Étiquette : Elizabeth Bishop


  • Elizabeth Bishop | Crusoe in England



    CRUSOE IN ENGLAND


    (extrait)



    The sun set in the sea; the same odd sun
    rose from the sea,
    and there was one of it and one of me.
    The island had one kind of everything:
    one tree snail, a bright violet-blue
    with a thin shell, crept over everything,
    over the one variety of tree,
    a sooty, scrub affair.
    Snail shells lay under these in drifts
    and, at a distance,
    you’d swear that they were beds of irises.
    There was one kind of berry, a dark red.
    I tried it, one by one, and hours apart.
    Sub-acid, and not bad, no ill effects;
    and so I made home-brew. I’d drink
    the awful, fizzy, stinging stuff
    that went straight to my head
    and play my home-made flute
    (I think it had the weirdest scale on earth)
    and, dizzy, whoop and dance among the goats.
    Home-made, home-made! But aren’t we all?
    I felt a deep affection for
    the smallest of my island industries.
    No, not exactly, since the smallest was
    a miserable philosophy.

    Because I didn’t know enough.
    Why didn’t I know enough of something?
    Greek drama or astronomy? The books
    I’d read were full of blanks;
    the poems–well, I tried
    reciting to my iris-beds,
    “They flash upon that inward eye,
    which is the bliss…” the bliss of what?
    One of the first things that I did
    when I got back was look it up.






    CRUSOÉ EN ANGLETTERRE



    Le soleil se couchait dans la mer ; le même étrange soleil
    se levait sur la mer,
    il y avait un soleil, il y avait un moi ;
    L’île avait de toute espèce une chose unique :
    bleu-violet éclatant, un unique escargot d’arbre
    à la mince coquille rampait sur toute chose,
    sur l’unique variété d’arbre,
    noirâtre truc rabougri.
    Des coquilles d’escargots s’amoncelaient au-dessous,
    et, à quelque distance,
    on aurait juré des parterres d’iris.
    Il y avait une seule espèce de baie, rouge foncé.
    J’y ai goûté, une à la fois, à des heures d’intervalle.
    Sub-acide, pas mauvaise, sans effets nocifs ;
    j’en ai fait une décoction maison. Je buvais
    cette saleté mousseuse et cuisante
    qui me montait à la tête
    et je jouais de ma flûte faite maison
    (je crois qu’elle avait la gamme la plus bizarre du monde),
    ― la tête me tournait, je criais et dansais parmi les chèvres.
    Fait maison, fait maison ! Ne le sommes-nous pas tous ?
    J’avais une profonde affection pour
    la moindre de mes industries insulaires.
    Non, pas exactement, car, de mes industries, la moindre était
    une misérable philosophie.


    Car j’en savais trop peu.
    Pourquoi en savais-je trop peu sur quoi que ce soit ?
    drame grec ou astronomie ? Les livres
    que j’avais lus étaient pleins de blancs ;
    les poèmes – hé bien, j’essayai
    de réciter à mes parterres d’iris
    « ils frappent de leur éclat cet œil intérieur,
    et c’est la félicité… » Félicité née de quoi ?
    L’une des premières choses que je fis
    à mon retour fut de la chercher…




    Elizabeth Bishop, Géographie III [Geography III, 1976], Éditions Circé, 1991, pp. 22-23-24-25. Édition bilingue. Préface d’Octavio Paz. Traduit de l’anglais (américain) par Alix Cléo Roubaud, Linda Orr et Claude Mouchard.





    Elizabeth Bishop, Géographie III





    ELIZABETH BISHOP


    Elizabeth bishop
    Source



    ■ Elizabeth Bishop
    sur Terres de femmes

    8 février 1911 | Naissance d’Elizabeth Bishop (notice bio-bibliographique + un poème extrait de North & South)
    Invitation to Miss Marianne Moore (poème extrait d’Un printemps froid)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur poets.org)
    une notice bio-bibliographique (+ plusieurs poèmes dits par Elizabeth Bishop)



    Retour au répertoire du numéro de février 2012
    Retour à l’ index des auteurs


    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • 8 février 1911 | Naissance d’Elizabeth Bishop

    Éphéméride culturelle à rebours

    « Poésie d’un jour »



    Le 8 février 1911 naît à Worcester, dans le Massachussetts, Elizabeth Bishop.






