Étiquette : Étienne Faure


  • Étienne Faure, Et puis prendre l’air

    par Angèle Paoli

    Étienne Faure, Et puis prendre l’air,
    éditions Gallimard, Collection Blanche, 2020.



    Lecture d’Angèle Paoli


    LES CHUTES DU POÈTE-ÉCUREUIL




    Et puis prendre l’air. Le titre choisi par Étienne Faure pour son dernier recueil de poèmes m’a d’emblée fait sourire. Pour sa formulation familière perçue comme une incitation joyeuse à l’escapade. Pour les non-dits qui se cachent sous cette formulation. Et pour l’humour du poète qui déjà pointe sous cette invitation séduisante. Prendre l’air ? OUI. Peut-être et, paradoxalement, commodément installée dans mon fauteuil pendant que je parcours les pages du livre. Cet ouvrage m’encourage en effet à prendre l’air, sourire aux lèvres.

    Répartis en dix sections, où alternent dehors et dedans, fermé et ouvert, ville et campagne, campagne et littoral, proche et lointain, les poèmes en prose d’Et puis prendre l’air offrent un panaché de possibilités, de saisons et de lieux. D’humeurs. Un éventail très diversifié de portraits pris sur le vif, de natures mortes plus que vives et de saynètes drôles à souhait. Et qu’y avait-il donc antérieurement à ce « et puis » ? La vie, sans doute, avec son contingent d’obstacles, de contraintes et de pesanteurs, d’impedimenta quotidiens. Mais nous n’en saurons rien. Presque rien.

    Sortir donc. Pour quoi faire ? Les réponses sont multiples, comme le suggèrent les intitulés des différents chapitres du recueil (dix au total). « Sortir », intitulé de la première section, « Prendre l’air », intitulé de la dernière section. Entre ces deux pôles, le regard vagabonde, captant au passage des mots que tout semble opposer et que l’on pourrait s’amuser à classer par binômes : bancs/mûres, cloîtres/cave, etc. Une composition mouvante, tout en contrastes, pareille aux tableaux d’une exposition. Animée.

    Sortir donc, pour se ménager des « appels d’air ». Ce que suggère le vers de Charles Baudelaire, choisi par Étienne Faure en exergue de la dernière section de son recueil :

    « Oui, c’est là qu’il faut aller respirer, rêver, allonger les heures… » (Petits poèmes en prose).

    Sortir pour « changer de décor », pour mettre le temps au défi, pour résister à toute propension à l’enfermement ; pour voir la campagne défiler derrière la vitre d’un train, lequel « fabrique dans le paysage une écriture par hypallage, télescopage… » ; pour le bonheur de parler oiseau, de se prélasser dans un champ fraîchement coupé ou de s’adonner à un luxueux farniente sous le soleil des tropiques. Prendre l’air pour se livrer à l’observation de la nature, ce en quoi le poète excelle. Et puis, « prendre les airs » pour mieux « prendre ses distances. »

    Le programme — ou plutôt son envers ; voire son absence — est irrésistible. Et le plaisir du texte et des mots, assuré. Cela commence avec le choix des épigraphes. Qui sont à elles seules autant de fins scrupules (dans l’acception de « petits cailloux ») conduisant nos pas vers la liberté. Ainsi de ce vers d’Armen Lubin, cité en ouverture de la première section « Sortir » :

    « Je me suis fabriqué une fenêtre sans rien autour. » Ou cette autre, sur la même page, empruntée à Jacques Vaché :

    « Nous marchons au petit bonheur, et rien ne peut être prévu. »

    Ou encore cette citation empruntée aux Caractères de La Bruyère, qui annonce, me semble-t-il, la pirouette finale, sur laquelle se clôt le recueil :

    « Je descends dans la ville, où je n’ai pas couché deux nuits, que je ressemble à ceux qui l’habitent : j’en veux sortir. »

    Autant de considérations qui préludent à l’esprit du recueil et éveillent l’intérêt du lecteur, ivre à son tour de liberté grande.

    Plutôt concis dans leur ensemble, les poèmes en prose d’Étienne Faure sont autant de portraits croqués sur le vif. Réduits à l’état de passants ou d’éphémères protagonistes, les humains sont saisis dans une écriture marquée par sa vivacité. Ainsi du premier poème de « Sortir », constitué d’une suite énumérative remarquable de célérité. Une seule phrase interrogative, sans pause, avec des relances. Puis, soudain, une chute inattendue. Un mot pour couper court. Un seul. « Printemps ». Dans d’autres poèmes, ce sont les exclamatives qui donnent le tempo, celui échevelé de motardes, chasseresses vrombissantes dont les chevauchées s’harmonisent avec la « verve des oiseaux ». Le poète, tout comme les personnages qu’il montre en action, ne s’appesantit pas. « Dehors, les hommes sont des passants », écrit Joseph Roth cité en exergue de « Sortir ». Tournant la page, le poète fait de même.

