Étiquette : Éditions Lettres Vives


  • Alexandre Romanès | [Les Tsiganes sont comme les oiseaux]


    Luth noir collage
    Collage, G.AdC







    [LES TSIGANES SONT COMME LES OISEAUX]



    Les Tsiganes sont comme les oiseaux
    qui volent contre le vent.


    Ma femme est une gitane
    hongroise redoutable.
    À la seconde où je l’ai vue,
    j’ai su que c’était l’ange
    qu’on m’avait envoyé.


    Au royaume de l’espoir
    il n’y a jamais d’hiver.


    « Je me souviens » et « il y a longtemps » :
    ce sont les deux phrases les plus
    poétiques de la langue française.


    Je passe souvent du temps
    avec des hommes et des femmes
    qui ne sont rien dans cette société,
    mais qui sont beaucoup pour moi.


    Les deux plus grands poètes
    de la langue française
    ce sont deux femmes.


    Le timbre de la voix et les mots utilisés
    en disent plus sur un individu
    que ce qu’il prétend être.


    La sonorité délicate et somptueuse
    de mon luth me transporte,
    que je le veuille ou non,
    dans le Royaume neigeux de la mélancolie.



    Alexandre Romanès, Le Luth noir, Éditions Lettres Vives, Collection entre 4 yeux, Collection dirigée par Claire Tiévant, 20213 Castellare-di-Casinca, 2017, pp. 11-12-13.






    Alexandre Romanès






    ALEXANDRE ROMANÈS


    Alexandre-Romanès
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Lettres vives)
    la fiche de l’éditeur sur Le Luth noir





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  • Yves Namur, Les Lèvres et la Soif

    par Marie-Hélène Prouteau

    Yves Namur, Les Lèvres et la Soif,
    Éditions Lettres Vives, Collection Terre de poésie, 2016.



    Lecture de Marie-Hélène Prouteau


    Yves Namur est un poète et éditeur belge de langue française. Son œuvre riche d’une quarantaine de titres a été couronnée par plusieurs prix prestigieux, dont, pour n’en citer qu’un, le prix Mallarmé.

    Ce recueil, Les Lèvres et la Soif, paru aux Éditions Lettres Vives, porte en sous-titre « Élégies ». Voilà qui pose la voix d’Yves Namur, de manière quelque peu nouvelle. Le poète du questionnement intérieur rajoute ici une corde à sa lyre et chante l’amour heureux sur fond de monde qui ne l’est pas. Car il s’agit bien ici de chant et de musique, les distiques et tercets élégiaques en sont une des marques.

    Plus encore, la structure musicale du recueil s’ordonne en deux parties bien marquées. Il y a le geste tendre du poète pour la femme aimée dans la première, auquel correspond celui de la femme dans la seconde : ce baiser donné et reçu et qui ne sera jamais nommé. Autour d’un simple mouvement, plus deviné qu’entrevu, une composition en miroir et variations, éminemment dynamique. La forme musicale enlace une guirlande de répétitions, réitérations posées puis reprises avec des variantes. Ainsi, le motif central de l’oiseau apparu dès le premier vers du recueil, « un oiseau s’est posé aujourd’hui sur tes lèvres », se voit repris plus loin, transformé, associé ici aux motifs de la soif et du poème :

    « un oiseau s’est penché sur tes lèvres,

    sur la fontaine de soif, sur un désir de pommes

    et de poèmes »

    Ce sont ces reprises qui enchantent. Telle encore l’apparition de la femme aimée qui ponctue le recueil, « et toi belle espérée de la maison » devenant « et toi, douce espérée du temps ».

    Quant au questionnement sur la création du poème en train de s’écrire, il traverse tout le recueil. Work in progress. Qu’est-ce qu’écrire un poème ? Et singulièrement un poème d’amour ? Est-ce, comme l’écrit Yves Namur, retrouver « le commencement des choses » ? Nous entendons la pensée vive prendre corps, en contrepoint de l’expérience amoureuse. Très souvent, l’italique la souligne, tel un arrêt spéculaire du poème sur lui-même :

    « un poème

    peut-il sortir du souffle de l’amour »

    Yves Namur a su composer une imagerie personnelle qui se déploie en un fin réseau : l’oiseau, l’abeille sur le fruit, la montagne blanche, le nuage et les hauteurs, la fenêtre, la fontaine sans eau — qui dessine en pointillé le motif de la soif, autre visage du désir. Le poète ne se départit pas de la simplicité qui lui est familière :

    « mène-moi dans le geste de l’air

    dans le nuage bleu de poussières et d’oiseaux »

    Et, lorsque le poème en éveil s’aventure au dehors, il célèbre la nature, à sa façon, toute en économie de mots et humilité poétique :

    « avec la rosée du temps

    avec la rose dansante dans l’herbe »

    Ce recueil renvoie aux poètes de prédilection d’Yves Namur. Philippe Jaccottet, Roberto Juarroz, Paul Celan sont là. L’exergue de la seconde partie nous renvoie à la lumière héraclitéenne qui en infuse chaque page. Comme à la conception de l’amour mystique de Rumi. Le poète persan qui voit en l’amour un principe de l’univers y est cité. La femme aimée, pour Yves Namur, est celle qui est « venue dans le cœur fatigué qui était le mien », jamais nommée, même dans la dédicace. Je et Tu, nous n’en saurons pas plus. Le parti-pris de la retenue n’exclut pas certaines images plus brillantes, celle de la femme comparée à une merveille, trouvée chez ce poète du XIIIe siècle.

    Pour dire ce geste amoureux du baiser, il suffit au poète de quelques mots, « bouche, lèvres, souffle », juste évoqués par métonymie. On est frappé par cette écriture oblique. À la matérialité physique d’un corps présent, quoiqu’à peine effleuré, touché, une image est substituée qui dépayse, déréalise, déporte le motif et sublime l’érotisme. C’est ainsi que l’oiseau-baiser devient « l’haleine d’un songe ou un charbon de neige ». La réalité vacille et bascule en un jeu de métamorphoses. Pointe le motif du charbon, de la brûlure d’amour qui sera repris plus loin, par glissement de sens, en cette image empruntée à Philippe Jaccottet, « comme si c’était du charbon ardent sur la bouche ».

    Le poète persiste à le dire, il chante la voix de la femme :

    « une voix remplie de poèmes,

    de pierres noires et de roses volantes dans les airs »

    Les « roses volantes » côtoyant des « pierres noires », voilà qui renouvelle le topos affadi de la rose. Le langage poétique existe à neuf. Sans emphase, à la mesure de l’émotion qui la fait naître. C’est que le bonheur amoureux ouvre la pente de la rêverie — les mots « rêve » et « songe » font retour dans plusieurs distiques. De nombreuses associations, telle celle du baiser, de l’oiseau et du ciel nous ouvrent un vaste monde analogique. Un imaginaire surréel dont « le ciel constellé de roses » nous emmène dans quelque tableau de Chagall. Ou de Magritte, avec « L’Oiseau du ciel », silhouette d’oiseau emplie de nuages qui traverse un ciel.

    « qui de l’oiseau ou du poème fut le premier dans les nuages,

    le premier à percer la muraille d’air et la muraille

    du vide »

    N’est jamais oubliée la part de la nuit, celle des douleurs quotidiennes entrevues par le poète, « larmes, solitudes, décombres » ; celle aussi de l’empathie absolue avec « l’homme fuyant le pays des cendres/et du triste ». Celan, nommé et cité dans un vers de La Rose de personne, Celan, toujours présent au cœur d’Yves Namur. Comment ne pas penser à La Tristesse du figuier ? Voilà qui relie le poète captif de son geste d’amant heureux à l’aventure tragique de l’humanité qu’il ne cesse de discerner autour de lui.

    Il est vrai que ce baiser à la femme aimée ouvre un horizon au-delà de lui-même. L’ombre tutélaire de Rilke y incite. Le poète de Prague est d’abord présent dans le sous-titre du recueil qui pointe en filigrane ses Élégies de Duino. De sa familiarité avec Rilke, Yves Namur retient le chant du monde, celui qui se donne à portée de main, dans « l’Ouvert », flux primitif de vie avec lequel l’homme, parfois, arrive à fusionner. Yves Namur nous invite à cette saisie authentique qui réponde à la « soif infinie d’être » qui le tient de recueil en recueil. Nous voici, à sa suite dans une de ses plus belles pages, « au bord de l’immense question ».

    Dans cet amour pour la femme, c’est ainsi autre chose qui est accordé : la capacité à sortir de soi, à aller vers « le cœur de ces hommes/qui ont marché avec les amours perdues/les prières et les pierres pesantes ». L’amour se fait le passeur qui met le poète de plain-pied avec les expériences humaines d’humbles compagnons. Lumineuse leçon qui clôt tout le recueil sur ce point d’orgue :

    « aimer encore

    et encore »

    Il faut entendre cette musique de la réitération, autour du verbe aimer, sans doute le plus banal, rehaussé par cette respiration de l’adverbe. On relève la tête du recueil. Quelque chose d’ample, d’universel, quoique ténu et humble, affleure.

    C’est la poésie qui chante, la poésie qui confère sa hauteur à la voix magnifique du poète.



    Marie-Hélène Prouteau
    D.R. Marie-Hélène Prouteau
    pour Terres de femmes







    Yves Namur, Les Lèvres et la Soif





    YVES NAMUR


    YVES NAMUR (1)
    Source




    ■ Yves Namur
    sur Terres de femmes


    [Aujourd’hui j’ouvre des livres] (extrait de Ce que j’ai peut-être fait)
    Dis-moi quelque chose, « Le Printemps »
    [un oiseau s’est posé aujourd’hui sur tes lèvres] (extrait des Lèvres et la Soif)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur La Pierre et le Sel)
    une recension des Lèvres et la Soif par Pierre Kobel
    → (sur le site de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique)
    une notice bio-bibliographique sur Yves Namur




    ■ Autres chroniques et lectures (25) de Marie-Hélène Prouteau
    sur Terres de femmes


    Chambre d’enfant gris tristesse
    La croisière immobile
    Anne Bihan, Ton ventre est l’océan
    Jean-Claude Caër, Alaska
    Jean-Louis Coatrieux, Alejo Carpentier, De la Bretagne à Cuba
    Marie-Josée Christien, Affolement du sang
    Yves Elléouët, Dans un pays de lointaine mémoire
    Guénane, Atacama
    Luce Guilbaud ou la traversée de l’intime
    Cécile Guivarch, mots et mémoire en double
    Denis Heudré, sèmes semés
    Jacques Josse, Liscorno
    Martine-Gabrielle Konorski, Instant de Terres
    Ève de Laudec & Bruno Toffano, Ainsi font…
    Jean-François Mathé, Prendre et perdre
    Philippe Mathy, l’ombre portée de la mélancolie
    Monsieur Mandela, Poèmes réunis par Paul Dakeyo
    Daniel Morvan, Lucia Antonia, funambule
    Daniel Morvan, L’Orgue du Sonnenberg
    Jacqueline Saint-Jean ou l’aventure d’être au monde en poésie
    Dominique Sampiero, Chante-perce
    Dominique Sampiero, Où vont les robes la nuit
    Ronny Someck, Le Piano ardent
    Pierre Tanguy, Ma fille au ventre rond
    Pierre Tanguy, Michel Remaud, Ici même



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  • #in_memoriam #covid_19 Marcel Moreau | [Corps écrivant et éprouvant]




    [CORPS ÉCRIVANT ET ÉPROUVANT]





    CORPS écrivant et éprouvant à tout instant à quel point les mots qui lui viennent sont des acteurs vivants et spontanés d’un événement en quelque sorte théâtral, les didascalies et les praticables en moins, de telle sorte que le lecteur croit lire un roman qui s’adresse à son esprit alors que c’est un drame historique dont sa chair est l’un des protagonistes, quoi qu’il fasse.

    CORPS qui, au fur et à mesure qu’il écrit et s’écrit, semble se prêter en continu, jour et nuit, aux allées et venues d’une troupe de forains pirandelliens et insomniaques en quête de l’auteur d’un ouvrage pourtant bien là, puisque de lui dépend que les saltimbanques cessent d’être des comédiens irrésolus pour devenir des tragédiens belligérants, chtch chtch chtch

    CORPS VERBAL et CORPS PULSIONNEL d’un seul tenant, ce qui a l’heur de tenir en haleine le CORPS BIOLOGIQUE, en proie à une effervescence de vicissitudes de tous ordres, les mêmes qui en général se retrouvent dans le théâtre antique lorsqu’il est signé par Euripide et Sophocle, ou plus près de nous, Racine et Beckett, ou Tennessee Williams, ou encore quand il est voulu cruel par Artaud.

    Cette PROPRIÉTÉ qu’ont les mots, quand c’est le corps qui les écrit, de se changer tour à tour, mais sans désemparer, en pitres ou en flibustiers, en dépenaillés de la syntaxe ou costumés de grammaire passementée, en vengeurs ou en munificents, en conservateurs de la substance indépassable, tantôt mystique, tantôt forcenée d’un moyen âge de toutes les folies, les bâtisseuses comme les pestiférées, et redécouvrant ainsi leur modernité, une modernité ennemie des derniers cris de l’obscénité universelle se réclamant de leur prétendue nouveauté pour s’autoproclamer avant-garde chtch chtch





    Cette PROPRIÉTÉ qu’ont les mots, dans le corps qui écrit ce livre et d’autres, de se changer en « héros » ou en « anti-héros » d’une pièce injouable ailleurs que dans les profondeurs de sa vie organique, même lorsqu’ils se transportent dans d’autres corps, traversés de mots qui n’étaient peut-être jusqu’ici que les figurants d’un spectacle improbable les privant de l’espoir de tenir, un jour, un premier rôle et d’occuper ainsi le devant de la scène, au moins une fois n’étant pas coutume chtch chtch

    CORPS d’un homme et VENTRE de la femme qu’il aime dont les mots qu’ils se disent avant, pendant et après l’Acte sont des êtres vivants et pensants, passibles des mêmes jalousies et des mêmes trahisons auxquelles n’échappent guère les passions humaines, et procédant des ressorts secrets de leur insatiété de nature. MOTS hardis, même les expectatifs ; éperdus, même les songeurs, mais parfois également si candides qu’ils pourraient récrire Othello à la lumière d’une Desdémone au seul nom de laquelle pâliraient toutes les sonorités du monde, au point que nul Yago ne songerait à en médire, et nul Maure considérable à s’en croire cocufié.

    MOTS imprévisibles, où il suffit parfois que l’un d’entre eux, même bancal, oublié de la poésie combattante (par exemple pultacé), reçoive de la vie organique quelques impulsions fameuses, frappées au coin de ses mouvements en sens divers — notamment les gastro-intestinaux — impulsions qu’il lui retournera aussitôt en prises de parole, humides de bonheur, trop peu toutefois, pour qu’il s’ensuive dans le langage scientifique affecté à la définition des éléments constitutifs du corps et de leurs attributs, un début de doute quant à la réalité de la fonction qu’est censée leur faire tenir l’étymologie convenue.

    MOTS, en cas de logorrhée, tel un hourvari de sonorités inactuelles tournant en orbite autour de la planète Furetière, et c’est ainsi que le corps écrivant se surprend à parler le latin au moment où il croit s’adresser à un borborygme.

    MUSIQUE DES MOTS n’en pouvant plus de la tendance générale de la logomachie au pouvoir à infliger à l’oreille du plus grand nombre les bruits assourdissants de ses prothèses tautologiques.

    MUSIQUE DES MOTS, CORPS d’un homme, avant sa mort, écrivant au corps d’une femme aimée ce qu’il voit et entend de son immensité, CRATÈRE À CORDES, SCANSIONS blasonnées de syncopes chantournées au doigté et autres signes tangibles de transfiguration de la vie intérieure en capitale de tous les possibles de l’être, pointés sur un réalisable censé n’arriver jamais.



    Marcel Moreau, Un cratère à cordes ou La Langue de ma vie, Éditions Lettres Vives, Collection Entre 4 yeux, 2016, pp. 75-76-77-78.






    Marcel Moreau  Un cratère à cordes






    MARCEL MOREAU


    Marcel Moreau
    Source




    ■ Marcel Moreau
    sur Terres de femmes


    27 janvier 1974 | Lettre de Jean Dubuffet à Marcel Moreau




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Le Carnet et les Instants)
    Marcel Moreau. L’écriture comme paroxysme, par Véronique Bergen
    → (sur Mediapart)
    Marcel Moreau, à corps écrivant, par Jean-Claude Leroy





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  • Yves Namur | [un oiseau s’est posé aujourd’hui sur tes lèvres]




    Aubord du vide
    « un oiseau s’est ainsi posé au bord du vide »
    Ph., G.AdC








    [UN OISEAU S’EST POSÉ AUJOURD’HUI SUR TES LÈVRES]





    un oiseau s’est posé aujourd’hui sur tes lèvres,


    comme si c’était un infime tremblement de paille
    ou de la poussière blanche,

    comme si c’était l’haleine d’un songe
    ou un charbon de neige,


    un oiseau s’est ainsi posé au bord du vide,
    au bord de la pensée,

    tout au bord du silence,
    tout au bord d’un poème entrouvert,




    Yves Namur, Les Lèvres et la Soif, Élégies, Éditions Lettres Vives, Collection Terre de poésie, 20213 Castellare di Casinca, 2016, page 13.






    Yves Namur, Les Lèvres et la Soif




    YVES NAMUR


    YVES NAMUR (1)
    Source




    ■ Yves Namur
    sur Terres de femmes


    [Aujourd’hui j’ouvre des livres] (extrait de Ce que j’ai peut-être fait)
    Dis-moi quelque chose, « Le Printemps »
    Les Lèvres et la Soif (lecture de Marie-Hélène Prouteau)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur La Pierre et le Sel)
    une recension des Lèvres et la Soif par Pierre Kobel
    → (sur le site de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique)
    une notice bio-bibliographique sur Yves Namur





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  • Roland Chopard | [C’est un peu plus compliqué]


    Chopard 2
    « L’œil est toujours dans le même abîme obsessionnel »
    Ph., G.AdC








    [C’EST UN PEU PLUS COMPLIQUÉ]




    C’est un peu plus compliqué : la voix suit ou ne suit pas, n’écoute ou n’écoute pas, cherche aussi une voie, elle laisse mûrir, traîner, elle abandonne, reprend en vain. Un processus de décomposition. Un retour, une reprise semble toujours possible, elle retrouve ses illusions en oubliant souvent le contexte de la matérialisation des phrases. Ces phrases apparemment figées sont au moins des incitations à poursuivre, avec ou non le secours d’autres paroles.

    Des pulsions animent la voix, en même temps qu’un lent travail de rumination lui est nécessaire. Palimpseste continu, l’acte d’écriture est une parodie, un écho de vestiges insaisissables. Le spectacle de la réalité, pas plus que les références culturelles ne sont là pour éclairer vraiment. Elle est toujours en quête de lieux sans limites car il y a tant de repères à fuir, de désastres difficiles à décrypter, de signes involontaires qui rappellent l’impuissance.

    Et les années passent… Quelquefois, avec une approche lente et progressive pour tenter de tordre encore mieux la langue, l’écriture se forme dans un état second (mais il n’y a pas besoin pour cela, d’adjuvants, de paradis artificiels). Fragments d’obscurités jetés au regard, soumis à la sagacité comme si un souffle allait soudain tout transformer en quelque chose d’inouï. Suite à des élans non dépourvus d’agressivité intellectuelle ou au contraire dans un état méditatif proche de la paresse. Ou de la sagesse. Inflexions du hasard et écoute distraite de ce qui émerge du mental. Le regard cherche alors un lieu non encore atteint. Une pureté. L’expression véritable est alors peut-être trouvée. Des bribes deviennent des vérités, du moins au moment où elles naissent.

    Seule réalité tangible, la voix est ainsi confrontée au (re)commencement interminable des livres disparus. C’est dans ce travail décisif qu’elle ne peut qu’exister. Parce que le non-dit est lié à une profonde blessure. S’il y avait une cause ou une vérité à chercher, ce serait dans ce sens.

    L’œil est toujours dans le même abîme obsessionnel, induisant des bribes mais dispersant tout ce qui se trame trop aisément quand les désirs s’obstinent avec les mêmes audaces pour (ac)coucher sur le papier de cette trace inouïe que personne n’attend.

    Mais, continuellement dans l’éphémère, la parole pourrait devenir violente quand elle doit bien reconnaître son incapacité à finalement se fixer. Elle s’arme alors de patience pour ne pas crier son désarroi, pour ne pas incriminer tous les rouages castrateurs du monde qui l’entoure (même s’ils existent). C’est l’équilibre instable, le porte-à-faux qui ferait qu’une décision irrémédiable pourrait intervenir et précipiter la chute et un nouveau retour au silence, cette fois définitif.



    Roland Chopard, Sous la cendre, 6 suites & variations pour voix seule(s), Éditions Lettres Vives, Collection entre 4 yeux, 2016, pp. 65-66-67. Postface de Claude Louis-Combet.






    Roland Chopard, Sous la cendre






    ROLAND CHOPARD


    Roland chopard





    ■ Roland Chopard
    sur Terres de femmes


    [L’œil réécrit constamment ce qui défile] (extrait de Parmi les méandres)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site du cipM)
    une notice bio-bibliographique sur Roland Chopard





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  • Jean-Louis Giovannoni | [Aucune sortie possible]


    Gilbert Pastor
    Gilbert Pastor, Portrait,
    in Jean-Louis Giovannoni, Envisager, page 9
    Huile sur panneau, 16 x 12 cm
    Paris, Galerie Béatrice Soulié
    Source







    [AUCUNE SORTIE POSSIBLE]



    Aucune sortie possible.


    Aucune.


    Sans visage.
    Sans envisager
    Sur le champ.
    Ici où là.


    Avant même.


    Circulant
    entre.


    Toujours
    Entre.


    Tenu
    D’un trait


    À l’autre.


    Non pas montagne
    Ou fleuve.


    Mais couvertures.


    Couvertures
    Et
    Coutures
    Partout.


    Nuit arrière
    Yeux adossés


    Ne peuvent tomber.







    De l’autre côté





    360°





    (…)



    Jean-Louis Giovannoni, Envisager, I, Sous les portraits de Gilbert Pastor, Éditions Lettres Vives, Collection Terre de poésie, 20213 Castellare-di Casinca, 2011, pp. 11-12-14-15.







    Jean-Louis Giovannoni et Gilbert Pastor devant une toile de Gilbert Pastor
    Source



    JEAN-LOUIS GIOVANNONI


    Giovannoni
    Ph. © Fabienne Vallin
    Source





    ■ Jean-Louis Giovannoni
    sur Terres de femmes


    Envisager (lecture de Tristan Hordé)
    [Ne me laisse pas ici parmi les ombres !] (extrait de L’air cicatrise vite)
    Ce que l’immobile tient pour geste (extrait de Pastor, Les Apparitions de la matière)
    L’Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare (lecture d’AP)
    [Vue imprenable] (extrait de L’Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare)
    Voyages à Saint-Maur (lecture d’AP)
    [Huitième voyage à Saint-Maur]
    Îles circulaires
    [Il faut si peu de chose]
    Issue de retour (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Issue de retour (lecture d’AP)
    [Je ne sais pourquoi l’autruche me fascine autant] (extrait de Journal d’un veau)
    Mère
    [Notre voix] (extrait de Ce lieu que les pierres regardent)
    [Nous venons d’un pays qu’on ne peut plus toucher] (extrait de On naît et disparaît à même l’espace)
    [Pourras-tu encore témoigner…] (extrait des Mots sont des vêtements endormis)
    Sous le seuil (lecture d’AP)
    [Le jour se lève] (extrait de Sous le seuil)
    [toujours cette envie de t’ouvrir]
    [Tout se cicatrise] (extrait de Garder le mort)
    [Troisième voyage à Saint-Maur]
    Jean-Louis Giovannoni | Stéphanie Ferrat, « Les Moches » (lecture d’AP)
    Jean-Louis Giovannoni | Marc Trivier, Ne bouge pas ! (lecture d’AP)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur Poezibao)
    une lecture d’Envisager (par Isabelle Lévesque) [PDF]
    → (dans le n° 13 de la revue littéraire & artistique temporel)
    une autre lecture de Envisager (par Nelly Carnet)
    → (sur le site de la Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique sur Jean-Louis Giovannoni
    → (sur Secousse-08)
    un entretien de Jean-Louis Giovannoni avec Anne Segal & Gérard Cartier (novembre 2012)



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  • Raphaële George, Double intérieur  

    par Isabelle Lévesque

    Raphaële George, Double intérieur,
    précédé de L’Absence réelle,
    de Raphaële George & Jean-Louis Giovannoni
    Éditions Lettres Vives, collection Terre de poésie, 2014.



    Lecture d’Isabelle Lévesque



    « D’où vient cette musique où ne vibrent que déchirure, écartèlement ? »





    Où vit le double.

    À l’intérieur de soi, une autre instance, nécessaire et fragile, nous habite. Fragile, elle peut rompre. Le pas. La vie.

    Comment savoir que l’on existe sans le regard de l’autre ? Et quand cet autre s’éloigne, le lien se fait sentir : la peur qu’il se défasse surtout, que l’autre disparaisse. Pour conjurer cette disparition, cette absence dans laquelle on pourrait s’effacer, créer cet autre en soi, si différent et si proche, dont le regard accompagne et rassure, devient une nécessité. L’une écrit, l’autre peint. Plus jamais de monologue. La mort s’éloigne. On l’espère.

    Alors donner corps à ce double intérieur. Loin des figures, des gestes et des recours artificiels. Il faut le sortir de l’anonymat : en un être vivent Ghislaine Amon et Raphaële George (ce nom qu’elle choisit en mars 1984). Aucune ne joue au démiurge, il s’agit par le nom de reconnaître (de légitimer ?) celui/celle qui est. En soi. Nous regarde, nous soumet. Ce deux forme unité car l’intériorité vit de ces deux êtres. Le choix de Raphaële, Jean-Louis Giovannoni le précise, est signifiant : « en hébreu : Dieu guérit (de refa, guérir et El, Dieu) ». Indispensable préface qui nous éclaire sur la nécessité de ce nouveau nom. Pas un « thème littéraire », pas une figure de style : « quelque chose nous écoute à l’intérieur », c’est un « lieu », une « écoute interne » qui ne se dissocie pas de l’être. Rien n’est séparé : fusion. Tenter de faire exister les présences, celles qui se sont absentées, en soi : leur accorder un lieu, une existence. Forme de défense, ce « double intérieur » garantit la permanence de l’être, « poche où loger, se maintenir ». Forme maternelle, on y pense comme Raphaële George elle-même le note en des pages publiées par la revue Diérèse (Numéro 63 – automne 2014) : l’une porte l’autre (laquelle ? à tour de rôle ?). Deux identités coexistent portées par la voix de l’auteur. Raphaële George écrit à Ghislaine Amon (62, rue de Montreuil 75011 Paris), comme nous l’apprend Jean-Louis Giovannoni, dont la préface ouvre une porte sur le sens de ce double pour la poète. Même adresse, même corps, deux noms sans que l’un remplace l’autre, chacun est vivant en ce double.

    Or, dans Double intérieur, « Ghislaine Amon / Raphaële George occupe la place d’un mort ou plus exactement, écrit sous couverture de Joë Bousquet, elle devient son double intérieur ». Enchâssement, le double lui-même habité par un autre.



    La première partie (écrite en une semaine, indique Jean-Louis Giovannoni), L’Absence réelle1, propose un échange de lettres signées. Celui-ci fut écrit à la place d’un article envisagé, signé de Raphaële George et de Jean-Louis Giovannoni, portant sur les textes de Joë Bousquet. Le prenant trop à cœur, le projet suscita des symptômes chez Jean-Louis Giovannoni (la paralysie par un mimétisme terrible), passagers, certes, mais il fallut « briser cet espace de l’immobilité  ».

    Cette correspondance est précédée de quatre portraits de Joë Bousquet peints par Ghislaine Amon, les deux premiers sur des calques. On devine des traits, un visage, ils viennent peu à peu pour se révéler (au sens photographique) dans les deux derniers sur papier. Amorce du processus de naissance – le double vient à la vie, enchâssé, il existe, sa forme surgit de l’intérieur et le corps est donné par le nom, la lettre qui agit pour matérialiser l’être en soi.

    Édifiant concert de voix, de postface en préface, de Ghislaine Amon/Raphaële George et Jean-Louis Giovannoni en passant par Joë Bousquet, autant de destinataires et d’instances sur un terrain mouvant où chacun revêt un costume à sa taille, où l’autre se glisse et se trouve. Le lecteur suit/se perd, les pistes mènent à des identités déployées, nécessaires, où chacune éprouve dans son corps sa voix, la nécessité de l’autre.

    La filiation, la reconnaissance en un écrivain, aîné comme Joë Bousquet, le rend « plus vivant qu’un vivant ». C’est Joë Bousquet parlant par la bouche de Ghislaine Amon /Raphaële George, devenu « aura », « défi » lancé pour conjurer le silence ou l’absence, parole rendue par voix interposées. Multiple en un, sans réduction. Telle est l’affirmation de la première lettre qu’une seconde suit sans attendre de réponse, dans le désordre vivant de l’impulsion et de la nécessité. Elle affirme la « splendeur » du défi, invite le destinataire, Jean-Louis Giovannoni, à rompre le silence de l’admiration et de l’hommage pour rejoindre la folie, « acceptant la mort qui [l’]’habite », elle noue renaître au destin de l’absence. Dialectique du visage et de son effacement, cette correspondance ne la résout pas, elle la reconnaît posant des jalons sur sa nécessaire reconnaissance comme « la page blanche et l’apparition de [ses] mots ». Car Jean-Louis Giovannoni pose le lieu impossible (« territoire ») comme une constante : dans les livres, dans les photographies, dans le corps, nul ne tient. Pourtant le lieu traversé peut livrer, délivrance animale organique, la présence. Où sommes-nous (nous n’y sommes plus) ? Traversant/traversé, « inatteignable mouvement ».

    Sur les pourtours, une présence, l’absence réelle, frôlée, perdue/gagnée, cette altération, cheminement perceptible et fragile, « surface donnée » et soustraite. « [C]orps d’immobilité » lorsque Jean-Louis Giovannoni en proie au même mal que Joë Bousquet reste momentanément au lit, cloué en cette « absence réelle », or cette immobilité va de pair avec une fuite de la mémoire ; l’auteur « oublie » ce qu’il lit de Joë Bousquet, au fur et à mesure. Il s’éloigne et le poème s’ouvre, « disponibilité à être au bord du silence », « corps d’apparition », fantôme plus réel que le corps. Alors s’opère la délivrance, écriture du poème retenu qui s’absente. La douleur délivre, comme en miroir, la réponse « à la parole de celui qui a parlé le premier ».



    La seconde partie, Double intérieur2, regroupe des textes écrits entre 1977 et 1984.

    Le taxi, premier texte, montre un corps de mère « mutilé », « couvert de bandelettes », pareil à celui des momies :

    « ses yeux me regardaient dessous ».

    Les paupières semblent garder le corps scellé pour conserver « le son de nos voix ». Ce corps sans vie reste lieu de traversée livrant la narratrice à des visions : le corps se lève. Cercueil où gît la mère sans sa canne, membre essentiel pourtant, « sa force », le corps se redresse, « son regard sous les paupières », étonnantes, pour un reproche vivant. Conte fantastique ou réalité : mêmes images et voix de culpabilité.

    Le double se déplace, il est projeté sur une vitre réfléchissant à son tour une « autre face » qui nous permet « de nous voir de loin ». Les sections suivantes ont pour titres : Suaires, puis Drap, toiles d’un sommeil temporaire ou définitif. La mort laisse passer les voix sous les suaires. Couverture impossible, rien ne ferme, ni paupières, ni drap.

    Draps dans lesquels nous naissons, dormons, rêvons, aimons, mourons… Le drap peut devenir toile pour le peintre, support de sa création, prolongement de lui-même. Sur cette toile, c’est lui-même qui s’étend.

    « Pour la première fois, je me suis couchée au sol, le corps plaqué au plus fort de mes limites afin de tenter de disparaître entièrement, ne voulant pas céder au relief […]. […] les choses qui ont trop de relief ne disent plus rien. Elles perdent progressivement leur attrait. »

    Et finalement le drap devient suaire, ou bandelettes pour momie, comme celles qui entourent la mère morte, et toutes ces momies qui apparaissent dans le livre.

    Vit-on encore quand on vit parmi les morts, les fantômes ?

    Nous sommes un espace ouvert à nos fantômes comme à nous-même.

    Autant de multiples différés, réfléchis, les perceptions visuelles et sonores brouillées, réceptacles ou interstices, « interlignes » d’un livre polyphonique. Recherche de surface (carbone) où lire à l’envers un reflet, « miroir », aucune image simple pour trouver une « face possible ». L’écriture de même n’est pas faiseuse :

    « Au contraire, ses déformations infinies faisaient que nous ne pouvions nous penser, autres, qu’abandonnés. Je m’étais perdue. »

    Sous la plume, le trait du signe dérobé peine à se fixer :

    « Bien sûr mon écriture n’est pas de moi, ni la forme et ce qui se raconte sans moi, simplement remonte. Je ne suis qu’un écho lointain pour de vieilles images englouties. »

    Perpétuelle mouvance « dans la vague d’argent » du carbone. Je ne puis écarter ces portraits de Gilbert Pastor que Jean-Louis Giovannoni « envisage ». Comme si tout re-commencement faisait destin. Processus vivant perpétuel en nous d’un visage (une voix, nôtre/autre) à naître. Loi organique et psychique confondues :

    « Je faisais des signes, je les voyais voguer loin, ils rebondissaient probablement dans une oreille qui m’avait été choisie et que ponctuellement je remplissais par mes voix. Mais au moment de rencontrer l’autre, déjà elles avaient disparu. »



    La dernière section donne à lire des Pages du journal et Feuilles éparses ; plusieurs textes sont datés, liés aux pages précédentes par la nuit et la mort, l’« abandon » où les voix du double pigmentent la page (écrivent). Rêve de conservation, rêve de carbone devenu « immenses cellophanes […] sur une couche de terre aussi imperméable que l’or, prête à la conservation ». Étais, ces matériaux, plus sûrs que des impressions photographiques car nous lisons en eux les voix qui les traversent tout en étant gardées. La terre, première, redevenue « premier miroir » où se retrouver tel un masque écartant la « sinistre certitude de l’éphémère ».



    Isabelle Lévesque
    D.R. Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes





    ________________________________________
    1 Texte précédemment publié par Les Cahiers du double, en 1980, sous le titre Correspondance posthume imaginaire de Joë Bousquet à un jeune écrivain, puis par les éditions Unes, en 1986, avec le titre choisi par Jean-Louis Giovannoni : L’Absence réelle.
    2 Titre choisi par Jean-Louis Giovannoni.







    Raphaële George







    RAPHAËLE GEORGE


    Raphaële George





    ■ Raphaële George
    sur Terres de femmes


    Feu noir sur feu blanc, ou comment lire Raphaële George ? (chronique de Gisèle Berkman)
    Ghislaine Amon (Raphaële George) | [Ne parle pas, ne dis rien] (extrait du Petit Vélo beige)
    [Amour]
    [On ne devrait jamais arrêter d’écrire, ce qui est poésie surtout] (extrait de Je suis le monde qui me blesse)
    Suaires (extrait de Double intérieur)
    2 avril 1951 | Naissance de Raphaële George (+ extrait de Double intérieur)
    22 août 1978 | Raphaële George, feuilles éparses
    7 juin 1982 | Raphaële George, Journal
    3 février 1984 | Lettre de Raphaële George à Jean-Louis Giovannoni (+ La Main de Raphaële George, par Jean-Louis Giovannoni)
    30 avril 1985 | Mort de Raphaële George




    ■ Voir aussi ▼


    le site Raphaële George, créé par Jean-Louis Giovannoni




    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





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  • Raphaële George, Suaires (extrait)



    SUAIRES (extrait)



    Le vrai dans la fenêtre, ce n’était pas le côté où j’étais assise, mais bien cette autre face où les couleurs s’assombrissaient à peine. La pesanteur y reprenait, là, toute sa force — fascination de la mort en suspens revenue se figer à jamais dans la vitre — et par ce retour, il nous était donné de nous voir de loin. Je bougeais, eux ne bougeaient pas. J’y perdais mon ombre. Toute frontière s’anéantissait.

    (…)

    J’avais décidé, du jour où mes draps furent repliés provisoirement par manque de place, que je ne ferais plus, pour seul rite à mon existence, que construire mes symboles et mes signes sur la figure noire d’un carbone fripé où tout serait su en son envers.

    J’avais entendu parler depuis longtemps de ce carbone où corps et esprit, tous deux s’étaient fait combustion. Là sans doute je grifferais notre combustion à tous deux.

    Je le pris dans mes mains — le carbone était d’argent. En lui, je pressentais le lieu de la conservation.

    Plus je le gardais en mes mains, plus il se faisait miroir, et montait jusqu’à moi…

    Mais les reflets sur lui jamais ne se fixaient en une image simple. Au contraire, ces déformations infinies faisaient que nous ne pouvions nous penser, autres, qu’abandonnés. Je m’étais perdue.

    À l’aide d’un crayon, je traçais quelques lignes, sorte d’exercice par lequel je me guettais une face possible. Dès qu’un œil surgissait, je le saisissais pour le figer, mais à peine l’avais-je marqué qu’il roulait dans la vague d’argent.

    (…)

    Dans un long filament noir, il y avait eu un jour un visage, mais désormais nous hibernions dans le monde des anamorphoses où toute l’histoire redevenait possible.

    Comment était-ce possible de voyager, lorsque je donnais des rendez-vous que sans cesse je manquais ? Je ne pouvais pas parler au téléphone quand mon corps n’était pas là. Comment résoudre ces absences ?

    Je faisais des signes, je les faisais voguer loin, ils rebondissaient probablement dans une oreille qui m’avait été choisie et que ponctuellement je remplissais par mes voix. Mais au moment de rencontrer l’autre, déjà elles avaient disparu.

    J’aurais pu dire… violet, turquoise… turquoise violacé, violet turquoise… bleu par volonté de profondeur avec pour espace l’inégalité proportionnée de l’harmonie… Rien n’aurait changé. Et pourtant, entre mes mains, n’importe quel compositeur aurait entendu une musique — Moi qui n’ai jamais su lire la musique. D’où vient cette musique où ne vibrent que déchirure, écartèlement ? Alors que ce qui compte est cette façon de résumer l’espace sonore au toucher, à l’effleurement de l’invisible. Nos traces viennent nourrir l’enfer de la platitude tandis qu’erre en elles, l’ombre d’un noyé.



    Raphaële George, Double intérieur, Éditions Lettres Vives, Collection Terre de poésie dirigée par Claire Tiévant, 2014, pp. 66-67-68.







    Raphaële George





    RAPHAËLE GEORGE


    Raphaële George




    ■ Raphaële George
    sur Terres de femmes

    Double intérieur (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Feu noir sur feu blanc, ou comment lire Raphaële George ? (chronique de Gisèle Berkman)
    Ghislaine Amon (Raphaële George) | [Ne parle pas, ne dis rien] (extrait du Petit Vélo beige)
    [Amour]
    [On ne devrait jamais arrêter d’écrire, ce qui est poésie surtout] (extrait de Je suis le monde qui me blesse)
    2 avril 1951 | Naissance de Raphaële George (+ extrait de Double intérieur)
    22 août 1978 | Raphaële George, feuilles éparses
    7 juin 1982 | Raphaële George, Journal
    3 février 1984 | Lettre de Raphaële George à Jean-Louis Giovannoni (+ La Main de Raphaële George, par Jean-Louis Giovannoni)
    30 avril 1985 | Mort de Raphaële George



    ■ Voir aussi ▼

    le site Raphaële George, créé par Jean-Louis Giovannoni






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  • 2 avril 1951 | Naissance de Raphaële George

    Éphéméride culturelle à rebours



    Le 2 avril 1951 naît à Paris Raphaële George, de son vrai nom Ghislaine Amon.







    COQUILLE   Sans cela, je me renfermerai en ma coquille et nous créerons en nous l’exigence d’un tel non-lieu.
    Ph., G.AdC







    DOUBLE INTÉRIEUR (extrait)




    Je ne sais ce qui s’entame ici lettre ou écriture ? La parole a finalement quelque chose que je ne comprends pas très bien et qui m’échappe. Que te dire si ce n’est que la journée fut belle et que de nouveau tout s’étire dans le petit bord du silence. J’ai l’impression même en écrivant de forcer quelque chose. Ainsi ai-je la sensation étrange de désirer éteindre tout désir en moi, me faire si petite, si petite et si forte tout à la fois. Mes vêtements m’ont l’air complètement inutiles. Je sens tout avec une dérision effrayante de laquelle je sais venir une sauvagerie sans appel et sans nom ; un enfermement galope en moi si fort que je m’exile. Un deuil indéfinissable commence à naître contre quoi ma générosité perd, s’épuise et ne peut me raisonner. Je tente un dernier souffle d’intelligence que je veux puiser en mon travail et ne plus croire qu’à un seul acte de clarté authentique : Ma Création. C’est de là que peut émerger à nouveau ma plus grande sérénité. Je ne sais quel en sera le prix ni si tu pourras y figurer ?


    Ce que je voudrais possible frise la petitesse et m’éclate comme ce que j’appelle les petites peurs de cette terre qui nous rendent sans cesse à la bassesse. Or je hais toute bassesse. Et si tu veux une place dans ma vie sache faire le geste qu’il faut pour qu’il me fasse mesurer où est ton amour. Sans cela, je me renfermerai en ma coquille et nous créerons en nous l’exigence d’un tel non-lieu.



    Raphaële George, Double Intérieur, in Double Intérieur, précédé de L’Absence réelle (Raphaële George & Jean-Louis Giovannoni), Éditions Lettres Vives, Collection Terre de poésie, 20213 Castellare di Casinca, 2014, pp. 112-113.







    Raphaële George






    _____________________________________________
    NOTE d’AP : Double intérieur est disponible en librairie depuis le 18 avril 2014.





    RAPHAËLE GEORGE


    Raphaële George




    ■ Raphaële George
    sur Terres de femmes

    Double intérieur (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Feu noir sur feu blanc, ou comment lire Raphaële George ? (chronique de Gisèle Berkman)
    Ghislaine Amon (Raphaële George) | [Ne parle pas, ne dis rien] (extrait du Petit Vélo beige)
    [Amour] (extrait des Nuits échangées in Éloge de la fatigue)
    [On ne devrait jamais arrêter d’écrire, ce qui est poésie surtout] (extrait de Je suis le monde qui me blesse)
    Suaires (autre extrait de Double intérieur)
    22 août 1978 | Raphaële George, feuilles éparses
    7 juin 1982 | Raphaële George, Journal
    3 février 1984 | Lettre de Raphaële George à Jean-Louis Giovannoni (+ La Main de Raphaële George, par Jean-Louis Giovannoni)
    30 avril 1985 | Mort de Raphaële George (+ notice bio-bibliographique)



    ■ Voir aussi ▼

    le site Raphaële George, créé par Jean-Louis Giovannoni





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  • Paulina Vinderman | [Il n’y a pas de frontières au pays de la mémoire]





    Parfum Platino de Dana







    [NON HAY FRONTERAS EN EL PAÍS DE LA MEMORIA]


    15


    No hay fronteras en el país de la memoria ;

    hasta puedo tachar el horizonte, palpar el cielo oscuro
    como carbón de minas que me ensucia las manos.

    El poema es una tierra sin distinción, donde marzo
    es tan prometedor como noviembre y donde las hojas
    huelen a “Platino de Dana” en el ropero materno.

    Sin embargo, cuando anochece, anochece también
    en mis palabras.
    Cierro el cuaderno y parto hacia una habitación
    con ventana, donde poseo el presente borroneado
    como si nunca dejara de llover.

    (Los bolsillos llenos de palabras para una luna futura.)






    [IL N’Y A PAS DE FRONTIÈRES AU PAYS DE LA MÉMOIRE]


    15


    Il n’y a pas de frontières au pays de la mémoire ;
    je peux même rayer l’horizon, palper le ciel obscur
    comme du charbon de mine qui me salit les mains.

    Le poème est une terre indistincte, où mars
    est aussi prometteur que novembre et où les feuilles
    sentent « Platino de Dana* » dans la penderie maternelle.

    Pourtant, lorsqu’il fait nuit, il fait aussi nuit
    dans mes mots.
    Je ferme mon cahier et je vais vers une chambre
    avec fenêtre, où je possède un présent griffonné
    comme s’il ne cessait jamais de pleuvoir.

    (Les poches pleines de mots pour une lune future.)


    *Marque de parfum. (N.d.t)


    Paulina Vinderman, Barque noire | Bote Negro, édition bilingue, Éditions Lettres Vives, Collection Terre de Poésie, 20213 Castellare di Casinca, 2013, pp. 40-41. Traduit de l’espagnol (argentin) et présenté par Jacques Ancet.






    Paulina Vinderman...





    PAULINA VINDERMAN


    Vignette PAULINA VINDERMAN
    Source



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    le site de Paulina Vinderman
    → (sur A media voz)
    plusieurs poèmes de Paulina Vinderman dits par leur auteure





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