Étiquette : Fabio Scotto


  • Fabio Scotto, La Peau de l’eau

    par Sylvie Fabre G.

    Fabio Scotto, La Peau de l’eau,
    poèmes français (1989-2019),
    éditions La Passe du vent, 2020.



    Lecture de Sylvie Fabre G.




    DANS LE TREMBLÉ DE LA VIE ET DE L’AMOUR




    La poésie n’est-elle pas la voix d’une parole qui fait scintiller des mots-étoiles dans la nuit et le vent, sur l’eau profonde et au-dessus du vide, en éclairant une vie qui donne à voir les signaux inséparables de l’amour et de la séparation, et qui, par là-même, fait entendre l’inachevé de notre condition ? Dans l’ouvrage La Peau de l’eau, publié cet automne aux éditions La Passe du vent, Fabio Scotto, poète italien, fait résonner sa voix en un recueil anthologique qui réunit des poèmes écrits en français entre 1989 et 2019. Dans quatre des parties, ceux-ci sont présentés dans une version bilingue et, fait rare, traduits par ses soins du français en italien. Cette originalité témoigne de sa relation profonde aux deux langues qu’il pratique de façon constante et qui sont mises ici en écho, devenant ainsi des passerelles mélodiques et des passerelles de sens dans la traversée poétique. La fréquentation du français, et la connaissance qu’en a Fabio Scotto de par son travail de linguiste, d’essayiste et de traducteur émérite lui permettent d’établir une véritable résonance entre les deux langues. Le recueil, qui balaie plus d’une trentaine d’années de création, met aussi en lumière l’unité de son œuvre dans la durée. Cet éclairage dans le temps souligne l’élan d’une quête existentielle et poétique où se conjuguent, sous différentes formes, apparition et disparition, autour de l’axe principal du lien à soi, à l’autre et au monde.

    L’anthologie, construite chronologiquement, débute par des poèmes aux vers courts, aux strophes brèves, qui sonnent déjà comme un avertissement. Sur ce chemin dès l’abord ouvert musicalement, le poète (nous) murmure qu’on ne traverse pas impunément le temps, même avec « un cœur » d’« enfant » ou d’amant. Dans le passage d’une époque à l’autre, d’un poème à l’autre, d’une langue à l’autre, il nous rappelle ce que nous ne pouvons ignorer : la vie est partition d’inouïe lumière autant qu’« ombre infinie ». Le désir humain et l’intensité de la langue ne sont pas suffisants pour faire que la ligne droite ne devienne aussi ligne brisée. Fabio Scotto réduit la faille par une écriture comme lui vouée à des amours finies, à des pages tournées, à un chant inachevable.

    Dans la première partie du recueil, l’image fugitive des jeunes filles surgissant « collées à la nuit » au détour d’une rue de Florence, puis, quelques vers plus loin, l’évocation du poète qui « parcourt le jour » « vêtu d’un brin de sable », en sont les premières illustrations symboliques et orientent le lecteur. Ces métaphores, comme le titre de la première partie, L’Avis de la mort, l’alertent en effet sur la tonalité générale, élégiaque, de l’ensemble du livre, que renforcent les derniers vers du Cirque au bord du lac, mélange de dérision et de nostalgie.


    « Le cirque s’en va demain
    (Ungaretti, Volodine, Moravagine)
    Vers le nord ou vers la mer
    Triste défilé

    Sa trace en nous
    Qui dansons sur le vide
    Un rire aux larmes
    Intarissable, subit
    La glace fondue dégouline, tu sais
    C’aurait pu être la vie… ».


    Cahier préalpin, écrit presque dix ans après L’Avis de la mort, introduit d’autres apparitions en égrenant toute une série de lieux qui offrent leur intitulé aux poèmes de cette sixième partie. Leur nomination précise — Gavirate, Castiglione Olona, Varèse, Luino… —, crée un voyage sonore et intérieur qui fond le paysage des Lacs italiens et de ses protagonistes dans une terre habitée et dans l’histoire singulière et collective qu’elle contient. Cette appartenance renvoie le lecteur aux proses de Sur cette rive, paru en 2011 aux éditions L’Amourier (A riva, NEM, 2009), où le poète, comme dans La Peau de l’eau, navigue entre les deux âges initiatiques — enfance-adolescence —, et l’âge adulte où se vivent la confrontation avec la réalité et la perte des illusions. On verra d’ailleurs que cette anthologie personnelle, qui couvre une temporalité large, Fabio Scotto la termine dans la dernière partie inédite, « L’À-Venir », en abordant aux rivages où désormais il se tient : ceux d’un présent vieilli où le poète se retourne sur sa vie et semble dresser un bilan, plutôt amer, de ce qui a été et surtout de ce qui est :

    « Vie, qui t’en vas

    à chaque instant perdu

    […]

    vie qui es illusion,

    sale promesse

    tristesse bleue

    comme tes yeux qui l’avalent » .

    Dans tout le recueil, le traitement du temps entremêle donc écriture du maintenant et écriture de la mémoire. Les verbes y sont le plus souvent au présent, comme si le passé, inclus, continuait à s’y vivre, comme si le futur était rendu inaccessible :

    « Demain ne viendra pas

    demain il sera trop tard »,

    confie l’un des derniers poèmes tiré « D’une Terre » (V). C’est d’ailleurs avec l’anticipation de sa propre mort que le poète clôt le recueil in « L’À-Venir » :

    « Le jour de ma mort il fera beau

    Des amis suivront le cortège funèbre » (X).

    Dans les vers suivants, télescopage imagé de son espace intérieur, lui-même se vit agonisant, puis cadavre énucléé :

    « À l’heure où moi, je meurs seul

    à l’orée du bois

    Puis les corbeaux en criant

    m’arrachent les yeux ».

