Étiquette : Esercizi poetici 1954-1961


  • Amelia Rosselli | Adolescenza

    «  Poésie d’un jour  »



        Terres de femmes propose ci-dessous deux poèmes écrits en français par Amelia Rosselli et traduits en italien par Giacomo Cerrai. Ces poèmes, extraits d’« Adolescence » (Esercizi poetici 1954-1961, in A.R., le poesie, Garzanti, 2007) ont été initialement publiés dans le recueil Primi scritti 1952-1963 (Guanda, 1980).





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    Ph., G.AdC







                                                       I


    Que c’est drôle je parle et je parle avec le moi-même
    en me disant que c’est beau le ventre le bras nu
    d’une femme même d’un homme
    et les énormes arbres du quartier gras.
    Gentiment gentiment pousse-t’il la bicyclette
    muette. Sa femme cherche une pharmacie elle est de très mauvaise
    humeur il pousse la bicyclette-bonheur ;
    bonheur bonheur retrouve-moi sous les pieds des géantes
    marines aux pieds des géantes
    femmes aux bras tendus flaccides
    du quartier gros, promène-toi à la table avec la bouteille de bière
    en face, brune.


    (1954)



    Che buffo io parlo e parlo con me stessa
    dicendomi che bello il ventre il braccio nudo
    d’una donna così come d’un uomo
    e gli enormi alberi del quartiere grasso.
    Gentilmente gentilmente spingi la bicicletta
    muta. Sua moglie cerca una farmacia è d’un cattivo
    umore lui spinge la bicicletta-felicità;
    felicità felicità ritrovami sotto i piedi dei giganti
    marine ai piedi dei giganti
    donne dalle flaccide braccia tese
    del quartiere grosso, vai a spasso alla tavola con la bottiglia di birra
    in faccia, bruna.



    Traduction inédite de Giacomo Cerrai.





                                                 II


    maintenant tu t’en vas de la table de l’hôte
    ça ne finira jamais cette promenade
    poétique et les grandes palmes qui te regardent
    de derrière un mur bas. La palme est haute
    la maison-bureau plus haute encore elle sert de fond
    puis les frondaisons lui piquent le toit et ensuite
    le ciel qui ne dit jamais rien de superflu
    car il parle par allusions. Les oiseaux pointus
    montent la garde en couples sont appelés en mission
    de quartier en quartier. Moi je tombe de sommeil
    ne résiste plus m’en vais. Comment faire
    sinon vivre jusqu’à en mourir jeune ?


    (1954)



    ora te ne vai dalla tavola dell’ospite
    questo non finirà mai questa passeggiata
    poetica e le grandi palme che ti guardano
    da dietro un basso muro. La palma è alta
    la casa-ufficio ancor più alta essa serve da sfondo
    poi il fogliame le punge il tetto e ancora
    il cielo che non dice mai niente di superfluo
    perchè parla per allusioni. Gli uccelli puntuti
    montano la guardia a coppie sono chiamati in missione
    di quartiere in quartiere. E io casco dal sonno
    non resisto più me ne vado. Come fare
    se non vivere fino a morirne giovane?



    Traduction inédite de Giacomo Cerrai.



    Amelia Rosselli, Adolescenza, Esercizi poetici 1954-1961, Primi Scritti, Guanda, 1980 in Amelia Rosselli, Le poesie, Garzanti, 1997 ; ried. collana Gli Elefanti, 2007, pp. 35-36. A cura di Emmanuela Tandello. Prefazione di Giovanni Giudici.







    Amelia_rosselli
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    BIO-BIBLIOGRAPHIE


    Biographie


    Née à Paris le 28 mars 1930 d’une mère d’origine anglaise (Marion Cave) et d’un leader antifasciste italien exilé en France (Carlo Rosselli, fils de l’écrivaine et dramaturge vénitienne Amelia Pincherle Moravia et fondateur du mouvement Giustizia e libertà), Amelia Rosselli assiste au double homicide de son père Carlo et de son oncle (Nello Rosselli). Le 9 juin 1937 à Bagnoles-de-l’Orne (Normandie). Un assassinat commandité par Galeazzo Ciano et Benito Mussolini, et perpétré par un commando de neuf cagoulards (miliciens fascistes). Traumatisée par ces morts violentes, Amelia Rosselli reste psychiquement marquée à vie. Régulièrement accueillie dans des hôpitaux psychiatriques pour dépression nerveuse, Amelia Rosselli se dit aussi atteinte, à partir de 1969, de la maladie de Parkinson.

