Étiquette : éditions Voix d’encre


  • Barbara Le Moëne | Murs barbelés miradors



    Barbara Le Moëne monotype
    Barbara Le Moëne, Monotype
    in Femmes barbelées







    [MURS BARBELÉS MIRADORS]




    Murs

    barbelés

    miradors


    eau qui dort
    eau calme et claire
    sous la blondeur
    fausse du foin
    un caillou jeté à son cou
    fait des ronds dans l’eau




    Odeur de fer mouillé, rouillé,

    proche de celle du sang

    l’odeur de la prison


    L’œil à tire d’aile
    visage enfantin
    elle est maîtresse d’école
    ou petite pensionnaire

    l’œil à tire d’aile
    échappe au préau

    son iris est d’eau
    oiseau des marais
    bruant des roseaux




    Verrou du haut,

    verrou du bas,

    bruit métallique des verrous que l’on tire


    Qu’un nouvel été monte
    une dernière ivresse
    un dernier possible
    on voudrait le croire

    par les chemins mellifères
    près la mare où rouir le lin
    on voudrait aller

    un feu vertical à travers toi
    a consumé tout le visage



    Barbara Le Moëne, Femmes barbelées, éditions Voix d’encre, 2021, s.f. Monotypes de l’auteure.






    Femmes barbelées




    BARBARA LE MOËNE


    Barbara-le-moene portrait denim
    Source




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Voix d’encre)
    la page de l’éditeur sur Femmes barbelées de Barbara Le Moëne
    le site de Barbara Le Moëne





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Emmanuel Merle | Migrant


    Migrant,


    voyageur immobile, amarré
    mais sans ancre,
    arbre,
    tu es saisi dans ta marche,
    toujours je fais le premier pas vers toi.

    Il me semble pourtant que parfois
    tu te penches, même tu t’approches,
    certains soirs d’été quand l’ombre des choses
    devient immense,
    ou des jours de février — l’air
    est alors si sec, si coupant, que ta branche
    casse comme un bras gelé.

    Tu as des gestes perdus, des contradictions :
    c’est ta mémoire qui veut dire,
    une sève d’un pays ancien.




    Emmanuel Merle, « Le livre de l’arbre », Habiter l’arbre, éditions Voix d’Encre, 2020, page 58. Encres d’Élisabeth Bard.





    Emmanuel Merle  Habiter l'arbre



    EMMANUEL MERLE


    Emmanuel Merle
    Source




    ■ Emmanuel Merle
    sur Terres de femmes


    Amère Indienne
    [Cape Cod]
    Le Chien de Goya (lecture d’AP)
    Cet ancien lieu (poème extrait de Démembrements)
    Démembrements (lecture d’AP)
    Ici en exil (lecture de Sylvie Fabre G.)
    [Le rouge] (extrait de Dernières paroles de Perceval)
    Dernières paroles de Perceval (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Dernières paroles de Perceval (lecture d’AP)
    ils attendent ce qui (extraits du Grand Rassemblement)
    [Je me discerne davantage dans le miroir de la couleur](extrait des Mots du peintre)
    [Ramper sur la glace](extrait de Nord, seul point cardinal)
    [Tout est matière, sauf ma décision] (extrait de Olan)
    Tourbe (lecture d’AP)
    [Il n’y a plus d’arbres] (extrait de Tourbe)
    [Une promesse, dis-tu]
    Emmanuel Merle & Thierry Renard | La Chance d’un autre jour, Conversation (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Emmanuel Merle & Thierry Renard | [Jour de pluie ici aussi]




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature])
    une fiche bio-bibliographique sur Emmanuel Merle
    → (sur le site des éditions Voix d’encre)
    la fiche de l’éditeur sur Habiter l’arbre





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • John Taylor | [all your life long]




    Caroline 1
    Aquarelle de Caroline François-Rubino
    in John Taylor, Le Dernier Cerisier






    [ALL YOUR LIFE LONG]




    all your life long
    you have glimpsed

    but rarely

    what opens out
    behind the cherry tree

    so many etchings
    on the trunk

    the cherry tree has witnessed
    everything everyone

    whatever whoever
    you now remember

    leave behind those names
    stroll away from the playground
    the backyard
    that has become a field
    a less intimate garden

    a vast empty field
    a few cherries
    still dangle from the dark boughs

    those cherries were also yours

    farewell

    let the cherry tree fade
    let the earth fade

    over which you walked
    weighed down with names
    with secret gardens backyards
    you left behind
    and a cherry tree

    you were weighed down
    but the ladder under your arm
    was weightless








    [TOUTE TA VIE]




    toute ta vie
    tu as entrevu

    mais peu souvent

    ce qui s’ouvre
    derrière le cerisier

    tant de signes gravés
    sur son tronc

    le cerisier a été témoin
    de tout de tous

    de quoi de qui que ce soit
    tu t’en souviens maintenant

    laisse ces noms derrière toi
    éloigne-toi du terrain de jeu
    de la pelouse derrière la maison
    qui est devenue un champ
    un jardin moins intime

    un grand champ vide
    quelques cerises
    sont toujours suspendues aux branches sombres

    ces cerises étaient aussi les tiennes

    adieu

    laisse le cerisier s’effacer
    laisse la terre s’effacer

    sur laquelle tu as marché
    alourdi de noms
    de pelouses de jardins secrets
    que tu as laissés derrière toi
    et d’un cerisier

    tu as été alourdi
    mais l’échelle sous ton bras
    ne pesait rien




    John Taylor, Le Dernier Cerisier | The Last Cherry Tree, éditions Voix d’Encre, 2019, s.f. Traduction de Françoise Daviet-Taylor. Aquarelles de Caroline François-Rubino.





    John Taylor  Le Dernier cerisier






    JOHN TAYLOR


    Johntaylor
    Source




    ■ John Taylor
    sur Terres de femmes


    [Sometimes the island] (poème extrait de Portholes | Hublots)
    [Vallée cachée sous le glacier] (poème extrait de Boire à la source)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Voix d’encre)
    la page de l’éditeur sur Le Dernier Cerisier
    → (sur le blog De l’art helvétique contemporain)
    un article de Jean-Paul Gavard-Perret sur Le Dernier Cerisier
    → (sur Mediapart)
    Littérature : le sens de la gravité de John Taylor, par Stéphane Vallet
    le site personnel de Caroline François-Rubino
    le site personnel de John Taylor





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Emmanuel Merle, Démembrements

    par Angèle Paoli

    Emmanuel Merle, Démembrements,
    éditions Voix d’Encre, 2018.
    Peintures Philippe Agostini.



