Étiquette : Élisabeth Chabuel


  • Élisabeth Chabuel | [on ne pense pas au présent]



    [ON NE PENSE PAS AU PRÉSENT]





    on ne pense pas au présent
    au train qui lie la ville
    et nous lie
    nous
    à l’inconnu en chair et en os qui nous côtoie

    et nous
    à nous-mêmes

    on vit ailleurs dans nos paroles
    on a nos liens
    on se retrouve par-delà les murs
    ou par-delà les ruines

    on se parle la langue

    momentanément
    la distance n’existe plus
    l’éloignement
    l’exil
    la prison





    on tente d’appréhender le passé
    pour étayer le présent
    envisager peut-être
    un futur

    les barres défilent tristement
    des lignes sombres cinglent l’espace urbain derrière la vitre

    lignes de fuite

    on glisse sur nos phrases
    pieds-nus dans un lavis ruisselant

    les montagnes s’effacent
    les hauteurs perdent leurs têtes
    des litres de brume pèsent sur les barres

    seule notre voix
    transperce ce qui nous ceint





    Élisabeth Chabuel, Les Passagers, Voix d’encre, 2019, s.f. Aquarelles d’Emmanuel Mergault.





    Elisabeth Chabuel  Les Passagers






    ÉLISABETH  CHABUEL


    Chabuel portrait
    Source





    ■ Élisabeth Chabuel
    sur Terres de femmes

    Et ils sont (extrait)
    Intime violence
    Veilleur (lecture d’AP)
    Je (extrait du Veilleur)
    17 juillet 1944 | Élisabeth Chabuel, 7 44
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Le Moment




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Voix d’encre)
    la fiche de l’éditeur sur Les Passagers





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  • Élisabeth Chabuel | Je



    JE
    (extrait)




    Une main
    sur la poignée du portail


    Vert






    Cela est
    On est

    C’est tout



    Je dis ON
    Cela est On est
    Je suis ON
    Difficile de dire JE

    Dire

    Plutôt que j’existe

    On existe

    Car en un autre temps

    Un autre a existé
    Et puis un autre Et un autre Et un autre

    Il Existe ON

    Pour qu’existe

    JE



    Le portail
    grince

    Pour s’ouvrir




    […]



    Élisabeth Chabuel, « Je » (extrait) in Le Veilleur, Créaphis Éditions, Collection Format Passeport, 2018, pp. 7-8-9.






    Chabuel  Le Veilleur






    ÉLISABETH CHABUEL


    Chabuel-526x640.jpg 2





    ■ Élisabeth Chabuel
    sur Terres de femmes

    Veilleur (lecture d’AP)
    Et ils sont (extrait)
    Intime violence
    [on ne pense pas au présent] (extrait des Passagers)
    17 juillet 1944 | Élisabeth Chabuel, 7 44
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Le Moment




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  • Élisabeth Chabuel | Et ils sont (extrait)



    ET ILS SONT
    (extrait)




    au bout de l’aveuglement

    nous sommes des branches de bois sec
    devenus
    cassants comme du verre

    cassés

    plus bons qu’à disparaître


    sous nos yeux vides
    la mer régurgite un corps d’enfant

    et nous crions




    nous crions le nom de l’enfant

    nous regardons l’enfant
    nous mettons la photo de l’enfant sur nos murs

    nous transférons la photo de l’enfant
    nous transférons à tout va la photo de l’enfant
    nous transférons
    la photo de l’enfant

    et nous crions
    nous crions le nom de l’enfant
    nous crions à tout va le nom de l’enfant
    nous crions
    le nom de l’enfant

    nous crions et nous crions
    petit enfant à bouchon sur le sable
    à fleur d’écume
    tout mouillé
    on dirait qu’il dort

    notre petit dormeur du sable



    Élisabeth Chabuel, « Et ils sont » (extrait) in revue Voix d’Encre n° 56, mars 2017, pp. 52-53. Photographies d’Alain Blanc.






