire des conversations bredouilles, la météo change imperceptiblement et la saison. Variable (« [l]es vents tournent »).

    Souvent le début clôt le texte, il est repris, allongé ou commenté :

    « Elle a donné de l’eau de pluie au voisin » s’achève sur « Elle a donné de l’eau de pluie au voisin deux fois. Ça ne peut pas faire de mal l’amour un peu. » Ce qui est désigné ? cela et autre chose du langage, une parole d’enfant proche du sens propre autant qu’attaché au figuré d’étoiles des choses.

    L’eau de pluie comme la désignation sorcière d’un petit miracle d’amour accompli et passé. Il a eu lieu, ce n’est rien. On insiste, on recommence, le jour se flétrit dans un nuage, une averse à peine avant l’autre petit jour qui suit. L’indénombrable est divisé, nié :

    « À croire que d’aucun froid gluant et noir s’attarde par ici. » Le froid est comme projeté au rang temporaire de personne humaine. Suit « la voix rauque », privée elle aussi de « gestes » et « sursauts ». Ce qui pourrait devenir fantasmagorie d’êtres (maîtres du destin) se trouve le plus souvent ôté du monde d’enfant de la narratrice. Opération délicate où rien n’est ni tragique ni heureux, simplement impossible d’aboutir. L’homme, le visiteur, « tend dans ses mains un cœur tout bleu », elle ne le reçoit pas. Passe à autre chose, passant aussi. Rappelant les contes de Perrault : de sa bouche il pourrait sortir « [l]imaces et araignées ». Et de ses mots ?

    « [E]nfant » revient. Elle attend. Joue : « mille osselets, dominos et cordes à sauter, mille billes agates, hélices, terres et oeils-de-tigre. »

    Des réminiscences : Apollinaire (« que n’ai-je… »), des rythmes revenant dans le texte sous couvert de souvenirs ou projections désordonnées d’un temps picoré. On compte : un texte passe de « un » à « six », avec des « formules passe-partout ». Des apparitions, le visiteur ou le voisin aux « yeux vert d’eau » :

    « Qu’aurait-il pu dire qui la tienne longtemps. »

    On dirait qu’elle compte les coups. Elle ici, d’ailleurs, ne participe pas : elle observe et joue. Narratrice observant des scènes qui devant ses yeux se déroulent sans tapis rouge. Alors elle voit des personnes (des personnages ?), « un bel homme » accompagné d’« une belle femme et d’un bel enfant ». Une apparence, déjouée. Il court après les crédits, l’homme, pour satisfaire cette femme et l’enfant « hurlant » n’est pas ce qu’il semble être. Un vieillard meurt, plus loin (dans un autre texte) : maison sitôt vendue. Elle, sur le seuil, regarde.

    Normale saisonnière, peut-être les rives et dérives du bord du livre : chaque texte, une pièce du puzzle d’un monde autour qui vit et bringuebale (comme elle). On ne communique pas vraiment : les mots s’échangent. Se répètent, « désolée », on se trompe de personne, de sujet. On s’évite, on évite de vivre. On passe de « elle » à « je », les pronoms changent et le même degré zéro de vivre. Une liste de choses à faire en italique, les jours, les mêmes, ajoutés les uns aux autres quand on tente des gestes de fée comme si c’était possible : « Elle claque des doigts et son laurier s’ouvre en parasol. » Pas de triomphe. Les pronoms s’équivalent (« et nous vous ils elle de disparaître ») :

    « Elle sait que tous y passeront un par un elle comme les autres. Personne ne sera épargné et qu’importe.

    Parce qu’elle angoisse, elle préférerait demi dormir tout le temps et rêver de doux rêves dont elle tirerait les ficelles. Une ficelle d’amour longue et solide qui de A je suis née à Z je suis morte jamais ne se romprait. »

    Sujet meurtri, indéfini : « À la question qui est-elle. Je réponds que je ne sais pas. »

    L’enjeu n’est pas là, plutôt en chaque dérapage. De langue, de pronom (je vers elle vers on vers rien). Entre la norme, la moyenne et le temps. Où le pronom identitaire et saturé avoisine les glissements sémantiques et la langue égarée en ses expressions dont le sens n’est plus très sûr. Peau de banane. Rien n’est fiable.



    Isabelle Lévesque
    D.R. Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes







    Queiros





    SOFIA QUEIROS


    Sofia Queiros
    Source




    ■ Sofia Queiros
    sur Terres de femmes


    Normale saisonnière (extraits)
    et puis plus rien de rêves (extraits)[+ une notice bio-bibliographique]
    [je à la pointe du jour] (extrait de Sommes nous)
    Jour 13 (extrait d’Une même lunaison)




    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





    Retour au répertoire du numéro de décembre 2014
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Sofia Queiros, Normale saisonnière (extraits)



    Brume possible
    Source








    NORMALE SAISONNIÈRE
    (extraits)



    Some mist is likely to develop, especially towards the coast.