    Le registre dramatique, amplifié par cette âpre vision que soulignent les allitérations en [R], éclaire le fond obscur d’une douleur qui broie l’être entier. Mais ne traversons-nous pas tous en aveugles la vie et plusieurs morts avant l’ultime ? Ne nous sentons-nous pas nous aussi parfois des morts-vivants ou des survivants ? Les ténèbres extérieures et intérieures sont des thèmes récurrents dans l’œuvre de Fabio Scotto où l’homme poursuit une chasse au bonheur qui toujours se dérobe et le laisse face au néant.

    Pris dans la spirale du temps, le poète résiste en portant son attention sur les formes, les mouvements, les sons et les couleurs d’une réalité qu’il veut saisir et explorer dans l’ici. Sa captation (nous) invite au partage d’une expérience à la fois sensorielle, mentale et émotionnelle des lieux, des choses et des êtres. On y respire une douceur du monde qui n’est pas sans violence :

    « Silence

    Paix

    Mais ce printemps venteux

    arrache les fleurs aux balcons

    gèle le sang » (« Castiglione Olona », Cahier Préalpin)

    et une beauté qui n’est pas sans laideur :

    « Le soir on va au marais

    se salir dans la cannaie

    sur des ponts tremblants

    au-dessus des décharges industrielles » (« Angera », Cahier Préalpin).

    Pas d’utopie, quelle qu’elle soit, chez Fabio Scotto, qui sait reconnaître les maux néfastes de notre société. Dans les dernières parties du recueil, l’évocation de l’eau lève encore d’autres images, plus terribles, sur la vérité du monde. Car la parole de l’écrivain n’oublie ni l’insensé atemporel ni les maux contemporains : sa lucidité regarde une immanence où règne le mal absolu qu’il dénonce dans la « Lettre à Oradour » (Les Dieux étouffés, 1946) dédiée à Jean Tardieu. Barbarie, destruction, famine, « Exode » sont autant de mots qui font de « notre peau, une plaie » et de notre voix « un cri ». Ce cri résonne dans tout le recueil, il remonte des abysses de la Méditerranée, s’élève « du fond des ruines d’un pont de Gênes » ou plane sur le théâtre des guerres. Il est celui des migrants, « frères morts / noyés parmi les vagues » et de tous les corps-cœurs meurtris par l’indifférence, le désamour ou la haine sur cette terre. Dans la voix du poète, il devient le chant humain d’une souffrance déjà inscrite sur les visages peints par Munch ou par Bacon.

    Fabio Scotto cependant n’oublie jamais les grâces accordées par la vie, ni leurs objets. Et d’abord la « grâce du vu », sa magie. Les poèmes célèbrent aussi bien le « désert aquatique / où les nuages joignent / la traînée jaune de l’horizon » que « la joie de la pierre sculptée par le vent » ou l’arbre dont « les branches deviennent ses bras ». Reflet de l’état d’âme, beauté sensuelle du vivant, tissé de présences vibrantes et d’osmose accomplie, le monde est là, avec ses bords de lacs, ses campagnes océanes ou méditerranéennes, ses « aubes simples » et ses couchants au « Miroir du soir ». Le dehors, paysage naturel ou urbain, est très prégnant dans Voix de la vue (1952) et dans toutes les autres parties du recueil à travers des descriptions fondues à l’expression des sensations et des sentiments mais aussi à une méditation. On reconnaît là le traducteur de Bernard Noël dans l’importance donnée au regard par Fabio Scotto pour qui « voir est un acte ». Tous les sens sont évidemment sollicités dans sa poésie « écrite avec son corps » et qui joue sur les sonorités, la rythmique et la ponctuation autant que sur les images. La dimension picturale de certains poèmes relie souvent la poésie à l’art. Ainsi il n’est pas étonnant que deux parties du recueil correspondent à des livres d’artistes réalisés par Fabio Scotto avec Colette Deblé et Martine Chittofrati et que bien d’autres poèmes, au fil du recueil, évoquent la musique ou des tableaux. Dans Esquisses italiennes, par exemple, ouvrage paru en 2014, une suite rêveuse mais précise accompagne toute une série d’œuvres autour des hauts-lieux de Venise et de Rome. Elle témoigne de la sensibilité de l’auteur à « un visible » dont il faut soulever le voile pour accéder à l’invisible et à ses métamorphoses.

    « Qu’est-ce que le corps pour la lumière ?

    La vie jaillit d’or des eaux troubles

    Corde tendue sur l’abîme

    Elle se penche pieds nus

    l’air caresse ses jambes

    Et toi qui l’aperçois de loin

    de la fenêtre d’en face

    tu es de quel temps,

    de quelle galaxie,

    de quel vent ? » (« Église des Scalzi » in Esquisses italiennes).

    Ces quelques vers nous ramènent au thème principal du recueil et de l’ensemble de l’œuvre de l’auteur. C’est en effet la question de l’identité et de l’amour, compris aussi comme désamour, incommunicabilité et éloignement dont il est question et qui fait question.

