Étiquette : éditions La Tête à l’envers


  • Cécile Guivarch, C’est tout pour aujourd’hui

    par Sabine Dewulf


    Cécile Guivarch, C’est tout pour aujourd’hui,
    éditions La Tête à l’envers, 2020.



    Lecture de Sabine Dewulf


    « Ce titre est une formule du quotidien qu’utilisaient volontiers les anciens. Non pas les ancêtres de Cécile Guivarch, cette fois-ci, mais ces femmes et hommes qui habitaient une durée différente, où la vie et le temps semblaient brodés d’une même étoffe. Dans son entreprise, la poète s’appuie sur un support original : des lettres et des cartes postales contenant des phrases toutes simples, citées en italiques, soit en regard des poèmes, sur la page de gauche ou de droite, soit semées parmi eux. C’est l’une de ces lettres qui a le dernier mot, presque sacralisée par le fait qu’à la fois elle achève et baptise l’ouvrage : « Je ne sais quoi dire de plus. // C’est tout pour aujourd’hui. » Ainsi ce livre mérite-t-il doublement le nom de recueil.

    Trois sections le subdivisent. La première, « De vous à moi », pose le projet et le lien qui en réalité se tisse à double sens : « Je viens à vous chaque jour ». La deuxième, la plus longue, intitulée sobrement « Vous », se consacre davantage au contenu des lettres, qui correspond à un grand nombre d’actions : cuisiner, couper les fleurs des champs, pousser les bêtes dans l’étable, labourer, fabriquer le cidre… faire la guerre, enfin. La troisième section est dédiée à la première personne du pluriel, celle qui a succédé à la génération disparue : « C’est nous, aujourd’hui. » Non pas totalement disparue, à plusieurs titres. D’abord, parce que nous communiquons et écrivons toujours : Cécile Guivarch, à la fin du livre, se dit « Fière de travailler chez Orange où la révolution numérique […] continue de relier les personnes entre elles. » Ensuite parce que son écriture prend un soin infini à ressusciter ces missives, en embrassant ce qui, sur le papier jauni, prenait le temps de former « de si belles lettres », au sens premier du terme. Enfin, dans la mesure où le besoin perdure de forger les maillons d’une chaîne d’expression essentielle, centrée sur cette formule dont se moquent certains, où se lit notre profonde compassion : « Mais peut-être que les mots d’autrefois / sont toujours les mêmes aujourd’hui. // Cela fait plaisir de vous savoir en bonne santé. »

    Cependant, quelle relation peut bien entretenir la poésie avec cette sorte d’écrits tracés par des mains accoutumées à d’autres tâches, que la poète réunit sous le nom de « labeur » ? Aucune, a priori. Sauf que ces écritures se révèlent fraîches et généreuses comme le jour, dans la lumière d’un temps qui se déroule pleinement, de l’aube au crépuscule : « Les attentions à s’embrasser sans compter / ainsi que vous saviez si bien le faire matin et soir. » On le pressent, elles viennent directement du cœur et du bon sens : celui qui n’écarte ni la pluie ni l’orage au prétexte que cela ne lui conviendrait pas. Elles accueillent l’aujourd’hui exactement tel qu’il est : « ces petites choses dont jouir chaque jour ». Et savent se taire quand l’instant en est venu : « Puis vous n’aviez plus rien à dire ». Tout comme en poésie : « Vous n’êtes pas pages blanches, vos poèmes sont dans vos lignes. »

    Ce n’est donc pas un livre-musée que nous propose ici Cécile Guivarch, mais un dialogue vivant, impromptu, accordé au poème : « Vous n’êtes pas dans l’ordre, ni le nombre des années ». Une conversation émouvante et aimante : « J’aimerais vous serrer contre moi » ; « Vous tenez dans ma main. » Sans cesse la poète s’adresse à ces anciens qu’elle n’a pas connus, dont elle relève la parole dans un double mouvement d’élan – « Je vous rejoins dans vos couleurs » – et d’accueil : « Les lettres me parviennent, comment savoir ce qui respire avec elles. » Elle prête attention à tout ce qu’elle reçoit, même aux plus simples listes ; elle en extrait la substance poétique, qu’elle nourrit de sa propre parole et qui, en retour, crée la source verbale d’un inépuisable élan : « Les yeux brillaient vers le même mouvement de cœur / sans mesurer la quantité de bleu de vent de soleil. » C’est le sens même du vivant, rassemblé dans des formules concises, qui entrent au cœur : « Vous envoyiez des mots que vous ne saviez pas poèmes, / […] dire en peu de mots ». De savoureuses tournures viennent tour à tour alimenter et interrompre le texte poétique : « Dans la campagne, tellement bien belle. / […] / J’entends encore le bourdonnement des appareils dans toute la campagne, / si fort que ma voix en est coupée. » Finalement la poète répond à ces lettres par ces autres lettres que forment les poèmes : « Je vous assure que moi aussi, tout va bien, la vie passe. »