    Cette démarche d’homme pressé n’empêche nullement le poète de prendre son temps. Le temps de l’observation et de l’analyse. Voire de la méditation. Mais, quel que soit le moment et quelle que soit l’humeur, le talent d’observateur d’Étienne Faure est toujours aux aguets. Tous sens en alerte, le poète capte les rumeurs de la ville, reconnaissables à leur compacité. Ainsi les bruits de la vie et les cris des oiseaux varient-ils en intensité selon les saisons. Les odeurs, selon les quartiers. Les images ramènent au premier plan une réalité empreinte de son bruitage habituel. Au passage, le Paris d’antan ressurgit lui aussi, avec ses mots anciens et ses jurons, ses vieilles calèches et ses rumeurs oubliées. Et ce projet qui s’énonce sous la plume enthousiaste du poète :

    « Il faudrait faire un livre rien qu’avec des phrases disparues de Paris, et les bruits qui allaient avec… »

    Les « natures mortes » s’animent, teintées d’une noble exaltation dans l’évocation savoureuse des pommes de terre :

    « … des Bintje, des Fontenay, des Charlotte et des Ratte, et des Roseval… Ô rues reconnaissantes à la chair dure et ferme, fondante ou farineuse, en gratin, en purée ou en robe des champs – ou en hachis. Il rôde une odeur de frites dans les rues adjacentes » (in « Sortir »).

    Le temps a passé sur les hommes, sur leurs petites histoires et sur la grande Histoire, mais les clichés du langage demeurent, avec leur accent désuet et cette gouaille d’une autre époque. L’ancien et le nouveau se côtoient et alternent sous la plume alerte et colorée, vive et savoureuse du poète, amoureux des mots et fin analyste de l’humain.

    Au premier volet de « Sortir », tout en mouvement, succède le théâtre des bancs publics, tout en ralentissement, en suspens et en attentes. Le cycle de « L’éloge appuyé des bancs » s’ouvre sur l’expression anglaise : Wait and see, devise de l’observateur patient qui a momentanément délaissé la vitesse urbaine et sa frénésie pour la lenteur qu’offre « l’auberge du banc ». Le cycle se clôt sur l’interjection Go !, signal de prompt départ, qui, en deux lettres et une seule syllabe, invite à une remise en orbite accélérée. En attendant, le poète prend plaisir à décliner toutes les variations qu’offre à son inspiration le banc des squares et jardins. Ici, prendre l’air, c’est avant tout « se tenir hors la pénombre de la cambuse – la turne, la piaule, le cagibi. » Et le banc, contrairement à la piaule, est un lieu ouvert, un lieu « collectif », où toutes les rencontres sont possibles avec les « collègues de planche ». On peut se poser là et se taire ou se lancer dans un discours digne d’un tribun ; on peut s’installer sur « les planches » pour capter sa part de soleil. Squatter pour un temps indéterminé ou, au contraire, ne séjourner que le temps d’un repas pris sur le pouce. Le poète ne craint pas de stationner, l’air de rien, parmi d’autres résidents, ou mêmes gisants, observant les us et coutumes des siégeants, grapillant ici et là des bribes de conversations « dans une langue des jours ouvrables », tendant l’oreille aux propos qui s’échangent et qui, sous sa plume, ne manquent pas de sel. L’occasion pour lui, au passage, de se moquer gentiment de la littérature people qui surgit au hasard de la lecture d’« un magazine oublié » là ; de donner quelques définitions des bancs, « ces noirs récifs que nul regard n’accroche » ; de méditer sur l’osmose qui tôt ou tard se fait entre l’occupant des planches et les planches qui l’hébergent : « Qui sommes-nous ? Pénombre et obstacle ensemble, ombres en peine. Les bancs. »

    Tout un théâtre de passants inconnus s’improvise sur les « planches » des bancs des villes. Échanges qui associent le regard et l’ouïe, ponctués d’exclamations, de jeux sur les mots et sur la polysémie. Chaque poème est un tableau vivant et drôle, dans lequel le poète jongle avec les registres de langue. Le rideau tombe parfois sur un mot unique qui clôt la scène. Ou par une réplique enlevée, à une tonalité inattendue :

    « Puis quittant le banc comme on sort de table, on joue les filles de l’air, salut les mecs, à la revoyure ! ».

    Le lecteur aurait pu imaginer que le Go ! final de la seconde section ouvrirait sur une échappée mouvementée et virevoltante. En réalité, c’est de retour de voyage qu’il s’agit et de retournement de situation. « Changements de saison », changement d’activités, changement d’état d’esprit. L’automne est là. Le voyageur troque son bronzage pour son corps fatigué ; range ses rêves et ses valises et sort son anorak aux poches débordantes de trésors oubliés. Loin des dattiers de Rabat, il renoue avec les natures mortes de l’automne, poires, noisettes et châtaignes :

    « Telle une lecture interrompue — et la pensée qui va avec —, on reprend la tournure d’esprit de la saison où on l’avait laissée : mélancolique. »

    Cependant, l’été indien, chaleureux mais trompeur, ravive les couleurs de l’automne « magnifique de bonté, généreuse saison ». Et rend le poète à ses rêveries enthousiastes. Mais si Étienne Faure, tout au plaisir sensuel de ses observations, se prend au jeu des portraits de l’enfance :

    « Si c’était un tableau — nature morte, je trouverais les couleurs surfaites, trafiquées… »,

    c’est pour revenir, non sans grande modestie, sur son travail d’écriture :

    « Mais ce n’est rien qu’un texte qui donne à voir présentement ce qu’il peut, du haut des mots que chacun utilise, selon sa palette et ses yeux ».