    Chez Fabio Scotto, la quête inquiète, mais passionnée, de soi et de l’autre est à la source même de la vie et de l’écriture. Elle se heurte toujours à l’impossible qui se confond avec la perte, mais son possible se prolonge dans « un chant de disparition » comme dans la très belle septième partie, au titre évocateur, L’Ivre mort, publié en 2007. Ce chant emporte la barque de l’écriture, de rivière heureuse en fleuve des amers, avec son passager étreint par la même soif inapaisée et inapaisable de l’Un. Comment s’amarrer aux rives toujours fuyantes de l’amour et garder vifs le transport du corps et la plénitude de l’âme un jour vécus, si ce n’est en les posant dans « l’ivre livre » qui transcende la vie en une autre vie et donne à l’amour sa vraie lumière ? Pour le poète, la poésie est peut-être une tentative de réponse à l’énigme, une voie d’accès à cette « éternité » rêvée, « mer allée/avec le soleil » qu’évoquent Rimbaud et Le Livre de Mallarmé (Variations sur un sujet, 1895) mis en dialogue. Ainsi, au cours du recueil, nous assistons à une descente amoureuse et poétique qui est aussi une remontée, à des naissances qui sont aussi morts annonciatrices de renaissances. La séparation et la solitude, thèmes essentiels, y sont montrées natives car venant de la présence elle-même et retournant toujours à la présence. Cette présence rayonnante, souveraine, que la femme aimée, en ses multiples visages, dispense puis retire, renvoie l’homme à sa dépendance et au désespoir, avant que « le seuleil » et le « cercoeil », mots-valises du désastre, ne redeviennent simples vocables, seuil d’un nouveau soleil, à coup sûr celui de la langue.

    De la rencontre amoureuse, Fabio Scotto écrit avec lyrisme l’enchantement, l’ivresse des corps et la joie d’une fusion vécue à l’origine et réinventée, comme le fait la femme des lavis de Colette Deblé à qui Fabio Scotto donne voix dans les Haïkaï (Fragments du corps rouge) de 2007. La dimension érotique occupe une grande place dans ce recueil aux vers-blasons qui célèbrent la féminité et l’emportement du désir. « Les beaux yeux », « le paradis de chair » suscitent l’extase mais révèlent aussi une face sombre. À l’instar de Baudelaire et de certains surréalistes, le poète montre la femme capable de fausseté et d’adultère, pire encore, sujet de trahison et de cruauté. De l’adolescente « blonde aux yeux noirs », entrevue « un dimanche devant la gare », à la femme mûre « qui porte un secret dans ses viscères » et dont la danse est « sous les yeux des dieux », toutes, si elles font de l’amour charnel un zénith, si elles touchent « de leurs ailes » le cœur de l’homme et « émeuvent » son âme, se révèlent en même temps les figures du manque, de l’abandon et de « la chute ». Les amants, tour à tour « ange mortel » et « ange noir », finissent en « anges déchus ». Certes ils connaissent l’acmé mais, très vite aussi, le déchirement et l’absence. Le riche lexique autour du sang montre le poète martyrisé et agonisant, une fois l’aimée en allée et devenue inaccessible. Dans la dernière partie (L’À-venir), celle qui se cache derrière le « A. » de la dédicace « s’en va/sans tourner le dos » mais le laisse exsangue, « le froid aux os » et désespéré.

    L’« à-venir » serait-il désormais une béance, un vide à épouser pour celui, proie d’amours éphémères, qui ne tient dans ses mains que « le rien » ? L’amour, écrit Fabio Scotto, se réduit à « une chanson pour personne / et le reste est la cendre / que tu éteins sur la cendre » (« La douce blessure, La dolce feria » in Le Corps du sable, L’Amourier, 2006). La parole ne serait-elle alors que « le moyen de se multiplier dans le néant », comme l’écrit Paul Valéry (« Petite lettre sur les mythes », Variété II) cité par Fabio Scotto dans Le Corps écrivant. S’il n’y a pas de salut, et nulle consolation, l’homme perdu devient « le perdant », un naufragé sans identité et sans goût de vivre. Le « je » n’existe que dans le lien au « tu », au « on » ou au « nous » vécus dans le face-à-face intime et, nous l’avons vu aussi, dans le partage d’un destin collectif qui nous lie. Si, dans la relation, l’un est exclu ou nié, l’autre est renvoyé à une sorte de non-être. Le déroulé de regards, de sentiments et de pensées qu’offre le recueil dresse en filigrane un portrait du poète. Ainsi l’apparition de la silhouette de Guido Morselli, écrivain méconnu de Varèse, « traversant la place du Marché / déjà déserte / à six heures du soir », au début du recueil (« Varèse », Cahier préalpin), est suivie de l’identification ironique au cygne de Caldé qui meurt « du plomb dans l’aile ». Ces signes d’un état intérieur mettent à nu une déréliction exprimée aussi par la finale verlainienne de « Luino » (Cahier préalpin) :

    « La vie est manque

    j’aime son absence

    J’attends la pluie ».

    Et cette dernière, à la mélancolie assumée, arrive même à « effacer » jusqu’aux mots du poète emportés par « le vent ».

    La vie, ce réel auquel chacun se confronte, nous déborde toujours, telle est la leçon du recueil. La voix qui y chante nous apprend son mystère indépassable et notre exil : dans l’amour, le plus proche est toujours déjà le plus lointain, mais sa rencontre nous constitue. Après la joie, la disparition laisse au sillage des jours l’a-joie, sa plaie jamais cicatrisée. Le temps s’acharne, c’est vrai, à nous dépouiller, multipliant les défaites et les deuils. En emportant les aimés, il laisse dans un silence où chacun se tient seul comme devant la mort. La félicité « que je croyais atteindre » reste insaisissable, écrit Chateaubriand dans ses Mémoires d’outre-tombe, et Fabio Scotto ne le démentirait pas. La séparation, comme l’adieu, est le lot de chacun, qui doit trouver en soi les ressources pour continuer. Le poète de La Peau de l’eau, ami de Tardieu, de Bonnefoy, de Noël et de tant d’autres, pose dans ce recueil les pourquoi et les comment qui nous taraudent. Au bord de l’abîme, lui-même rongé de révoltes, de chagrins et de doutes, assiégé par la désespérance, il ne livre pas de réponse. Mais il garde encore, par-delà ses morts et la mort, le geste d’écrire qui donne son tremblé à la vie. Au terme de cette traversée, le dernier poème du recueil apaise sans la nier la blessure inguérissable avec le mot de « pitié » dont a tant besoin l’humain. Et l’arbre contre lequel s’adosse celui qui prononce ce mot, debout entre terre et ciel, transfuse en sa voix la sève : le poème est bien « l’amour réalisé du désir demeuré désir » (René Char, Fureur et mystère, 1948).