    Lecture d’Angèle Paoli


    « DES MAINS | SUR DES ÉPAULES COMME LA NAISSANCE D’UNE AILE »






    Agostini-03-_-site
    Philippe Agostini,
    in Emmanuel Merle, Démembrements,
    éditions Voix d’Encre, 2018, page 18.






    Les couleurs sont là :

    « contenues, déguisées,

    un feu couvant sous l’aube encore à venir. »

    Fondus de vert pâle, de gris, filets de bleu, écorces de beige clair. Des traces peut-être qui s’éclairent d’une limaille de jaune ici, de rose là. Cela danse entre les pages puis soudain se densifie, pelotes d’algues ou haies qui s’enchevêtrent. La lumière peut-elle se frayer un espace, pour quel chemin d’attente ?

    « La couleur, c’est la lumière

    qui revient sans cesse, fidèle,

    généreuse, ouverte comme une main. »

    Une main ? La main tendue du peintre Philippe Agostini. Peut-être. « La main balbutie » son langage. Elle entrouvre pour le poète une issue vers la lumière. Elle lui fait don de notes neuves, pour une possible respiration. Car le recueil d’Emmanuel Merle, Démembrements, est le lieu de « l’indicible ». Celui d’une parole brisée. Où dominent termes en négatifs ou mots en écho à ces termes, disséminés dans les poèmes. Déraciner / désassembler / dépareiller / décomposer / défaire / déliter / déchirer / détacher / désagréger / découdre / désolidariser / décentrer …

    La violence qui se dit est celle de corps détruits, défaits, dépecés, équarris, disjoints, corps de suppliciés martyrisés par leurs bourreaux, corps défunts dont les membres ont été dispersés. Ensevelis. Cette vision d’enlisement, d’où vient-elle ? Issue de quelle effrayante réalité ?

    « Je me retourne : tous ont du sable

    jusqu’aux épaules, peinent à tourner

    la tête, vocifèrent pourtant. »

    Ailleurs, « Ces gens dans la rue, du bois flotté ».

    Le corps du poète lui-même se trouve disloqué. Devenu étranger à lui-même. Séparé de sa personne. Meurtri par un impitoyable héautontimoroumenos.

    « Mon corps est un pays démembré, un assemblage

    désolidarisé », écrit le poète dans « L’ennemi intime ».

    Ou encore, plus loin, dans la section « Démembrements, 5 » :

    « J’observe le lent délitement du corps.

    Ma main, déchirée, boursouflée,

    recroquevillée par l’hésitation devant le monde,

    ne m’appartient presque plus,

    c’est la griffe d’un que je ne connais pas. »

    Comment, dès lors, respirer quand tout se désagrège autour de soi, que nous ne reconnaissons plus le monde dans lequel nous nous mouvons, et qui continue pourtant d’exister alors même que nous n’existons plus en lui ?

    Nous ? Oui, nous. Le pronom personnel court d’un poème à l’autre, Emmanuel Merle incluant ainsi chacun de nous dans le monde où nous évoluons. Chacun est associé au poète dans cet univers déliquescent qu’ensemble nous occupons sans toutefois nous y rencontrer, sans toutefois nous y reconnaître. La douleur et la stupeur du poète sont aussi les nôtres. Qu’est-il arrivé ? Que s’est-il passé ? Quelque chose s’est produit dont il ne reste que signes épars. Emmanuel Merle nous associe à son chant noir. Ainsi dans cette première strophe des « Lointains » (I) :

    « Le fleuve est noir qui descend

    les temps modernes, nous nous maintenons

    à la surface en battant des bras,

    cherchant de nos yeux à moitié aveugles

    les bras des autres. »

    Le regard que le poète pose sur le monde est à l’identique de celui qu’il pose sur lui-même ou sur les autres. Un monde réduit en lambeaux, en loques, en lanières ; les êtres y sont réduits à l’état de « palimpsestes | et pelures d’oignon. » Du passé englouti, il reste l’étreinte d’une indicible nostalgie :

    « Il y a bien longtemps qu’il n’y a plus

    de projet commun. Le temps est parti. »

    Que dire de plus, sinon que « [l]e cœur est décentré » ?

    Et au cœur de cette déréliction, qu’en est-il de l’autre ? La vision anaphorique sur laquelle s’ouvre le recueil est celle du constat d’un enlisement général :

    « Il n’y a plus rien

    que des corps inhabités, des équations d’être

    ensevelies

    […]

    Il n’y a plus rien

    que des pluies de ravine sur les visages

    dépareillés

    […]

    Il n’y a plus de figure,

    je vais encore et je te cherche. »

    Le poète s’interroge. L’autre est-il le bourreau ou le supplicié ? Un danger ou un espoir ? « Est-ce un récif ? Est-ce un amer ? » Il arrive que l’autre soit un naufragé identique à soi-même, perdu, abandonné, éparpillé. Et que, de cet abandon même, naisse l’échange, un instant de partage :

    « Nous nous adossons au vent,

    nous nous regardons. »

    Dans sa solitude et dans son errance, le poète se regarde sans comprendre. Comment se recomposer ? Comment reconstituer un corps désintégré ? Quels gestes accomplir ? Quels mots dénicher pour que nous puissions nous reconnaître, reconnaître ce qui fut et qui laisse chacun sur la route, comme éperdu et désœuvré ? Abasourdi et hébété, le poète regarde ses mains. Désolidarisées de sa personne, elles agissent indépendamment de lui. Comme par automatisme. Sans son accord. Elles accomplissent les gestes appropriés, mais absurdes. Obéissantes, elles se meuvent sans réfléchir, comme par détachement de la personne auquelle elles appartiennent.

    « Comment vas-tu récupérer tes mains ? », s’inquiète le poète dans « Tes mains savent ».

    Ce que le poète cherche et espère, c’est d’abord un espace où vivre, l’air étant devenu irrespirable et le présent, englouti sous ses décombres, méconnaissable. Associée à l’espace, la lumière. Une lumière d’aube, liée à l’insouciance de l’enfance et à la couleur. C’est en elle que gît encore une once d’espoir :

    « […] La couleur, c’est la lumière

    qui revient sans cesse, fidèle,

    généreuse, ouverte comme une main.

    Il y a une magie de la lumière :

    elle est notre rêve réalisé sur la terre,

    notre espérance toujours renouvelée. »

    Poussé par son désir de reconstitution de l’être entier, par son désir de recomposition de ce qu’il fut au temps de l’enfance, le poète cherche un lieu où renouer avec « le premier langage » ; où retrouver les mots, des mots qui puissent rapprocher « les lointains » que nous sommes devenus. Peut-être alors sera-t-il possible de recoudre ensemble les existences dépareillées ?

