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  • Béatrice Libert | Chansonnier : arbre lyrique


    Chansonnier de Béranger
    Le chansonnier demeure un arbre maître chanteur et enchanteur
    Source






    CHANSONNIER : ARBRE LYRIQUE







    Dès la fin du Moyen Âge, c’est le bois du chansonnier qui a fourni la pâte à papier dont on fit les premières pièces lyriques.

    Le chansonnier est donc un arbre doux, mélodieux, sans fausse note ni chagrin, à anches, claviers et pédales, dissimulant, dans ses branchages, des instruments aussi insolites qu’un julophone, un souchophone, un brellophone, un grécophone. En cherchant bien, on peut même trouver un cymbalier, parasite fort bien supporté par la plante mère, qui forme, çà et là dans la ramure, de jolis bouquets sonores très convoités.

    Les branches du chansonnier ont l’air de portées musicales. Ses fleurs blanches et ses baies noires figurent les notes d’une partition invisible, chantée par les oiseaux choristes, avec alouettes en solo.

    Le chansonnier possède une mémoire d’éléphant. Son répertoire est des plus vastes, allant de Tombe la neige ou La Bohème à C’est extra en passant par Boum ! Il peut, moyennant une piécette glissée dans la fente de son tronc, interpréter n’importe quel succès d’hier ou d’aujourd’hui.

    On le dit passé de mode. Ineptie ! Les fruits du chansonnier n’ont pas d’âge ou, plus exactement, ils ont celui de leurs interprètes et de leur public. Certains les adaptent au goût du jour ; d’autres les conservent tels quels : pur fruit, pur sucre.

    C’est sous le couvert d’un chansonnier qu’eurent lieu les premiers concerts publics qui ont donné naissances aux kiosques à musique, puis aux festivals…

    Le chansonnier demeure donc, de génération en génération, un arbre maître chanteur et enchanteur !



    Béatrice Libert, Arbracadabrants, éditions Le Taillis Pré, Collection Les Inclassables, 2021, pp. 28-29. Avant-dire d’Éric Brogniet.






    Béatrice Libert  Arbracadabrants 4




    BÉATRICE LIBERT


    Beatrice Libert
    Source




    ■ Béatrice Libert
    sur Terres de femmes


    [Il y a dans le vent qui passe] (extrait de L’Aura du blanc)
    [Les pierres et les mots] (extrait de Battre l’immense)
    Très souvent (extrait d’Être au monde)
    Nous traversons l’abîme (+ une notice bio-bibliographique)
    [Peut-être est-ce dans l’arbre ?] (extrait d’Un arbre nous habite)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Attente
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un Portrait de Béatrice Libert (+ un extrait d’Être au monde)





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  • Florence Noël, Solombre

    par Angèle Paoli

    Florence Noël, Solombre,
    éditions Le Taillis Pré, 6200 Châtelineau, Belgique, 2019.
    Frontispice de Pierre Gaudu.



    Lecture d’Angèle Paoli




    « LA CÉDILLE DU ÇA »




    Solombre. Serait-ce, inconnu, le toponyme d’un pays oublié ? Celui d’une région perdue dans les ombrés des cartes ? Ou peut-être la dénomination d’un espace de solitude, intime et intérieur ? Solombre. La désignation d’un espace onirique, un lieu en demi-teinte, une pénombre, un chiaroscuro ? Mi-ombre mi-soleil. « [M]i-neige et nuit de moitié ». Un lieu de contraste violent, tout aussi bien, livré à l’oxymore, tel que le suggère le poète Octavio Paz dans quelques vers d’Expiration :

    Soleil de l’ombre Solombre aveuglante

    [Sol de sombra Solombra cegadora]

    Mes yeux vont enfin voir l’inentrevu

    Ce qu’ils perçurent sans le percevoir

    Le verso des visions et la vue.

    Solombre. Un titre choisi par Florence Noël, en écho à Octavio Paz que la poète cite dans l’épigraphe de son dernier recueil. Dans le sillage d’Octavio Paz, la poète tente de débusquer ce qui s’éclipse à la vue, ne serait-ce que l’espace d’un instant ou le temps d’un poème. Fixer l’image saisie sur le vif. Formes mouvements rumeurs couleurs, glyphes et paraphes inscrits sur la page. Impalpables et fuyants comme les frimas ou les flocons de neige. Des tableaux de genre d’où émergent, mystérieux et noyés de brumes hivernales, ces paysages de novembre, balayés de bourrasques, paysages du Plat Pays traversés par les vents du Nord. Mer terres et ciels s’agrègent sur des horizons effilochés de pluies. Paysages d’un autre temps, médiéval peut-être, un temps de mémoire pour dire le passage du temps, de la vie à la mort. Nuit cloches fleuves. Parfois surgit une ombre, la silhouette d’un homme seul traversant les champs à cheval, longeant des routes silencieuses. Il est là, dès le poème d’ouverture, qui chevauche : « c’est l’homme avançant vers sa mort / mourant aux autres… ». Et la lectrice que je suis va l’amble à ses côtés, certaine de chevaucher dans des contrées similaires à celles des toiles de Brueghel, paysages bleuis de neige :