    Voix d'encre 56 2






    ÉLISABETH  CHABUEL


    Chabuel portrait
    Source





    ■ Élisabeth Chabuel
    sur Terres de femmes

    Intime violence
    Veilleur (lecture d’AP)
    Je (extrait du Veilleur)
    [on ne pense pas au présent] (extrait des Passagers)
    17 juillet 1944 | Élisabeth Chabuel, 7 44
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Le Moment




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Voix d’encre)
    la fiche de l’éditeur sur le numéro 56 de la revue Voix d’encre






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  • Mimoza Ahmeti | [Je ne sais que faire de l’univers]


    [JE NE SAIS QUE FAIRE DE L’UNIVERS]





    Mimoza Ahmeti, L'Aéroport du coeurJe ne sais que faire
    de l’univers, où la Terre,
    ce jouet mien
    n’est plus adapté
    à mon âge.
    Depuis des années
    je joue avec,
    il a mangé les ossements
    de mes grands-pères
    et c’est cette impression,
    peut-être, qui me rend
    le jardin du rêve,
    et me donne
    assez de mélancolie
    pour me sentir humaine.
    Vous savez,
    un préjugé suffit
    à engendrer la vie,
    mais un seul obstacle
    et l’intrigue se trame,
    puis l’incident,
    sa multiplication crée
    l’histoire,
    et s’engendrent
    les frontières, langues
    et nations
    qui entretiennent des guerres.





    Et moi je perds ma faculté
    de communiquer,
    le plaisir de simplement
    rayonner avec le commun
    des humains…



    Mimoza Ahmeti, L’Aéroport du cœur, poème choisi et traduit de l’albanais par Élisabeth Chabuel, Éditions imprévues, Collection « Accordéons », 2015, pp. 2-3.






    MIMOZA AHMETI


    Mimozaahmeti
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Imprévues)
    une page sur L’Aéroport du cœur de Mimoza Ahmeti
    → (sur transcript)
    une page sur Mimoza Ahmeti
    → (sur wikipedia.fr)
    une notice sur Mimoza Ahmeti





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  • Élisabeth Chabuel, Veilleur

    par Angèle Paoli

    Élisabeth Chabuel, Veilleur,
    Éditions Imprévues, 26150 Die, août 2014.




    Lecture d’Angèle Paoli


    CE QU’IL RESTE, C’EST UN SOUFFLE




    Un nouveau livre vient de voir le jour dans le monde de la petite édition : Veilleur aux éditions Imprévues. La créatrice de cette toute nouvelle maison d’édition, Élisabeth Chabuel, est également l’auteure et l’illustratrice du premier ouvrage publié, dédié à un homme dont la narratrice ignore le nom : « Veilleur ». Personnage lié à elle par les chaînons de l’Histoire.

    « à cet homme dont j’ignore le nom

    qui a sauvé ma famille en juillet 1944

    à Vassieux-en-Vercors

    Le lecteur comprend d’emblée que c’est vers cet homme qu’Élisabeth Chabuel nous conduit. Vers une rencontre inscrite dans l’univers tragique de la Seconde Guerre mondiale.

    Avant même d’entrer dans la lecture du recueil, ce qui surprend dans cette partition en trois temps — JE / IL / VISIONS —, c’est la place accordée aux pronoms personnels aux italiques aux majuscules. La ponctuation, en revanche, est régie avec économie tout comme les textes, souvent répartis sur un nombre minimal de vers et parfois réduits à cinq mots. « C’est tout ».

    C’est dans IL que le texte bascule dans l’histoire à proprement parler du « Veilleur », dans une narration serrée sur trois pages. C’est aussi dans ces paragraphes de prose que le « Veilleur » — qui répond ici au prénom de Martin — sort provisoirement de l’anonymat. Élisabeth Chabuel est la narratrice de ce récit qui lui a été confié par des témoins qui lui ont préexisté :

    « On m’a raconté l’histoire. L’histoire du veilleur. »

    En amont, l’histoire de « IL » est précédée par l’entrée en scène de « JE ». Un « JE » qui cherche sa place dans un univers qu’il n’a pas connu, qui inscrit le « JE » dans une descendance à partir de faits qui ont eu lieu en un temps autre. Ce « JE » s’insère dans une chaîne anonyme où le « ON » préside :

    Car en un autre temps

    Un autre a existé

    Et puis un autre Et un autre Et un autre

    IL Existe ON

    Pour qu’existe

    JE »

    Le lecteur imagine que la distinction entre majuscules et minuscules sera prise en compte dans une lecture à haute voix, les majuscules pouvant signaler aussi un appui de la diction.