    « Nous sommes bien les lointains, nous sommes

    si loin les uns des autres, et, malgré tout,

    les mots, comme des bois flottés,

    drossés contre la hanche de l’espérance,

    écoutés et prononcés, savent encore

    clairement s’embraser, éclairer l’autre rive. »

    À la recherche de l’unité perdue, le poète se souvient. « Remembrer ». Se souvenir de ce que nous avons été, de l’unité des corps en accord avec le monde, « arbre indéfait » :

    « J’étais cet enfant dans l’arbre, ramassé

    sous les branches, embrassé par le grand corps

    écartelé de la ramure […] »

    Dans sa quête douloureuse, le poète aspire à un renouveau possible. Quelque chose qui le confierait à son « aube nouvelle ».

    Répondant à ton appel, je te nomme, poète. Depuis tes poèmes, je dis ton nom. Je le murmure avec tes mots. Je te lis et veux te faire don des miens. Je noue pour toi « aile » « main » « visage » « couleur » « lumière ». Comme toi, je voudrais que la lumière efface la nuit de « la forêt enténébrée » ; je voudrais que dans la paume soit rassemblé « l’épars » ; que mes mains rejoignant un instant les tiennes, soient « des mains | sur des épaules comme la naissance d’une aile. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Emmanuel Merle Philippe Agostini  Démembrements





    EMMANUEL   MERLE


    Vignette Emmanuel Merle





    ■ Emmanuel Merle
    sur Terres de femmes


    Cet ancien lieu (poème extrait de Démembrements)
    Amère Indienne
    [Cape Cod]
    Le Chien de Goya (lecture d’AP)
    Ici en exil (lecture de Sylvie Fabre G.)
    [Le rouge] (extrait de Dernières paroles de Perceval)
    Dernières paroles de Perceval (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Dernières paroles de Perceval (lecture d’AP)
    ils attendent ce qui (extraits du Grand Rassemblement)
    Migrant (extrait d’Habiter l’arbre)
    [Je me discerne davantage dans le miroir de la couleur](extrait des Mots du peintre)
    [Ramper sur la glace](extrait de Nord, seul point cardinal)
    [Tout est matière, sauf ma décision] (extrait de Olan)
    Tourbe (lecture d’AP)
    [Il n’y a plus d’arbres] (extrait de Tourbe)
    [Une promesse, dis-tu]
    Emmanuel Merle & Thierry Renard | La Chance d’un autre jour, Conversation (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Emmanuel Merle & Thierry Renard | [Jour de pluie ici aussi]




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature])
    une fiche bio-bibliographique sur Emmanuel Merle
    → (sur le site des éditions Voix d’Encre)
    la page de l’éditeur sur Démembrements





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Emmanuel Merle | Cet ancien lieu



    CET ANCIEN LIEU



    J’étais cet enfant dans l’arbre, ramassé
    sous les branches, embrassé par le grand corps
    écartelé de la ramure, j’avais un lieu
    d’où je pouvais voir le monde, et peut-être le dire.

    Cet ancien lieu, nous le cherchons tous à tâtons
    dans nos vies, à tous les embranchements,
    dans tous les nœuds que serre le bois mort
    de nos émotions.

    Du haut du mât de l’arbre quelle est cette terre
    neuve, ce mystère inaccédé qui mange nos yeux,
    comment démêler l’entrelacs de hasards
    qui coud les branches et découpe l’île prochaine ?

    Je suis encore cet enfant sans autre âge que l’éternité,
    et qui habite follement cet arbre immense :
    son feuillage nocturne recouvre désormais
    le ciel entier, trouant les étoiles.




    Emmanuel Merle, « Le jour enfant », Démembrements, éditions Voix d’Encre, 2018, page 66. Peintures Philippe Agostini.






    Emmanuel Merle Philippe Agostini  Démembrements






    EMMANUEL   MERLE

    Vignette Emmanuel Merle





    ■ Emmanuel Merle
    sur Terres de femmes


    Démembrements (lecture d’AP)
    Amère Indienne
    [Cape Cod]
    Le Chien de Goya (lecture d’AP)
    Ici en exil (lecture de Sylvie Fabre G.)
    [Le rouge] (extrait de Dernières paroles de Perceval)
    Dernières paroles de Perceval (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Dernières paroles de Perceval (lecture d’AP)
    ils attendent ce qui (extraits du Grand Rassemblement)
    Migrant (extrait d’Habiter l’arbre)
    [Je me discerne davantage dans le miroir de la couleur](extrait des Mots du peintre)
    [Ramper sur la glace](extrait de Nord, seul point cardinal)
    [Tout est matière, sauf ma décision] (extrait de Olan)
    Tourbe (lecture d’AP)
    [Il n’y a plus d’arbres] (extrait de Tourbe)
    [Une promesse, dis-tu]
    Emmanuel Merle & Thierry Renard | La Chance d’un autre jour, Conversation (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Emmanuel Merle & Thierry Renard | [Jour de pluie ici aussi]




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature])
    une fiche bio-bibliographique sur Emmanuel Merle



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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Pierre Dhainaut | Caroline François-Rubino, Paysage de genèse (extrait)



    Paysage de genèse
    Caroline François-Rubino, Paysage de genèse, 5







    PAYSAGE DE GENÈSE
    (extrait)



    Ni les yeux ni la voix ne sont assez vastes,
    généreux, ce qu’ils désirent, ils doivent,
    d’avance, dans la distance, en être la lumière :
    la vague n’est chez elle, fidèlement,
    qu’en débordant la vague.




    Pierre Dhainaut | Caroline François-Rubino, Paysage de genèse, 10, Éditions Voix d’Encre, 2017, s.f.





    Pierre Dhainaut Caroline Francois Rubino  Paysage de genèse




    PIERRE DHAINAUT


    Pierre dhainaut profil 3




    ■ Pierre Dhainaut
    sur Terres de femmes

    Après (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Voir de face (poème extrait d’Après)
    Ici (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Que respirent avant tout les mots] (poème extrait d’Ici)
    Pierre Dhainaut | Caroline François-Rubino | [Laissons les mots sourdre d’eux-mêmes] (autre extrait de Paysage de genèse)
    [Ce qu’est devenue la couleur] (poème extrait de Progrès d’une éclaircie)
    [Dès le seuil remercie] (poème extrait de Voix entre voix)
    Horizons, fontanelles… (poème extrait de Vocation de l’esquisse)
    [Nous étions seuls, de trop, dans nos miroirs] (poème extrait de De jour comme de nuit)
    [Ne nous en prenons pas à l’invisible] (poème extrait d’État présent du peut-être)
    [Sortir sous l’averse] (poème extrait d’Et même le versant nord)
    [Orage, tempête, séisme] (poème extrait de La Nuit, la nuit entière)
    Pour voix et flûte (lecture de Sabine Dewulf)
    D’abord et toujours, 4 (poème extrait de Pour voix et flûte)
    [Où que tu ailles] (poème extrait de Rudiments de lumière)
    Passerelles
    Printemps dédié (poème extrait de L’Autre Nom du vent)
    Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Soudain la tête se redresse] (autre poème extrait de La Nuit, la nuit entière)
    Vocation de l’esquisse (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Voix entre voix (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque | L’origine de l’écriture | [Si léger… tu cours] (extraits de La Grande Année)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque, La Grande Année (lecture d’AP)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Voix d’encre)
    la page de l’éditeur sur Paysage de genèse