    Après avoir effectué de nombreux déplacements entre l’Europe et les États-Unis, Amelia Rosselli s’installe en Italie en 1948. À Florence d’abord, puis à Rome. Elle partage son temps entre les études ― littérature, philosophie, mathématiques ― , la recherche musicale (à Darmstadt, elle côtoie John Cage dont elle devient l’amie) et la traduction. Elle traduit notamment les œuvres d’Emily Dickinson et de Sylvia Plath. Dans le même temps, elle se lie d’amitié avec Rocco Scotellaro (qui l’introduit dans le milieu littéraire romain), Carlo Levi, Niccolò Gallo, Renato Guttuso.

    À la fois musicienne et poète, Amelia Rosselli commence à écrire en 1950. Elle poursuit l’objectif de « faire du poème une pièce poétique ». Dans son essai Spazi metrici (1962, publié dans Variazioni belliche, 1964), Amelia Rosselli déclare n’avoir jamais dissocié, dans son travail sur la langue, problématique musicale et forme poétique. La recherche d’un langage universel qui coïnciderait avec la libération immédiate, à l’intérieur de la langue, des mécanismes psychiques profonds présidant à sa formation, aboutit à une sorte « d’esperanto émotif », à peine contrôlé par la conscience.

    Le poème « La libellula », écrit en 1958 (publié en 1969 dans le recueil Serie ospedaliera, puis en 1985 chez Sellerio), rend compte de l’originalité de « l’expérience associative » à laquelle Amelia Rosselli est attachée. L’expérience privée d’un plurilinguisme « apatride », associée à des lectures personnelles très poussées, contribuent à l’élaboration d’une écriture poétique très particulière, qu’Elio Vittorini sera l’un des premiers à reconnaître, et Pasolini à définir ; la qualifiant d’« écriture de lapsus » dans l’avant-propos de la publication de vingt-quatre des poèmes d’Amelia Rosselli (revue littéraire Il Menabò 6, Giulio Einaudi Editore, Torino, 1963). Lapsus comme « erreur créatrice » ou révolution sémantique, cette poésie écrite-parlée rend compte, à la manière d’un décalque, du désarroi métaphysique qui conduira Amelia Rosselli au suicide, dans l’après-midi du dimanche 11 février 1996, du haut d’une mansarde de la via Del Corallo à Rome. Trente-trois ans, jour pour jour, après celui de Sylvia Plath (11 février 1963).




    Bibliographie


    Les œuvres d’Amelia Rosselli ont d’abord été publiées dans des revues. Puis rassemblées dans différents recueils. Variazioni belliche* voit le jour chez Garzanti en 1964 (avec une postface de Pier Paolo Pasolini). Viennent ensuite :
    Serie ospedaliera [comprenant le poemetto « La Libellule »] (Il Saggiatore-Alberto Mondadori, Milano, 1969) ;
    Documento 1966-1973 (Garzanti, 1976) ;
    Primi scritti 1952-1963 (Guanda, Parma, 1980) ;
    Impromptu (Edizioni San Marco dei Giustiniani, Genova, 1981, rééd. 2003** ; trad. fr. Éd. Les feuillets de Babel, 1987. Traduction de Jean-Charles Vegliante) ;
    Appunti sparsi e persi 1966-1977 (Cooperativa Editoriale Ælia Lælia, Parma, 1983 ; Edizioni Empirìa, collana Sassifraga, Roma, 1997) ;
    La libellula (Sellerio Editore, Milano, 1985 ; ried. 1996 ; trad. fr. Ypsilon Éditeur, 2014. Traduction et postface de Marie Fabre) ;
    Antologia poetica (Garzanti, 1987. Édition établie par Giacinto Spagnoletti. Préface de Giovanni Giudici) ;
    Sleep. Poesie in inglese [1953-1966]*** (Rossi & Spera, Roma, 1989 ; Garzanti, 1992. Traduites en italien par Antonio Porta et Emmanuela Tandello sous la supervision de l’auteure ; Sonno-Sleep, Edizioni San Marco dei Giustiniani, Collana Quaderni del tempo, Genova, 2003. Préface de Nino Lorenzini) ;
    Diario ottuso 1954-1968 [unique livre de prose publié par Amelia Rosselli] (IBN [Istituto Bibliografico Napoleone] Éditions, collana La ruota, Roma, 1990. Préface d’Alfonso Berardinelli ; Edizioni Empirìa, collana Euforbia, Roma, 1996) ;
    Le poesie (Garzanti, 1997 ; ried. collana Gli Elefanti, 2007. Préface de Giovanni Giudici. Édition établie par Emmanuela Tandello) ;
    Una scrittura plurale. Saggi e interventi critici (Interlinea, collana Biblioteca di Autografo, Novara, 2004. Édition établie par Francesco Caputo) ;
    La furia dei venti contrari, Variazioni Amelia Rosselli. Con testi inediti e dispersi dell’autrice (Le Lettere, Collana Fuori Formato, Firenze, 2007. Édition établie par Andrea Cortellessa) ;
    Lettere a Pasolini, 1962-1969 (Edizioni San Marco dei Giustiniani, collana Quaderni del tempo, Genova, 2008. Édition établie par Stefano Giovannuzzi).


