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  • Mario Luzi | Cahier gothique, VII



    QUADERNO GOTICO, VII




    Era una viva attesa che raggiava
    in te paura e tremito ed in me
    sensibile delizia d’inoltrarmi
    fra gli alberi, di bere alle fontane.
    Il barbaglio delle acque vaghe, il cielo,
    le ombre quiete nell’aria animata,
    anche il vento moveva in me il sorriso.

    Era la stessa febbre che ci estrania
    rapidamente dai morti e ci svia
    mentre restano soli fra le torce
    nell’immane fatica di scavarsi
    la strada fra le rocce d’ombra, stanchi
    e intenti a penetrare fino al fondo.
    Ne vedesti il profilo aguzzo, accanto
    riposano le mani estenuate.







    CAHIER GOTHIQUE, VII




    C’était une attente vive qui irradiait
    en toi crainte et tremblement et en moi
    le délice sensible de m’avancer
    entre les arbres, de boire aux fontaines.
    L’éblouissement des eaux errantes, le ciel,
    les ombres calmes dans l’air animé,
    même le vent suscitait en moi le sourire.

    C’était la même fièvre qui nous exile
    rapidement des morts et nous détourne
    tandis qu’ils restent seuls parmi les torches
    dans l’énorme labeur de se creuser
    une route parmi les roches d’ombre, las
    et attentifs à pénétrer jusqu’au fond.
    Tu en vis le profil acéré, tout près
    les mains exténuées reposent.




    Mario Luzi, Cahier gothique (1945), in Cahier gothique précédé de Une libation, édition bilingue, éditions Verdier, Collection « Terra d’altri », 1989, pp. 116-117. Traduit de l’italien par Jean-Yves Masson.





    Luzi  Cahier gothique montage





    MARIO LUZI


    Mario Luzi Guidu 2
    Image, G.AdC






    ■ Mario Luzi
    sur Terres de femmes


    Diana, risveglio (poème extrait d’Une libation)
    Dove l’ombra (autre poème extrait d’Une libation)
    En mer (poème extrait de L’Incessante Origine)
    Il pensiero fluttuante della felicità (autre poème extrait de L’Incessante Origine)
    Nature (poème extrait de La Barque)
    Près de la reine de Saba (note de lecture sur Trames + extrait)
    Primitiales (note sur Prémices du désert)
    Quanta vita (poème extrait de L’Incessante Origine)
    Stupore d’ultramattutina luce (poème extrait de Caravane)
    [Vita o sogno ?]




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de l’encyclopédie Treccani)
    une notice bio-bibliographique (en italien) sur Mario Luzi
    → (sur le site des éditions Verdier)
    une notice bio-bibliographique sur Mario Luzi
    le site du Centro Studi Mario Luzi La Barca
    → (sur cairn.info)
    La poétique comparatiste de Mario Luzi, par Jean-Yves Masson






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  • Bernard Simeone | Madonna del Parto


    Madonna particolare
    Piero della Francesca, Madonna del Parto, v. 1455 (particolare)
    Museo della Madonna del Parto, Monterchi








    MADONNA DEL PARTO



    Le gardien, qui a finalement consenti à nous ouvrir, ne quittera pas son siège un seul instant, surpris qu’on puisse encore admirer ce qui fait depuis longtemps son quotidien. Venir voir dans la cité des morts une Vierge de l’enfantement… Mais dans quel lieu serait-ce plus légitime ?

    Lourdement aviné, il oscille à présent au bord du sommeil. Sur le mur de la chapelle, la Vierge enceinte forme avec lui un duo surréel, ou plutôt avec son indifférence qui nous paraît scandaleuse : les femmes des environs la supportent-elles, entre ces murs, quand elles viennent y conjurer les périls qui pourraient menacer leur grossesse ? Une conjuration si pressante qu’après-guerre la commune, sollicitée pour une exposition, refusa de prêter la fresque, de peur qu’il n’arrivât malheur en son absence.

    Dans son impudeur, dans sa trivialité, cet homme encore jeune s’accorde mieux aux traits de la Vierge que nos regards. Aux abords de l’engendrement, de la genèse en un corps de femme, comment avouer autre chose qu’une opacité semblable au sommeil, une pose pétrifiée, celle qu’adopte un des soldats endormis de La Résurrection, à Borgo San Sepolcro ? Ce serait, soutient-on, un autoportrait. Se peut-il vraiment qu’une telle somnolence, une telle pesanteur à l’égard du monde, rappelle le visage qui fut celui de Piero della Francesca ? Quel ordre avons-nous donc interrompu, auquel ce gardien participe en s’abandonnant avec la désinvolture d’une longue familiarité ?






    Piero della Francesca  Resurrezione
    Piero della Francesca, Resurrezione (affresco)
    Museo Civico, Sansepolcro (provincia di Arezzo)






    Le manteau bleu de la Vierge s’entrouvre en une fente étroite, verticale, sur la ligne, impossible à situer mais de tous temps franchie, qui sépare le corps du désir du corps de l’enfantement. Deux anges semblables et charnels écartent les tentures de part et d’autre pour qu’à pleins regards nous la voyions, elle, une main sur la hanche, l’autre effleurant l’intime, ou le désignant, vertigineuse et placide.



    Bernard Simeone, « Madonna Del Parto », Acqua fondata, éditions Verdier, 1997, pp. 107-108.






    Bernard Simeone  Acqua fondata



    PIERO DELLA FRANCESCA


    Piero della Francesca  Autoritratto 2
    Piero della Francesca, Autoritratto
    Resurrezione (particolare)
    Museo Civico, Sansepolcro





    ■ Bernard Simeone
    sur Terres de femmes


    Encre d’une disparue



    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Verdier)
    plusieurs pages consacrées à Bernard Simeone




    ■ Piero della Francesca
    sur Terres de femmes


    Yves Bonnefoy | Une silencieuse ordalie
    Erri De Luca, Piero della Francesca
    [Anne-Marie Garat, I] Piero della Francesca | La Madonna del Parto
    [Anne-Marie Garat, II] Piero della Francesca | La Madonna del Parto
    Michaël Glück, L’Enceinte
    Mario Luzi | Près de la reine de Saba
    Angèle Paoli | [Te souviens-tu de la Madonna del Parto ?]
    12 octobre 1492 | Cole Swensen, Mort de Piero della Francesca





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  • Mathieu Riboulet | Passé le pont



    PASSÉ LE PONT



    Passé le pont, les fantômes vinrent à ma rencontre. C’est ce que nous avons fait cette année : nous avons passé le pont, et nous sommes tous encore ici, mais les fantômes, il s’en trouve toujours, ne sont pas hostiles. Il n’y a que les hommes de pouvoir et les hommes d’Église, les hommes habilités à jeter des ponts, pour penser que les fantômes sont des ennemis. Pour nous qui franchissons ces ponts, et ce faisant décidons de laisser venir les âmes errantes à notre rencontre, ce sont des présences apaisantes, ils sont notre devenir. Ils sont ailleurs, nous sommes ici, demain ce sera l’inverse, quelle importance ? Chaque jour des arbres tombent et des ponts sont coupés. Restent lumière, vent, pierres, sable et odeurs d’ici, lumière, vent, pierres, sable et odeurs d’ailleurs, restent nos vies inquiètes et nos élans joyeux. Nous vivons dans des ruines et avec des fantômes, des matières mortes, des matériaux vivants, des événements violents dont nous ne savons plus s’ils ont eu lieu ou non, et, restons pascaliens : nous ne sommes pas au présent ; mais si le présent est un lieu, où sommes-nous alors puisqu’il nous est impossible d’être partout comme d’être nulle part ? Nous sommes là où notre présence fait advenir le monde, nous sommes pleins d’allant et de simples projets, nous sommes vivants, nous campons sur les rives et parlons aux fantômes, et quelque chose dans l’air, les histoires qu’on raconte, nous rend tout à la fois modestes et invincibles. Car notre besoin d’installer quelque part sur la terre ce que l’on a rêvé ne connaît pas de fin.