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Pierre Dhainaut | Caroline François-Rubino | [Laissons les mots sourdre d’eux-mêmes]




    [LAISSONS LES MOTS SOURDRE D’EUX-MÊMES]



    Laissons les mots sourdre d’eux-mêmes,
    nous mettre en branle, nous guider sans balises
    à l’exception, ride après ride,
    des reflets du ciel sur les flaques
    qui peu à peu respirent, s’éclairent.






    Dhainaut_paysage_05






    Aucun pas ne pèse, ne s’ajoute aux vents,
    une plage s’éveille, immense,
    et nous nous éveillons : serait-elle
    silencieuse, elle agrandit la marche,
    aucun pas ne s’y lasse, ne s’y répète.





    Nos traces, au gré du sable, ont tout le temps
    de ne pas prendre forme, déjà il se soulève,
    les répand, les disperse : la voie est libre,
    la voie est infinie, le haut et le bas se confondent,
    nous l’approuvons d’un même essor.



    Pierre Dhainaut | Caroline François-Rubino, Paysage de genèse, 5-6-7, Éditions Voix d’Encre, 2017, s.f.






    Paysage de genèse 2






    PIERRE DHAINAUT


    Pierre dhainaut profil 3





    ■ Pierre Dhainaut
    sur Terres de femmes


    Ici (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Que respirent avant tout les mots] (poème extrait d’Ici)
    Pierre Dhainaut | Caroline François-Rubino, Paysage de genèse, 10
    Pour voix et flûte (lecture de Sabine Dewulf)
    D’abord et toujours, 4 (poème extrait de Pour voix et flûte)
    [Ce qu’est devenue la couleur] (poème extrait de Progrès d’une éclaircie)
    [Dès le seuil remercie] (poème extrait de Voix entre voix)
    Horizons, fontanelles… (poème extrait de Vocation de l’esquisse)
    [Nous étions seuls, de trop, dans nos miroirs] (poème extrait de De jour comme de nuit)
    [Orage, tempête, séisme] (poème extrait de La Nuit, la nuit entière)
    [Sortir sous l’averse] (poème extrait d’Et même le versant nord)
    [Où que tu ailles] (poème extrait de Rudiments de lumière)
    Passerelles
    Printemps dédié (poème extrait de L’Autre Nom du vent)
    Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Soudain la tête se redresse] (autre poème extrait de La Nuit, la nuit entière)
    Vocation de l’esquisse (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Voix entre voix (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque | L’origine de l’écriture | [Si léger… tu cours] (extraits de La Grande Année)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque, La Grande Année (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Voix d’encre)
    la page de l’éditeur sur Paysage de genèse
    le site de Caroline François-Rubino





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • John Taylor | [Vallée cachée sous le glacier]




    CFRubino-02
    Caroline François-Rubino, Boire à la source de John Taylor
    Source









    [VALLÉE CACHÉE SOUS LE GLACIER]




    Vallée cachée sous le glacier ; ruissellement de l’eau : doigts d’une main ;
    l’alpage est d’un vert fertile.
    Plus haut, un aigle s’envole d’une fissure qui est comme un passage secret.



    Entre deux prés de fauche, le chemin creux sur lequel nous avons souvent rencontré, à l’heure où le soleil se couche, le sculpteur sur bois. Face au soleil qui se couche.



    Rouge-queue se posant au pied de la croix du village.



    Un nuage comme une herse dans le ciel ; le lendemain soir,
    à nouveau un nuage-herse ; puis la pluie sans arrêt pendant des jours.



    Des gentianes d’un bleu profond au bord du chemin si haut que la végétation prenait fin et que nous entrions de plus en plus dans la pierraille. Les vitraux de Chartres.





    John Taylor, Boire à la source | Drink from the Source, Éditions Voix d’Encre, 2016, s.f. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Françoise Daviet. Aquarelles de Caroline François-Rubino. Préface de Sabine Huynh.







    Boire à la source






    JOHN TAYLOR


    Johntaylor
    Source




    ■ John Taylor
    sur Terres de femmes

    [Sometimes the island] (poème extrait de Portholes | Hublots)
    [all your life long] (poème extrait du Dernier Cerisier | The Last Cherry Tree)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Voix d’encre)
    la page de l’éditeur sur Boire à la source
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur John Taylor
    → (sur Mediapart)
    Littérature : le sens de la gravité de John Taylor, par Stéphane Vallet
    → (sur lelitteraire.com)
    une lecture de Boire à la source par Jean-Paul Gavard-Perret
    le site de Caroline François-Rubino
    le site de Sabine Huynh





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  • La poétique des failles chez Muriel Stuckel

    par Isabelle Raviolo

    Chroniques de femmes – EDITO

    Lecture d’Isabelle Raviolo


    Muriel Stuckel, Eurydice désormais (ED),
    éditions Voix d’encre, 2011. Œuvres de Pierre-Marie Brisson.

    Muriel Stuckel, L’Insoupçonnée ou presque (IP),
    éditions Voix d’encre, 2013. Peintures de Laurent Reynès.
    Préface de Bernard Noël.




    Muriel Stuckel, Eurydice désormaisMuriel Stuckel, L'Insoupçonnée ou presque, Voix d'encre, 2013.