    C’est sans compter avec le grand talent dont le poète fait usage. Car il possède, plus que tout autre, cette « dextérité des mots » qui fait le régal du lecteur. Jouant en espiègle avec le temps, jonglant avec les saisons et les jours, le poète offre au lecteur des tableaux dignes des peintres flamands, lesquels excellaient en natures mortes de « comestibles » … « lièvres, perdreaux… sangliers, viandes faisandées bardées de poils, de plumes, de soies ensanglantées… ». Et le temps s’accélère, les nuits succèdent aux jours, et une saison chasse l’autre. On retrouve l’automne qui fait revenir, avec la chute des feuilles, le temps de l’enfance, « temps des dictées, des clichés, des rédacs, des poèmes, toutes ces feuilles resurgies pâles, jaunes, rousses, qui craquent dans les crânes. Puis le soleil rasant allongeant le pas, les ombres s’allongèrent plus avant. »

    Avec « Claustrales », d’une tonalité toute différente, nous pénétrons dans le monde clos de la méditation, un monde incisé dans la pierre — peut-être à la manière de Callot ou de Rembrandt — et habité par les ombres. Guidé par un vers extrait de Gaspard de la Nuit … « [v]os pas y heurteront sous l’herbe des pierres qui ont été des clés de voûtes », le poète met ses pas dans les pas du poète Aloysius Bertrand et entraîne le lecteur à sa suite dans une promenade au cœur d’un cloître « où l’ombre tourne autour des piliers » (in Gaspard de la Nuit, « École Flamande, Le Maçon »). Ombres et lumières qui jouent sur les chapiteaux ou dans les feuillages du jardin ; ombres des mots anciens qui circulent encore, tel le mot Réfectoire, chargé des souvenirs d’une « vie antérieure de moine ». Les poèmes se conforment aux déambulations du poète guidé par un « il » sans visage confondu avec l’ombre de son corps. « L’ombre de nos corps est moins dense que celle de l’if ou du cyprès, et nous la déplaçons avec nos bures… » confie le « il », soudain rejoint par des « voix aux contours mystiques », avant qu’il ne regagne le silence où règne le seul murmure du ruisseau.

    Un tout autre air succède à l’air révolu et nostalgique des cloîtres. C’est de « l’air du temps » que bruissent les lieux courus de la ville. « Cocktails, vernissages et théâtres ». La vie nocturne a aussi ses adeptes, « les fêtards, les noceurs, les noctambules de toutes plumes qui prospèrent nuitamment dans les caves… ». Le poète reprenant pied dans la vie sociale, in medias res, côtoie les masques qui déambulent, verre à la main, dans les salons à lambris. Il retrouve sa verve et sa langue tant ajustée, suit parfums et regards, observe les accolades amicales et les œillades, attrape au passage des bribes de conversation, suffisamment pour se faire une idée de la belle et de son « charme de butineuse », reprend à son compte — pour varier et agrémenter les tableaux de son prochain livre — les travers du langage à la mode :

    « à cette heure de la soirée le tic le mieux partagé, ce retour régulier d’un mot, d’une expression, tu vois, le mécanisme pendulaire à l’intérieur de soi qui ponctue la phrase, la scande et la relance à nouveau, tu vois, laisse un instant le temps mort des idées se reprendre, respirer puis repartir de plus belle, tu vois… ».

    C’est dans la section « Aux coins du globe » que je retrouve sous la plume d’Étienne Faure le mot « scrupule » employé supra dans le sens de « caillou ». C’est sans doute que je l’avais remisé dans un coin de ma mémoire après avoir lu les poèmes sur la Guyane. « Cayenne, vieux cailloux, faux scrupules » :

    « Disant Cayenne, c’est caillou qui surgit, cassé, roulé, descendu des ravines envahies de lianes, ou alors un oiseau excentrique, exotique, incompris, un cayenne aux plumes d’or et d’argent, rouge et bleu, qui caquette, non, cancane, non carcaille au passage des pirogues… ».

    Les sauts de puce dans les Caraïbes se poursuivent, où l’on croise, outre la Caravelle de Christophe Colomb et sa cohorte de flibustiers, une profusion tropicale, riche en formes et couleurs, mais étouffante. L’occasion pour le poète de s’adonner aux plaisirs de la langue et de tourner autour du participe passé offusqué, en déployant le champ lexical du feu/fournaise/touffeur/étouffement/asphyxie…

    Le retour hors du « bleu outremer » s’accompagne d’une certaine amertume face au côté dérisoire de ce qu’il reste du rêve. Et, sans doute, contrairement à la grande majorité des voyageurs friands d’exotisme, Étienne Faure est-il de ceux qui gardent pour eux leurs souvenirs égotistes :

    « Je ne vous envoie pas ma photographie », écrivait Arthur Rimbaud dans sa Correspondance.

    En revanche, Étienne Faure rapporte dans ses bagages quelques touches assez drôles sur lui-même et une philosophie de la vie exotique ramenée à l’essentiel :

    « Vivre en tongs fut longtemps son rêve…

    La vie envisagée via les doigts de pieds ».