    Elizabeth Bishop jeune
    Source






    Sa petite enfance est marquée par le décès de son père et l’internement, en 1915, de sa mère dans un établissement psychiatrique. L’enfant est successivement recueillie au Canada par ses grands-parents maternels, puis à Worcester par ses grands-parents paternels et enfin par une tante, dans la région de Boston.

    En 1930, Elizabeth Bishop est étudiante au Vassar College de New York. Elle réalise une interview de T.S. Eliot, publie textes de prose et de poésie dans diverses revues. Rencontre Marianne Moore en 1934. Après un été passé en Bretagne et un hiver à Paris (1935), Elizabeth Bishop effectue plusieurs voyages qui la conduisent à travers les pays d’Europe et en Afrique du Nord. Elle traduit les poètes français (Rimbaud et Baudelaire), s’intéresse au surréalisme.

    De retour aux États-Unis en 1939, Elizabeth Bishop découvre la Floride et s’installe à Key West. Puis se rend au Mexique où elle passe neuf mois. Elle rencontre Pablo Neruda (1943) avec qui elle se lie d’amitié. En 1946, son premier recueil de poèmes, North & South, est reconnu par le Houghton Mifflin Poetry Award. Mais il faudra attendre 1955 pour que ce recueil soit publié. La même année, Elizabeth Bishop publie A Cold Spring. L’année suivante, Elizabeth Bishop est récompensée par le prix Pulitzer pour la poésie. Entre temps, elle a voyagé en Amérique du Sud, s’est installée avec son amie Lota (Maria Carlota Costellat de Macedo Soares) au Brésil, où elle vivra pendant quinze ans.

    En 1961, elle effectue un voyage en Amazonie avec Aldous Huxley, se rend dans le Mato Grosso pour y rencontrer les tribus indiennes. Elle publie Questions of Travel en 1965, enseigne l’année suivante à l’Université de Washington, à Seattle. Après la mort de son amie Lota en 1967, elle s’installe pour quelque temps à San Francisco et publie en avril 1969 The Complete Poems (New York, Farrar, Straus & Giroux). Son œuvre est récompensée par le National Book Award.

    En 1970, elle retourne vivre dans sa maison d’Ouro Preto dans le Minas Gerais. En 1973, elle entreprend un voyage en Europe du Nord et se rend en Suède, en Norvège et en Finlande. En 1976, elle effectue un voyage en Grèce et en décembre de la même année publie Geography III (Farrar, Straus & Giroux).

    Elizabeth Bishop meurt à Boston le 6 octobre 1979.

    Après sa mort, l’ensemble de l’œuvre d’Elizabeth Bishop est rassemblée en deux volumes : dans The Complete Poems 1927-1979 (Farrar, Straus & Giroux, 1983) et The Collected Prose (publié et préfacé par Robert Giroux).






    Elizabeth Bishop, Nord & Sud






    THE COLDER THE AIR



    We must admire her perfect aim,
    this huntress of the winter air
    whose level weapon needs no sight,
    if it were not that everywhere
    her game is sure, her shot is right.
    The least of us could do the same.

    The chalky birds or boats stand still,
    reducing her conditions of chance;
    air’s gallery marks identically
    the narrow gallery of her glance.
    The target-center in her eye
    is equally her aim and will.

    Time’s in her pocket, ticking loud
    on one stalled second. She’ll consult
    not time nor circumstance. She calls
    on atmosphere for her result.
    (It is this clock that later falls
    in wheels and chimes of leaf and cloud.)






    D’AUTANT PLUS FROID L’AIR



    On ne peut qu’admirer son parfait coup d’œil,
    à cette chasseresse de l’air d’hiver
    dont l’arme ferme ne requiert pas la vue,
    n’était que partout où elle erre
    son coup fait mouche, sa partie est sûre.
    Le moindre d’entre nous pourrait faire pareil.