    LE POÈME AU BORD DE LUI-MÊME

    La poétique des failles chez Muriel Stuckel



    Les deux recueils de Muriel Stuckel ont ceci d’étonnant qu’ils révèlent un chant singulier : la voix du poète semble toujours prête à s’y briser, comme si elle ne tenait qu’à un fil. Son timbre fragile, tremblant, loin de signifier une « soumission » aux phénomènes, est plutôt l’expression d’une attitude poétique où le chant précaire s’allie à une conscience aiguë du « seuil » à ne pas franchir [« À l’instant du frémissement / Nos voix se suspendent » (ED, p. 54)] si bien que le poète est cette « outrepassante aux oiseaux volatilisés » (IP, p. 67). Car, dans cette poésie, « Seules les limites du silence / Lentement se savourent » (ED, p. 54) ; rien n’est saisi, capturé, possédé, mais, toujours, Muriel Stuckel a le souci du détachement qui rend possible l’écoute intérieure des « riens », des « instants », des « vibrations » du monde. C’est l’élan qui donne la mesure — et cet élan fait vibrer les deux recueils comme une onde sismique dont l’ivresse traverse le lecteur attentif, comme jadis Eurydice, sous la conduite d’Orphée, ébauchait une « danse légère / Hors des ténèbres abyssales. » (IP, p. 102) ; « Danse de vie danse de mort / Chorégraphie puissante // Pour secouer la mémoire de l’œil » (IP, p. 107). Le poète se tient ainsi sur « une ligne de faille » (IP, p. 16) qui « creuse le désir d’infini » (IP, id.) et laisse la parole blessée.





    La parole blessée ou le cri sacrifié


    Cette blessure qui signe son essentielle finitude, est aussi sa « grâce » poétique. Car sur ce relief abrupt, la voix de Muriel Stuckel se risque à la vulnérabilité, ose en quelque sorte la nudité [« Tout juste l’ombre de nos lèvres / Pour exalter la source du désir », IP, p. 90]. La parole dépouillée d’elle-même, se fait blessure ouverte, « faille », qui laisse venir à elle les choses du monde comme autant de « merveilles voilées », « Leurs éclats silencieux / Tout près de mes mots » (ED, p. 72). Ici, tout se passe à la surface des grandes profondeurs. Les phénomènes ne se manifestent pas pleinement, comme en transparence, mais ils ne se donnent à nous que pour autant qu’ils se retirent. Leur lumière n’apparaît que sur un fond obscur qui les maintient dans le retrait et creuse notre regard : « À peine si t’anime / Le désir de la durée », nous confie Muriel Stuckel dans un magnifique poème (IP, p. 98), « Seul le jaillissement / Se rêve profondeur / De l’instant perpétuel » (IP, id.).

    Certes le goût de l’absolu est éprouvé, mais il « n’est qu’une intuition » (IP, p. 47). Et l’intuition n’est pas un savoir, un objet de connaissance, mais la saisie immédiate, sensible d’une réalité qui nous échappe. On comprend alors pourquoi c’est « aux confins du silence » que « la poésie palpite » (IP, p. 84), et que le temps « se renverse », laissant « les vagues de ta voix / Sur le sable rauque / De l’immensité heurtée » (IP, p. 67).

    Aussi quelque chose se donne-t-il ici comme un « rien » que l’on n’aurait jamais soupçonné tant il semble venir de plus loin que nous-mêmes. C’est ce « rien » qui, selon nous, forme la ligne de faille « où le corps se fait poème » (IP, p. 15) si bien que l’on pourrait presque dire qu’il s’agit là d’une attitude orante tant le poète se fait tout entière « patiente des mots » insoupçonnés, attentive au « temps d’une musique / Déchirante d’absolu » (IP, p. 102). Le corps orant du poème a conscience d’un seuil à ne pas franchir ; il se tient « à la limite » ou « sur la faille » comme si son être même tenait à sa condition fragile, précaire — comme si sa béance se faisait matricielle [« À l’ombre du silence / Endeuillé / Le murmure bleu / De ma renaissance. » (ED, p. 77)]. C’est ce corps que le poète nous livre comme une voix de fin silence, ce corps qui naît « en ce lieu d’initiale vibration », ce corps enfin qui, en sa précarité même, « cherche le soleil » [« Langue de chair humide glissante / Les mots sont ton destin / Ton humaine fatalité » (IP, p. 97)], car « Le poème est au fort quand il est au bord de lui-même » (IP, l’épigraphe de P. Celan, p. 71).

    Une blessure ontologique traverse cette poésie ; elle est sa condition de possibilité même : en ce creux, en cette faille, a lieu la naissance du poème comme une naissance à soi-même (« L’art est peut-être un chemin vers soi-même » disait Maurice Blanchot cité par Muriel Stuckel dans IP, p. 85). Cette naissance traverse l’œuvre poétique de Muriel Stuckel comme une ligne verticale, la corde d’une lyre qui est la colonne d’air du corps, du poème même : « L’instant de notre lyre / Reconstellée / Orphée » (ED, p. 75). « La page est un lieu qui déborde la page mais que le poème centre autour de sa verticale » (Bernard Noël, préface de L’Insoupçonnée ou presque, p. 3) – une verticale qui se dresse, selon nous, comme un grand « oui » à la vie, aux phénomènes du monde dans leur énigmatique présence entre les blancs et les noirs du poème. Celle-ci vient habiter la page, l’ensemencer presque. Les superbes peintures de Laurent Reynès nous en font sentir la vibration subtile, comme si la matière y faisait transparaître les « frissons de blancheur » qui habitent les suites de poèmes. Un éclat surgit de la nuit même : un quelque chose, un rai de lumière discret naissant de la ténèbre — un infime qui compte infiniment, un presque rien qui est le plus important. Précaire, le souffle du poète, comme les traits de pinceau, expriment l’« obscure ivresse » d’un « babil secret » (IP, p. 72) comme si se jouait ici une sorte d’alchimie, une œuvre au noir. Ainsi, comme le dit Bernard Noël, « la lumière a toujours sa doublure d’ombre comme le sens sa doublure sonore. Cette dualité introduit dans la matière verbale un tremblement qui fait vibrer le halo où se tient la beauté » (IP, préface, p. 3). Le rythme porte alors une vision charnelle, aux abords de l’insoupçonné :


    « Vestige de soie

    À la lisière des mots

    Le temps se plisse

    Jusqu’à silence fendre

    Sous nos pas de neige »

    (IP, p. 71).


    Les mots sont autant de traces pulpeuses du souffle des origines chez Muriel Stuckel, ils sont autant de « vestiges d’un adagio de Malher » (IP, p. 36), éclats d’infini aux confins de l’éphémère :


    « Au bord du temps

    L’instant me fait signe »

    (ED, p. 58).


    Ainsi, la poésie de Muriel prend le risque de la nudité. Sa précarité lui assigne le lieu du silence comme ce « fond » des mystiques rhénans où naît le Verbe lui-même :


    « Bouche dans la nuit

    Je suis le silence

    L’éclat

    Sous mille paupières

    Je suis l’offrande »

    (ED, p. 118).


    Et c’est bien cette « voix des confins » dont le peintre Pierre-Marie Brisson se fait merveilleusement l’écho dans Eurydice désormais, cette voix qui vibre « outre-gorge » et nous livre un « silence infime » (ED, p. 128). « Voix d’ombre / voix de neige » (IP, p. 113), son murmure transcende « notre cri sacrifié ».