    De retour à la ville, le poète voyageur s’active dans d’autres escapades. Entrer/sortir. Revenir/repartir. Les poèmes d’« Hôtels et retours » déclinent les passages d’un lieu à un autre, d’une région à l’autre. Égrener les noms vieillots des hôtels de France est déjà en soi une invitation au voyage, même si un peu compassée, comme les photos jaunies des albums. Une forme de poème en somme. Dans la chambre qui lui échoit, le voyageur « caméléon » s’adapte aux couleurs du temps et des lieux, observe, fidèle à lui-même, les va-et-vient, les mouvements, les apparitions/disparitions, les changements de rôles. Tout un théâtre de silhouettes prend vie derrière la fenêtre. Zone frontière, limen. Entre dedans et dehors. Lieu idéal d’observation. Tout cela sur fond d’ambiguïtés de sens et de jeux sur les mots. « Courant d’air » / « l’air au piano » / « à l’air libre » / « air fendu ». Il arrive qu’au gré d’une promenade dans les rues de la ville à découvrir, les choses s’inversent. « Tête en l’air », le poète se faufile en imagination derrière jalousies et persiennes. De l’extérieur où il se trouve, il tente une percée dans les intérieurs. Le linge qui flotte aux fenêtres fournit quelques indices, mais rien de ce qui est imaginé n’est assuré. Si ce n’est que les « drapeaux qui […] frémissent » sont « des étendards aux mille patries — aux apatrides. »

    Au hasard des poèmes et de l’écriture d’Étienne Faure, on croise d’autres poètes : André Breton, Charles Baudelaire (de manière implicite), Joseph Conrad, Jules Laforgue, Madame de Staël. Et Oscar Wilde — présent dans le poème sous le pseudonyme de Sébastien Melmoth — mort en 1900 à l’Hôtel d’Alsace (sis rue des Beaux-Arts, à Paris).

    Soudain la grisaille, les criailleries des mouettes et les monticules d’ordures ont raison du poète. Partir devient une urgence. Quitter l’Hôtel de la plage et « fuir fuir foutre le camp, mettre les bouts et jouer la fille de l’air pour quitter la ville avec la pluie sans bruit, sans heurts comme à la cloche de bois. »

    Tout cela qui a fini par s’accumuler et qui a rejoint ce que la mémoire a engrangé au fil du temps, constitue un lot de souvenirs. Souvenirs de voyage et souvenirs d’enfance, menus objets hétéroclites témoins ordinaires d’un temps et d’un lieu qui ont été ceux du poète. Objets exhumés qui ramènent à la surface des moments oubliés, des mots passés de mode, des jeux de vacances aujourd’hui inconnus, garants intemporels qui parent à l’ennui. C’était le temps des « lointaines éternités ». Dont le poète, étonné, recrée l’existence déposée dans les poèmes du « Voyage à la cave » :

    « On grattait les murs, la rumeur de la plage déferlait avec la voix d’un ténor, les variétés, le Tour de France, les échappées d’un pays en vacances, en ce vaste temps mort ignorant qu’un jour on écrit, surpris, serré comme on reprise dix fois un texte ajouré, la rature, laissant passer trop de clarté de soi, cœur à l’étroit, de joie après la peine. »

    Il faudrait que le lecteur prenne aussi le large, abandonne le poète à ses « rêves plumitifs », dégote une chute digne de celles dont le poète a le secret. Et je vois bien que la mélancolie me gagne à l’idée de refermer ce livre admirable. Alors ? Jouer les filles de l’air ? Le temps ne s’y prête guère. Me glisser dans les « jardins d’enfance chez une aïeule ou une voisine antique » pour me livrer à la cueillette des mûres, « membres étirés vers le ciel » ? La saison est passée et les mûres ont depuis longtemps déserté les buissons. Une seule chose à faire. M’en remettre à la plume d’Étienne Faure et boucler ma lecture par le poème de l’écureuil et du poète, section « Prendre l’air ». Et sourire.

    « Fuir, esquiver, changer d’arbre est une manie chez l’écureuil qui s’épargne ainsi la vie, croit-il, en sautant dans les airs, et contre la pesanteur reste en suspens, ne chute jamais, amasse des idées, les oublie, n’en finit pas d’aller de branche en branche ainsi qu’un écrivain — nouveaux chapitres, paragraphes, à la ligne —, ne sachant s’arrêter, s’y résoudre et comment atterrir, s’il faut atterrir, prévoir un rebondissement, craignant le faux mouvement qui terminerait l’aventure par inertie, sans rien qui relance et qui sauve : nul panache, mauvaise chute. »

    Comment ne pas sourire ?



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Faure montage
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    ÉTIENNE FAURE


    Faure portrait
    Source




    ■ Étienne Faure
    sur Terres de femmes


    Sortir, Éloge appuyé des bancs, Changements de saison (extraits d’Et puis prendre l’air)
    [Après les rigueurs inhumaines | du gel] (extrait de Ciné-plage)
    Les soirs d’été au pas des portes (extrait d’Horizon du sol)
    Tête en bas (lecture d’AP)
    sur « Le Poète à tête renversée » (extrait de Tête en bas)
    La Vie bon train, proses de gare (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site À la littérature de Pierre Campion)
    une lecture d’Et puis prendre l’air, par Henri Droguet
    → (sur le site Les Découvreurs)
    une lecture d’Et puis prendre l’air, par Georges Guillain
    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur Et puis prendre l’air
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Étienne Faure






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  • Étienne Faure | Sortir, Éloge appuyé des bancs, Changements de saison


    SORTIR
    (extrait)




    Le harnachement des motardes en juin développe un hippisme léger, une occasion de défiler guillerettes en cuir, casque et robe assortis au scooter, fugace monture chromée qui stoppe au feu rouge, une jambe effilée à terre. Nouvelles chasseresses, crinière au vent, les amazones motorisées soudain accélèrent – vert ! – et filent à toute allure sur le boulevard Diderot puis Voltaire. Hue ! Verve des oiseaux. On dirait la campagne si folâtre au solstice d’été. Herbe et chevaux.