    Pour Cécile Guivarch, il s’agit bien d’incarner cette parole ancienne, reçue en dépôt pour rejaillir autrement : « Vous me poussez dans le sang pour fleurir au bout des doigts. » Ici et là, des « voix s’éveillent », qui passaient « les jours à relier les fils les uns aux autres ». Prolongeant ce « tissu étendu jusqu’à nous », le poème redessine des existences, non pas telles qu’elles étaient – comment serait-ce possible ? –, mais apte à se redire, à s’insinuer dans nos lignes trop droites, pour nous aider à gagner ces marges élargies où nous respirons mieux : « Respirer le temps ramassé entre vous et moi. » Là où l’intensité fulgure, il nous rend à la joie d’exister : « j’esquisse les sourires d’où je vous écris ». Ainsi les pronoms « je » et « vous » ne se séparent plus, malgré l’écart des années : « Ensemble déjà pleins de nous. » L’écriture de Cécile Guivarch exhume, relie et redéchiffre : « Le monde se poursuit dans des allers-retours. » En se mêlant aux lignes du passé, elle pousse le « nous » et le « vous » à se confondre : « Envoyer un mot. Venez demain, ce sera dimanche. / Apportez-nous du vin si vous voulez, vieilli en fût de chêne, / il sera bon en bouche. » Sans le dire, elle nous suggère de nous poser en écrivant : les phrases nominales éclairent le fait qu’une vie de « travail » gagne à s’entrecouper de « Deux ou trois lignes, juste tout va bien puis retourner au labeur. » Lettre et poème s’entrelacent dans un espace intime : « Je vous écris de l’intérieur ». Le passé se recrée dans une autre durée, ni d’hier ni d’aujourd’hui, un pont où l’ancien se rafraîchit : « Le soleil et les oiseaux – comme le vent remue dans les branches. » Un maintenant s’écrit, non pour combler des lacunes mais pour renouer avec la minutie possible de chaque instant : « Je ne vois pas les lignes, / elles ont été toutes barrées, / laissant juste une dizaine de mots. / […] Vous passiez un petit moment à barrer une lettre / comme un poème que j’allais écrire. » Le tamis d’écriture retient alors l’essentiel de ce qui peut passer d’un monde, d’un temps à l’autre : « Les petites choses oubliées. » « Dire simplement combien vous aimiez. » Comme des fleurs qu’on offre : « Les pensées se formaient / en bouquets des uns aux autres. »

    Le plus poignant peut-être, c’est la mise en exergue des lettres de la guerre, où le « silence » choisit de se redéposer sur la souffrance : « Il préférait les mots de tout va bien / oubliant le ventre se tordant de jour en jour ». La pudeur, le secret qui caresse, enveloppe, le poème les connaît, lui qui préfère laisser entendre. En lien tacite et confidence bien comprise : « Vous m’avez presque tout dit de ces jours. »




    Sabine Dewulf
    D.R. Texte Sabine Dewulf
    pour Terres de femmes






    Cécile G




    CÉCILE GUIVARCH


    Cécile Guivarch portrait
    Ph. : Michel Durigneux
    Source





    ■ Cécile Guivarch
    sur Terres de femmes


    Cent ans au printemps (lecture d’AP)
    [Écrire ses yeux] (extrait de Cent ans au printemps)
    [c’est tout pour aujourd’hui] (extrait de c’est tout pour aujourd’hui)
    Cécile Guivarch, mots et mémoire en double (chronique de Marie-Hélène Prouteau)
    Sans Abuelo Petite (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Je ne sais pas si tu es encore jeune](extrait de Sans Abuelo Petite)
    [J’ai marché sur les morts]
    Renée, en elle (lecture d’AP)
    [des hommes tressaillent](extrait de S’il existe des fleurs)
    Vous êtes mes aïeux (lecture de Gérard Cartier)
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    [ma grand-mère avait beaucoup de clés]




    ■ Voir aussi ▼


    le site terre à ciel | poésie d’aujourd’hui





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  • Isabelle Alentour, Makapansgat

    par Philippe Leuckx


    Isabelle Alentour, Makapansgat,
    éditions La tête à l’envers, 2021.
    Peinture de couverture de Cécile A. Holdban.