    Sylvie Fabre G.
    D.R. Texte Sylvie Fabre G.
    pour Terres de femmes







    Fabio Scotto  La peau de l'eau





    FABIO SCOTTO


    Fabio Scotto





    ■ Fabio Scotto
    sur Terres de femmes


    Venezia — San Giorgio-Angelo (extrait de La Peau de l’eau)
    A riva | Sur cette rive (lecture d’AP)
    Regard sombre (extrait de A riva | Sur cette rive)
    Le Corps du sable (lecture d’AP)
    Je t’embrasse les yeux fermés (poème issu du recueil Le Corps du sable)
    Ces paroles échangées (poème issu du recueil L’intoccabile)
    China sull’acqua… (traductions croisées)
    Tra le vene del mondo (extrait de La Grecia è morta e altre poesie)
    “Musée Thyssen Bornemisza Madrid”, Jacob Isaacksz Van Ruisdael
    Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid (onze « poèmes peints » traduits par AP)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site des éditions La passe du vent)
    la fiche de l’éditeur sur La Peau de l’eau
    → (sur Lyrikline)
    Fabio Scotto disant dix de ses poèmes




    ■ Autres lectures de Sylvie Fabre G.
    sur Terres de femmes


    Caroline Boidé, Les Impurs
    Jean-Pierre Chambon, Le Petit Livre amer
    Jean-Pierre Chambon, Tout venant
    Patricia Cottron-Daubigné, Visage roman
    Ludovic Degroote, Un petit viol, Un autre petit viol
    Pierre Dhainaut, Après
    Alain Freixe, Vers les riveraines
    Luce Guilbaud, Demain l’instant du large
    Emmanuel Merle, Ici en exil
    Emmanuel Merle & Thierry Renard, La Chance d’un autre jour, Conversation
    Angèle Paoli, Lauzes
    Pierre Péju, Enfance obscure
    Didier Pobel, Un beau soir l’avenir
    Erwann Rougé, Passerelle, Carnet de mer
    Roselyne Sibille, Entre les braises
    Une terre commune, deux voyages (Tourbe d’Emmanuel Merle et La Pierre à 3 visages de François Rannou)






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  • Fabio Scotto | Venezia — San Giorgio-Angelo


    VENEZIA — SAN GIORGIO-ANGELO




    Si dice che siano « custodi »
    che ascoltino i nostri pianti
    Innàlzati pure
    Vola via da me
    Tuo il cielo
    Le sue grandi nubi
    Mia la terra
    il suo nero fango che fuggi
    che prosciughi
    Ora che sento l’odore del prato
    dopo la pioggia
    E sono in piedi nella mia vita
    Esisto e resisto







    VENISE — SAN GIORGIO-ANGE




    On les dit « gardiens »
    à l’écoute de nos pleurs
    Alors lève-toi
    Envole-toi loin de moi
    À toi le ciel
    Ses grands nuages
    À moi la terre
    sa boue noire que tu fuis
    que tu assèches
    Maintenant je sens le parfum du pré
    après la pluie
    Et je suis debout dans ma vie
    J’existe et résiste





    Fabio Scotto, La Peau de l’eau, poèmes français (1989-2019), éditions La Passe du vent, 2020, pp. 128-129. Poème traduit de l’italien par l’auteur en collaboration avec Sylvie Fabre G.






    Fabio Scotto  La peau de l'eau





    FABIO SCOTTO


    Fabio Scotto





    ■ Fabio Scotto
    sur Terres de femmes


    La Peau de l’eau (lecture de Sylvie Fabre G.)
    A riva | Sur cette rive (lecture d’AP)
    Regard sombre (extrait de A riva | Sur cette rive)
    Le Corps du sable (lecture d’AP)
    Je t’embrasse les yeux fermés (poème issu du recueil Le Corps du sable)
    Ces paroles échangées (poème issu du recueil L’intoccabile)
    China sull’acqua… (traductions croisées)
    Tra le vene del mondo (extrait de La Grecia è morta e altre poesie)
    “Musée Thyssen Bornemisza Madrid”, Jacob Isaacksz Van Ruisdael
    Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid (onze « poèmes peints » traduits par AP)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site des éditions La passe du vent)
    la fiche de l’éditeur sur La Peau de l’eau
    → (sur Lyrikline)
    Fabio Scotto disant dix de ses poèmes





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  • Fabio Scotto | [Il volto avvolto dalle fiamme s’abbruna]

    « Poésie d’un jour

    choisie et traduite par Sylvie Fabre G.




    [IL VOLTO AVVOLTO DALLE FIAMME S’ABBRUNA]




    Il volto avvolto dalle fiamme s’abbruna come carta nel camino che il fuoco prende del suo moto verticale rosso sangue per le pietre. Arde puro d’una estrema bellezza senza versare lacrime e come illeso, per un istante, nell’enigma della vista, poi il calore lo morde agli occhi nella calda notte e trema al crepitio della cenere l’osso dell’immagine.

    Vederti è bruciare di quel fuoco che incendia l’aria tutt’attorno alla luce dei tuoi occhi, cristalli rubati ai diamanti africani. Le mani vorrebbero toccare, ma la luce si ritrae impalpabile. Sfiorano l’aria che imbeve di te ogni soffio. Che parola sospesa è la luce. Nel volto sono febbre che ghiaccia verso un sud cui mi chiami.



    […]



    Guardo il cielo, le nubi correre veloci, radere le cime. Bianche sui rami ritti, più scure all’orizzonte, ma d’un blu cobalto da cui filtrano raggi malati di sole. Così le mie parole su te che ora sei d’erba e chiami ogni libellula a raccolta. Viva morte del verde, cuore sferzato dal vento. L’albero che non sono ti dorme accanto.



    Fabio Scotto, “L’oro del giorno” in La nudità del vestito, Nuova Editrice Magenta, Varese, 2017, pp. 30-31-35.






    Fabio Scotto  La nudità del vestito






    [ENVELOPPÉ PAR LES FLAMMES LE VISAGE BRUNIT]




    Enveloppé par les flammes le visage brunit tel le papier dans la cheminée que le feu prend en son embrasement vertical, rouge sang pour les pierres. Il brûle d’une absolue beauté sans verser de larmes, pur et comme indemne, un instant, dans l’énigme de la vue, puis la chaleur le mord aux yeux incendiant la nuit et à la crépitation des cendres répond tremblant l’os de l’image.

    Te voir c’est brûler de ce feu qui incendie l’air entier autour de tes yeux, cristaux dérobés aux diamants africains. Les mains voudraient toucher, mais la lumière se rétracte impalpable. Elles effleurent l’air, imprégnant de toi chaque souffle. Quel mot suspendu, la lumière. Sur le visage je suis cette fièvre qui gèle vers un Sud d’où tu m’appelles.



    […]



    Je regarde le ciel, les nuages qui courent, rapides, rasant les cimes. Leur blancheur sur les hautes branches, leur plus de noirceur à l’horizon mais teintée d’un bleu cobalt d’où filtrent les rayons malades du soleil. Ainsi mes mots sur toi qui maintenant es devenue herbe et convies chaque libellule. Mort vivante du vert, cœur fouetté par le vent. L’arbre que je ne suis pas dort à tes côtés.



    Traduction inédite de Sylvie Fabre G.





    FABIO SCOTTO


    Fabio Scotto portrait





    ■ Fabio Scotto
    sur Terres de femmes

    Regard sombre (extrait d’A riva | Sur cette rive)
    A Riva | Sur cette rive (note de lecture)
    Ces paroles échangées (poème issu du recueil L’intoccabile)
    China sull’acqua… (traductions croisées)
    Le Corps du sable (note de lecture)
    Je t’embrasse les yeux fermés (poème issu du recueil Le Corps du sable)
    Tra le vene del mondo (extrait de La Grecia è morta e altre poesie)
    La Peau de l’eau (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Venezia — San Giorgio-Angelo (extrait de La Peau de l’eau)
    “Musée Thyssen Bornemisza Madrid”, Jacob Isaacksz Van Ruisdael
    Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid (onze « poèmes peints » traduits par Angèle Paoli)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site L’Amourier éditions)
    une bio-bibliographie de Fabio Scotto
    → (sur Lyrikline)
    Fabio Scotto disant dix de ses poèmes





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  • Fabio Scotto, “Musée Thyssen Bornemisza Madrid”, Jacob Isaacksz Van Ruisdael




    Ruisdael
    Jacob Isaacksz VAN RUISDAEL,
    Chemin à travers champs de blé dans le Zuiderzee, v. 1660-1662
    Huile sur toile, 44,8 x 54,6 cm
    Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid
    Tous droits reserves
    Source








    JACOB ISAACKSZ VAN RUISDAEL,
    Camino entre campos de trigo cerca del Zuider Zee, 1660-1662





    Due sentieri s’incontrano
    nella piana che sale
    Sole che filtra
    tra le nubi
    Lontani
    una casa
    un mulino
    una cattedrale
    Mucche al pascolo
    un viandante
    un cane
    Il grigio minaccia l’azzurro
    Chissà dov’è
    Lo Zuider Zee…



    Fabio Scotto, « Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid », Bocca segreta, Poesie 2004-2007, Bagno a Ripoli (Firenze), Passigli Poesia, 2008, p. 48.







    JACOB ISAACKSZ VAN RUISDAEL,
    Chemin à travers champs de blé dans le Zuiderzee, 1660-1662





    Deux sentiers se rejoignent
    dans la plaine qui monte
    Soleil qui filtre
    entre les nuages
    Au loin
    une maison
    un moulin
    une cathédrale
    Des vaches en pâture
    un vagabond
    un chien
    Le gris menace l’azur
    Qui sait où c’est
    le Zuiderzee…



    Traduction inédite d’Angèle Paoli
    pour Terres de femmes (décembre 2008)







    JACOB ISAACKSZ VAN RUISDAEL,
    Camino atraversando campos de trigo cerca de Zuider Zee, 1660-1662





    Deux sentiers se rejoignent
    dans la plaine qui monte
    Soleil qui filtre
    entre les nuages
    Lointains
    une maison
    un moulin
    une cathédrale
    Vaches en pâturage
    un passant
    un chien
    Le gris menace l’azur
    Qui sait où est
    le Zuider Zee…



    Fabio Scotto, “Musée Thyssen Bornemisza Madrid” in Bouche secrète, Éditions du Noroît, Montréal (Québec), 2016, page 40. Traduit de l’italien par Francis Catalano.






    Fabio Scotto  Bouche secrète





    FABIO SCOTTO


    Fabio Scotto
    Source




    ■ Fabio Scotto
    sur Terres de femmes


    A riva | Sur cette rive (note de lecture d’AP)
    Regard sombre (extrait de A riva | Sur cette rive)
    Je t’embrasse les yeux fermés (poème issu du recueil Le Corps du sable)
    Le Corps du sable (note de lecture d’AP)
    Ces paroles échangées (poème issu du recueil L’intoccabile)
    China sull’acqua… (traductions croisées)
    Tra le vene del mondo (extrait de La Grecia è morta e altre poesie)
    La Peau de l’eau (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Venezia — San Giorgio-Angelo (extrait de La Peau de l’eau)
    Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid (onze « poèmes peints » traduits en 2008 par AP)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de l’écrivain Claude Ber)
    un dossier Fabio Scotto (dimanche 27 février 2011)
    → (sur Lyrikline)
    Fabio Scotto disant dix de ses poèmes





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  • Fabio Scotto | Tra le vene del mondo



    Dans le noir d'un matin sans aube
    Ph., G.AdC







    TRA LE VENE DEL MONDO



    a Yves Bonnefoy




    Il cielo che disegni
    con i rami tesi
    nel buio di un mattino
    senz’alba


    E il cuore nascosto sotto i sassi
    tra le vene del mondo
    mentre un bambino nasce
    dal dolore della sabbia


    Ne senti il respiro
    colorare il mondo
    del sangue d’arenaria


    Essereterra




    Fabio Scotto, La Grecia è morta e altre poesie, Passigli Editori, Collana Passigli Poesia, 2013, p. 75. Prefazione di Alberto Bertoni.








    ENTRE LES VEINES DU MONDE



    à Yves Bonnefoy




    Le ciel que tu dessines
    branches tendues
    dans le noir d’un matin
    sans aube


    Et le cœur né sous les pierres
    entre les veines du monde
    à l’instant où naît un enfant
    de la douleur du sable


    Tu écoutes son souffle
    colorer le monde
    d’un sang de safre


    Êtreterre




    Traduction inédite de Sylvie Fabre G.




    FABIO SCOTTO


    Fabio Scotto





    ■ Fabio Scotto
    sur Terres de femmes


    Regard sombre (extrait d’A riva | Sur cette rive)
    Ces paroles échangées (poème issu du recueil L’intoccabile)
    China sull’acqua… (traductions croisées)
    Le Corps du sable (note de lecture)
    Je t’embrasse les yeux fermés (poème issu du recueil Le Corps du sable)
    [Il volto avvolto dalle fiamme s’abbruna] (poème issu du recueil La nudità del vestito)
    La Peau de l’eau (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Venezia — San Giorgio-Angelo (extrait de La Peau de l’eau)
    “Musée Thyssen Bornemisza Madrid”, Jacob Isaacksz Van Ruisdael
    Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid (onze « poèmes peints » traduits par Angèle Paoli)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site L’Amourier éditions)
    une bio-bibliographie de Fabio Scotto
    → (sur le site de l’écrivain Claude Ber)
    un dossier Fabio Scotto (dimanche 27 février 2011)
    → (sur Lyrikline)
    Fabio Scotto disant dix de ses poèmes





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  • Fabio Scotto | A riva | Sur cette rive

    Fabio Scotto, Sur cette rive, L’Amourier éditions, 2011.
    Traduit de l’italien par Patrice Dyerval Angelini.
    Préfacé par Yves Bonnefoy.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Le paysage lacustre s-anime comme une toile o- alternent carr-s de lumi-re et frondaisons obscures (1)
    Ph., G.AdC





    “L’ÉTÉ FUT COURT”



    Quelques larmes échappées d’entre les cils peuvent-elles se changer en lac ? Pour Fabio Scotto, écrivain et poète, la seule image de ces larmes suffit pour que, spontanément, surgisse de « sa mémoire profonde » le lac. Lacrimosa. « Si je pleurais je ferais un lac, mais le lac est déjà là. Alors, autant parler de lui », écrit Fabio Scotto dans le prologue de Sur cette rive. Le lac, c’est le lac de Varèse, qui draine avec lui, dans ses eaux mystérieuses, tout le paysage mental du poète. C’est dans cet arrière-pays lacustre que s’origine l’écriture d’A riva | Sur cette rive.

    Miroir du ciel autant que de l’âme, le lac de Fabio Scotto retient dans ses mouvances les fugacités liées à l’enfance et à l’adolescence, fragments de mémoire recomposée par ajustements de souvenirs, paysage d’ombre et de lumière, chuintements de vagues et de vies minuscules. Le poète observe les miroitements de l’eau, s’absorbe dans ses mystères, en frôle les monstres invisibles mais présents qui hantent ses fonds. « Sa » rive appelle l’autre rive, si proche parfois « qu’on pourrait la toucher », promesses de rencontres et de rires, d’échappées belles à bicyclettes et de montées ardues sous le soleil. De cette mosaïque de taches et de couleurs, d’impressions à la fois fugitives et durables, la réalité n’est pas absente. Elle survient par petites touches, à travers les noms des villages égrenés au fil des pages, les inscriptions « chimériques » gravées dans la pierre ― «  Guisy je t’aime. Luc 87 » ―, les rendez-vous sur le quai du Yacht-Club, les pédalos abandonnés à la berge au lendemain des jeux de l’été. Surgissent çà et là des silhouettes qui prennent vie, marcheurs et cyclistes, enfants et rameurs, vieux nageurs rompus par les ans, jeunes filles entrevues, désirées ou aimées, lavandières d’autrefois, pareilles à des « repiqueuses dans une rizière » ravivées par les souvenirs et les photos jaunies. Présent et passé se mêlent dans la tendresse des amours et des attentes, au point que les frontières, poreuses comme l’eau du ciel et l’eau du lac, s’amenuisent. Le temps se rétrécit. L’impression dominante qui demeure est celle du passé qui lisse ensemble, au gré des rêveries et des saisons, les paysages et les hommes, pris dans les mêmes lacs d’eau et de brumes. À peine entrevues, les silhouettes attachantes s’effacent et disparaissent sans laisser de traces autres que celles, minuscules et mouvantes, enregistrées par la mémoire du poète.

    Mais les rêveries au bord du lac ― le lac de Fabio Scotto draine dans ma mémoire les frémissements d’autres lacs entrevus, celui de Lamartine, interdit de séjour en poésie, et celui, moins banni, du Jean-Jacques Rousseau des Rêveries du promeneur solitaire ― s’accompagnent aussi de traversées périlleuses. Les nuits d’orage agitent les eaux et font surgir les monstres endormis tapis dans les algues. La tempête menace. Les rameurs errent dans le labyrinthe invisible des eaux. Les barques se soulèvent, puis gisent, abandonnées sur la grève, dans le « souffle du silence ».

    Le paysage lacustre s’anime comme une toile où alternent carrés de lumière et frondaisons obscures. « Comment un ciel sans soleil peut-il être lumineux ? » s’interroge le poète. C’est sans doute que « la lumière lutte avec son spectre ». Lequel du lac ou du ciel se noie dans l’autre ? Double inabouti du lac, le « ciel veut être un lac sans y parvenir ». Miroir du ciel, le lac est aussi « le grand œil de la terre », espace cristallin dont la pupille se dilate au gré des vents des pluies et du soleil. « Il larmoie » et vibre des douleurs qu’il retient dans ses rides. Monde de l’entre-deux, le lac chancelle entre terre et eau. Les bandes végétales de ses rives s’assombrissent ou s’allègent au rythme du jour et des saisons. Opaque par moments, translucide à d’autres heures, le lac est cet arrière-pays instable où vient s’ancrer la sensibilité du poète. Le lac de Varèse appelle en abyme d’autres lacs, Lac Majeur et Lac du Bourget, Lac de Lugano et Lac de Madison. Toute une cartographie lacustre, scintillante de noms et d’étoiles, se dessine d’un texte à l’autre de Sur cette rive. Parfois même, l’espace se rétrécit. Un lac miniature prend forme entre les bords indéfinissables d’une mare. Mais la préhension du monde est la même et l’on retrouve, entre les limites de ce miroir lilliputien, la même alternance d’observations et de questionnements sur la vie, les mêmes clins d’œil de l’enfance, échouée là sur un papier de bonbon décoloré. Tout comme le réverbère qui s’illusionne de son ombre à la « lumière diaphane » qu’il dispense, le poète cherche dans le miroir de la mare son double perdu dans les lointains de l’enfance.

    Univers onirique de l’entre-deux et du passage, souvent soumis à l’inaboutissement ou à l’interruption ― « Lettre non expédiée » ―, aux questions sans réponses, l’univers de Fabio Scotto est un monde en suspens entre les rives de la vie et de la mort. Mais toujours chaque texte, tendu entre prose exigeante et poésie, est un univers clos sur lui-même en même temps que gué vers le texte suivant. De petites cruautés innervent chaque scène. La chute apporte souvent sa part de surprise, éveillant de leur nostalgie douce les paysages lacustres de Varèse. Soudain, pareil à ces poissons aveugles à l’étal dans les natures mortes hollandaises ou flamandes, surgit des profondeurs du lac, « un grand brochet blessé saignant dans le silence ».


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli




    FABIO SCOTTO


    Fabio Scotto





    ■ Fabio Scotto
    sur Terres de femmes


    Regard sombre (extrait de A riva | Sur cette rive)
    Ces paroles échangées (poème issu du recueil L’intoccabile)
    China sull’acqua… (traductions croisées)
    Le Corps du sable (lecture d’AP)
    Je t’embrasse les yeux fermés (poème issu du recueil Le Corps du sable)
    Tra le vene del mondo (extrait de La Grecia è morta e altre poesie)
    La Peau de l’eau (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Venezia — San Giorgio-Angelo (extrait de La Peau de l’eau)
    Fabio Scotto, Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid (onze « poèmes peints » traduits par AP)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


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  • Fabio Scotto | Regard sombre



    L-eau accuse le coup- devient noire comme poix
    Ph., G.AdC





    IL BUIO SGUARDO



         Cos’è un lago? Le ciglia sono tese, tutto è cristallino, solo lacrima, a volte, per il vento, o per un brusco addio. Guarda quei prati, sono palpebre annerite dal poco sonno, s’illumina per un raggio di sole, per parole tenere sussurate al buio, non vede, ma ti guarda, sempre, ad ogni ora, e non sarai mai sola sulla sua riva.
        In superficie è azzurrità, il fondo è ghiaccio che sciolto si trascina a valle finché l’inghiotte l’antro della pupilla: immagini in frantumi, ad ogni goccia, e quanti cadaveri sull’iride ancora vivi dell’istante dello scatto. E pesci in cerchi a danza nel fondo prosciugato delle orbite. Un lago è il grande occhio della terra.
        Pure, quando è notte, qualcuno lancia sassi sull’acqua, cosí, per gioco, o per noia. L’acqua ne ha male, s’oscura come pece, mentre ridono di lei gli ubriachi sulla sponda. Ma non lacrime, non grida, non dolore. A ben altro prezzo si merita il pianto, dice ora ai cani, alle loro nude stelle.


    Fabio Scotto, A riva, NEM | Nuova Editrice Magenta di Poiesis, Varese, 2009, pagina 44.





    REGARD SOMBRE



         Qu’est-ce qu’un lac ? Des cils tendus, tout est cristallin, parfois il larmoie sous l’effet du vent ou d’un brusque adieu. Regarde ces prés, ce sont des paupières cernées par manque de sommeil ; un rayon de soleil l’illumine, ou bien des mots tendres murmurés dans l’ombre ; il ne voit pas mais te regarde toujours, à toute heure, et tu ne seras jamais seule sur ses rives.
        En surface il n’est qu’azur, mais au fond c’est de la glace fondue qu’il entraîne vers l’aval jusqu’à ce que l’antre de la pupille l’avale : débris d’images à chaque goutte ; et que de cadavres sur l’iris dont l’instant du déclic prolonge la vie… Et que de poissons dansant en cercle sur le fond asséché des orbites… Un lac est le grand œil de la terre.
        Pourtant, la nuit venue, quelqu’un lance des cailloux sur l’eau, par jeu ou par ennui. L’eau accuse le coup, devient noire comme poix, tandis que les ivrognes se moquent d’elle sur le rivage. Mais ni larmes, ni cri ni douleur. C’est à bien plus haut prix qu’on mérite des pleurs, dit-elle à présent aux chiens, à leurs étoiles nues.


    Fabio Scotto, Sur cette rive, L’Amourier éditions, 2011, page 67. Traduit de l’italien par Patrice Dyerval Angelini. Préfacé par Yves Bonnefoy.





    FABIO SCOTTO


    Fabio Scotto portrait





    ■ Fabio Scotto
    sur Terres de femmes

    A riva | Sur cette rive (lecture d’AP)
    Ces paroles échangées (poème issu du recueil L’intoccabile)
    China sull’acqua… (traductions croisées)
    Le Corps du sable (lecture d’AP)
    Je t’embrasse les yeux fermés (poème issu du recueil Le Corps du sable)
    [Il volto avvolto dalle fiamme s’abbruna] (poème issu du recueil La nudità del vestito)
    Tra le vene del mondo (extrait de La Grecia è morta e altre poesie)
    La Peau de l’eau (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Venezia — San Giorgio-Angelo (extrait de La Peau de l’eau)
    “Musée Thyssen Bornemisza Madrid”, Jacob Isaacksz Van Ruisdael
    Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid (onze « poèmes peints » traduits par Angèle Paoli)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site L’Amourier éditions)
    une bio-bibliographie de Fabio Scotto
    → (sur le site de l’écrivain Claude Ber)
    un dossier Fabio Scotto (dimanche 27 février 2011)
    → (sur Lyrikline)
    Fabio Scotto disant dix de ses poèmes



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  • Fabio Scotto, Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid, VI






    Ruisdael
    Jacob Isaacksz VAN RUISDAEL,
    Chemin à travers champs de blé dans le Zuiderzee, v. 1660-1662
    Huile sur toile, 44,8 x 54,6 cm
    Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid
    Tous droits réservés







    JACOB ISAACKSZ VAN RUISDAEL, CAMINO ENTRE CAMPOS DE TRIGO CERCA DEL ZUIDER ZEE, 1660-1662


    Due sentieri s’incontrano
    nella piana che sale
    Sole che filtra
    tra le nubi
    Lontani
    una casa
    un mulino
    una cattedrale
    Mucche al pascolo
    un viandante
    un cane
    Il grigio minaccia l’azzurro
    Chissà dov’è
    Lo Zuider Zee…


    Fabio Scotto, « Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid », Bocca segreta, Poesie 2004-2007, Bagno a Ripoli (Firenze), Passigli Poesia, 2008, p. 48.





    JACOB ISAACKSZ VAN RUISDAEL, CHEMIN À TRAVERS CHAMPS DE BLÉ DANS LE ZUIDERZEE, 1660-1662



    Deux sentiers se rejoignent
    dans la plaine qui monte
    Soleil qui filtre
    entre les nuages
    Au loin
    une maison
    un moulin
    une cathédrale
    Des vaches en pâture
    un vagabond
    un chien
    Le gris menace l’azur
    Qui sait où c’est
    le Zuiderzee…


    Traduction inédite d’Angèle Paoli




    >>>>>>>>SUITE
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  • Fabio Scotto, Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid, I






    Nicolas Maes, El Tamborilero desobediente, 1655
    Nicolaes MAES
    Le Tambour indiscipliné, v. 1655
    Huile sur toile, 62 x 66,4 cm
    Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid
    Tous droits réservés
    Source






    NICOLAS MAES, EL TAMBORILERO DESOBEDIENTE, 1655


    La madre cuce
    di fronte alla culla
    rosate le guance
    rosso il vestito
    Il piccolo dorme
    accanto alla finestra
    foglie sui vetri
    una luce malata
    e tersa
    Lui ritto e boccoluto
    sotto il cappello grigio
    non sente ragioni
    Si stropiccia gli occhi
    la bacchetta buttata a terra
    Sogna i prati
    Altri giochi
    Altre canzoni
    Una festa
    Una guerra


    Fabio Scotto, « Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid », Bocca segreta, Poesie 2004-2007, Bagno a Ripoli (Firenze), Passigli Poesia, 2008, p. 43.





    NICOLAES MAES, LE TAMBOUR INDISCIPLINÉ, 1655


    La mère coud
    face au berceau
    ses joues sont roses
    rouge son caraco
    L’enfant dort
    près de la fenêtre
    feuillages contre les vitres
    lumière maladive
    et diaphane
    Lui droit et bouclé
    sous son chapeau gris
    refuse d’entendre raison
    Il se frotte les yeux
    la baguette jetée à terre
    Il rêve des prairies
    D’autres jeux
    D’autres chansons
    Une fête
    Une guerre


    Traduction inédite d’Angèle Paoli




    >>>>>>>>SUITE
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  • Fabio Scotto, Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid

    Fabio Scotto, Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid



    Thyssen
    Conception de la Première de couverture, G.AdC








         Le dernier ouvrage poétique de Fabio Scotto, Bocca segreta, Poesie 2004-2007, vient de paraître en Italie, dans la collection Passigli Poesia (Bagno a Ripoli, Firenze). En accord avec le poète, j’ai choisi de traduire et de présenter, jour après jour, les onze poèmes de la section de l’ouvrage intitulée « Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid » (pp. 41-53).

        De cette visite du musée de Madrid, le poète, sensible aux chromatismes et aux jeux de lumière, a rapporté tout un ensemble de « poèmes peints ». Ils ont été croqués à partir des toiles des grands peintres du Siècle d’or hollandais et flamand, qui font partie des collections du musée. Un écho harmonieux qui rend compte de l’acuité subtile d’un regard et d’une juste distanciation.


    >>>>>>>>SUITE



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