    […]


    ÉLOGE APPUYÉ DES BANCS
    (extraits)




    Usant d’un carnet tête-bêche pour écrire, le remplir à l’endroit de ceci, à l’envers de cela, il sait qu’un jour les deux gageures, vers et prose qui progressent, vont se rencontrer, former un front redouté. L’une gagne du terrain – elle en est presque à la moitié du calepin –, quand l’autre ne hâte pas le pas. Piétine, même, tant l’avancée est mesurée. Prose et poème… Ainsi font les bavards du banc aux côtés des taciturnes – ou des résolument silencieux. Tempos et blancs.


    […]


    Attentifs, les collègues du banc écoutent un des leurs debout, face à eux, qui parle en avançant, recule, fait son théâtre, un bras levé pour asséner son texte, sa certitude. C’est le tribun du jour qui reste en vis-à-vis pour la conversation. Lui parti, les assis poursuivront leur dialogue côte à côte, sans même se regarder, l’œil rivé sur la scène d’en face : une petite fille avec sa maman qui joue à la poupée. « Tu as soif ma chérie ? — Nan. » La poupée parle.



    […]


    CHANGEMENTS DE SAISON
    (extrait)




    En remettant tes fringues d’automne tu retrouves dans tes poches les cueillettes de l’an dernier : trois châtaignes, un gland, deux faines, un colchique fané, et des morceaux de champignons secs. Telle une lecture ininterrompue — et la pensée qui va avec —, on reprend la tournure d’esprit de la saison où on l’avait laissée : mélancolique. Un vrai poème, ce paletot, où traînent encore des mots :

    Sécher ça
    Basse saison
    Sous le pardessus
    Le soleil reviendra
    Qui ne réchauffe rien.




    Étienne Faure, « Sortir » (page 14), « Éloge appuyé des bancs » (pp. 24, 26), « Changements de saison » (pp. 39-40), Et puis prendre l’air des villes et des champs, poèmes en prose, éditions Gallimard, Collection Blanche, 2020.





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    ÉTIENNE FAURE


    Etienne Faure  portrait 2
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    ■ Étienne Faure
    sur Terres de femmes

    Et puis prendre l’air (lecture d’AP)
    [Après les rigueurs inhumaines | du gel] (extrait de Ciné-plage)
    Les soirs d’été au pas des portes (extrait d’Horizon du sol)
    Tête en bas (lecture d’AP)
    sur « Le Poète à tête renversée » (extrait de Tête en bas)
    La Vie bon train, proses de gare (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur Et puis prendre l’air
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Étienne Faure






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  • Étienne Faure, Tête en bas

    par Angèle Paoli

    Étienne Faure, Tête en bas, poèmes,
    éditions Gallimard, Collection blanche, 2018.



    Lecture d’Angèle Paoli


    LA CHUTE EN BEAU SÉPIA




    La poésie d’Étienne Faure est une invitation faite au lecteur à se déprendre de ses habitudes de lecture. Et de ses attentes de lecture, souvent fondées sur des enchaînements de cause à effet qui n’ont que peu à voir avec la poésie elle-même. Pas résolument moderne, la poésie d’Étienne Faure, telle que je la découvre dans Tête en bas, son dernier recueil, s’inscrit cependant dans une alternance savamment agencée entre classicisme — formel et thématique — et contemporanéité. Une vaste culture — littéraire/cinématographique/picturale… — sous-tend le monde poétique de Tête en bas. Les poèmes, qui se distribuent en douze sections, sont des strophes de dix-sept ou dix-huit vers, strophes remarquables par la structure en apparence a-grammaticale du vers, soumise à des acrobaties et à des dislocations déroutantes : constructions inattendues, inversions surprenantes, l’esprit de dérision du poète se manifeste jusque dans les plus savantes distorsions syntaxiques. Paradoxalement, le poème se lit d’une traite jusqu’au point final, seule ponctuation forte d’une seule et unique phrase.

    Ainsi de ce poème étrange de la section « Dans la bouche », poème que j’ai lu et relu pour tenter de bien appréhender la structure de ses enchaînements, et qui me subjugue par son rythme et par ses arabesques, si bien que j’ai provisoirement perdu et le fil du poème et le fil du pourquoi de mes lectures/relectures. Ravie parce qu’envoûtée par quelque chose de plus étourdissant que le sens. Un sens qui ne se livre que parcimonieusement. Et c’est sans doute tant mieux. Je ne résiste pas au plaisir de donner ici ce poème dans son intégralité, imaginant peut-être que l’écrivant (le recopiant), il cèdera un peu de son mystère, ce dont je ne suis pas vraiment sûre :

    « Ouverte édentée au néant,

    à force, les répudiées, l’asphalte

    leur avait fait la bouche noire

    par où parler, respirer d’ordinaire,

    remédier, boire devenaient impossibles,

    la bouche bée demeurant inapte

    à traduire en aucune langue

    leur silence de poisson pris dans la nasse,

    trou noir d’où ne sortaient les sons, à la criée

    plus l’injure

    des âmes rendues à la mer, réduites

    à n’ingérer, dégueuler, déglutir

    rien,

    n’embrasser ni sceller de rouge,

    ni faire entendre une voix fluette — celle qui

    chanta —

    ou plus musclée en vociférations,

    O coi de lèvres distendues quand ne bouge

    un matin plus la langue.


    gueule ouverte


    La force de cette « bouche d’ombre » vient de ce qu’elle charrie dans son flux des images oubliées qui mêlent dans le roulis de la phrase des visions goyesques ou hugolesques. De sirènes, de cris et de naufrages. Le jeu d’alternance des allitérations en [d] et en [r] y contribue sans doute pour une bonne part.