    Lecture de Philippe Leuckx


    Que la perception d’une pierre-visage donne lieu à une phénoménologie poétique du quotidien, c’est la trouvaille heureuse de ce livre, dont le point de départ est ce galet australopithèque qui représente un visage.

    Quand l’âge vient et que la solitude pèse, on aimerait tant « conserver » des visages pour anéantir l’absence qui gagne.

    Dans ce recueil tendu comme une corde de tendresse à l’adresse du monde, la poète consigne un quotidien revisité par la grâce d’une attente, d’une forme. Qui sait ? D’un inconnu qui viendrait dans sa vie.


    Certains jours je n’ai pas le courage de penser

    J’observe le monde

    J’aimerais savoir nommer chaque chose



    Ma main tout près de lui

    sans le toucher

    mon regard au contraire


    La poète qui se tient « à l’aplomb de la blessure » sait atteindre le visage de l’autre, le marquer au sceau de l’inédite confiance ; elle fait halte dans la nuit pour que tout puisse revenir ; elle en garde « de petits cristaux de sel » et ce goût de l’enfance, du « partage de [s]on rire dans les embruns ».



    Quatre parties dans le recueil comme une progressive appropriation de l’autre, avec les questions, les réponses, les tressaillements ; l’écriture alterne les « je », « tu », les impératifs doux, l’intimité des formes et de l’écoute du plus âpre en nous :


    Entre les lèvres du regard

    la vitre embuée de nos solitudes


    Dans un sens de l’altérité retrouvée, le poème signe son périple : du galet initial à la conque que le poème offre quand il panse la solitude éprouvée.



    Un très beau livre, dont on sort revivifié.




    Philippe Leuckx
    D.R. Texte Philippe Leuckx
    pour Terres de femmes







    Alentour 3




    ISABELLE ALENTOUR
    [PELLEGRINI]



    Alentour portrait 2





    ■ Isabelle Alentour
    sur Terres de femmes


    [Je me sens vieillir] (extrait de Makapansgat)
    Louise (lecture d’AP)
    [Heures douces d’un après-midi d’été] (extrait de Louise)
    [Jamais d’abord, ni contre] (extrait d’Ainsi ne tombe pas la nuit)
    [Lac étal comme un épuisement] (extrait de Je t’écris fenêtres ouvertes)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    [Pour ne pas perdre la pluie]




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions La tête à l’envers) la page de l’éditeur sur Makapansgat d’Isabelle Alentour
    → (sur Terre à ciel) une page sur Isabelle Alentour [dont un mini-entretien avec Roselyne Sibille]





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  • Isabelle Alentour | [Je me sens vieillir]


    VIEILLIR ... (1)
    Montage photographique, G.AdC





    [JE ME SENS VIEILLIR]




    Je me sens vieillir – j’ai l’impression que la vie échappe
    Je n’ai pas l’éternité
    Sans savoir pourquoi je coupe toujours
    mes biscuits en deux avant de les manger
    J’achète mes vêtements en double
    J’ai toujours une chambre prête à la maison

    Je marche ensemble — je ris ensemble — je chantonne
    ensemble, et puis
    je hausse les épaules
    tout cela n’a pas de sens

    Il est clair que rien de cela n’a de sens

    cependant

    j’attends
    Je ne sais rien de la lettre
    qui compose le mot
    qui compose la phrase
    qui compose l’histoire

    Je ne sais rien de l’idée
    de l’intelligence
    ou de la pensée
    je ne suis qu’un galet

    Mais je suis prêt à tout dire
    à tout écrire
    je suis prêt à tout lire et à tout écouter

    Je peux même me risquer à évoquer la mort
    la baptiser attente
    ou ignorance
    la nommer éternité
    taire mon propre nom




    Isabelle Alentour, III, « Est-ce toi » ?, Makapansgat, éditions La tête à l’envers, 2021, pp. 48-49. Peinture de couverture : Cécile A. Holdban.