    Dans l’éclat du silence : l’éclaircie tremblante du poème


    Chez Muriel Stuckel, la poésie prend racine au bord d’elle-même : « aux limites de la brûlure », elle s’avance « drapée de poussière » (IP, p. 121) ; elle « accuse la fêlure du gouffre » (ED, p. 22) ; mais toujours elle reprend l’impulsion, s’élève jusqu’à l’ivresse :


    « Sous les cils de la mémoire

    Je l’ai vue s’arracher

    Aux torsions de l’obscur

    De son linceul originel »

    (IP, p. 120).


    Cette poésie « au bord d’elle-même », cette poésie précaire, se tient « tout autour de l’énigme » ; elle nous livre le tragique de l’existence sans s’y résigner :


    « Accéder à l’insigne poésie

    Plus vraie que Babel

    Et son mythe démasqué »

    (IP, p. 121).


    Elle dit alors ce peu qui lui est consenti comme ce tant qui déjà frémit en elle, prêt à éclore :


    « Inscrire un pas de mot

    Dans l’éclat du silence

    Pour tracer enfin

    La jouissance du passage »

    (ED, p. 52).


    Tel est peut-être le paradoxe ultime auquel Muriel Stuckel nous confronte : l’épreuve du silence consubstantiel à celui du poème. De la vie même :


    « Sous le souffle virginal

    Du désir renouvelé

    Genèse imperceptible

    Juste avant l’éclat primordial »

    (IP, p. 134).


    En osant se heurter au silence, au vide, au rien, mais aussi à la matière rude et aride, en habitant cette « chair du temps qui danse », le poète fait l’expérience de la joie : elle court le risque de rejoindre « l’orée du désert / où frémit le désir de l’oasis » : la grâce dans la pesanteur où se dessine la violente patience du cri comme l’acte même de la naissance. Naissance du poème dans l’abîme, dans le fond :


    « En ce sanctuaire d’Osiris

    Redoutable maître des morts

    Les ténèbres se font vitales

    Le soleil bleu de nuit

    Peut y reprendre souffle »

    (IP, p. 134).


    Dans ce paradoxe s’exprime la joie comme cet instant de grâce, de transparence en la pesanteur même des choses – des riens qui sont autant d’éclats de lumière, de poésie :


    « En l’acte de créer

    Qui fut le tien

    La vie majuscule

    L’intensité du feu

    En l’acte de nommer

    Qui fut le tien

    La nudité de tes mains

    Plus véhémentes

    Que ta voix d’ange »

    (IP, p. 60).


    Le poète chante ici un chant précaire : enraciné dans une incarnation imparfaite, fragile, incertaine, ce chant ne devient possible que dans l’exigence d’une tenue intérieure, d’une attitude qui est celle de la nudité vigile, de la conscience du seuil. Pauvreté qui veille sans rien demander, mais qui dans ce « rien » se fait aussi tout entière prière, question, et question demeurée sans réponse :


    « Les failles de la phrase

    Ne rehaussent-elles pas

    Le sens volatile des mots

    Dès que s’imprime notre feuille de chair ? »

    (IP, p. 19).


    Aussi le poème sort-il de lui par la question : il s’excède lui-même, outrepassant le seul plan de sa forme, tendant au dehors de ses mots, il fait retentir en eux la musique née du silence intérieur, de la lumière sans peau, celle où « le nénuphar blanc diffuse ses mots de l’aube » (IP, p. 134). Ici, se dessine toute l’exigence de l’écriture poétique de Muriel Stuckel, l’exigence de la faille, des « yeux du silence » (IP, p. 19), de « ce tant d’éphémère » (ED, p. 76) ; exigence même du poète précaire. Car le silence n’est-il pas, chez Muriel Stuckel, le « lieu du vertige inaugural » (IP, p. 18) ? L’œil du poète avoue sa nescience : il ne saisit pas quelque chose, mais « rien », un « bel inaperçu » (IP, p. 21) dans les replis du livre. Alors le ciel se renverse dans l’ombre dépliée de la paupière. C’est dans l’aveu même de cette nescience que se joue toute la musique précaire de L’Insoupçonnée ou presque. Musique qui naît de la perte surmontée, musique précaire en ses silences mêmes comme nous le dit ce très beau poème dédié à Béatrice Douvre (IP, pp. 59-61) :


    « Ta parole précaire

    Ton âme incandescente

    Dans ce peu de nuit

    Pour capturer tes nuages

    L’effroi de l’enfance

    […]

    Lieu de neige écarlate

    Ta page de poésie

    Tu y souffles feu et cendres

    De ta souffrance nue »


    C’est dans la mesure où la prière d’enfance est désormais impriable, où les dieux se sont retirés, que la nostalgie du poème s’ouvre en question, celle même de « l’outrepassante » qui ne sait pas ce qu’elle cherche — double du poète « assoiffée de confins » (IP, p. 114) :


    « Braises murmurantes,

    Tes paroles défilent

    Sur l’autel implacable

    Du néant qui crépite

    Pour mettre à feu notre mémoire

    Là-bas de l’autre côté

    Ta voix de nuit devenue »


    Voix de nuit, prière impriable, elle exprime la précarité même du chant. Ainsi :


    « dans les plis de la pivoine

    La mémoire d’un ciel furtif

    Tout à coup s’élève le babil

    D’une marge pulvérisée

    Dans les plis de la pivoine

    L’évidence de ton désir

    Suppliant l’été proche

    De toutes ses pupilles »

    (IP, p. 119).


    Le poète développe ainsi « une architecture écorchée par les griffes du soleil » (IP, p. 32), une poétique des failles où elle s’engage humblement mais constamment sur la corde raide.





    Une poétique des failles


    Au cœur de l’effort patient qui ouvre la pesanteur, dans le mystère de la vie déhiscente, dans la chambre obscure et lumineuse du poème précaire, soif née de la soif elle-même, désir demeuré désir, le poème prend naissance :


    « Quelques reflets poudrés

    Du soleil de sang

    Qui se gorge de mots

    Pour nous embraser l’âme »

    (IP, p. 133).


    Dès lors, il apparaît comme l’autre de l’âme, le lieu où le temps se défait en nous :


    « Rien sinon le bref passage

    Des eaux sérénissimes

    Rien sinon la promesse

    D’un jardin de cloître

    Gravé d’ombres et d’éclats

    Suspendu entre l’origine

    Et l’accomplissement

    Le silence y préserve

    Les parfums du crépuscule »

    (IP, p. 48).


    comme si l’écoute attentive du poète était requise ici pour que du silence, le chant vivant, incarné, puisse éclore en sa précarité :


    « Groseilles d’ivresse

    Nos paroles épanouies »

    (IP, p. 49).