    L’esprit qui irrigue l’ensemble du recueil est donc celui de la dérision, jeu de distanciation ironique et grinçant ou du simple pied-de-nez déjà présent dans le titre du recueil. Tête en bas. Revisitant son passé, ses souvenirs — « ça ne mange pas de pain/les souvenirs » — l’histoire des siens, lignées et généalogies, celle d’une époque révolue mais aussi celle de la sienne propre, avec ses grimaces déchets et chutes, le poète se plaît à composer des tableaux (de genre ? le nom du peintre James Ensor s’impose soudain à moi comme une évidence) ; le poème, clos sur son récit, étant à lui seul une toile de la galerie que Tête en bas convie à visiter.

    Tête en bas ? Cela tient d’abord au fait que le poète a longtemps vécu dans l’hémisphère Sud et qu’il a appris à voir le monde sous un autre angle. Amené soudain à vivre dans l’hémisphère Nord, à en subir la « pesanteur » et contraint d’épouser l’endroit, Étienne Faure découvre l’envers du décor, peut-être à la manière de Tchekhov, cité en exergue : « …je voyais l’envers de la vie que l’on menait en ville » (in « Ma Vie »). Pour cet antipodiste qu’est Étienne Faure, considérer l’envers du décor est pratique courante. Voire nécessaire. D’où cet esprit particulier mi-moqueur mi-sérieux, parfois cruel et grinçant, qui anime le recueil. Une autre allusion, très précise, à cette propension à considérer la vie sous un angle inversé est proposée par le poète dans la section intitulée « En Peinture ». Dans un poème consacré à une toile de Marc Chagall, sur « Le poète à la tête renversée » :

    « Cette rose au cœur vert on dirait un chou,

    la tête renversée du poète

    il y a cent ans repeinte avec des paupières

    d’ortie, tout un monde à l’envers revu

    comme on regarde par-dessous celui qui s’annonce

    avers, endroit du décor

    à la vitesse révolue d’une époque… »

    À poursuivre la lecture du poème, il semble bien que les poètes tels que figurés tant par Chagall que par Étienne Faure présentent quelque analogie dans leur manière de regarder le monde. Et dans leur façon de prêter une attention particulière à tout ce qui surprend, « inadéquation de l’objet », décalages et écarts. Ainsi de ce poème intitulé fragment d’un serveur berlinois (dans la section « Au temps rassis ») qui s’ancre dans « l’envers du décor/en vrac,… »

    « offrant

    le tableau d’un serveur déboité qu’aurait peint

    Otto Dix en pantin noir et blanc,

    torchon à l’épaule, pressentant lui aussi

    la guerre dans ces vaisselles… »

    Ces décalages et écarts rendent compte d’une vision lucide du monde mettant en relief

    « l’impossible transaction entre les êtres

    enfouis chacun, peau et chair,

    dans le temps terreux des hostilités. » (in un siècle de pomme de terre)

    Dans la vie aux orties, sans illusion aucune, le poète écrit :

    « — le monde est pourrissoir, l’amour idem —

    par la racine

    dans un circuit de prédation puis de reproduction

    à l’infini, grandeur nature,

    le monde est pourrissoir. »

    Du reste, une autre particularité du recueil est le mode de traitement des titres eux-mêmes. Ici, l’ordre habituel titre /poème est inversé. Au lieu de figurer en tête, en tant qu’annonce ou amorce du poème, le titre est révélé in cauda. De sorte que le lecteur, surpris, refait son parcours de lecture en sens inverse, s’interroge, s’arrête sur les mots, glane dans les vers celui ou ceux qu’évoque l’intitulé. Si le lien de causalité est parfois évident entre le texte et son titre, il arrive qu’il reste partiellement énigmatique. Ainsi du dernier poème de la section « Au musée des rictus ». Canova n’en dort pas.

    Il se peut qu’Étienne Faure s’amuse des titres comme il se joue des saynètes, des personnes et des objets qu’il fait revivre dans ses portraits. La grand-mère de « Réveils » (première section), le grand-père du dernier poème ; les prostituées du dimanche, les couples du lignage et leurs copulations (de ces mêmes dimanches), les statues estropiées du musée des rictus ou des jardins publics, les outils et les plantes, la guerre et les batailles, les tableaux, les saisons, les amours, les ardeurs et leur disparition… Le tout arrimé au temps qui passe. Car le recueil dans son entier est une traversée du temps. Cela commence avec un retour d’évanouissement, réveil d’une mort provisoire, et se clôt sur un poème à la mémoire du grand-père, dont il ne subsiste qu’une photo sous verre :

    « Mon grand-père dans la neige allemande

    — depuis le temps qu’il y demeure —

    est resté jeune, noir et blanc, la neige

    n’a pas fondu, nous passons

    dans son deuil à perpétuité… »

    La vie est cette traversée où la mort occupe une place privilégiée et où les guerres sont l’une des causes obsédantes de mortalité. Batailles immortalisées par la peinture. À quel peintre expressionniste post-Van Gogh (« Champ de blé aux corbeaux ») songe Étienne Faure lorsqu’il écrit les vers qui suivent ?