    Alentour 3




    ISABELLE ALENTOUR
    [PELLEGRINI]



    Alentour portrait 2





    ■ Isabelle Alentour
    sur Terres de femmes


    Makapansgat (lecture de Philippe Leuckx)
    Louise (lecture d’AP)
    [Heures douces d’un après-midi d’été] (extrait de Louise)
    [Jamais d’abord, ni contre] (extrait d’Ainsi ne tombe pas la nuit)
    [Lac étal comme un épuisement] (extrait de Je t’écris fenêtres ouvertes)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    [Pour ne pas perdre la pluie]




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Terre à ciel) une page sur Isabelle Alentour [dont un mini-entretien avec Roselyne Sibille]





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  • Cécile Guivarch | [c’est tout pour aujourd’hui]


    [C’EST TOUT POUR AUJOURD’HUI]



    Vous bougez,
    me donnez envie de vous aimer, vous entourer de mes bras,
    vous laisser entrer chez moi.
    Les lettres me parviennent, comment savoir ce qui respire avec elles.
    Elles vous égrènent, vous prenez la place
    pour n’être ni trop grands ni trop petits.
    Vous me poussez dans le sang pour fleurir au bout des doigts.
    Des odeurs d’herbe, de foins coupés,
    des douceurs de dentelles.
    J’entends vos accents passer de vos mémoires à la mienne.
    Vous bougez. Je vous rejoins dans vos couleurs.
    Je poursuis vos voix et le bruissement du cœur,
    quelque chose qui bat tout près au loin.
    Vous auriez sûrement dit : c’est tout pour aujourd’hui.




    Cécile Guivarch, « De vous à moi », C’est tout pour aujourd’hui, éditions La tête à l’envers, 2021, page 9. Peinture de couverture : Jérôme Pergolesi.






    Cécile Guivarch  C'est tout pour aujourd'hui 2




    CÉCILE GUIVARCH


    Cécile Guivarch portrait
    Ph. : Michel Durigneux
    Source





    ■ Cécile Guivarch
    sur Terres de femmes


    Cent ans au printemps (lecture d’AP)
    Cent ans au printemps (lecture de Philippe Leuckx)
    [Écrire ses yeux] (extrait de Cent ans au printemps)
    Cécile Guivarch, mots et mémoire en double (chronique de Marie-Hélène Prouteau)
    Sans Abuelo Petite (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Je ne sais pas si tu es encore jeune](extrait de Sans Abuelo Petite)
    [J’ai marché sur les morts]
    Renée, en elle (lecture d’AP)
    [des hommes tressaillent](extrait de S’il existe des fleurs)
    Vous êtes mes aïeux (lecture de Gérard Cartier)
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    [ma grand-mère avait beaucoup de clés]




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  • Marie-Françoise Vieuille, La Barque criblée

    par France Burghelle Rey

    Marie-Françoise Vieuille, La Barque criblée,
    éditions La tête à l’envers,
    58330 Crux-la-Ville, 2020.



    Lecture de France Burghelle Rey


    La beauté peut sauver l’auteur du désespoir et, par là même, le lecteur, comblé par le dernier recueil de Marie-Françoise Vieuille. La Barque criblée. Ainsi, dès l’allusion, dans la présentation, aux lettres d’amour qui arrivaient par mer jusqu’aux châteaux.

    La barque cependant « noire » est celle d’abord de la mort et le nom de Charon s’impose avec la question immédiate de l’absence conjointe à celle de la présence au cœur de « cette eau de fine soie » et sous un ciel de plomb. Au cœur donc du réel qui sauve sans doute de la folie.

    Un tableau de facture symboliste qui rappelle les magnifiques toiles d’Osbert décrit la femme dans sa marche, « une longue écharpe blanche déployée par le vent », et laisse planer le mystère en magnifiant « l’attente » annoncée :

    « L’odeur des immortelles des sables sous son corps magnifique.

    La dune et la mer en elle, par elle, accordées.

    L’écume de sa joie sur ma bouche et mes mains.

    Et son sourire miraculeux pour moi seule. »

    La poète va-t-elle nous éclairer sur le passé, le présent ou l’avenir ? Ces premières pages de l’opus sont bel et bien chargées d’un vaste potentiel et l’émotion saisit déjà celui qui les lit. Cette émotion qui est celle-là même de la narratrice qui prend discrètement sa lyre pour chanter :

    « L’estran

    L’estrange

    Laisse de mer

    Laisse-moi me quitter, estran ourlé […] »

    L’étang, sans les pins, pourrait disparaître car il s’agit bien de « la métamorphose sans repos du vivant » comme celle des saisons. Tout poète qui en est conscient se fait « le philosophe du concret », selon l’expression de Hugo dans Choses vues.