    Œuvre au noir, L’Insoupçonnée ou presque nous fait entendre le chant précaire des profondeurs, un chant du paradoxe — paradoxe d’une force tenant à la faiblesse, d’une grandeur tenant à la petitesse — paradoxe de la « vérité noire » comme cette vérité du précaire lui-même. Cette vérité qui fut celle même d’Orphée :


    « Refuse-toi la volupté du regard

    Préserve notre silence écartelé

    Sous la voile blanche

    Venue toute me draper »

    (ED, p. 84).


    Muriel Stuckel ne cesse en effet de ranimer son espérance à cette idée qu’au plus démuni, au plus pauvre, au plus fragile sera donné le plus nécessaire, « la splendeur même de l’interstice » où git la quintessence de cette poétique des failles :


    « De toi à moi

    La suspension vitale du regard

    Orphée ne te retourne pas

    Aime-moi sans impatience »

    (ED, p. 87).


    L’exigence du poème tient à sa précarité, et celle-ci rend possible l’amour, la tendresse des âmes et des corps dans ces anneaux du paysage qui réunissent les voix humaines qui se cristallisent : « À l’ombre de la prophétie […] Tout seuil sera lumière » (ED, p. 89). La poésie de Muriel Stuckel est donc ce qui tient de l’impriable. Elle est ce questionnement adressé à l’immanence même de l’existence, dans ses souffrances où se fait promesse de fécondité :


    « Dans la nudité de ma voix

    Je m’avance

    Au plus près

    Entre l’émoi de ton visage

    Et la saveur de tes mots »

    (ED, p. 94).


    Le poème n’appelle aucune transcendance, mais se tient sur la faille, sans réponse comme l’âme est seule ; tout à la fois risible et tragique, il est incertain de soi, vulnérable, démuni de puissance, et c’est en cette pauvreté essentielle qu’il exprime toute sa beauté :


    « Silence de l’écume première

    Spirale voluptueuse

    Mémoire de tes yeux

    Qui ont su refuser

    Orphée

    La tentation du regard »

    (ED, p. 97).


    Ainsi, la poétique des failles chez Muriel Stuckel est bien celle qui refuse « la tentation du regard » pour se faire conscience du seuil, cet œil qui, détaché de toute volonté captatrice, se fait pure écoute aux confins du silence. Sa beauté naît de sa précarité même, de sa fulgurance comme la percée d’une lumière incréée dans l’obscurité de l’existence, à l’heure même où « tout devient regard » :


    « L’éclat de lumière

    Serti de nuages »

    […]

    « Voûte stellaire

    Si toute précaire

    Tu m’ensoleilles »

    (ED, pp. 96-98).


    Une voûte qui est la métaphore même du poème précaire, mélancolie solaire qui livre au poème la quintessence de la création, de la lumière, de la vie, ce «  jouir à l’excès » dont Muriel Stuckel parle dans Eurydice désormais :


    « Jouir à l’excès

    De la saveur de nos rires

    […]

    Quand l’aube crépite

    Sous nos pas libéré »

    (ED, p. 99).


    Comme le rire, la beauté nous échappe, c’est une « Trace de l’éphémère / Dans le ciel de mai » (ED, p. 100). Elle est belle de cela même qu’elle se retire et ne se laisse nommer par aucun attribut de langue humaine. Elle demeure elle-même tout entière « Eurydice » dans sa nudité, comme cette fleur qui reste invisible au regard inattentif, absent ou vide.

    Dans la poésie de Muriel Stuckel, la beauté du poème est le fruit d’un long abandon qui est paradoxalement le suprême travail, la vocation du poète qui se délivrant de lui-même, du souci de lui-même et du monde, le retrouve « mûri », dans la lumière intérieure, dans cette offrande du poème qui le précède et l’accomplit sans que le poète puisse s’arroger aucun droit sur lui tant celui-ci n’est que le chantre d’une musique qui le dépasse infiniment : cette musique mystique des failles où « la parole se fait vertige » (ED, p. 105) ; où les « voix retrouvent […] le goût du murmure » (ED, p. 107). Car le bonheur n’est jamais dit en pleine lumière ou en pleine parole, mais demeure « La voix du poème / Dans la transparence / Du souffle repris » (ED, p. 106). Procédant de l’impriable, cette poétique des failles est une espèce de « prière » qui excède toute prière comme demande, qui a la couleur bleue du ciel — prière mystique qui prie de ne plus prier, et qui trouve dans le vide la plénitude même de son être :


    « Tout s’élève

    Se soulève

    Et notre lumière d’âme

    À l’approche du bleu

    De ce bleu si bleu

    Qu’il finira peu à peu

    Par nous brûler les yeux »

    (ED, p. 108).


    Au bord de lui-même, le poème troue le temps « de blancs vertigineux » (IP, p. 83), réalise une « Improvisation majestueuse / À l’épreuve de notre silence » (ED, p. 110). Il semble faillir, défaillir, craquer de toute part, pareil à cette voix qui se brise. En cette poétique des failles, on comprend donc que le poème semble s’excéder, et trouver en cet excès même, sa liberté : commencement de sa musique, maturité d’un silence nu, patience précaire d’un œil qui « s’accroche / D’outre-bleu ébloui » (IP, p. 32).





    Muriel Stuckel compose son recueil comme une partition de musique où nous pouvons lire les indices d’une poétique des failles, d’une parole précaire : un chant repris par le silence, des vers retenus dans le soupir de leurs contradictions, conforme à l’exigence de la création —  une beauté lyrique qui se risque à l’impossibilité même de la prière, à la vie tremblante du poème, « quand l’infini se fait si proche » (ED, p. 115).

    « Soudain, tout devient inouï : la manière de concevoir la succession des vers, de mettre leur sens dans la dépendance des syllabes, d’accélérer la pensée. » (Bernard Noël, préface de L’insoupçonnée ou presque, p. 3). Le poète retrouve le rythme, la mesure métrique qui répond à la mesure du monde, où elle livre, avec une naïveté qui est la transparence de l’âme, des prières simples et nues où les conditionnels vibrent d’un désir infini comme un feu secret entretenu avec amour et vigilance :


    « Charmeur d’étincelles

    Notre babil retrouvé

    Harmonie du vent

    De la lumière de la pluie

    Sous la poussière du soleil

    Nos corps se confondent

    Babil ébloui

    Notre chant rejailli

    Orphée »

    (ED, p. 116).


    Au-dedans de l’écriture même, et non sans paradoxe, le poète cherche alors à sentir l’appel d’un dehors où se reforme la dimension d’expérience et de vérité qui manquent aux langues, quand elles s’enchantent de soi. Quand décline l’ardeur insinuée entre la roche et le cri trop léger de l’été, les yeux de l’enfant se déplient et « Tige vacillante / La lumière se diffuse // Pour illuminer la terre / Déchirer le jour de la nuit » (IP, p. 127). Ici les événements deviennent présents, immanents, transposés dans les mots qui nous permettent de les intérioriser. Seuls ces mots peuvent permettre aux choses de se faire un lieu – et de s’unir en nous :


    « Traces de chevreuil

    Sur la neige du soir

    Tu frôles mon sourire

    De tes yeux inespérés

    Jusqu’à l’imminence

    Qui prend notre mesure »

    (IP, p. 76).


    Ce mouvement d’intériorisation ne suffit pourtant pas. Pour que la présence advienne, il faut encore que la vie rejaillisse de l’acte qui a été intériorisé, renaissant d’un acte qui est indistinctement celui de parler et celui de vivre. Et c’est dans cet acte qui est le commencement éternel du poème précaire que « le monde s’ouvre / À la volupté du vent » (IP, p. 77). Ce vent est le souffle de la vie venant féconder l’antre obscur, la terre intérieure, pour y faire naître le verbe, la parole poétique : présence énigmatique qui se reçoit lors même qu’elle se retire à toute capture, elle est la semence de toute germination, de toute floraison. La terre elle-même semble alors pouvoir accéder à une sorte de pouvoir de régénérescence :


    « Murmure échappé

    Cette danse d’éclats

    Au bord du baiser

    Ce souffle lumineux

    Ce rêve de grand ciel »

    (IP, p. 79).


    Poète qui aborde sa tâche dans l’énergie de la faille qui incise et creuse, Muriel Stuckel pressent que la joie couve dans le sein du silence : « Sous le fracas des mots / L’élégie du silence » (IP, p. 74). C’est en ce silence vivant et vécu que les mots respirent, que la parole précaire se fait feu fécond, « éclaircie tremblante » (IP, p. 89). Il revient alors au poète de veiller à ce que le feu ne meure pas, à ce que la flamme du désir ne s’éteigne pas : attention extrême à l’instant que se joue toute la tenue de cette poétique des failles. Aussi la tâche du poète se dessine-t-elle en ce foyer de l’attention et de l’inquiétude. Attention au feu, inquiétude d’un désir vigile de la flamme tremblante, celle de l’écriture qui s’éveille sur la corde raide, dans le clair-obscur d’une existence :


    « Splendeur de l’eau vive

    Sous le soleil de midi

    Tu traverses notre chair

    Renouvelée

    Elle retrouve le goût

    De l’écorce de la sève

    Du feuillage du fruit

    Des larmes nuptiales

    Où puiser étincelantes

    Nos parcelles d’éternité »

    (ED, p. 121).


    À la fois testament et acte de naissance, ces deux recueils de Muriel Stuckel témoignent d’un incessant passage, d’une naissance continuelle aux profondeurs de soi, dans ce fond où l’on trouve l’équilibre fragile du danseur. Car cette naissance passe par une mort — mort aux images, aux représentations, aux illusions : autant de morts autant de vies, car c’est dans ce creuset du détachement que s’énonce l’éclat de l’infini comme ce « prestige de l’éphémère » (ED, p. 122). La lumière ne s’obtient pas sans le passage par l’ombre : elle naît de la traversée même de l’obscur – « frêle ébauche de transparence » (IP, p. 128), «  aube qui balbutie » (IP, id.), la voix du poète est comme saisie par les contraires asymétriques jusqu’au soulèvement suprême, « Promesse du flamboiement // Sous la foudre de l’infini » (IP, ibid.). Symphonie du clair-obscur, parole précaire, la poétique des failles maintient le poème au bord de lui-même, le chant à hauteur d’homme. Là « s’élève le babil / D’une marge pulvérisée » (IP, p. 119).


    Isabelle Raviolo
    pour Terres de femmes
    Milly-La-Forêt (Essonne), août 2014
    D.R. Texte Isabelle Raviolo






    MURIEL STUCKEL


    Muriel Stuckel 3




    ■ Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Dans la césure de tes poèmes (extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    [Ce n’est pas tant] (extrait d’Eurydice désormais)
    [Demeure précaire] (autre extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    Le risque de la poésie (extrait d’Eurydice désormais)
    [Sous le pas d’une ombre vive] (autre extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    [Sous la courbe de la phrase] (extrait de Du ciel sur la paume)
    [Trop vif le soleil] (extrait de Petite Suite Rhénane | Kleine Rhein-Suite)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    La poésie échappée



    ■ Notes de lecture de Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Jacques Estager, Douceur
    Gunvor Hofmo, Tout de la nuit est sans nom
    Stéphane Sangral, Circonvolutions





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  • Muriel Stuckel | [Sous le pas d’une ombre vive]



    Gorgé des larmes du ciel
    Ph., G.AdC







    [SOUS LE PAS D’UNE OMBRE VIVE]




    Sous le pas d’une ombre vive
    L’éclat des mots crépite

    Comme foulée étincelante
    Au cœur de la forêt

    Déjà les biches s’éparpillent
    Sur les feuilles froissées

    Le silence se chuchote
    Gorgé des larmes du ciel

    Sous le pas d’une ombre vive
    La poésie prend souffle

    Là-bas au large des nuages
    Quand la voix de l’aube s’ajuste




    Muriel Stuckel, L’Insoupçonnée ou presque, éditions Voix d’Encre, 2013, page 81. Peintures de Laurent Reynès. Préface de Bernard Noël.






    Muriel Stuckel, L’Insoupçonnée ou presque, Voix d’encre, 2013.






    MURIEL STUCKEL


    Muriel Stuckel 3




    ■ Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    La poétique des failles chez Muriel Stuckel (Chronique d’Isabelle Raviolo)
    [Demeure précaire] (autre extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    [Ce n’est pas tant] (extrait d’Eurydice désormais)
    Le risque de la poésie (extrait d’Eurydice désormais)
    [Sous la courbe de la phrase] (extrait de Du ciel sur la paume)
    [Trop vif le soleil] (extrait de Petite Suite Rhénane | Kleine Rhein-Suite)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    La poésie échappée



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Voix d’encre)
    la fiche de l’éditeur sur L’Insoupçonnée ou presque



    ■ Notes de lecture de Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Jacques Estager, Douceur
    Gunvor Hofmo, Tout de la nuit est sans nom
    Stéphane Sangral, Circonvolutions






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