    « [… ] j’existais voilà peu, la mort me prit au bord du ruisseau

    il n’y a pas deux heures, deux cents ans, cela

    alla si vite — quel foin dans le crâne,

    vois comment le sol te reçoit,

    ton corps, ta tête pleine de foin,

    les vertèbres tournées vers les viscères,

    et comment la main parfois recueille le front

    avant la chute, tout cela

    en peinture. »

    Le poème noir figé ne le dit pas. Même si le nom de Max Beckmann m’est venu à l’esprit.

    C’est sans doute la pesanteur exaspérante de l’hémisphère Nord — et ses multiples décrépitudes — qui entraîne le poète vers le rêve icarien de chute et de vol. Car Celui qui chute, vole, écrit Hannah Arendt citée par Étienne Faure. Et le poète d’imaginer en écho son propre film, le temps d’un poème, bande-annonce :

    « le temps que le corps tombe au ralenti — plein écran —

    et que défilent dans l’alerte les souvenirs

    à voix off, voix morte, hors du champ,

    cette énième restitution du corps au combat

    quoique plombé par l’histoire atténuant

    la chute en un beau sépia, lent vol,

    la mort prochainement dans les salles

    où l’on s’endort la tête un peu KO

    puis se réveille en sursaut, côté ocre,

    la joue fardée de terre. »

    Le moment sera alors venu de rejoindre « son propre horizon », de se fondre dans ce sol « bas ». De s’y « terrer ». Pour l’éternité.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Etienne faure  Tête en bas






    ÉTIENNE FAURE


    Etienne Faure




    ■ Étienne Faure
    sur Terres de femmes


    sur « Le Poète à tête renversée » (extrait de Tête en bas)
    [Après les rigueurs inhumaines | du gel] (extrait de Ciné-plage)
    Et puis prendre l’air (lecture d’AP)
    Sortir, Éloge appuyé des bancs, Changements de saison (extraits d’Et puis prendre l’air)
    Les soirs d’été au pas des portes (extrait d’Horizon du sol)
    La Vie bon train, proses de gare (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Étienne Faure





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  • Étienne Faure | sur « Le Poète à tête renversée »




    [SUR LE POÈTE À TÊTE RENVERSÉE]







    Chagall  Le Poète à tête renversée  2
    Marc Chagall (1887–1985)
    Étude pour Le Poète à tête renversée, 1911
    Gouache, plume et encre sur papier,
    27 x 21 cm
    Source







    Cette rose au cœur vert on dirait un chou,
    la tête renversée du poète
    il y a cent ans repeinte avec des paupières
    d’ortie, tout un monde à l’envers revu
    comme on regarde par-dessous celui qui s’annonce
    avers, endroit du décor
    à la vitesse révolue d’une époque
    où coule sans gravité la couleur du vin
    lumineuse, éclairant le verre
    — et la lente impression d’ivresse —
    le vin où plongerait aussi bien la plume
    quand l’encrier est sec, la lampe sans pétrole,
    à lire à livre ouvert sur les genoux, vieil établi,
    le livre ou manuscrit comme à rebours
    entre les pages où furent glissées des fleurs
    ocre, violines, jaune paille,
    les mots semblablement réversibles.


    sur « Le Poète à tête renversée »




    Étienne Faure, « En peinture » in Tête en bas, poèmes, éditions Gallimard, Collection blanche, 2018, page 69.






    Etienne faure  Tête en bas






    ÉTIENNE FAURE


    Etienne Faure




    ■ Étienne Faure
    sur Terres de femmes


    Tête en bas (lecture d’AP)
    [Après les rigueurs inhumaines | du gel] (extrait de Ciné-plage)
    Et puis prendre l’air (lecture d’AP)
    Sortir, Éloge appuyé des bancs, Changements de saison (extraits d’Et puis prendre l’air)
    Les soirs d’été au pas des portes (extrait d’Horizon du sol)
    La Vie bon train, proses de gare (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Étienne Faure





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  • Étienne Faure | [Après les rigueurs inhumaines | du gel]



    [APRÈS LES RIGUEURS INHUMAINES | DU GEL]




    Après les rigueurs inhumaines
    du gel qui tout saisit, met sous verre
    et fige les distances entre les corps,
    dans le feu de l’action se reprend
    à vivre un mouvement — marcher,
    d’ardent désir rester sur le qui-vive
    qui fait la force même des oiseaux
    réunis en V dans le ciel ou dans le lac glacé,
    à remuer pour garder l’eau libre, fendre l’air
    contre le froid qui congèle
    tout paysage où n’aurait passé
    un seul mouvement d’oiseaux en pointillés
    qui marchent, non volent, non nagent,
    laissant dans le tableau leurs empreintes
    inscrites, tels en hiver les livres où par chance
    la neige n’a pas tenu, parcourue de signes
    au charbon qui sont cause de sa perte, la fonte
    au feu des yeux qui les poursuivent.



    contre le froid



    Étienne Faure, « La sève attend » in Ciné-plage, Éditions Champ Vallon, Collection de littérature recueil, 2015, page 98.






    Cine-plage-





    _________________________
    NOTE de l’éditeur :

    Ciné-plage renoue avec la forme en vers.

    Ciné-plage, qui emprunte son titre à l’une des parties, se déroule en quatorze séquences. Il commence avec des lettres d’amour sur du papier (juste avant la dématérialisation des mots et des correspondances qui vont avec…) et se termine par un seul texte qui vient clore le recueil en forme de salut aux poètes, hommes et femmes parvenus jusqu’à nous par le fil de l’écrit, et qui nous lient comme autant de mailles et maillons, en une invitation à poursuivre : continuons.