    Elle prend des notes en écoutant les radios anglaises en lisant les livres en regardant les télévisions sur des petits cahiers noirs à lignes sans grands ni petits carreaux. Elle note des mots des expressions et gribouille des figures des silhouettes des faces de rat et des fleurs. Parfois aussi des oiseaux ou des éléphants. Quand le temps s’y prête dans sa véranda sous le soleil plongeant. Elle étire ses jambes. Un chat ou autre se niche et ronronne et elle lui ou autre s’endorment à hauteur de nuages.

    Elle a deux mots nouveaux sous son oreiller.





    Quite chilly in the clear areas.


    Lorsqu’elle fatigue elle fronce davantage à la lumière. Une interrogation et de sillons se creusent à la racine de son nez. Ses paupières s’accélèrent. Le soir l’œil contraint sous la lampe elle recule l’heure du coucher plongée dans des livres ou des images. Elle survole tout et de tout peu lui reste. Qu’importe le moment passé. Tranquille elle se confronte à des mondes effrayants qu’elle tient à distance.
    Elle se frotte les paupières comme une lampe à huile d’où elle s’échappe.





    Cloudy for most parts with a little rain in places this evening and during the night.
    Pollen: low.



    Le jour où elle s’est décidée à écrire elle s’est demandé quoi qu’elle puisse dire rien de nouveau. C’est pourquoi elle ne conserve pas ou peu comme ses dessins qu’elle donne volontiers. Elle n’écrit que sur des morceaux de papier qui volent et écrits qui s’envolent. Pas de traces qui la dévoilent. Non pas qu’elle cherche à dissimuler. Mais plutôt cette pudeur que l’époque a oubliée ; mouchoirs de dentelle et tulle.




    Sofia Queiros, Normale saisonnière, Éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait, 29410 Plounéour-Ménez, 2014, pp. 52-53-67.





    ________________________________________
    NOTE DE L’ÉDITEUR


    Normale saisonnière, c’est d’abord la banalité du quotidien, pourtant fait d’intimes et profondes violences… Des notations météo en ouverture de chaque page donnent le la, en quelque sorte – qui ont été entendues en anglais comme une petite musique d’accompagnement, comme la bande son de ce qui se déroule dans ces pages. Comme la météo que l’on entend sans l’entendre et qui imprègne cependant nos journées – et alimente nos conversations de rien… Ces notations sont bien le reflet d’une météo intérieure en butte à la réalité qui, bien que normale, de saison, ne peut pas l’être, normale, quand il s’agit des derniers moments du père, de la mort, de la solitude, l’enfance et la vieillesse, de l’attente amoureuse aussi bien…

    Par un décalage constant avec la réalité qu’elle observe, ou plutôt ressent, un décalage de peu, juste une petite distorsion (emploi d’un vocabulaire jouant dans plusieurs directions, syntaxe malmenée…), Sofia Queiros introduit dans la phrase tout un monde onirique qui sauve du quotidien et le transfigure comme comptines à chantonner – devant la peur.

    Une « chronique » d’une grande pudeur qui part d’un « elle » mais se laisse gagner par le « je », avec cette remarque qui est peut-être à la clé de toute écriture : « À la question qui est-elle. Je réponds que je ne sais pas. »






    Sofia Queiros, Normale saisonnière





    SOFIA QUEIROS


    Sofia Queiros
    Source




    ■ Sofia Queiros
    sur Terres de femmes


    Normale saisonnière (lecture d’Isabelle Lévesque)
    et puis plus rien de rêves (extraits)[+ une notice bio-bibliographique]
    [je à la pointe du jour] (extrait de Sommes nous)
    Jour 13 (extrait d’Une même lunaison)





    Retour au répertoire du numéro d’août 2014
    Retour à l’ index des auteurs


    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Lou Raoul | [galope le printemps]



    [GALOPE LE PRINTEMPS]




    galope le printemps dans les chants des oiseaux et puis la pluie plus loin plus tard, les lumières du vaisseau — celui-ci n’est pas en avarie au large de l’île de Sein, plus personne non plus ne vit du goémon, du varech, de la soude sur l’île de Béniguet — du vaisseau immobile, les ralingues des loisirs et du café gourmand les voilures des trois-mâts, c’est aussi sous la voûte bleutée qui fait à la mère couchée les yeux plus profonds ou plus expressifs, si dans le noir je pleure de mes mains sales défais ton pyjama vert-de-gris la toiture de la mairie trop lourde où je ne signe rien d’autre que les œufs mouchetés de la pie dans ce nid accueillant de ta peau qui me grandit qui m’allonge toi au-dessus



    Lou Raoul, Traverses, Éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait, 2014, page 31.








    Lou Raoul, Traverses








    PRÉSENTATION DE L’OUVRAGE PAR L’ÉDITEUR



    Avec Traverses, Lou Raoul tisse et détisse la rencontre — aval / amont, son présent, son échec —, dans un débit presque abrupt où les phrases sont laissées comme en suspens, où la ponctuation est quasi inexistante, dans un timbre très particulier, à la fois rapide et lent, lancinant, à la fois neutre et violent.