    Mathieu Riboulet, Nous campons sur les rives, Lagrasse, 7-11 août 2017, éditions Verdier, 2018, pp. 35-37.






    Mathieu Riboulet  Nous campons sur les rives





    MATHIEU RIBOULET


    Mathieu Riboulet
    Source




    ■ Mathieu Riboulet
    sur Terres de femmes

    [Le sexe ça n’est pas séparé du monde] (extrait d’Entre les deux il n’y a rien)
    Septembre 1972 | Mathieu Riboulet, Entre les deux il n’y a rien
    9 mai 1978 | Mort d’Aldo Moro in Mathieu Riboulet, Entre les deux il n’y a rien
    L’Amant des morts (lecture d’AP)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    29 septembre 1571 | Naissance de Caravage (+ un extrait des Œuvres de miséricorde de Mathieu Riboulet)






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  • 9 mai 1978 | Mort d’Aldo Moro in Mathieu Riboulet, Entre les deux il n’y a rien

    Éphéméride à rebours



    Le 9 mai 1978 meurt à Rome l’homme d’État italien Aldo Moro. Ancien président du conseil national de la Démocratie chrétienne, Aldo Moro est enlevé en mars 1978 par les Brigades rouges. Séquestré dans les environs de Rome, il meurt assassiné quelques semaines plus tard. Le 8 mai 2018, Libération titre à la « une » du journal : « Quarante ans après, l’assassinat d’Aldo Moro hante encore les consciences ».





    MATHIEU RIBOULET, ENTRE LES DEUX IL N’Y A RIEN (extrait)



    Dans cette chronologie réelle que je découpe comme une fiction, la fin de mon séjour en Italie a coïncidé peu ou prou avec la mort d’Aldo Moro, et je n’ai pas ressenti avec la même acuité que Massimo et ses amis l’aspect inexorable du processus de cette captivité et de son achèvement tragique, comme j’eusse pu le faire si, hypothèse d’école, Action directe, dont l’heure n’avait pas encore tout à fait sonné, avait enlevé et tué Mendès-France, dont l’heure était passée… Ce qui arrive au pays, aux hommes du pays, qui passe par la langue du pays, s’inscrit au corps plus sûrement et plus directement que ce qui doit transiter par l’analyse, la traduction, le sentiment d’étrangeté ; ça s’inscrit aussi, mais autrement, plus lentement. À l’exception des Brigades rouges, tout le monde voulait qu’Aldo Moro meure. Ça sonne comme une énormité, mais c’est irréfutable. Et ça ne dédouane pas les Brigades rouges, car évidemment si elles ne l’avaient pas enlevé personne n’aurait été conduit à préférer sa mort à sa libération. Voilà les mâchoires du piège, les données du problème, les parois de l’entonnoir, comme on voudra. Ça je l’ai su sur le moment, là-bas à Rome, grâce à Massimo, à tous les gens dans la ville qui, malgré les diversions confuses, l’amplification de la paranoïa par les médias, la désinformation généralisée via l’intervention supposée d’à peu près tous les services de renseignements du monde, népalais inclus, continuaient à réfléchir et à produire des analyses collectives acérées mais à peu près inaudibles. Je suis heureux d’avoir pu les entendre, même si, d’une certaine manière, ça rendait les choses encore pires que si elles m’étaient arrivées filtrées par la presse, à Paris, où l’on ignorait tout, ou presque, des enjeux italiens.

    Chacun savait qu’il n’y avait probablement pas un homme de quelque importance dans la hiérarchie de la Démocratie chrétienne qui ne dût quelque chose à Moro, et la signature imminente, mais reportée, du compromis historique avec le PC faisait des dirigeants de ce dernier mêmement des obligés de Moro. Tout ce beau monde campa d’emblée sur des positions très fermes : on ne négocie pas avec les terroristes, air connu. Négocier, en effet, c’est reconnaître à l’autre une légitimité, c’est donc, en l’occurrence, entamer un dialogue de nature politique entre des forces qui s’affrontent et se reconnaissent mutuellement comme opposées. Moro, en fin tacticien, avance dans ses lettres aux divers responsables de son parti et du gouvernement l’argument que rien n’oppose à une telle négociation, qui tournerait autour d’un échange de prisonniers (les principaux fondateurs des Brigades rouges étaient incarcérées), que l’histoire fourmille d’exemples d’États ayant procédé à de telles tractations, voire à des paiements de rançon, sans pour autant déchoir, que l’Italie, honnêtement, n’en est pas à un petit arrangement près ; que la ligne du refus, en revanche, débouche immanquablement sur la mort de l’otage ; et qu’il ne peut concevoir que ses amis politiques envisagent une telle issue, sinon sereinement, du moins sérieusement. On sait désormais qu’au même moment, au cours des entretiens quotidiens qu’il a avec ses ravisseurs, Moro tergiverse finement mais finit par dire des choses de la plus haute importance concernant le fonctionnement et les dérives de l’exercice du pouvoir par la Démocratie chrétienne ; évidemment il le fait à sa manière, dans une langue aussi sophistiquée que ses raisonnements politiques subtils et infinis, une langue « aussi incompréhensible que le latin » comme l’a écrit Pasolini, une langue que les Brigades rouges ne comprennent pas parce qu’ils ne la parlent pas. C’est, au sens le plus strict du terme, ce qu’on appelle un dialogue de sourds. L’État, de son côté, refuse tout dialogue mais tergiverse aussi, cherche à gagner du temps, cherche surtout à localiser Moro, qui est à peu de chose près sous son nez, à sept kilomètres sept cents du Palazzo Quirinale, où loge le Président de la République, Giovanni Leone, sept kilomètres deux cents du Palazzo Chigi, où siège le président du Conseil, Giulio Andreotti, six kilomètres cinq cents de la piazza del Gesù, où niche la basse-cour démocrate-chrétienne, à peine sept kilomètres de Saint-Pierre où règne qui l’on sait. On a infiniment glosé sur l’implacable exécution de l’enlèvement proprement dit, via Fani, le 16 mars, qui coûta la vie aux cinq hommes de l’escorte de Moro, sur l’organisation aussi implacable qui permit aux membres du commando des Brigades rouges de garder leur prisonnier en pleine ville, d’expédier une partie de ses lettres à leurs destinataires et à la presse et même de passer des coups de téléphone à la femme de Moro et à quelques autres interlocuteurs, de continuer à circuler dans la ville et dans le pays, prouesse inouïe que n’aurait pu réaliser qu’un groupe infiniment entraîné et bénéficiant de soutiens logistiques innombrables, d’où l’inévitable intervention des services secrets, qu’ils soient kirghizes ou burkinabés. On s’est moins étendu sur la passoire géante dont le ministère de l’Intérieur coiffa Rome, mais passons. Les faits sont là et un homme va mourir assassiné de onze balles dans la peau dans le coffre d’une 4L parce qu’aucun de ses alliés ne souhaite le voir sortir vivant et livrer le détail de leurs infamies respectives et parce que les hommes qui l’ont enlevé sont incapables de s’extraire de la logique qu’ils ont eux-mêmes mise en place et de comprendre que le cadavre qu’ils vont bientôt déposer via Caetani est un cadeau qu’ils font à ceux-là qu’ils combattent et qu’ils signent, ce faisant, leur propre arrêt de mort politique, quels que soient les avatars qui fleuriront encore le long de cette impasse. Cet échec, certains d’entre eux en ont fait depuis l’analyse implacable, ce qu’on ne peut guère dire de leurs adversaires d’hier…