    C’est ce « JE » initial qui prend en charge l’histoire du « Veilleur », une histoire qui implique une prise de conscience et une remontée dans le temps. Le temps des cimetières, de l’alignement aveuglant des croix des tombes sans autre mention que : «  INCONNU ». Le temps du « JE » est celui du portail qui grince sur les morts, du « portail Vert » qui ouvre sur la mémoire. Mémoire inscrite dans un paysage, plateau et vallon, prairies où domine le Vert.

    « Vert Comme tout est vert dans cette mémoire

    Les prairies du plateau Du Vert de la vie

    Comme Vert Du Vert de la mort

    Le portail du cimetière »

    Sans doute faut-il voir dans la contamination des majuscules, l’importance que cette couleur a dans l’univers que la narratrice découvre. Le Vert semble catalyser ici toute la force des images que véhicule la rencontre avec les tués de la Seconde Guerre mondiale. Car c’est au « IL » de cette guerre-là que les autres, ses descendants, doivent la vie :

    « IL est mort

    Et nous serons épargnés … »

    Tout ce qu’il reste de ce « IL », de son passage, ce sont des questions restées sans réponse, en suspens. Invérifiables comme le sont les mots des autres, anonymes, qui ont parlé de lui.

    « On ne sait pas

    Rien

    Le ON ne sait rien

    Le ON ne se souvient pas

    Le JE imagine »

    Il n’est pas besoin de beaucoup de mots pour interroger le mystère qui entoure ce « IL ». Des mots simples qui reviennent comme des leitmotive sans pour autant que soit apportée davantage de lumière sur les événements, des mots qui tournent en boucle sur la page. Quelques phrases à peine, espacées par des interlignes. Peut-être pour accorder au mort (aux morts) l’espace qui lui est nécessaire pour respirer, pour laisser à la terre ce qu’il faut de blanc pour libérer son souffle de silence.

    Une fois mise en place — dans une progression qui ménage la lenteur — la question de la légitimité du « JE » et de sa mise en résonance avec le « ON » ou le « nous », le « IL » peut advenir, ce « IL » dont « on m’a raconté l’histoire ». Une histoire qui a été vécue en juillet 1944 par la famille de la narratrice, dans les montagnes du Vercors, et qui rejoint celle de tant d’autres. Suivent trois pages consacrées à « l’histoire du veilleur », histoire construite sur les répétitions qui sont autant de balises qui jalonnent la progression du récit et autant de points d’appui pour l’oralité. Dans la maison / la clairière / Une maigre pitance / Veiller / Martin / On m’a raconté l’histoire. Et autour du « Veilleur » : les parents les amis l’enfant. Soudain, le temps s’accélère. Tout bascule. Dans le danger dans la précipitation la peur la fuite. Jusqu’au sacrifice du « Veilleur » — il risque en raison de son âge de retarder la fuite du groupe — et à sa mise à mort.

    « Le veilleur est vieux. Il a pris sa décision. Rester. »

    Intitulée VISIONS, la dernière partie de Veilleur — partie la plus énigmatique du recueil — est répartie sur trois saisons. [Printemps], [Été], [Automne]. Elle est annoncée par une citation en exergue de Claudio Parmiggiani :

    « Passé présent et futur

    vivent dans une seule dimension

    où le temps n’existe pas »

    Artiste plasticien italien, créateur d’une œuvre intitulée Delocazione, ce «Génie du non-lieu » — selon la définition que donne de lui le philosophe et critique d’art Georges Didi-Huberman —, Claudio Parmiggiani abolit le temps et l’espace. Empruntant le sillon ouvert par Claudio Parmiggiani, Élisabeth Chabuel gomme la dimension temporelle de son univers poétique. Et le temps lui-même. Il en est de même des saisons. Sans doute l’auteure de Veilleur met-elle en doute leur existence puisqu’elle les inscrit entre crochets et que l’hiver a disparu. L’annihilation du temps s’accompagne d’une indistinction générationnelle, d’un effacement des individus et des genres (ainsi du premier poème). Une indifférenciation et une déshumanisation qui ne sont pas sans rappeler la tragédie de l’Holocauste ou, sans doute, bon nombre de tragédies qui ont frappé aveuglément le XXe siècle:

    « on est les enfants

    on est les adultes

    on est beaucoup de personnes

    on est comme des animaux

    on est pareil

    on s’épuise… »

    ou encore :

    « on est beaucoup de personnes

    on est seul »

    Il en est de même de l’espace et des catégories ordinaires. Tout, en temps de guerre, se trouve perverti, réduit à une uniformisation redoutable.