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli




    * Une traduction française de Variazioni belliche est disponible depuis le 3 mai 2012 : Amelia Rosselli, Variations de guerre (+ 14 photos), Ypsilon Éditeur, 2012. Traduit de l’italien par Marie Fabre | Préface de Jean-Baptiste Para | « Note sur Amelia Rosselli » par Pier Paolo Pasolini. ISBN 978-2-35654-020-1.
    ** Cette réédition est accompagnée d’un CD audio où l’on peut entendre la voix d’Amelia Rosselli lisant l’intégralité de ce poemetto.
    *** Un des poèmes (non inclus dans l’édition italienne) a été traduit en français par Jean-Charles Vegliante pour Le Nouveau Recueil n° 87, octobre 2008. On ne peut que regretter que ne nous soient pas communiqués en regard l’original en anglais et la traduction en italien qu’en avait faite Amelia Rosselli elle-même (une question de droits probablement…). Les privilégiés pourront cependant les retrouver dans l’Italian Poetry Review, 2007, N°2, pp. 40-45, publiée par la SEF (Società Editrice Fiorentina).





    AMELIA ROSSELLI


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    ■ Amelia Rosselli
    sur Terres de femmes

    [Filtre entre moi et toi dans la sous-marine une clarté] (poème extrait de La libellula dans une traduction française de Marie Fabre)
    [La tua debolezza è la mia vittoria] (poème extrait de Variazioni Belliche + traduction française par Marie Fabre)
    T’aimer et ne rien pouvoir faire d’autre que t’aimer (poème extrait de “Dialogo con i Poeti”, Serie Ospedaliera 1963-1965)
    11 février 1996 | Mort d’Amelia Rosselli (article de Marie Fabre + extraits de Variazioni Belliche, dans une traduction de Marie Fabre)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur YouTube)
    Amelia Rosselli lisant en français trois des neuf poèmes d’Adolescence, dont les deux poèmes ci-dessus (lecture du 13 avril 1987)
    → (sur le site des éditions Ypsilon)
    un extrait du Dossier Amelia Rosselli de la Revue Europe (n° 996, avril 2012, pp. 197-201)[PDF]
    → (sur Imperfetta Ellisse)
    les deux poèmes d’Amelia Rosselli ci-dessus, traduits en corse par Nurbertu Paganelli
    → (sur Rai-TV Radioscrigno)
    d’exceptionnelles archives sonores, dont l’étonnante lecture d’un extrait de Sleep par Amelia Rosselli
    → (dans l’anthologie permanente de Poezibao)
    un extrait de Documento 1966-1973 d’Amelia Rosselli (traduction inédite d’Angèle Paoli)
    → (sur le site de l’Unità)
    « Amelia Rosselli, rivoluzionaria della poesia » par Lello Voce
    → (sur trickster)
    « La traduction chez Amelia Rosselli | Entre désappropriation et appropriation linguistique », par Sarah Ventimiglia





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