    Le film entre-temps chemine à travers les amours, la plage, les vies aux fenêtres, les souvenirs dits de l’enfance, l’immuable émotion d’automne puis de la sève qui reprend, contre le froid les rencontres humaines — rapprochements —, les lieux d’Europe et de mémoire, l’histoire encore, saluant Kafka, Venise et son théâtre, la langue perdue puis retrouvée sans cesse, vieux fil.





    ÉTIENNE FAURE


    Etienne Faure




    ■ Étienne Faure
    sur Terres de femmes


    Et puis prendre l’air (lecture d’AP)
    Sortir, Éloge appuyé des bancs, Changements de saison (extraits d’Et puis prendre l’air)
    Les soirs d’été au pas des portes (extrait d’Horizon du sol)
    sur « Le Poète à tête renversée » (extrait de Tête en bas)
    Tête en bas (lecture d’AP)
    La Vie bon train, proses de gare (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Champ Vallon)
    les pages consacrées à Étienne Faure, dont plusieurs poèmes extraits du recueil Ciné-plage (« Du courrier sous la porte », pp. 11-16)
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Étienne Faure






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  • Étienne Faure, La Vie bon train, proses de gare (extrait)



    PROSE DE GARE
    Source






    LA VIE BON TRAIN | PROSES DE GARE (extrait)



    Dès les vacances les liquettes et les shorts sont portés de plein droit, conformément au régime d’été. Les tenues ressorties ont l’air encore neuf quand surgissent hors des trains, peu rompus au soleil, les corps dans leurs maillots qui soulignent tout leur blanc. Les vêtements rétrécis ou débordés par les chairs ont cédé la place à la peau. Elle refait surface, abondante, en paires de seins, de bras, en ventres et en dos, version estivale. Des nus bardés de sangles et de bretelles. Parés pour le bain de mer, les enfants grimpent avec leurs seaux, leurs pelles, des bouées en forme de canard autour du cou, et le sac isotherme, et les mères. Tout le prêt-à-porter des plages. Ce sont les mêmes au retour qui reviendront hâlés, alourdis d’épuisettes et de coquillages. Les mêmes avec les marques du bronzage qui révèleront, par défaut, ce que furent les vacances : les cyclistes aux fronts blancs à hauteur des casquettes, les chevilles pâles des randonneurs à la place des chaussettes, et puis le hâle irréprochable des bords de plage. L’intégrale.



    Étienne Faure, La Vie bon train, proses de gare, Éditions Champ Vallon, Collection de littérature recueil, 2013, page 70.







    Etienne Faure, La Vie bon train ÉTIENNE FAURE


    Photo-etienne-faure (1)
    Source




    ■ Étienne Faure
    sur Terres de femmes


    [Après les rigueurs inhumaines | du gel] (extrait de Ciné-plage)
    Et puis prendre l’air (lecture d’AP)
    Et puis prendre l’air (lecture d’AP)
    Sortir, Éloge appuyé des bancs, Changements de saison (extraits d’Et puis prendre l’air)
    Les soirs d’été au pas des portes (extrait d’Horizon du sol)
    sur « Le Poète à tête renversée » (extrait de Tête en bas)
    Tête en bas (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Champ Vallon)
    un autre extrait de La Vie bon train
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Étienne Faure







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  • Étienne Faure | Les soirs d’été au pas des portes



    Santa Lucia di Tallà (Corse-du-Sud)
    D.R. Ph. angèlepaoli
    [Santa-Lucia-di-Tallà, Corse-du-Sud, juin 2011]








    [LES SOIRS D’ÉTÉ AU PAS DES PORTES]



    Les soirs d’été au pas des portes,
    toutes chaises et vieux os sortis
    dans la rue qui descend vers le port,
    on dirait que l’éternité vaut pour tous,
    y compris chiens, vieux rubiconds
    versés dans la mélancolie des soleils couchants.
    Après la décrue du soleil
    le soir dans la rue reste en dépôt sur les façades
    d’où la lumière entassée tout le jour
    s’exhume et vient chauffer les crânes
    ombrageux, les éclaire.
    Par lente réflexion des murs,
    brusque embolie des mots, survient le passé
    indivis tel un rêve ancré sous le crâne
    d’un chien que la main bleue de veines
    très au-dessus de la première sacrée
    caresse : hein, Bobby
    tu n’as pas le souci, toi, des souvenirs ;
    la grève en béton, la jetée en béton
    vont nous survivre.




    crépuscules indivis




    Étienne Faure, Horizon du sol, éditions Champ Vallon, Collection Recueil, 2011, page 65.






    Horizon du sol





    ÉTIENNE FAURE


    Etienne-faure
    Source




    ■ Étienne Faure
    sur Terres de femmes


    [Après les rigueurs inhumaines | du gel] (extrait de Ciné-plage)
    Et puis prendre l’air (lecture d’AP)
    Sortir, Éloge appuyé des bancs, Changements de saison (extraits d’Et puis prendre l’air)
    sur « Le Poète à tête renversée » (extrait de Tête en bas)
    Tête en bas (lecture d’AP)
    La Vie bon train, proses de gare (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Champ Vallon)
    les pages consacrées à Étienne Faure, dont plusieurs poèmes extraits du recueil Horizon du sol
    → (sur remue.net)
    une recension de Jacques Josse sur Horizon du sol (9 juin 2011)
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Étienne Faure





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