    « notre géographie

    c’est l’histoire »

    Et plus loin :

    « c’est le jour et la nuit

    et c’est le jour

    et la nuit

    les deux

    chaque soleil et chaque lune

    chaque

    soleil

    on marche

    sur la carte »

    Dans certains poèmes de VISIONS, l’effacement est visualisé par les ratures. Les biffures de certains mots, tout en attirant l’attention sur eux, interrogent. Ainsi par exemple dans le second poème de [Printemps] :

    « c’est des stigmates des strates

    des sédiments

    des courbes de niveaux

    […]

    qui errent dans le paysage »

    L’auteure a volontairement supprimé les termes trop précisément ou trop affectivement connotés. Tout en en gardant la trace, l’empreinte, elle les éradique du poème. Parfois en les remplaçant par des termes scientifiques, neutres et objectifs. Ainsi, dans le quatrième poème, Élisabeth Chabuel supprime-t-elle les mots aux connotations trop fortes. Elle réduit /resserre son poème à l’extrême pour n’en garder que l’image de « l’herbe vive ».

    Inscrits dans le déplacement et dans la marche, les poèmes de VISIONS sont marqués par la quête de la « présence ». Indissociable de « l’absence » et de « la hantise » du corps disparu dont chacun s’efforce de retrouver la trace. Chacun cherche, au printemps, « l’empreinte » que le corps du « Veilleur » a laissée en tombant, chacun espère et redoute tout à la fois.

    « on ferme les yeux

    on a peur

    dans l’herbe repoussée

    de la tête l’empreinte ».

    Ainsi avec [ÉTÉ], le passé refait-il surface, et s’exhument avec son retour les événements qui lient le «  ON » — famille amis parents — au « IL » veilleur. C’est le temps de la recherche du lieu où « IL » est tombé et où ceux qui avaient fui n’étaient pas. Ce qu’il reste de lui, la cicatrice de son corps dans la terre. C’est l’empreinte, c’est l’herbe qui n’a pas poussé depuis :

    « l’herbe

    c’est le contour de son corps

    Comme la cendre, chez Parmiggiani, est le contour de la « maison brûlée ».

    Reste l’énigme de l’automne. Celle de la descendance livrée à l’absurdité de son existence, condamnée sans cesse à rejouer « à l’enfance de l’enfant ».

    Du passage du « Veilleur » parmi les vivants qu’il a sauvés de la mort / par sa propre mort, ce qui demeure — au-delà de l’absence et de l’ombre —, c’est « un souffle ».

    « que le printemps

    sublime ».

    Et un très beau texte pour lui rendre hommage.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Veilleur-couverture1-300x-ef3ad






    ÉLISABETH  CHABUEL


    Chabuel




    ■ Élisabeth Chabuel
    sur Terres de femmes

    Je (extrait de Veilleur)
    Et ils sont (extrait)
    Intime violence
    [on ne pense pas au présent] (extrait des Passagers)
    17 juillet 1944 | Élisabeth Chabuel, 7 44
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Le Moment



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des Éditions Imprévues [site en cours de construction])
    une page sur Veilleur






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  • Élisabeth Chabuel | Le Moment