    Arrive en effet l’été — il y a toujours

    « d’autres juins.

    Ceux des roses fées et des chants d’oiseaux »

    — l’été qui est le prétexte à plus de poésie encore, une poésie si délicate qu’on craint de la commenter et qu’il faut juste citer :

    « Les jeux d’enfants revenus frôlent l’effroi.

    Mais c’est à peine. »

    Puis « Plus de visage » et c’est le chant — voix et sons — qui préserve du deuil et de la mort du regard. Reste aussi « Un souffle laissé près de l’eau vive ».

    Des textes brefs alternent en prose poétique avec d’autres plus longs mimant à la fois le sursaut et le désarroi de celle qui sait le salut par les mots et par la musique. Il faut alors conjurer le mal en écoutant jusqu’au « rebondissement de la joie », « le second adagio du Quintette en sol mineur de Mozart ».

    Cette rédemption par la musique et déjà par l’image de la barque, la poète l’a anticipée dans Ai nostri désir, livre où elle écrit :

    « Elle s’attacha aux accords obstinément jusqu’à ce que la pesanteur disparaisse et la jouissance de glisser sur l’eau en miroir […] se fendit dans une jouissance encore plus grande. »

    Dans la douleur s’entrevoient des solutions, mais c’est alors l’automne ; l’automne, dans le cœur peut-être seulement, lui qui, comme la barque, est criblé. Si la nature sert de terreau aux images, l’écriture des motifs s’exprime alors avec extrême finesse : les feuilles tombent « dans un bruit de porcelaine » et il faut « [s]’en remettre au glissement des nuages ». Et l’accompagnement, cette fois, est celui des Oiseaux tristes de Ravel et des lieder de Schubert, convoqués dans les textes « Quiétude » et « Le repos ».

    La dérive, supportée grâce aux multiples sensations adjuvantes, est aussi celle du temps symbolisé par l’eau qui s’écoule.

    « Tiédeur hors du temps. L’abandon est berceau.

    La terre chantonne.

    La lumière l’inonde.

    Elle est douce comme ce qui pourrait rester sans nom. »

    Au sein de ce décor qui pourrait être celui d’une pièce, des personnages nombreux. Annoncés par les titres « Complicité » ou « Personne, persona, personnage », ces « acteurs » ont des voix, des masques. Des cris au loin et des mendiants. Des femmes aussi, la cavalière et la Maréchale, attendent, au bout de leur marche, le phare de paix et de lumière.

    Orchestré comme un opéra, le spectacle est complet et accompagné jusqu’à la toute fin du recueil de compositions musicales qui participent de sa structure :

    « Cela construit et pourtant glisse comme une barque allégée […][qui] peut aller où elle veut. »



    France Burghelle Rey (novembre 2020)
    D.R. Texte France Burghelle Rey
    pour Terres de femmes






    Marie-Françoise Vieuille  La Barque criblée




    MARIE-FRANÇOISE VIEUILLE


    Marie-Françoise Vieuille NB
    Source




    ■ Marie-Françoise Vieuille
    sur Terres de femmes


    Le trophée (extrait de La Barque criblée)




    ■ Voir aussi ▼


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  • Marie-Françoise Vieuille | Le trophée


    LE TROPHÉE





    Plus de visage. Plus de mots ni de contours.

    Rien qui s’accroche au révolu comme ces petits flocons de laine que le vent laisse après la tonte sur les barrières des pâtures.

    Ne plus pouvoir se représenter la beauté nue, ni même la rêver vaguement. Le cœur respire.

    Juste dans l’air quelque chose. Comme un vol à peine entrevu. Comme une appoggiature.


    À peine un parfum qu’elle n’aurait pas choisi. Un souffle laissé près de l’eau vive par le repiquage des fleurs.




    Marie-Françoise Vieuille, La Barque criblée, éditions La tête à l’envers, 58330 Crux-la-Ville, 2020, page 27.