    Les oiseaux de craie ou les bateaux, immobiles,
    réduisent les possibilités de hasard ;
    le champ de tir aérien a les mêmes repères
    que le champ étroit de son regard.
    Le centre de la cible dans sa prunelle
    est à la fois son but et son vouloir.

    Le temps est dans sa poche, menant grand tapage
    quand une seconde se bloque. Elle ne consulte
    ni l’heure ni les circonstances. Compte
    sur l’atmosphère pour le résultat.
    (C’est cette horloge qui plus tard tombe
    en roues et carillons de feuilles et nuages.)




    Elizabeth Bishop, Nord & Sud [North & South, 1946], Éditions Circé, 1996, pp. 16-17. Édition bilingue. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Claire Malroux.





    ELIZABETH BISHOP


    Elizabeth bishop
    Source



    ■ Elizabeth Bishop
    sur Terres de femmes

    Crusoe in England (poème extrait de Géographie III)
    Invitation to Miss Marianne Moore (poème extrait d’Un printemps froid)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur poets.org)
    une notice bio-bibliographique (+ plusieurs poèmes dits par Elizabeth Bishop)





    Retour au répertoire du numéro de février 2012
    Retour à l’ index de l’éphéméride culturelle
    Retour à l’ index des auteurs


    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Elizabeth Bishop | Invitation to Miss Marianne Moore

    «  Poésie d’un jour  »



    Invitation_to_miss_marianne_moore
    Source






    INVITATION À MISS MARIANNE MOORE



    From Brooklyn, over the Brooklyn Bridge, on this fine morning,
           please come flying.
    In a cloud of fiery pale chemicals,
           please come flying,
    to the rapid rolling of thousands of small blue drums
    descending out of the mackerel sky
    over the glittering grandstand of harbor-water,
           please come flying.


    Whistles, pennants and smoke are blowing. The ships
    are signaling cordially with multitudes of flags
    rising and falling like birds all over the harbor.
    Enter: two rivers, gracefully bearing
    countless little pellucid jellies
    in cut-glass epergnes dragging with silver chains.
    The flight is safe; the weather is all arranged.
    The waves are running in verses this fine morning.
           Please come flying.


    Come with the pointed toe of each black shoe
    trailing a sapphire highlight,
    with a black capeful of butterfly wings and bon-mots,
    with heaven knows how many angels all riding
    on the broad black brim of your hat,
           please come flying.


    Bearing a musical inaudible abacus ,
    a slight censorious frown, and blue ribbons,
           please come flying.
    Facts and skyscrapers glint in the tide; Manhattan
    is all awash with morals this fine morning,
           so please come flying.


    Mounting the sky with natural heroism,
    above the accidents, above the malignant movies,
    the taxicabs and injustices at large,
    while horns are resounding in your beautiful ears
    that simultaneously listen to
    a soft uninvented music, fit for the musk deer,
           please come flying.


    For whom the grim museums will behave
    like courteous male bower-birds,
    for whom the agreeable lions lie in wait
    on the steps of the Public Library,
    eager to rise and follow through the doors
    up into the reading rooms,
           please come flying.
    We can sit down and weep; we can go shopping,
    or play at a game of constantly being wrong
    with a priceless set of vocabularies,
    or we can bravely deplore, but please
           please come flying.


    With dynasties of negative constructions
    darkening and dying around you,
    with grammar that suddenly turns and shines
    like flocks of sandpipers flying,
           please come flying.


    Come like a light in the white mackerel sky,
    come like a daytime comet
    with a long unnebulous train of words,
    from Brooklyn, over the Brooklyn Bridge, on this fine morning,
           please come flying.




    Elizabeth Bishop, « Invitation to Miss Marianne Moore », in Poems of Brooklyn, New York University Press, 2007, pp. 53-54.