    LE MOMENT



    ELLE DIT ...
    Ph., G.AdC



    À ma grand-mère



    L’après-midi elle fait quelques pas dans la cour. Puis s’assoit à l’abri du volet, à mi-soleil. Elle dit : c’est mercredi aujourd’hui ? Les tilleuls sont en fleur. Ça sent !
    Elle dit : y-a quelque chose dans le jardin ?
    Elle dit : il fait bon. On aura une année à tomates.
    Elle aime jardiner, et la cuisine pour de grandes tablées. La nappe blanche. Les verres à pied. Elle dit : on aura du monde.
    Elle parle de Crest. Quand elle allait à l’école.
    Elle a peur du noir. Elle dit : je voudrais y voir clair jusqu’à la fin. Pas devenir aveugle comme mon père. Je voudrais y voir pour me conduire. Aider à quelque chose. Pas rester sans rien faire. Elle dit : quand les autres ont tout ce travail.
    Elle dit : le papa attachait les bœufs à l’écurie sans rien y voir. La maman avait peur. Moi petite fille aussi.
    Elle dit : il aurait pu se faire écraser. Mais les bêtes ça connaît.
    Elle dit : après goûter, on saignera le coq. Viens m’aider, demain on aura du monde.
    Un bol de café au lait et un peu de beurre sur du pain.
    Elle dit : mets du bois dans le feu.
    Il fait bon. Mais tu as les doigts glacés. Il fait si froid dehors ? Il gèle ?
    Elle dit : juste de la soupe et un peu de tomme. Je sais pas ce qu’il m’arrive.
    Elle dit : un peu de vin dans mon eau. J’aime pas l’eau pure.
    Elle dit : allume la couverture. Je veux me coucher.
    Elle dit : mes jambes me portent plus. C’est la première fois.
    Elle se pose la question. Du moment. Depuis dix ans, peut être, elle attend, le moment. Elle est surprise. Elle dit : je sais pas ce qui m’arrive.
    Elle dit : mes jambes me portent plus.
    Ça va être le moment ?
    Pourtant elle s’étonne parfois d’être encore là.
    Elle dit : qu’est-ce qu’on veut encore de moi ici ?
    Elle a le sentiment d’avoir fait. Beaucoup.
    Elle dit : j’ai plus de force.
    Elle dit : on ne m’aurait pas oubliée là-haut ?
    Elle prie. Elle dit : c’est tout ce que je peux.
    Pour Roger
    Pour Ginette
    Pour Marc pour Ginette. Notre père qui es aux cieux Pour Nicole et sa famille, Notre Père. Pour Alain et sa famille, notre père. Pour Baby et sa famille, notre père… Pour Jérôme et ses sœurs, notre père, pour Véronique, pour Fabienne, chaque jour pour le bonheur et la paix de chacun. Notre père…
    Le soir, la télé marche. Elle murmure dans sa tête, puis sa voix s’élève : Pour Tristan. Pour Julie. Pour Natacha. Pour Floriane. Pour Chloé. Pour Marjorie. Pour Robin. Pour Meddy. Pour Nathan. Pour Flavien. Pour Cassandre. Pour Yann. Pour Loïs. Pour Florian.
    Elle dit : Notre père… sur la terre comme au ciel Notre père Donne-nous notre pain.
    Elle dit qu’elle les aime, les enfants. Les tout-petits surtout.
    Elle dit : c’est comme ça que je les aime comme ça, quand ils ont point de malice ! Elle les prend dans son tablier. Comme ça. Dans son tablier. Elle dit : c’est comme ça que je les aime.
    Tout petits
    Elle en a trois générations dans son tablier.
    Elle dit : c’est comme ça que je les aime.


    Die, le mercredi 20 janvier 2005


    Élisabeth Chabuel
    Texte inédit pour Terres de femmes (D.R.)






    ■ Élisabeth Chabuel
    sur Terres de femmes

    Et ils sont (extrait)
    Intime violence
    Veilleur (lecture d’AP)
    Je (extrait du Veilleur)
    [on ne pense pas au présent] (extrait des Passagers)
    17 juillet 1944 | Élisabeth Chabuel, 7 44




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  • Élisabeth Chabuel | Intime violence

    «  Poésie d’un jour  »

    Ciel de nuit noire
    Aquatinte numérique, G.AdC






    INTIME VIOLENCE



    1


    Ciel étoilé
    Ciel d’étoiles étoilé
    ciel de nuit noire
    et sol crisse blanc
    Ciel noir et nuit d’hiver
    Dis oui
    Froid sur la peau me cingle la figure
    et les doigts dans la glace
    M’aveuglent
    cristaux de bruine




    2


    M’a dit

    Accepte
    ou passe ton tour
    Dis oui ou renonce




    3


    M’a dit : Accepte
    Qu’un mot à dire M’a dit
    ou geste Signe du regard
    Hausser le sourcil
    Sourire Et dans l’œil Petit faisceau
    Petit faisceau pique la chair
    Ou geste de bouche
    Petit faisceau pique la chair
    Petit faisceau Et salivera




    4


    Ciel étoilé
    Ciel d’étoiles étoilé
    ciel de nuit noire
    et sol crisse blanc
    Ciel noir et nuit d’hiver
    Froid sur la peau me cingle la figure
    et les doigts dans la glace
    M’aveuglent
    cristaux de bruine
    Givrent mes membres



    Élisabeth Chabuel, Intime violence, La Petite Fabrique, 38760 Varces, 2009. Empreinte Élisabeth Bard.