    […]




    Bref, Moro est mort, le monde entier en a parlé mais c’est l’arbre qui cache la forêt, dans les sous-bois rôdent les poseurs de bombes, ceux qui ont ouvert le bal en 1969 à Milan et l’ont périodiquement relancé ensuite, ceux qui ne dorment jamais vraiment, piazza della Loggia à Brescia le 28 mai 1974, huit morts et cent trois blessés, la gare de Bologne le 2 août 1980, quatre-vingt-cinq morts et deux cents blessés… Les stratèges de la tension forment des réseaux dormants, il suffit d’un jappement pour qu’ils sortent des rêves, voient que les chiens errants se sont multipliés à force de baiser à même les terrains vagues, les niches ou les chenils qu’on leur a préparés, et qu’il va bien falloir les repousser du pied, leur casser quelques cotes, leur écraser la tête dans le sable mouillé, attendre que l’air marin évacue leurs odeurs, la trace de leurs pattes, l’écho des gémissements.

    Quelque chose manque toujours, un élément d’explication, un supplément d’amour, de sexe, de désir, de nudité, de raison, un lieu où reposer l’âme qui a erré, longuement, lentement, sur ces terrains de joie, d’action et de pensée, où reposer aussi le corps qui l’a portée et qui a découvert, dans le creux d’un buisson, où se tenait le monde, et les gestes à faire pour marcher dans son axe. Un lieu de temps et de conscience où poser la colère, un lieu d’épaules nues, de feuillages au front.

    J’ai passé une dernière nuit avec Massimo, l’horizon de cette nuit c’était l’amour, c’était garder le plus longtemps possible en moi son corps ligneux, mais ni lui ni moi ne nous bercions d’illusions : après le massacre de Stammheim et le bain de sang italien, l’horizon de l’Europe c’était la mort. Il fallait en finir avec la politique. Épuisés et distraits nous avons consenti, quoi qu’on dise, quelque temps qu’on y ait mis, je ne vous accuse de rien, à en finir avec la politique pour ajourner la mort.



    Mathieu Riboulet, « III – La mort à l’horizon du monde, 1978 », Entre les deux il n’y a rien, Éditions Verdier, 2015, pp. 128-129-130-135-136.






    Riboulet, entre_les_deux_il_n_y_a_rien_cmjn




    MATHIEU RIBOULET


    Mathieu Riboulet
    Source




    ■ Mathieu Riboulet
    sur Terres de femmes

    Septembre 1972 | Mathieu Riboulet, Entre les deux il n’y a rien
    [Le sexe ça n’est pas séparé du monde] (extrait d’Entre les deux il n’y a rien)
    L’Amant des morts (lecture d’AP)
    Passé le pont (extrait de Nous campons sur les rives)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site de France Culture)
    Mathieu Riboulet, Entre les deux, il n’y a rien (émission Les Bonnes feuilles | 14-15 du 24 août 2015 : Mathieu Riboulet présente et lit les premières pages de son récit Entre les deux il n’y a rien)
    → (sur Terres de femmes)
    29 septembre 1571 | Naissance de Caravage (+ un extrait des Œuvres de miséricorde de Mathieu Riboulet)



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  • Mathieu Riboulet | [Le sexe ça n’est pas séparé du monde]



    [LE SEXE ÇA N’EST PAS SÉPARÉ DU MONDE]



    Un mot encore de Martin, du continent Martin à qui je dois tant, à qui je dois tout, en premier lieu, on l’aura compris, d’avoir appris à lire en moi, à lire mon corps en lisant le sien. Parce que si, quand l’homme de Billancourt s’est présenté à moi, j’ignorais tout de tout, à l’arrivée d’Antonio j’avais, grâce à Martin, fourbi quelques-unes de ces armes dont l’utilité ne s’est, à l’heure où j’écris, toujours pas démentie. Martin m’a dit voilà comment ça marche et j’ai dit à Martin voilà comment ça marche, ensemble on a marché dans l’aventure du corps, notre seule possession. L’ivresse de la découverte nous jetait l’un dans l’autre quasiment tous les jours du printemps 75. La fois où nous avons franchi le pas suivant : Martin étendu sur le dos au bord du lit, moi à genoux par terre, ses jambes reposant doucement sur mes épaules, sa queue dans ma bouche en une adéquation parfaite, au point que parfois nous suspendions tout mouvement, concentrés, lui dans ma bouche, moi l’absorbant, dans une certitude irréversible de toucher là sans nous payer de mots l’essence du monde, sa fonction essentielle, d’être au monde en un mot, et le plaisir ouvrant nos corps, repoussant leurs limites, le plaisir étendant le monde à l’infini dans lequel nous loger, le plaisir étendant nos corps à l’infini dans lesquels accueillir la terre qui nous portait, Martin m’a dit, Prends-moi, j’étais dans l’ignorance du sens que revêtaient ces deux mots accolés mais sûrement pas de la chose qu’ils recouvraient, il a quitté ma bouche et ses jambes mes épaules, qu’il a ramenées à lui, effectuant la jonction de ses genoux avec son torse, je me suis relevé, j’ai accédé à sa demande, et son corps s’est ouvert, le monde s’est engouffré dedans à ma suite, et Martin éclaté sur le lit, souriant, mon regard dans le sien, Ne me laisse pas tout seul dans une joie pareille… Sans doute est-ce le lendemain, ou encore le soir même, que j’ai pu le rejoindre dans le démembrement auquel convie le corps quand on l’ouvre doucement à la poussée de l’autre s’introduisant en nous. Martin au fond de moi, élégant, attentif, Et si je vais trop vite dis-moi de ralentir, Non Martin continue, entre nous deux il n’y a plus que la valeur des peaux, je veux bien que le monde entre, m’ouvre, me grandisse, s’il doit me dévaster il me dévastera ; nous avons touché là de bien grandes merveilles. Et de fait il nous a dévastés, il a même privé Martin de ses beautés, le monde n’est pas tendre pour les chiens qu’il élève, on se demande pourquoi il nous garde quand même plutôt que nous noyer dès qu’on ouvre les yeux. Cinq ans, il nous a concédé cinq ans, et ensuite quelques miettes, puis il a changé d’axe et nous, donc, d’horizon, troquant la mort d’État contre la mort antique, la mort d’avant l’État, la mort d’épidémie, la mort qui trie les chiens.



    Mathieu Riboulet, « II, Le sexe ça n’est pas séparé du monde. 1977 », Entre les deux il n’y a rien, Éditions Verdier, 2015, pp. 94-95-96.






    Riboulet, entre_les_deux_il_n_y_a_rien_cmjn




    MATHIEU RIBOULET


    Mathieu Riboulet
    Source




    ■ Mathieu Riboulet
    sur Terres de femmes

    Septembre 1972 | Mathieu Riboulet, Entre les deux il n’y a rien
    9 mai 1978 | Mort d’Aldo Moro in Mathieu Riboulet, Entre les deux il n’y a rien
    L’Amant des morts (lecture d’AP)
    Passé le pont (extrait de Nous campons sur les rives)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site de France Culture)
    Mathieu Riboulet, Entre les deux, il n’y a rien (émission Les Bonnes feuilles | 14-15 du 24 août 2015 : Mathieu Riboulet présente et lit les premières pages de son récit Entre les deux il n’y a rien)



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  • Attilio Bertolucci | Piccolo autoritratto (Caffè Greco)



    PICCOLO AUTORITRATTO (CAFFÈ GRECO*)






    Caffè Greco
    Source





    Non potevano tanti anni, diviso
    ognuno in mesi i mesi in giorni,
    i giorni in ore, minuti, attimi,
    alterare più giustamente un viso,

    il mio, che guarda in uno specchio scuro
    dell’antico caffè dove impietosa
    si scatena la moda ultima, io,
    da questa escluso forse per il puro

    lampo degli occhi e intenerito riso
    della bocca alla consunta ferita
    di un amore vittorioso su anni
    e adipe, oh non esigente narciso.





    Attilio Bertolucci, « I Pescatori » in Viaggio d’inverno, Garzanti Editore, Collezione di poesia, Milano, 1971.






    Attilio Bertolucci  Viaggio d'inverno 6







    PETIT AUTOPORTRAIT (CAFÉ GRECO)




    Tant d’années ne pouvaient, chacune
    divisée en mois, les mois en jours,
    les jours en heures, minutes, instants,
    altérer plus justement un visage,

    le mien, qui regarde dans le miroir obscur
    du vieux café où, impitoyable,
    se déchaîne la dernière mode, et moi
    j’en suis exclu peut-être par le simple

    éclair des yeux et le sourire attendri
    de la bouche— blessure consumée
    d’un amour victorieux des années
    et de la graisse, oh ! Narcisse content de peu.



    Attilio Bertolucci, « Les Pêcheurs » in Voyage d’hiver, édition bilingue, Éditions Verdier, Collection « Terra d’altri », 1997, page 41. Traduit de l’italien par Muriel Gallot. Préface de Bernard Simeone.



    ______________________________________________
    * Caffè Greco : Café historique et littéraire situé via Condotti, à Rome.


    Attilio Bertolucci, Voyage d'hiver






    ATTILIO BERTOLUCCI


    Attilio Bertolucci
    Source




    ■ Attilio Bertolucci
    sur Terres de femmes

    Crépuscule (un autre extrait de Viaggio d’inverno)
    18 novembre 1911 | Naissance d’Attilio Bertolucci (+ un extrait de Verso le sorgenti del Cinghio)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Verdier)
    une bio-bibliographie écrite par Bernard Simeone
    → (sur YouTube)
    un hommage (en italien) à Attilio Bertolucci à l’occasion du centième anniversaire de la naissance du poète, en présence de Giuseppe et de Bernardo Bertolucci (Festivaletteratura di Mantova 2011, INEDITA ENERGIA, Omaggio ad Attilio Bertolucci, sabato 10 settembre 2011 alle 11:00, Palazzo Ducale)





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  • Attilio Bertolucci | Crépuscule




    CREPUSCOLO
    Ph., G.AdC






    CREPUSCOLO



    Dolcemente muore
    il giorno d’inverno,
    migra la luna
    sul Parma ai colli che imbrunano.

    A quest’ora quando su Antognano
    passava s’accendeva la lucerna.
    Oggi, qualche volto che s’illuminava
    all’improvvisa fiamma è al buio per sempre.

    Come indugia il crepuscolo,
    crudele o pietoso?
    No, è gennaio al decline
    e il giorno s’allunga.






    CRÉPUSCULE



    Doucement meurt
    le jour d’hiver,
    la lune migre
    sur la Parma vers les collines qui noircissent.

    À cette heure, quand elle passait
    sur Antognano, on allumait la lanterne.
    Aujourd’hui, certains visages qui s’éclairaient
    à cette flamme soudaine sont dans le noir à jamais.

    Le crépuscule tarde, mais comment,
    cruel ou charitable ?
    Non, c’est janvier sur son déclin
    Et le jour s’allonge.



    Attilio Bertolucci, « VI. Poèmes épars » in Voyage d’hiver, Éditions Verdier, Collection « Terra d’altri », 1997, pp. 226-227. Traduit de l’italien par Muriel Gallot. Préface de Bernard Simeone.

    Attilio Bertolucci, Voyage d'hiver






    ATTILIO BERTOLUCCI


    Attilio Bertolucci
    Source




    ■ Attilio Bertolucci
    sur Terres de femmes


    Piccolo autoritratto (Caffè Greco) [extrait de Voyage d’hiver]
    18 novembre 1911 | Naissance d’Attilio Bertolucci (+ un extrait de Verso le sorgenti del Cinghio)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Verdier)
    une bio-bibliographie écrite par Bernard Simeone
    → (sur YouTube)
    un hommage (en italien) à Attilio Bertolucci à l’occasion du centième anniversaire de la naissance du poète, en présence de Giuseppe et de Bernardo Bertolucci (Festivaletteratura di Mantova 2011, INEDITA ENERGIA, Omaggio ad Attilio Bertolucci, sabato 10 settembre 2011 alle 11:00, Palazzo Ducale)
    → (sur Chroniques Italiennes | Université de la Sorbonne nouvelle)
    Brouillage syntaxique et traduction : La camera da letto d’Attilio Bertolucci





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  • Antonio Moresco, La Petite Lumière

    par Angèle Paoli

    Antonio Moresco, La Petite Lumière, roman,
    Éditions Verdier,
    Collection « Terra d’altri » dirigée par Martin Rueff, 2014.
    Traduit de l’italien par Laurent Lombard.




    Lecture d’Angèle Paoli


    Moresco







    DE LA SURVIVANCE DES LUCIOLES



    Que s’est-il donc passé dans la vie de cet homme pour qu’il décide de disparaître ? Aucun lecteur de La Petite Lumière n’en saura rien. Même si Antonio Moresco, l’auteur de ce mystérieux récit, sème au fil des pages quelques indices. Sans doute la cruauté inextinguible du monde — celle-là même qui se voit, se vit au cœur de la nature et qui livre combats sous les yeux du narrateur — a-t-elle poussé cet homme à se retirer loin de tous.

    « Où je peux bien aller pour ne plus voir ce carnage, cette irréparable et aveugle torsion qu’on a appelée vie ? »

    Ainsi s’interroge cet étrange personnage qui ne livrera rien de sa vie, dont le lecteur ne saura ni le nom ni l’âge ni la fonction, qui ignorera tout de son passé. Tout ce que chacun saura, c’est ce qu’il confie dès l’incipit :

    « Je suis venu ici pour disparaître, dans ce hameau abandonné et désert dont je suis le seul habitant. »

    L’homme a trouvé refuge — depuis quand ? — dans une petite maison perdue au milieu des bois. Là, dans cet environnement d’arbres et de pierres sèches, le solitaire a tout loisir, dès qu’il s’est acquitté des tâches quotidiennes, d’observer le monde qu’il habite désormais. Autour de lui, des ruelles des ruines un petit cimetière avec ses lumignons. Des morts sans noms, oubliés depuis longtemps, dont la présence est aussi singulière que l’est l’absence de vivants. Au-dessus de lui, le ciel et les étoiles, les hautes futaies qui livrent bataille avec l’infini. Présences permanentes à ses côtés, les deux infinis se côtoient : l’infiniment grand, avec ses frondaisons inhospitalières qui s’étendent à perte de vue, ses vallonnements et ses ravins, ses pentes qui découpent le paysage ; l’infiniment petit, avec ses bruissements d’insectes ses pépiements d’oiseaux invisibles dans la feuillée, avec les luttes minuscules que se livrent les bêtes qui gîtent dans les sous-bois. Mais ce qui frappe d’emblée dans le regard que l’homme solitaire porte sur les choses, c’est, parallèlement à la complexité des enchevêtrements de la nature, face à l’immensité cosmique, la miniaturisation des choses. Une miniaturisation qui est donnée dès le titre du roman : La Petite Lumière [La lucina]. L’on retrouve cette miniaturisation sous la plume de l’auteur dans sa Lettre à l’éditeur. Parlant de cette histoire, il la présente comme « une petite boite noire » ; « une petite météorite qui s’est détachée de Chants du chaos » ; « une petite lune qui s’est détachée de la masse encore en fusion » de son prochain roman. « Une petite créature siamoise » qui s’est détachée « de l’autre corps plus grand » pour laisser à ce « court récit » son indépendance et sa liberté de vivre. Ainsi cette façon de parler de son œuvre s’inscrit-elle au cœur de la langue d’Antonio Moresco.

    Tout au long du récit, mais en particulier dans les premières pages, l’adjectif « petit(e) » sert de dénominateur commun à toute une série d’objets :

    « petit [escalier / cimetière / lit / bruits / troncs / potagers / hameau / papillons…] »

    « petite [maison / chambre / route / place /église / clairière… ] »

    Et bien sûr, « lumière ». « La petite lumière ». Elle est là, dès l’incipit, qui revient soir après soir, toujours à la même heure. Obsédante, têtue, elle interpelle l’homme qui scrute l’obscurité :

    « “Qu’est-ce que ça peut bien être, cette petite lumière ? Qui peut bien l’allumer ?”, je me demande tout en marchant dans les rues empierrées de ce petit hameau où personne n’est resté. »

    Sans doute cette miniaturisation — qui favorise la disparition et, par contraste, rend plus inquiétante la nature — prépare-t-elle le narrateur à la rencontre qui va se produire quelques pages plus loin. En effet, intrigué par la présence — en ce lieu qu’aucune vie humaine ne hante —, de cette « petite lumière », le « je » va entreprendre une série d’approches. Identifier le lieu où la lucina apparaît, soir après soir ; interroger villageois et farfelu égaré hors du monde pour tenter de mettre un nom sur ces apparitions régulières ; partir en reconnaissance. Or, ce que le narrateur découvre, c’est, exactement sur l’autre versant, sur la crête opposée à la sienne, l’existence d’un « petit garçon ». Un petit bonhomme en culottes courtes, qui vit seul dans sa « petite maison ». Et qui, comme lui, accomplit les tâches quotidiennes, les mêmes rituels familiers. Lessives repas vaisselles astiquage repassage. Le tout sans se plaindre sans rechigner. Avec une méticulosité et un savoir-faire d’un autre temps. Qui est-il ? D’où vient-il ? Où sont ses parents ? Pourquoi est-il tout seul ? Autant d’interrogations qui taraudent l’homme. En même temps que le lecteur. Au fil des rencontres, le « je » hasarde des questions. Peu bavard, tout occupé à ses activités, le petit garçon — avec « sa petite dent cassée », « sa petite tête rasée », « ses petites mains », ses « petits vêtements » —, ne répond que parcimonieusement. Et succinctement. Désarçonné, le narrateur en vient à douter de la nature de l’enfant :

    « “Est-ce que c’est vraiment une créature de ce monde-ci ?”, je me disais. »

    Un enfant hors temps qui dit des autres enfants — ceux qui fréquentent l’école de jour — « ce sont les vivants ».

    Tandis que le dialogue se noue petit à petit entre le lilliputien et le géant, que chacun apprivoise l’autre par sa présence affectueuse et discrète, le mystère grandit de cet enfant en culottes courtes, sortant de l’école du soir, portant cartable sur le dos et faisant ses devoirs sous la lampe. Et le lecteur de s’interroger : l’enfant est-il le double de l’homme ? Son écho fidèle ? Un extraterrestre comme lui puisque tous deux vivent exilés à l’écart de leurs semblables. Tout, dans la narration, le laisse à penser. Peut-être même cet enfant est-il celui que le narrateur fut jadis et qu’il retrouve dans le dédoublement insolite qui naît au cœur de sa solitude. Tous deux, en marge de la vie, évoluent aux confins de la mort. Lequel de l’enfant ou de l’homme sera pour l’autre la luciole qui le sauvera ?

    Tout au long du cheminement qui le conduit vers l’enfant, le narrateur ne cesse d’invectiver le monde qui l’entoure. Depuis les crapauds et les « guêpes hargneuses » jusqu’aux étoiles, en passant par toutes les formes de la matière, minérale, végétale, organique, cosmique. Il ne cesse d’interroger la nature. Sans espoir de réponse.

    « Mais elles ne répondent pas » / « Mais ils ne répondent pas ».

    Seules les hirondelles répondent :

    « Oui, oui, on est folles ! elles me répondent, ces bestioles survoltées, sans arrêter de frôler le sol de la ruelle et le fil de l’eau, comme des flèches, en trissant… »

    Parfois l’interrogation se poursuit au-delà du dialogue avec les présences immédiates, dans la volonté de percer le secret de la complexité-gigogne de l’univers.

    « Comment savoir si au-dessus du ciel il y a un autre ciel ? »

    « Comment savoir si la lumière n’est pas elle aussi à l’intérieur d’une autre lumière ? Et quelle lumière ça peut bien être, si c’est une lumière qu’on ne peut pas voir ? »…

    Autant de questions qui s’emboîtent les unes dans les autres comme autant de maillons, avec leur lot de mystères, closes chacune sur une absence de réponse. Ainsi le narrateur poursuit-il son dialogue inépuisable. Sans doute pour tenter de comprendre le pourquoi de son existence et celui de sa place dans un univers dont le sens lui échappe.

    « Alpha du Centaure, l’étoile la plus proche de notre soleil, se trouve à une distance de quatre années-lumière. Le Grand Nuage de Magellan, la galaxie la plus proche de notre galaxie, se trouve à cent soixante-cinq mille années-lumière de notre système solaire. Et moi, là, assis sur cette chaise en fer qui s’enfonce de plus en plus dans le sol, dans cet endroit hors du monde, à la même distance de tout et de l’espace et du temps et de ma vie et de ma mort… »

    À défaut de trouver une réponse dans les astres et le cosmos, peut-être le narrateur trouvera-t-il un peu de clarté dans les « milliers de lucioles »… « qui pullulent au milieu du feuillage épais et noir, avec leurs myriades de petites lumières qui s’allument et qui s’éteignent par intermittence » pour faire naître avec elles un « monde enchanté ». Elles qui ont résisté de toute la force contenue dans leur « petit corps » et que la grêle n’a pas anéanties. Leur survivance au cœur même des cataclysmes qui secouent leur monde peut-elle être considérée comme un signe d’espoir ? Celui, par exemple, d’une amitié aux formes inattendues, contours auxquels seules les « âmes errantes » que sont ces insectes luminescents sont susceptibles de donner naissance.

    Profondément onirique, ce court récit n’en est pas moins un très grand roman. Un texte magnifique, poétique et prenant, le premier de cet auteur italien à être traduit en français. Une belle découverte. À partager à l’infini.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Antonio Moresco, La Petite Lumière







    LETTERA ALL’EDITORE



    Caro Antonio,


    Ti mando questo breve romanzo, che ho scritto alcuni mesi fa su un quaderno. Non mi va di anticipartene qui, in poche righe, la storia, perchè non mi è facile parlarne, perchè preferisco che tu la scopra da solo pagina dopo pagina, e per non toglierti la sorpresa.

    E’ una storia scaturita da una zona molto profonda della mia vita, è come una piccola scatola nera. Parlandoti di questa cosa che mi urgeva dentro e che stavo per cominciare a scrivere, una sera ti ho detto che sarebbe stata per me, in un certo senso, testamentaria, che se fossi crepato il giorno dopo averla scritta sarebbe stata il mio testamento. Non perchè la consideri più significativa e importante di libri come Gli esordi o Canti del caos, ma proprio per la sua particolare natura intima e segreta.

    Anche questa, come Gli incendiati, è stata un’irruzione incalcolata e improvvisa. Come il primo è un piccolo meteorite che si è staccato da Canti del caos, così questa è una piccola luna che si è staccata dalla massa ancore in fusione del mio nuovo romanzo, che si intitolerà Gli Increati.

    La lucina è nata da uno spunto di poche righe, solo una piccola scena annotata negli appunti che ho buttato giù per anni in vista degli Increati. Credevo che questa scena avrebbe trovato posto là dentro, che vi avrebbe occupato al massimo mezza paginetta. Invece ha evidentemente lavorato in segreto dentro di me. Così, a un certo punto, ha preteso una sua vita autonoma. E allora è cresciuta come una piccola creatura siamese, fino al momento in cui ho dovuto staccarla dall’altro corpo più grande su cui si era inizialmente annidata.

    Ecco, questa è la storia del piccolo libro che adesso hai tra le mani.
    Antonio Moresco



    Antonio Moresco, La lucina, Arnoldo Mondadori Editore, Collana Libellule, 2013, pp. 5-6.





    Antonio Moresco, La lucina







    LETTRE À L’ÉDITEUR



    Cher Antonio,


    Je t’envoie ce court roman, que j’ai écrit il y a quelques mois sur un cahier. Je n’ai pas envie d’en éventer ici l’histoire, en quelques lignes, parce qu’il n’est pas facile pour moi d’en parler, parce que je préfère que tu la découvres tout seul, page après page, et ne pas te gâcher la surprise.

    C’est une histoire qui surgit d’une zone profonde de ma vie, c’est comme une petite boite noire. En te parlant de cette chose qui urgeait en moi et que j’étais sur le point de commencer à écrire, un soir je t’ai dit qu’elle serait pour moi, d’une certaine façon, testamentaire, que si je crevais au lendemain de l’avoir écrite, elle serait mon testament. Non pas que je considère qu’elle soit plus significative et plus importante que mes autres livres, tels que Les Débuts ou Chants du chaos, mais justement à cause de sa nature intime, particulière et secrète.

    Cette histoire aussi, tout comme Les Incendiés, a été une irruption spontanée et soudaine. Tout comme ce livre est une petite météorite qui s’est détachée de Chants du chaos, cette histoire est une petite lune qui s’est détachée de la masse encore en fusion de mon prochain roman, qui aura pour titre Les Incréés.

    L’idée de départ de La Petite Lumière tient en quelques lignes, juste une petite scène au milieu de notes griffonnées pendant des années en vue des Incréés. Je croyais que cette scène trouverait sa place dans ce projet, qu’elle y occuperait tout au plus une demi-page. Or, de toute évidence, elle a travaillé secrètement en moi. Et, à un certain moment, elle a voulu vivre sa propre vie. Alors elle a grandi comme une petite créature siamoise, jusqu’au moment où j’ai dû la détacher de l’autre corps plus grand dans lequel elle s’était initialement lovée.

    Voilà donc l’histoire de ce petit livre que tu as entre les mains.
    Antonio Moresco      



    Antonio Moresco, La Petite Lumière, roman, Éditions Verdier, Collection « Terra d’altri » dirigée par Martin Rueff, 2014, pp. 7-8. Traduit de l’italien par Laurent Lombard.



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  • Anne Serre, Petite table, sois mise !

    Anne Serre, Petite table, sois mise !,
    Éditions Verdier, 2012.



    Lecture d’Angèle Paoli


    à l'annonce d'une visiteuse .la vie se change en ouvre d'art
    Diptyque photographique, G.AdC






    VIVRE C’EST CELA !




         Envie d’écrire un billet sur ce petit opus d’à peine soixante pages. Un petit livre détonnant délicieux décapant. Tellement inattendu ! En un mot : jubilatoire ! Qui se lit tout d’une traite ! Mais où donc Anne Serre est-elle allée chercher l’histoire de la Petite table, sois mise ! ? Dans un conte des frères Grimm assurément, puisque c’est à eux que l’auteure de ce récit emprunte le titre. Mais il faut un sang-froid incroyable pour oser cette fable (autobiographique ?), impérative et licencieuse, qui n’est pourtant nullement une apologie des pratiques dont il est fait le récit !


         Volcanique et bref, comme certaines éruptions, le récit (un conte pour enfant à ne pas mettre entre toutes les mains ?) met en scène une famille aux mœurs très particulières. La pratique de l’inceste est ici un mode d’être. Quotidienne, permanente, elle est fête des sens. Entre le père et ses trois filles, les filles et leur mère ― l’insatiable Marianne ― toujours en demande de caresses et de caresses : « Viens, disait-elle, je brûle tant ! » Et chacune des trois sœurs (parfois seulement l’une ou l’autre d’entre elles) de « la chatouiller, la mordiller, la frotter, la pincer, la lécher… » Le petit cénacle érotique reçoit aussi quelques habitués, hommes et femmes. Marjorie Higgins, le docteur Mars ― un bon allié celui-là ― mais aussi Pierre Peloup, Myriam de Choiseul, les frères Vinssé… Chacun a ses préférences ou sa préférée, mais nul n’est tenu à l’écart ni délaissé. L’impudeur est totale. La mère est en permanence nue, exhibant sans honte aucune sa toison qu’elle peigne et huile avec soin, sa chair offerte et assoiffée ; et le père ne sort que travesti en fille ! À partir de l’âge de dix ans, la mère convie sa fille (la narratrice) à partager ses agapes avec ses invités. Et à s’initier à des jeux plus poussés. Drôle de famille, qui n’a d’autres lois que les siennes. Le mal ? L’interdit ? L’inceste ? La pédophilie ? Nul n’en a cure même si plane parfois, venu de l’extérieur, le danger de l’interdit. Nul n’en a vraiment conscience. La mère « croyait que vivre, c’était cela ». « Et qui prétendra qu’elle avait tort » ? reprend la narratrice : « Le corps que nous formions avec nos parents et leurs amis était si compact, la circulation qui existait entre nous si lumineuse, si ordonnée, que les propos de l’assistance paraissaient se heurter à une paroi lisse, bombée et douce : elle ne savait comment la percer. »


         Tout ce joli monde vit dans la joie des petits culs offerts, de la chair tendre visitée et revisitée, plusieurs fois par jour, tantôt avec l’un ou avec l’autre, tantôt en triades, voire davantage. Et quand les « libérateurs » de désir viennent à manquer, le désarroi gagne. La folie s’empare des tigresses, jusqu’à ce qu’assouvissement s’ensuive. Partout dans la maison de la rue Alban-Berg règne un gentil désordre.


         Et la table ? Elle donne son titre à ce petit roman. Mais encore ? Elle trône dans la salle à manger, astiquée, rutilante, un vrai miroir ! Un « disque luisant » où viennent se pâmer la mère offerte à ses visiteurs, les filles offertes au père à la mère aux visiteurs. Tout le monde s’y mire tour à tour ! Et y jouit, sans entrave. Bien des années plus tard, alors que la narratrice revient sur les lieux de son enfance, elle évoque son rapport quasi médiumnique à la table, regrettant que les autres ne lui aient pas accordé l’importance qu’elle aurait dû avoir pour eux :


         « Pourquoi faut-il qu’autour de moi tant de gens soient devenus fous ? Ne pouvaient-ils, comme moi, s’en tenir à la merveilleuse table au disque luisant où se reflète notre histoire, interroger cette table, la faire parler, la faire danser ? Pourquoi l’ont-ils négligée ? N’était-il pas évident, pour eux comme pour moi, que c’était ce lac et son eau noire qui nous sauveraient, à condition de les scruter ? Ce lac fut-il un puits sans fond pour tous ceux qui se perdirent par la suite ? Ai-je, davantage qu’eux tous, aimé ce qui s’y reflétait ? »


         En attendant, tout est bel et bien huilé. Jusqu’au jour où la belle harmonie est mise en péril à l’annonce d’une visiteuse qui vient enquêter sur la famille. Des bruits courent. Il se passe des choses illicites. Quelqu’un a dû parler (oserai-je l’expression un peu crue « vendre la mèche » ?), mais nul ne sait qui. Une certaine inquiétude pèse sur la maisonnée. Mais lorsque l’assistante sociale fait son entrée, tout le monde est habillé, rien ne transparaît des dysfonctionnements familiaux. L’assistante repart bredouille, sans avoir rien trouvé d’anormal. Pourtant, quelque chose a changé depuis cette visite inopportune. On reçoit moins les habitués. On tente de se calmer un peu, d’être plus discret. La mère s’habille un peu plus, le père se travestit un peu moins, ou du moins attend quelques rues supplémentaires pour le faire. L’abstinence est de rigueur. La vie devient monotone, insipide presque, alanguie. Rien n’est plus comme avant.


         Soudain le monde bascule. La première partie du récit (14 chapitres en tout) s’achève et avec elle l’enfance heureuse et une forme de bonheur. À quinze ans, la narratrice quitte la maison. Parce qu’elle se sent prête. Le récit se poursuit. Commence pour la jeune fille une vie d’errance et de rencontres. Mais, peut-être rassasiée par la plénitude de sa vie antérieure, elle s’en tient à l’abstinence. Lecture et écriture tiennent désormais une place prioritaire dans la reconstruction de sa personnalité. Sur le lac Majeur, à Pallanza où elle séjourne, la contemplation des eaux du lac la renvoie au « disque luisant » de la table de son enfance dont le souvenir continue de l’habiter. C’est là, dans le mystère de la surface lisse et profonde, qu’elle décrypte les arcanes de sa vie de jadis, au temps où tous ensemble, ils partageaient les plaisirs de la table magique.


         Scandaleux, cet opuscule ? Pour certains, sans doute ; mais quand la littérature s’en mêle, le regard change. Et la vie se change en œuvre d’art.




    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Petite table, sois mise !





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Verdier)
    une fiche sur Petite table, sois mise ! (+ revue de presse)





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  • Pierre Michon, Les Onze

    par Angèle Paoli

    Pierre Michon, Les Onze,
    éditions Verdier, 2009.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Pierre michon les onze
    Image, G.AdC









    L’APÔTRE MANQUANT DU TABLEAU DE LA TERREUR



    Les Onze. Douze pages de Jules Michelet — les douze pages du chapitre III du seizième livre de l’Histoire de la Révolution française — conduisent Pierre Michon à se lancer dans l’histoire des Onze. Douze pages inspirées au grand historien par un tableau de Géricault qu’il n’a pas vu: Corentin en ventôse reçoit l’ordre de peindre les Onze. Un tableau « à peine ébauché » parce que peint par Géricault avec la « mort sur l’épaule ». Ce tableau existe-t-il vraiment ? Peut-on le voir au musée de Montargis comme le prétend le narrateur des Onze ? Peut-être, mais rien n’est moins sûr. Pour Pierre Michon pourtant, ce tableau existe, car ce qui compte pour l’auteur des Onze — les Onze de la Terreur —, tout comme pour l’historien Michelet, c’est la reconstruction que permet la mémoire, avec ses trous et ses absences auxquels s’ajoutent les absences et les trous de l’Histoire, les falsifications (et/ou impostures d’écrivain) qu’elles autorisent, les inventions qu’elles offrent à la création.