    Marie-Françoise Vieuille  La Barque criblée




    MARIE-FRANÇOISE VIEUILLE


    Marie-Françoise Vieuille NB
    Source




    ■ Marie-Françoise Vieuille
    sur Terres de femmes


    La Barque criblée (lecture de France Burghelle Rey)




    ■ Voir aussi ▼


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  • Claudine Bohi | [La raison sort toujours de l’irrationnel]


    [LA RAISON SORT TOUJOURS DE L’IRRATIONNEL]




    La raison sort toujours de l’irrationnel.
    Elle en a besoin.
    Elle s’en nourrit pour trouver la force de s’en détacher.

    Cyril* rêvant exact.

    Le cœur est si puissant !


    en nous se livrent
    des combats
    que nous ne savons pas

    qui nous sont étrangers

    que nous menons tout au creux
    de nos chairs

    et féroce l’issue

    avec nos mains ardentes
    qui voulaient autre chose


    lever les yeux vers le ciel

    en ramener tout le bleu

    sans rien toucher
    que sa propre main

    sa propre voix

    la traversée est infinie


    ce qui fut bougé
    ce qui fut tenté

    et le grand nœud quelque part
    fut noué


    nous venons de si loin

    l’espace par petits bouts
    nous l’avons découpé

    en nous labile
    il est devenu mobile

    nous ouvrons tant de portes


    ce qui fut noué
    la chair avec le verbe

    nous parlons pour nous réconcilier

    traversés çà et là
    par ce qui nous fait plus grands
    que ce que nous sommes


    Petit robot se déplace de quelques dizaines de mètres par jour.
    Il perce dans les roches.

    À ce jour 16 échantillons ont été analysés.

    On a détecté des argiles.
    On peut aller chercher des analogues terrestres.
    Les étudier.

    Beaucoup s’en chargent.

    D’internationales équipes de chercheurs.

    On a bien mis en évidence des matières organiques sur Mars,
    mais ce qu’on a analysé c’est des produits de réaction.

    Petit robot travaille, travaille.
    Petit robot travaille pour nous.

    Petit robot cherche pour nous.

    La science travaille. La science avance.

    Que cherchons-nous dans le monde ?
    Que cherchons-nous dans l’espace ?



    Où est notre demeure ?





    Claudine Bohi, Rêver réel, éditions La tête à l’envers, 58330 Crux-la-Ville, 2020, pp. 74-79. Préface et peintures de Germain Roesz.



    ___________________________
    * Le recueil Rêver réel est dédié à Cyril Szopa, astrochimiste et exobiologiste, enseignant chercheur au LATMOS, Université de Versailles-Saint-Quentin-en -Yvelines et Sorbonne Université.






    Claudine Bohi  Rever réel




    CLAUDINE BOHI


    Claudine Bohi 2
    Source





    ■ Claudine Bohi
    sur Terres de femmes


    Naître c’est longtemps (lecture d’AP)
    Naître c’est longtemps (lecture de Philippe Leuckx)
    Corps levé (poème extrait de Naître c’est longtemps)
    [brouillard n’est pas absence] (poème extrait d’Éloge du brouillard)
    Et cette fièvre qui demeure
    Secret de la neige (poème extrait de L’Enfant de neige)
    [Duels de lumière] (poème extrait de La plus mendiante)
    [je laisse tomber le mot maman] (poème extrait de Mère la seule)
    Le funambule sans son fil (poème extrait de Même pas)
    Mère la seule (lecture d’Isabelle Lévesque)
    L’invisible (poème extrait de Mettre au monde)
    [L’eau son puits étrange] (poème extrait d’On serre les mots)
    [à force de mots sur la peau] (poème extrait de Parler c’est caresser un corps)
    Une lumière de terre (poème extrait d’Une saison de neige avec thé)
    Claudine Bohi | Philippe Bouret, Cet enfant sans mot qui te commence (lecture d’AP)
    Claudine Bohi | Olivier Gouéry [Voici donc le matin]
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    si ce n’est pas trembler




    ■ Voir aussi ▼


    → (dans la poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Claudine Bohi
    → (sur le site des éditions La tête à l’envers)
    la fiche de l’éditeur sur Rêver réel de Claudine Bohi





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  • Jean-Marc Barrier | [vient le temps du fléchir]

    « Poésie d’un jour</FONT COLOR></DIV ALIGN></FONT FACE>

    [VIENT LE TEMPS DU FLÉCHIR]</FONT COLOR>

    v</FONT SIZE></FONT COLOR>ient le temps du fléchir dans un velours de mémoires tactiles
    estran des ombres où la vie recommence laisses où la peau se souvient    taches mouvements   terre chaude ou froide selon les restes d’une nuit inassouvie

    territoires
    c’est loger sous l’aile d’une chouette sentir les plumes sous les yeux le coton cendré
    se souvenir des mouillages incertains des plongées nécessaires</FONT SIZE>