    ÉLISABETH  CHABUEL


    Chabuel portrait
    Source





    ■ Élisabeth Chabuel
    sur Terres de femmes

    Et ils sont (extrait)
    Veilleur (note de lecture d’AP)
    Je (extrait du Veilleur)
    [on ne pense pas au présent] (extrait des Passagers)
    17 juillet 1944 | Élisabeth Chabuel, 7 44
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Le Moment




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  • 17 juillet 1944 | Élisabeth Chabuel, 7 44

    Éphéméride culturelle à rebours

    «  Poésie d’un jour
     »



    Chabuel





    Samedi 17 juillet


    J’entends l’histoire
    La mère l’enfant
    Épargnés
    Les parents les amis
    Le père
    Ordre de les épargner
    Uniforme caparaçon à ses hommes
    Dans langue à eux Vocifère Deux syllabes Deux
    Les épargner Ordre
    Et aussitôt abaissent leurs canons
    Eux et filent doux
    Les épargner Ordre Et disparaître
    Mais dilapident leurs possessions
    Brisent l’abri La porte
    La table Renversent Tout Sens dessus dessous
    Souillent la citerne Plus D’eau
    À grands bruits Parlent
    S’esclaffent dans langue à eux
    Puis ce qui reste Trois fois rien De victuailles
    Et emportent avec eux le jambon
    Uniforme caparaçon parti Et ses hommes
    La vie reprend dans bois buvard
    Cris Et chants Froissements d’aile Et pieds furtifs
    La mère l’enfant
    Épargnés
    Les parents les amis
    Le père
    Se taisent
    Ne pleurent pas Ne rient pas Ne s’étreignent pas
    Se regardent d’un air gauche L’œil vide
    Prostrés La mère l’enfant
    Les parents les amis
    Le père
    On se tait On ne sait plus rien Se dire
    Rien se parler Se dire Un mot
    Courage
    Se dire : Pas pour aujourd’hui !
    En rire : Pas pour aujourd’hui !
    Se dire : Que je me pince pour y croire ! Non
    Comme si le cercle ouvert
    Fil rompu
    Et plus de début
    Pour repartir
    De début Pour repartir
    Encore
    Encore
    La mère l’enfant
    Les parents les amis
    Le père


    Élisabeth Chabuel, 7 44, K édition, 2008, pp. 30-31.




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    NOTE D’AP : ma rencontre avec Élisabeth Chabuel, au Marché de la poésie 2008, est pur hasard. C’est par Cécile (Cécile Clozel) et Katherine (Katherine Flament) que j’ai fait la connaissance d’Élisabeth. Je ne connaissais pas Élisabeth. Elle partageait avec Cécile une petite table, perdue entre deux rangées de stands. J’ai reconnu Cécile (Elle est debout sur mes paupières), j’ai reconnu Katherine ― K édition. Le passé m’a sauté au visage. Toute une époque a refait subitement surface. Avec Cécile et Katherine, il y avait Élisabeth. Et, devant cette jeune femme souriante et sereine, un livre énigmatique, posé en pile sur la table. J’ai commencé à feuilleter 7 44 et à le lire. Élisabeth m’a présenté son poème. Un poème qui raconte la « survie de L’enfant, La mère, Le père, Les parents, Les amis, pendant une guerre ». Une performance d’écriture, réalisée en juillet 2004 pour la librairie Mosaïque à Die. Pour commémorer les événements de juillet 1944, dans le Vercors.

        Autre particularité : Élisabeth est traductrice. La littérature albanaise est son domaine. Elle a déjà traduit cinq romans, dont trois de Besnik Mustafaj (Actes Sud et Albin Michel), et deux recueils de poésie : l’un de Preç Zogaj (Terre sans continent, L’Esprit des Péninsules, 1995), l’autre de Din Mehmeti, poète albanais du Kosovo (Il est temps, Buchet-Chastel, Collection Poésie, 2006).






    ÉLISABETH  CHABUEL


    Chabuel portrait
    Source





    ■ Élisabeth Chabuel
    sur Terres de femmes

    Et ils sont (extrait)
    Intime violence
    [on ne pense pas au présent] (extrait des Passagers)
    Veilleur (note de lecture d’AP)
    Je (extrait du Veilleur)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Le Moment






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