    Raconter des histoires. Tel est le projet de l’écrivain Pierre Michon. Mais comment s’y prendre lorsque deux récits — et même davantage — se présentent, deux mondes — et davantage — ouvrent leurs voies contraires ? Pour Pierre Michon, la difficulté n’est pas d’inventer le liant ; de trouver le point d’arrimage entre des mondes opposés dans le temps, l’esprit et l’espace. La difficulté est de résister aux sirènes qui se faufilent à travers la trame du récit principal, tirent l’oreille de l’écrivain vers le « tintouin » de son Limousin natal, et, invariablement, vers la tentation des généalogies obscures, du côté des amours idylliques des femmes, de leurs chagrins d’épouses délaissées du bord de Loire.

    Ou, tout au contraire, vers le monde tournoyant des peintres vénitiens, Tiepolo le père et Tiepolo le fils, emporté qu’il est dans les fresques princières de Würzburg et les rêveries divines qu’elles engendrent. Comment se décider à choisir entre la voie naturelle, rustique, obscure, de la région d’origine et celle, culturelle, flamboyante de l’Histoire — « tigres altérés de sang » — et de la peinture, envolées de nuages, cortèges de putti rieurs, drapés de traîne bleue de Béatrice de Bourgogne épousant Frédéric Barberousse ou, plus tard, ces « houppelande[s] couleur de fumée d’enfer » dont s’enveloppent les robespierrots du théâtre d’ombres peints par François-Elie Corentin de la Marche ? Comment se décider à en venir au fait ? De prétéritions en digressions, de digressions en associations d’idées, d’une formule magique à l’autre, du Dio cane de Tiepolo au Diàu ei un tchi de Corentin de la Marche, Pierre Michon file les entrelacs de son récit, comme les hommes eux-mêmes filent les entrelacs de leurs vies. Et le narrateur, s’adressant à son interlocuteur, de poursuivre : « Si les hommes étaient faits d’étoffe indémaillable, nous ne raconterions pas d’histoires ».

    Le coup de génie de Pierre Michon, alchimiste en écriture, est de faire un assemblage (par le biais du petit page blond des plafonds peints de Tiepolo) de la généalogie de Corentin et de sa peinture, et, par ce maillon fictif, de broder l’histoire du peintre avec celle des Onze. Raconter des histoires passe, pour Pierre Michon, par un tressage savant de l’écriture et de la peinture. La peinture qui joue le rôle de ressort du récit. Mais un ressort en négatif. Car Les Onze, tableau politique commandé par ses amis jacobins à Corentin pour immortaliser les onze héros de la Terreur, les onze du Comité de Salut public de l’An II, est un tableau fictif. Qui puise toute sa force de conviction dans l’absence. Il en est de même du peintre Corentin. En l’existence duquel, pourtant, le lecteur crédule et confiant, impatient de le suivre dans ses années de formation et dans son évolution, croit tout au long du récit. Corentin auquel le lecteur s’associe. D’autant que Pierre Michon s’ingénie à doter son page-peintre d’une histoire personnelle enjouée et vivante, qui enracine le personnage dans le Limousin natal de son auteur. Un Limousin enjolivé à la Watteau pour les circonstances. Né en 1730, à Combleux, aujourd’hui canton de Chécy, dans le Loiret, François-Élie Corentin de la Marche est le double fictif de Pierre Michon, né aux Cards, dans la Creuse. Comme lui, grandi dans la présence exclusive des femmes et l’absence, non regrettée, du père. Investi comme lui des mêmes valeurs créatrices et humanistes que celles que le narrateur des Onze défend et définit en contrepoint positif : « un esprit — un fort conglomérat de sensibilité et de raison à jeter dans la pâte humaine universelle pour la faire lever, un multiplicateur de l’homme, une puissance d’accroissement de l’homme comme les cornues le sont de l’or et les alambics du vin, une puissante machine à augmenter le bonheur des hommes ».

    Baptisé en cours de route « Tiepolo de la Terreur », Corentin fut pourtant des Lumières. Il incarne comme tant d’autres ce « levain » que les hommes d’alors voulurent être pour les autres, capables de « transmuer au fond d’eux-mêmes » cet appétit limousin, « comme magiquement, mais très véridiquement, en générosité ».

    Comment le bel enfant blond des bords de Loire — ou le joli page du monde vaporeux de Tiepolo — deviendra-t-il le « vieux crocodile » peintre de la Terreur ? Le récit des Onze — qui n’est ni une histoire de la peinture ni une reconstitution historique des événements de la Terreur —, n’est pas davantage une hagiographie du peintre François-Elie Corentin. Construit à partir de tourbillons voluptueux de l’a fresco de Giambattista Tiepolo, le récit se clôt sur la mouvance baroque que met en scène l’anamorphose finale. Vu à travers la vitre qui le protège des balles, le tableau des Onze trompe par ses reflets. Œuvre ouverte qui évolue en fonction des déplacements du narrateur et de son interlocuteur, de leur regard, de leur point de vue, le tableau des Onze offre un jeu complexe de formes changeantes et trompeuses. Car « chaque chose réelle existe plusieurs fois, autant de fois peut-être qu’il existe d’individus sur terre ».

    Si, à cette conception de l’art, l’on ajoute le fait qu’au tableau des Onze peint par Corentin — mais non décrit par l’auteur —, vient se superposer le tableau invisible de Géricault réinventé par Jules Michelet, l’on comprend que ce qui compte avant tout pour Michon comme pour Michelet, c’est d’inventer « sa propre fable ». Chacun des deux « l’enfourche sans ambages » à sa manière, à partir du « bric-à-brac prodigieux de la mémoire » ; chacun s’enivre du récit que son esprit invente. Et chacun voit ce qu’il veut voir. Jusqu’à la vision finale de la « cène laïque ». Cène républicaine dominée par « l’âme collective » des Onze. Scène apocalyptique aussi, — au sens originel de « révélation ».

    Derrière Michelet visionnaire, n’est-ce pas Michon qui lève le voile sous les masques grimaçants des Onze ? Michon, le douzième apôtre, l’apôtre manquant (pendu ou guillotiné ?) du tableau de la Terreur ?


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Pierre Michon  Les Onze






    ■ Pierre Michon
    sur Terres de femmes


    28 mars 1945 | Naissance de Pierre Michon (extraits de Corps du roi et de Vies minuscules)
    Pierre Michon, Le roi vient quand il veut (lecture d’AP)
    Vie de Joseph Roulin lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur remue.net)
    un dossier Pierre Michon






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