    Jean-Marc Barrier, Noir estran, éditions La tête à l’envers, collection fibre·s, 2020, s.f. Peintures de Géry Lamarre.</FONT COLOR>

    Barrier montage

    </FONT FACE>


    JEAN-MARC BARRIER</FONT COLOR>
    Jean-Marc Barrier
    Source

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions La tête à l’envers) </FONT COLOR>une notice bio-bibliographique sur Jean-Marc Barrier → (sur le site des éditions La tête à l’envers) </FONT COLOR>la fiche de l’éditeur sur Noir estran → </FONT COLOR>le site de Jean-Marc Barrier


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  • Édith Azam | [Tout s’ouvre et c’est dedans]



    [TOUT S’OUVRE ET C’EST DEDANS]



    Tout s’ouvre et c’est dedans
    c’est à l’intérieur que ça souffle
    Pupille et Deuxième Homme
    se languent l’un à l’autre.
    La chair les sexes
    en intimes
    la chair les sexes :
    ça langage.
    Deuxième Homme
    Pupille
    On imaginera :
    ils font l’amour.
    Les yeux ouverts
    on imagine
    eux le vivent…
    Et Bestiole s’endort.



    Les petits ronds d’espace
    où Bestiole s’endort
    l’amour bredouille :
    — Deuxième Homme —
    chuchote-moi…
    Et lui suspendu à ses lèvres
    la fera à nouveau trembler…




    Édith Azam, Bestiole-moi Pupille, éditions La tête à l’envers, 58330 Crux-la-Ville, 2020, pp. 36-37.





    Azam montage





    ÉDITH AZAM


    Edith Azam
    Source





    ■ Édith Azam
    sur Terres de femmes


    Décembre m’a ciguë (lecture d’Isabelle Lévesque)
    « Je voudrais devenir oiseau » (lecture de Décembre m’a ciguë par AP)
    [Je dis le mot : mourir] (extrait de Décembre m’a ciguë)
    Il n’y a cette perte de moi (extrait du Mot il est sorti)
    [Je regarde mes mains] (extrait d’Oiseau-moi)
    Suis-moi
    Édith Azam | Bernard Noël | Retours de langue (lecture d’AP)
    Édith Azam | Bernard Noël | [comment ça s’ouvre un corps] (extrait de Retours de langue)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    IL RESTERA MON SIGNE




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site des éditions La tête à l’envers)
    la page de l’éditeur sur Bestiole-moi Pupille
    → (sur le site des éditions La tête à l’envers)
    Édith Azam disant un extrait de Bestiole-moi Pupille





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Martine Audet | [Parfois]



    Martine Audet montage 1







    [PARFOIS]



    Parfois je cherche à conserver
    le silence d’une réponse.

    Parfois j’écrase les nuits
    de glace bleue
    entre mes paumes.

    Peu de mots exigent ma voix.

    Rien, dans le carnet,
    ne se fixe longtemps.

    Je laisse aux êtres de l’enfance
    la parfaite solitude.




    Martine Audet, Rêve sur rêve, éditions La tête à l’envers, Collection fibre·s animée par Jean-Marc Barrier, 2020, s.f. Dessins d’Alexandre Hollan.





    Martine Audet  Rêve sur rêve 1




    MARTINE AUDET


    Martine Audet portrait





    ■ Martine Audet
    sur Terres de femmes


    Dos




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur L’île, l’infocentre littéraire des écrivains québécois)
    une notice bio-bibliographique sur Martine Audet
    → (sur le site des éditions La tête à l’envers)
    une notice biographique sur Martine Audet
    → (sur le site des éditions La tête à l’envers)
    la fiche de l’éditeur sur Rêve sur rêve
    → (sur Voix d’ici, répertoire audio de la poésie québécoise)
    de nombreux poèmes dits par Martine Audet et José Acquelin
    → (sur Lyrikline)
    plusieurs poèmes de Martine Audet (extraits du recueil Les Manivelles, éditions de l’Hexagone, Montréal, 2006) dits par leur auteure
    Martine Audet lit un extrait de Rêve sur rêve





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