    « tantôt la nuit éteint son aile

    arase les labours ridés d’argent

    une corneille y craque

    le silence

    entrouvre le noir

    grisé de sel

    des fossés friment la mort

    là dort l’appétit

    d’une nuit sans pareille ».

    La nuit, tout au long de cette première section — car il y en a une seconde, intitulée « Fourbure » —, la nuit égrène sa présence. Fuites et ressacs, déferlements. Le leitmotiv sillonne ses flux, ses efflorescences. D’un poème à l’autre. Et livre sa part d’ombre et sa part de plaintes. « La nuit fuit » / « la nuit reflue » / « la nuit s’étiole » / « les nuits nubiles »… La nuit dans ses extravagances, la nuit et ses excès :

    « fastueuse nuit

    terrassière sous

    la lame d’une lune

    revenue des enfers ».

    Pourvoyeuse de « matin noir », l’aube parfois point, qui fait « effraction » sous les « portes closes ». Sombres, les images de novembre sont marquées du sceau de visions douloureuses, solitude et deuil, doléances mordues de silence. « [N]uits rompues par fuites / et ferments. » La poète à l’affût s’arrime au déroulé de « l’heure blanche », avide de ses menus mystères ; elle interroge le « dire la rage lente des feuilles / pour déchirer leur pulpe ». Derrière ces dits de givre se glisse cet autre que l’on attend. L’« homme revenu / des confins » ; l’amant au « pelage/albinos ». Le « tu » vacille, d’elle à lui ou d’elle à elle :

    « tu dis c’est l’heure jaune ».

    Ou encore

    « c’est le jaune de l’heure que tu cherches ».

    Un « tu » qui transparaît aussi dans le nous :

    « aux fenêtres

    nous épinglons des astres

    trions les ciels des cartes

    jouons sur les morts…

    alors nous retournons le portrait

    face au mur ».

    Ou encore, naufragé de sa solitude, ce « nous », sombré, é/perdu :

    « et nous

    absents d’étreintes

    flottant à demi-mot

    sur la tranche des lèvres ».

    La nuit. Quelle est celle qui existe vraiment ? interroge la poète. La nuit ne serait-elle pas rien d’autre qu’un alibi du rêve, qu’une antichambre du néant et de la mort ? Des bruits et des rumeurs diffusent des messages nocturnes que seule la dormeuse semi-éveillée parvient à décrypter. La nature elle-même, démunie et gelée, souffre de ses blessures. Enclos dans une même prison glacée, les hommes et les arbres éprouvent une même difficulté à vivre et à aimer. Sentinelles de miséreux aux gestes inaccomplis, ils partagent une même pauvreté de corps et d’âme. En réponse à la supplication lancée dans la tristesse surviennent l’insecte et ses « battements d’ailes », en signe minuscule d’espoir.

    « coi de tristesse

    féconde

    un insecte joue

    sur ma joue

    le parfum sec

    des battements d’ailes ».

    Je ne saurais dire en quoi, au juste, les poèmes de « Fourbure », la seconde section du recueil, diffèrent de ceux de Solombre. Peut-être la mélancolie de « Fourbure » y est-elle plus douce, plus apaisée ? Peut-être aussi ai-je moi-même inconsciemment renoué peu à peu avec les paysages noyés du Nord, « alliance de densité / entre ce ciel lourd et cette bombance / spongieuse du sol… » ? Avec ces tableaux de genre où solitude et silence se disputent l’hiver.
    Affleurent dans « Fourbure » de semblables variations sur la lumière, captatrice de l’instant, confrontée le plus souvent à des zones d’ombre. Mais davantage encore à la pesanteur. Laquelle prend toute son ampleur et sa force sous la plume de la poète Mimy Kinet, citée en exergue :

    « La lumière prenait appui sur ses épaules

    il ne savait pas comment se décharger de cette grâce… ».

    Pour Florence Noël, la « fourbure » est corrélée à l’écriture. Et la fatigue d’écrire à la vacuité du dire :

    « je n’ai rien d’autre

    à vous dire

    que le verbe qui s’écaille

    dans ma main de labeur ».