    « du pont de vue de je saute à cloche-pied » : ainsi commence le livre. La rencontre, l’altérité, est espérée, redoutée (« chamboulis de ma vie »), dans le ventre, sur la peau aussi bien que par les yeux, à sentir et observer le monde aux côtés de l’homme (le corps est là dans l’amour, « charpente » bien réelle). Puis « elle » reprend la place de « je », et le « bla-bla » se répète : « la vie d’elle au dos de travers se grippe la vie d’elle s’immobilise ».

    Pour finir, des comptines presque cruelles, cyniques, ponctuent sur un tout autre ton le recueil, en quelques lignes brossent le portrait de la femme à laquelle il est fait injonction de ressembler : tour à tour putain, épouse…, ou compagne effacée. « Sur le trottoir » restent les traces de ces commandements. Comme si se jouait dans la rencontre l’assignation d’une femme (de toutes les femmes ?) à un rôle — déjà là, déjà bien défini — qu’elle n’a pas choisi.







    LOU RAOUL


    Lou raoul
    Ph. ©Lou Raoul



    Lou Raoul vit en Bretagne où elle est née en 1964. Depuis 2008, elle publie dans diverses revues (Verso, Décharge, N4728, Liqueur 44…). Outre trois autres recueils publiés aux éditons Isabelle Sauvage, Les jours où Else (2011), Else avec elle (2012. Prix PoésYvelines 2013), Otok (2017), ont aussi paru Roche Jagu/Roc’h Ugu (Encres vives, 2010), Ouvert l’album (avec des photographies de Francis Goeller, 2011), Sven (éditions Gros Textes, 2011), Else comme absentée (éditions Henry, 2011), ainsi que Exsangue (pré#carré éditeur, 2012). Son travail d’écriture, qui oscille entre prose narrative et poésie, se retrouve aussi dans les chantiers qu’elle mène en spectacle vivant et en arts plastiques.




    ■ Lou Raoul
    sur Terres de femmes

    [dans les maisons détruites abandonnées] (extrait d’Otok)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Ce qui reste)
    d’autres extraits du recueil Traverses
    → (sur Terre à ciel)
    une page sur Lou Raoul
    → (sur remue.net)
    une recension de Else avec elle de Lou Raoul par Jacques Josse
    → (friches et appentis)
    le blog de Lou Raoul





    Retour au répertoire du numéro de juillet 2014
    Retour à l’ index des auteurs


    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Guillaume de Salluste du Bartas |
    [Ce premier monde estoit une forme sans forme]



    TOUGET
    Ph., G.AdC







    [CE PREMIER MONDE ESTOIT UNE FORME SANS FORME]




    Ce premier monde estoit une forme sans forme,
    Une pile confuse, un meslange difforme,
    D’abismes un abisme, un corps mal compassé,
    Un Chaos de Chaos, un tas mal entassé :
    Où tous les elemens se logeoyent pesle-mesle :
    Où le liquide avoit avec le sec querelle,
    Le rond avec l’aigu, le froid avec le chaud,
    Le dur avec le mol, le bas avec le haut,
    L’amer avec le doux : bref durant ceste guerre
    La terre estoit au ciel et le ciel en la terre.
    La terre, l’air, le feu se tenoyent logez dans la mer ;
    La mer, le feu, la terre estoyent logez dans l’air,
    L’air, la mer, et le feu dans la terre : et la terre
    Chez l’air, le feu, la mer. Car l’Archer du tonnerre
    Grand Mareschal de camp, n’avoit encore donné
    Quartier à chacun d’eux. Le ciel n’estoit orné
    De grands touffes de feu : les plaines esmaillees
    N’entrefendoyent les flots : des oiseaux les souspirs
    N’estoient encore portez sur l’aille de Zephirs.
    Tout estoit sans beauté, sans reglement, sans flamme,
    Tout estoit sans façon, sans mouvement, sans ame :
    Le feu n’estoit point feu, la mer n’estoit point mer,
    La terre n’estoit terre, et l’air n’estoit point air :
    Ou si ja se pouvoit trouver en un tel monde,
    Le corps de l’air, du feu, de la terre, et de l’onde :
    L’air estoit sans clarté, la flamme sans ardeur,
    Sans fermeté la terre, et l’onde sans froideur.



    Guillaume de Salluste, Seigneur du Bartas, « Le premier jour », Première Sepmaine, 1578 in Jean-Pascal Dubost, Sur le métier, entretiens avec Florence Trocmé, Éditions Isabelle Sauvage, 2014, pp. 27-28.







    GUILLAUME DE SALLUSTE,
    SEIGNEUR DU BARTAS



    Bartas
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur www.larousse.fr)
    un article extrait du Dictionnaire mondial des littératures






    Retour au répertoire du numéro de mai 2014
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes