Étiquette : Éditions Nous


  • Pauline Von Aesch, Nu compris

    par Isabelle Lévesque

    Pauline Von Aesch, Nu compris,
    Collection disparate, Éditions NOUS, 2012.



    Lecture d’Isabelle Lévesque


    In medias res.

    Transition, aucune. Pas d’élaboration progressive, une entrée qui respecterait des étapes, une durée pour s’acclimater. Nu compris nous plonge. Syntaxe nue, privée d’outils de détermination (pas ou peu d’articles en page liminaire). Mots alignés. Géométrie tentée, d’un point à l’autre – deux visé, refuse de se constituer malgré corps en ébats.

    Mathématiquement :

                      « isolement des peaux
                      semblent
                      figure quelconque
                      trouvant son axe
                      […]
                      faire deux
                      d’une tentative


                      par une symétrie proche de l’écart à réduire »


    Le vocabulaire exprime les répartitions :

                      « étendue barre de fraction
                      longée

                      combien de morceaux perdus lors du partage »


    Il enregistre aussi des modifications :

                      « se change la perpendiculaire en parallèle
                      à minuit dix je suis sans réponse
                      à mon tour annulée »


    Angle mathématique et conte intégrés.

    Nu veut deux, trouve un. Un(e), ne sait. Débat. Écrit des poèmes à dormir debout, la syntaxe à l’envers de la grammaire. Les terminaisons « e » sont dispersées, les pronoms objets multipliés, élidés, placés à l’incongru (« m’ectoplasme », « s’être ici », « s’elle-même », « que tu l’as me vue brunir »…).

    Vide ou creux. Langue, lieu désaffecté. Vacuité des syntagmes à tailler pour que dire soit exact. Le récit arrive au point de rupture :

                      « tu me vouloir tu

                      accéder prends la cuisse en collier
                      tu
                      pour le vouloir tu
                      dépose
                      pour s’accomplir »


     Pronom nu énoncé, répété, encadrant (barreaux) le vers. Sections. Quatre divisent le livre dont les figures de séparation se multiplient (s’enchaînent).

    Projet dé-mené. Impasse ou figure non accomplie. Le un, « je », seul, réduction à soi. Malgré les tentatives :

                      « rapide avec des hanches en saccade
                      ou des mains fermées sur cela signifie
                      un tu perdu ».


    La géographie, « latitude longitude », entérine le séparé, un et un, alors :

                      « me suffire être fille
                      au nu coulé

                      tu rester tu dû en moi

                      sortir de là »


    Les gestes, la relation, la sexualité n’aboutissent pas à la fusion :

                      « protégée par la page
                      qui me met hors de la vie
                      ne me touche
                      ne me parle
                      ne m’aime
                      ma page

                      la virgule fait son corps brisé

                      tombé qui te ne sert »


    Négation incomplète, mots en réduction et place de l’adverbe bousculée finalement (ou « voir et ne que voir »), l’écriture enregistre, dit l’écart, elle porte trace du morcellement et la perte de certains éléments. Une image s’impose, elles sont rares dans ce premier livre de Pauline Von Aesch, celle du corps de la virgule altéré dans son dessin, or Pauline Von Aesch n’en utilise pas dans Nu compris. Elle emploie à plusieurs reprises « nu understand », qu’elle scande pour que ne soit pas entendu « compris » comme une inclusion mais une tension vers l’autre, destinataire absent-présent, amour-amant, deuxième élément du « un » qui manque. Irrémédiable.

    L’écartement (l’écartèlement) se lit aussi sur la page, la dispersion d’une lettre signifiante qu’on n’a pu retenir :

                      « je suis parti
                      e de l’appartement »


    Les sons peuvent également se télescoper, s’appesantir, une-deux-dune :

                      « la hanche
                      a cessé tout roulement

                      forme une
                      due demie d’une »


    « e » égaré du deux constitué, féminin perdu quand la poésie ne compte qu’un –e et que la page perd ce qu’elle comptait de certitude. Écrire ne soigne pas. Énonce. « e » cherché, pas recouvré, perdu dans le participe passé « fillée » qui n’existe pas. Les tentatives se soldent, se désolidarisent, s’amoncellent et la solitude est cernée :

                      « et que nu et nue
                      invalidation »


          La langue, disséquée, révèle, comme en photographie, elle ne fait pas écran, elle ne joue pas. Elle livre au risque de perforer des règles, elle souffre aussi.



    Isabelle Lévesque
    D.R. Texte Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes (25 août 2012)







    Von Aesch, Nu compris






    ■ Pauline Von Aesch
    sur Terres de femmes

    [j’ai en cette tête des échappatoires](extrait de Nu compris)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions NOUS)
    une fiche sur l’auteur et les premières pages [PDF] de Nu compris



    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations





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  • Jean Daive | [Le monde est maintenant visible]



    Je compte les mâts penchés près du rivage.
    Ph., G.AdC






    [LE MONDE EST MAINTENANT VISIBLE]



    Le monde est maintenant visible
    entre mers et montagnes.


    Je marche entre les transparences
    parmi les années
    les fantômes
    et le matricule de chacun.


    Les pierres
    les herbes sont enchantées.


    Tout se couvre
    jusqu’au néant
    de pétroglyphes.


    Je compte les mâts
    penchés près du rivage.


    À perte de vue, la prairie des cormorans
    car chaque maison est un navire
    qui se balance.


    Plutôt le crime ou plutôt
    la mort des amants ou
    plutôt l’inceste du frère
    et de la sœur ou ―


    je prends le temps
    de manger une orange.


    Dans ces moitiés d’assiettes et
    autres fragments trouvés
    avec pierres taillées, dessinées ou peintes
    masse de cailloux, graviers avec sable
    mesurent un site
    une ville que j’explore
    avec l’énergie d’un oiseau.





    Jean Daive, L’Énonciateur des extrêmes, Nous, 2012, pp. 39-40.






    Daive, L'Enonciateur des extrêmes





        NOTE : dans L’Énonciateur des extrêmes, Jean Daive aborde la question de la grande amitié qui lia les deux poètes américains Charles Olson (1910-1970) et Robert Creeley (1926-2005), dans ce qu’elle pouvait avoir d’éclairée, d’énigmatique et/ou d’éphémère. Une amitié qui donna lieu à une riche correspondance, depuis lors éditée en 10 volumes. Dans cet ouvrage, Jean Daive tente de tramer un contrepoint les sujets qui préoccupent le plus les deux amis — la civilisation de l’Indien pour le premier, la civilisation de l’animal pour le second.
        Quant au terme énonciateur utilisé dans le titre, il s’agit d’un hapax que Jean Daive a retrouvé dans un hommage posthume que rendit Mallarmé à son ami Villiers de l’Isle-Adam, une conférence prononcée en février-mars 1890 dans laquelle Mallarmé qualifie son ami d’énonciateur de merveilleux discours.
        Une première version de L’Énonciateur des extrêmes a paru dans le CCP n° 20 (Cahier Critique de Poésie du cipM [centre international de poésie Marseille], octobre 2010) consacré à Charles Olson et au Black Mountain College.





    JEAN DAIVE


    Jean Daive
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du cipM)
    une bio-bibliographie de Jean Daive
    → (sur le site d’Éric Pesty Éditeur)
    une autre bio-bibliographie de Jean Daive
    → (sur Terres de femmes)
    Charles Olson | Maximus, to himself | Traductions croisées Danièle Robert/Angèle Paoli/Auxeméry






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  • Aurélie Loiseleur | Entrées en éléments



    Enduit de pluie reluit sans diluer les contours militent pour durer en couleurs
    Ph., G.AdC







    ENTRÉES EN ÉLÉMENTS | EXTRAIT




                                    Espace
    que provoque la pluie : à demi.
    Attire jette dans l’abri de tomber se trouve fuir aussi.
    Percussion de la pluie aux pieds de feutrine
                           inscrit l’espace moins plein : en mille.
    Insectes se terrent criblés par ce gravier de vivre.
    Enduit de pluie reluit sans diluer les contours militent
                           pour durer en couleurs.
    Vol sous des cordes fend le rideau transparent
                          d’apparence :
    plumes reviennent au départ imperceptible sur place : mer
    verticale rend les terres labiles.
                           Branchies d’arbres respirent au rythme
    de chute un peu chacun ravive en soi le poète :
    semis de pluie délicatement entre cils du cœur
                           humecte.





    Aurélie Loiseleur, Entrées en éléments in Entrées en matière, Éditions Nous, 2010, page 20.




    __________________________________
    NOTE d’AP : Aurélia Loiseleur a aussi publié Gens de peine et Grand-Monde sous le patronyme d’Aurélie Foglia.






    Loiseleur matière





    AURÉLIE FOGLIA [LOISELEUR]


    Foglia
    Source




    ■ Aurélie Foglia [Loiseleur]
    sur Terres de femmes


    Comment dépeindre (lecture d’AP)
    [décrire peindre écrire dépeindre désécrire] (extrait de Comment dépeindre)
    Entrées en matière (lecture de Tristan Hordé)
    Gens de peine (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Gens ne s’appellent pas] (extrait de Gens de peine)
    [tic-tac de la pluie] (extrait de Grand-Monde)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions NOUS)
    la fiche de l’éditeur sur Entrées en matière





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  • Aurélie Loiseleur, Entrées en matière

    par Tristan Hordé

    Aurélie Loiseleur, Entrées en matière,
    éditions NOUS, 2010.



    Lecture de Tristan Hordé



    On ne peut isoler ces manipulations qu’en insistant sur le fait qu’elles sont intégrées dans un ensemble, et que c’est le tout qui fait sens
    Ph., G.AdC







    UN PEU À CÔTÉ DE LA LANGUE



    On peut suivre bien des voies pour aborder ce livre singulier et complexe d’Aurélie Loiseleur, en commençant par exemple par s’intéresser au titre qui résiste à la lecture. Qu’est-ce que « entrée en matière » ? L’exorde d’un discours : alors les sept parties — entrées en, successivement, éléments, corps, l’autre, poésie, animal, homme, mort — peuvent être prises pour des amorces de récit. Mais c’est aussi l’action d’aller à l’intérieur, donc de creuser dans cette matière diverse, d’en parcourir l’étendue, la mémoire. La possibilité de multiples lectures est ainsi annoncée par ce titre. Cependant, avant de commencer les « entrées », une dédicace : « À revivre », accompagnée en bas de page d’une glose ; contrairement au Livre de Sortir au jour des anciens Égyptiens, «&nbspLes Entrées en matière s’attachent aux incarnations d’avant la mort. De partout se lit le livre : n’a que des entrées ». Naissances, recommencements, répétés de diverses façons. Il faudrait commenter la lourde symbolique du partage en sept ; retenons que la fusion du je et du elle (dans « Entrées en animal ») aboutit à jelle et que l’on a son homologue jil — quaternité (féminine) et trinité (masculine) ; ou qu’une allusion à la création selon la Bible apparaît dans « Entrées en mort », « agglutinés piaillant autour de l’Arbre de Méconnaissance s’arrachent les fruits suris à l’instant ».

    Restons-en à ce que recouvre « poésie », notamment dans la partie centrale qui est précédée, et c’est la seule, d’un extrait en exergue. Une longue citation de William Carlos Williams met en scène « un homme de renom » qui examine les poèmes d’un ami, n’y trouve rien d’immédiatement compréhensible et le met en garde contre le risque d’une « parfaite préciosité ». Le poète constate l’étroitesse d’une imagination qui juge trop vite et « pense en lui-même : Et pourtant, de quoi d’autre la grandeur est-elle faite que du pouvoir d’anéantir des demi-vérités pour atteindre au millième d’une exacte compréhension ». Rien qui soit « lisible », à ânonner, dans la poésie d’Aurélie Loiseleur ; précisons : « poésie râpe », «&nbsparrache ce masque à voix cartonnée » ; la rhétorique du vers ? « assez de vers de vernissage », « assez le vers a exercé métier maudit moderne d’instruire fasciner cliquetis des mètres assez déclamé assez fiche », etc. Pas de prose qui se substituerait au vers, je transforme volontiers « secoue sa rose en peau » en « secoue sa prose en eau ».

    Si l’on ne fait que regarder le texte, il occupe la page en dessinant une forme toujours nouvelle de l’ouverture aux derniers mots, complexe dessin qui oblige la voix/la lecture silencieuse à des modulations, des arrêts, des lenteurs, des accélérations, des silences — « phrase s’étire dans toutes les dimensions ». Mais encore ?


    Ce que tente poémiser ?

    Un recommensemencement. [p. 89]


    Re-naître, en accordant la plus grande importance au signifiant ; cela se dit ici par un mot-valise, on en relèvera d’autres au fil de la lecture, toujours pertinents, comme psycuré, deshérotisé, despoétique, fenaître par exemple, exigeant que le lecteur s’attarde, ce qu’il fait avec les ambiguïtés phoniques (« Il prit. // Il prit ce dieu-dit pour père », les détournements d’expression par changement phonique (« faire fesse au danger ») ou de mot (« Toujours sur le qui-meure » ; « fils de flûte » suivi de « avec ta toque de poète impuissant de la p… blanche »), le passage d’un mot à l’autre (de « ciel cingle » à « cintre », « la secte des insectes »). Il faut entendre ce qu’affirme Aurélie Loiseleur par le biais d’une contrepèterie : « tout est offert par l’effort », et mettre sa lecture à l’épreuve.

    On repère des « anomalies » syntaxiques (« On pleut », « il prose »), l’ordre des mots peut être bouleversé : « Souvenirs grainent certains sans fleurir » ; dans « hommes embouchaient ses seins triomphants devenaient sonores », un groupe (« ses seins triomphants ») peut être à la fois complément d’un verbe (« embouchaient ») et complément d’objet d’un autre (« devenaient »), et « hommes » peut être lu sujet des deux verbes. On se souvient des grands discours tenus sur la poésie avec « grand rimage d’harmonie préétablie » quand Aurélie Loiseleur joue avec les voyelles (« Dehors triole un vieux rossignol [= le poète rimeur] que ses souvenirs rissolent », « ardue ardue ample âme assemblable ») ou avec consonnes et voyelles : « p » et les nasales (« peau est pont / passant dans son perméable idées s’interposent elle pense avec ses sens ») ; etc. On ne peut isoler ces manipulations qu’en insistant sur le fait qu’elles sont intégrées dans un ensemble, et que c’est le tout qui fait sens. Alors : « que tout reprenne / reparte du pied de la langue ».

    Cette poésie qui s’écrit « un peu à côté de la langue » est par l’emploi jubilatoire de la rhétorique du vers un art de la mémoire. Elle l’est encore par l’usage fait, ici et là, des genres littéraires, par les allusions à des œuvres. La forme dialoguée du conte pour enfant est explicitement empruntée, et détournée : « — Conte-moi le corps maman // — Il est une fois vif. Acéré. […] » Avec le jeu des questions on est vite à la fin : « il était une fois mort // — Pourquoi ? / Pour que la mémoire souffle dessus. // — Alors ? / Rien. La mort abîme. » Le lecteur lira une page écrite à la façon d’une comptine, reconnaîtra ailleurs une parodie d’un sonnet de Ronsard et se souviendra d’autres récits (« odyssées s’oxydent », « l’homme ras », etc.), parcours chaotique et vivifiant dans la littérature — « Théorie rassemble les doigts en poings. / Entre en matière (chanson de geste) ».

    La langue est sans cesse altérée, c’est-à-dire réinventée, dans tous ses états, et l’on se surprend à la lire si foisonnante, si neuve, d’autant plus que la maîtrise rhétorique n’aboutit pas du tout à de simples jeux mais à écrire « une Poésie néologue à partir du monde sans le / quitter ». Le réel, le réel le plus vif est là, sous ses aspects les plus variés, le corps labyrinthique, très présent, « seul paradis », vivant selon une « physique cantique ». Le réel, c’est la naissance et ses suites (« Par le goulet d’étranglement / de naissance / sitôt engagé est fait prisonnier »), la soumission à l’opinion (« Adhère à des idées sans vérifier la date de péremption »). Le je et le tu sont présents, mais sans le lyrisme aveugle facile 1 : « Tu : séduisant substitut du je pour / l’entrée dans l’afiction », sans les faux serments : ici le réel est rétabli (« Je te le jure je m’aimerai jusqu’à ta mort »). Comme le reste le lyrisme est toujours à construire, sinon le risque est d’écrire une poésie ornement, sans résistance à la lecture ; soyons clairs, « que d’autres s’accablent de bonheurs accessibles ». On se souvient de Musset, « Ah ! frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie », et Aurélie Loiseleur répond, avec « prouve » récrit en « pourvu », le lyrisme n’est pas dans l’exaltation du je :


                      Poésie poignante écrite avec le poing cœur dans le poing
                                                                                          à rompre
                      prouve qu’il y a quelqu’un              incorpore ce manteau de langue
    joue de l’ombre ta vie
                                                                                          brève longue longue

    pourvu qu’il y ait quelqu’un [p. 80]


    Ce n’est pas la première fois, certes, qu’un écrivain place le lecteur devant sa responsabilité : contrairement à ce que notre société suggère sans cesse, la lecture, active, n’a pas à être facile, les textes résistent, y « surgissent de réelles aspérités », les livres « sont à reprendre naissance // les lire les vivant comme les écrire ». C’est la seule manière de vivre la langue, de la faire renaître, de comprendre aussi quand est le réel dans un livre (de poésie). Les derniers mots appartiennent à Aurélie Loiseleur :


    Le Beau ne me dit rien.
    Le Vrai ne me touche pas.
    Le Juste ne me regarde pas.
    Dieu ne se mêle pas de moi.

    Mais la vie me parle et le monde me captive.
    [p. 97]




    Tristan Hordé
    D.R. Texte Tristan Hordé
    pour Terres de femmes




    _______________
    1. À propos du renouvellement du lyrisme dans Entrées en matière, on se reportera au compte rendu de Philippe Beck dans Sitaudis.fr.




    _____________
    NOTE d’AP : Aurélia Loiseleur a aussi publié Gens de peine et Grand-Monde sous le nom d’Aurélie Foglia.






    Loiseleur matière





    AURÉLIE FOGLIA [LOISELEUR]



    Foglia
    Source




    ■ Aurélie Foglia [Loiseleur]
    sur Terres de femmes


    Comment dépeindre (lecture d’AP)
    Entrées en éléments (extrait d’Entrées en matière)
    [décrire peindre écrire dépeindre désécrire] (extrait de Comment dépeindre)
    Gens de peine (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Gens ne s’appellent pas] (extrait de Gens de peine)
    [tic-tac de la pluie] (extrait de Grand-Monde)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions NOUS)
    la fiche de l’éditeur consacrée à Entrées en matière



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