    Brooklyn_old_fulton_bis_2
    Ph. Angèle Paoli







    INVITATION À MISS MARIANNE MOORE


    De Brooklyn, au-dessus du pont de Brooklyn, par cette belle matinée,
          venez à tire-d’aile.
    Dans une nuée d’ardentes substances pâles,
          venez à tire-d’aile,
    au rythme du rapide roulement de milliers de petits tambours bleus
    descendant du ciel pommelé
    sur l’estrade miroitante de l’eau du bassin,
          venez à tire-d’aile.


    Sifflets, enseignes et fumée jaillissent. Les navires
    agitent en signaux cordiaux des multitudes de pavillons
    ondoyant comme des oiseaux partout au-dessus du port.
    Entrez : deux fleuves, portant avec grâce
    d’innombrables petites gelées pellucides
    dans des surtouts en cristal taillé draguant avec des chaînes d’argent.
    Le vol est sans danger, le climat garanti.
    Les vagues avancent en vers par cette belle matinée.
          Venez à tire-d’aile.


    Venez, avec le bout pointu de chaque soulier noir
    traçant un sillage de saphir,
    avec une cape noire emplie d’ailes de papillons et de bons mots,
    avec Dieu sait combien d’anges tous à califourchon
    Sur le large bord noir de votre chapeau,
          venez à tire-d’aile.
    Arborant un inaudible abaque musical,
    une moue un peu caustique, et des rubans bleus,
          venez à tire-d’aile.
    Faits et gratte-ciel luisent dans les flots ; Manhattan
    est inondé de morale par cette belle matinée,
           alors venez à tire-d’aile.


    Chevauchant le ciel avec un héroïsme naturel,
    au-dessus des accidents, des films malveillants,
    des taxis et des injustices en liberté,
    tandis que les klaxons résonnent à vos belles oreilles
    qui écoutent en même temps
    une musique tendre inédite, digne du porte-musc,
          venez à tire-d’aile.


    Vous pour qui les austères musées se conduiront
    en galants oiseaux de paradis,
    vous que les lions affables guettent
    sur les marches de la Bibliothèque publique,
    impatients de se lever et franchir les portes,
    pour vous suivre dans les salles de lecture,
          venez à tire-d’aile.
    Nous pourrons nous asseoir et pleurer; nous pourrons faire des emplettes.
    ou jouer au jeu de nous tromper sans cesse
    en maniant un fabuleux vocabulaire,
    ou nous pourrons gémir bravement, mais venez,
          venez à tire-d’aile.


    Avec des dynasties de constructions négatives
    qui s’assombrissent et meurent autour de vous,
    avec une grammaire qui soudain vire et brille
    comme des bandes de bécasseaux en vol,
          venez à tire-d’aile.

    Venez comme une lumière dans le ciel blanc pommelé,
    venez comme une comète diurne
    avec un long cortège de mots sans nébulosité,
    de Brooklyn, au-dessus du pont de Brooklyn, par cette belle matinée,
          venez à tire-d’aile.




    Elizabeth Bishop, Un printemps froid [A Cold Spring, 1953], Circé, 2003, pp. 63-67. Traduit de l’anglais par Claire Malroux.





    Brooklyn_4_2_bis
    Ph. Angèle Paoli




    Note : En 1948, The Quaterly Review of Literature demanda à Wallace Stevens, William Carlos Williams, mais aussi à Elizabeth Bishop – dont les liens qui l’unissaient à Marianne Moore étaient bien connus – un essai pour un numéro spécial consacré à celle-ci. Elizabeth Bishop y joignit L’Invitation ci-dessus qui parut en août 1948.
    Les « jellies » évoquent bien évidemment des méduses.






    South_street_looking_toward_brookly
    Source





    ELIZABETH BISHOP


    Elizabeth bishop
    Source



    ■ Elizabeth Bishop
    sur Terres de femmes

    8 février 1911 | Naissance d’Elizabeth Bishop (notice bio-bibliographique + un poème extrait de North & South)
    Crusoe in England (poème extrait de Géographie III)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    5 février 1972 | Mort de Marianne Moore
    → (sur Terres de femmes)
    Acrossing the river
    → (sur Terres de femmes)
    Claire Malroux | Soleil de jadis



    Retour au répertoire de février 2008
    Retour à l’ index des auteurs