    Comment se libérer de cette fatigue de dire, de ce « faix » trop lourd, lorsque les mains s’épuisent de tant de mots fourbus, de tant de lassitude à poser sur la page « le verbe qui s’écaille » ? Pourtant la griserie est sensible, qui gagne la poète, à recourir aux mots, parfois les plus insolites et les plus précieux, les plus innovants et rares – « on écueille/les rigoles ». En aède accoutumée au chant, la poète inventive joue avec les mots, leur proximité sonore, les glissements de sens, dépoussiérant leur étymon latin – « les humeurs / y percolent » ; la « parmélie », sa forme de bouclier rond – et, en arrière-plan, l’idée de la couleur parme qui se glisse. Et annonce peut-être le « mauve » qui, quelques pages plus loin, gagne le ciel du soir.

    De ces polysémies singulières irradie un mystère plus grand encore, comme dans ces trois vers :

    « c’est tue que

    je m’évertue

    à chanter ».

    Que dire de l’énigme portée par la vanité de la « tentation de la fatalité » ?

    « car rien

    jamais

    n’égalera la misère de Job. »

    Quant à la « fourbure », l’image en est disséminée à travers nombre de variations sonores – « fêlure », « engelures », « nervure », « froidure », « déchirure »… Une image reprise aussi dans son sens premier, de façon allusive, chaque fois qu’il est question de marche, de pieds, de pattes et de trot. Ainsi de ces quatre vers où le terme « avaloir » désigne la pièce de harnais à l’arrière des cuisses des chevaux…

    « on écueille

    les rigoles

    les avaloirs

    ces yeux noirs

    d’une terre aveugle ».

    La poésie de Florence Noël ouvre des sentes de lectures inépuisables et tout un chacun peut y cheminer à sa guise, avec sa sensibilité propre. Le livre refermé, la nuit s’efface, laissant la poète à sa fatigue inachevée, aux gerçures qui couvrent au matin les pages « d’une calligraphie joyeuse » — ces « mystiques méconnues / que gel et nuit fendillent ». Persiste alors cette interrogation latente qui filtre à travers mots : que restera-t-il des mystérieux écrits desséchés ? Sans doute ne laisseront-ils percer que très peu de soleil tandis que la poète, elle, qui ne souhaite rien dire d’autre que ce peu qu’elle nous livre, se réduira à moins que « la cédille du ça ». Ainsi se clôt la boucle amorcée dans « Fourbure ». Perdure la présence poétique d’un recueil dont la force à mes yeux n’a d’égale que la grande beauté.


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Florence Noël  Solombre





    FLORENCE NOËL


    Florence Noel portrait





    ■ Florence Noël
    sur Terres de femmes


    un entretien avec Florence Noël
    [tu dis c’est l’heure jaune] (extrait de Solombre)
    Sarabande (extrait de Branche d’acacia brassée par le vent)
    L’Étrangère (lecture d’AP)
    [parler de soi] (poème extrait de L’Étrangère)
    Initiation au crépuscule
    [Donnez-nous des pierres] (Vases communicants)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    autant revivre en mon jardin




    ■ Voir aussi ▼

    le site de Pierre Gaudu





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  • Anne Rothschild | [Hors du temps et du souvenir]



    [HORS DU TEMPS ET DU SOUVENIR]



    Hors du temps et du souvenir
    dans le huis clos du velours
    passaient et repassaient les gestes interdits
    la lave très épaisse des choses sans nom
    ravivant la terreur du monarque
    et ses éclats de rubis
    enfouis dans le ventre
    un géant aux pieds d’argile
    un épouvantail aux mains de paille



    Comment laver la plaie
    Qu’on ensevelit sous des piles de linge
    Si ce n’est par la lessive des mots et la mémoire des franges
    Nœuds tressés de chiffres par où descend le souffle
    La blessure      la brisure      la cicatrice brûlée vive
    Court à travers les siècles
    Comme un navire poussé par les vents du désastre
    *



    Remontant le chemin de l’origine
    trois fois dans l’eau lustrale j’ai plongé
    enveloppée de la mer qui dort en nous
    trois fois j’ai sombré pour renaître
    goûtant le lait des amants et léchant le miel des lettres
    j’ai recueilli trente-neuf gouttes de rosée

    Les bambous scrutent dans les marges blanches
    tous les possibles de ma vie


    * ______________
    les voix du poème :
    caractères italiques : le chœur des ancêtres
    caractères romains : le poète




    Anne Rothschild, «  II, Remontant le chemin de l’origine » in Nous avons tant voyagé, Éditions Le Taillis Pré, 6200 Châtelineau (Hainaut, Belgique), 2018, pp. 54-55-56.






    Nous-avons-tant-voyagé 2







    ANNE ROTHSCHILD




    ■ Voir aussi ▼

    le site personnel d’Anne Rothschild





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