Étiquette : Fata Morgana


  • Franck André Jamme | [tout ce que tu peux espérer maintenant]


    [TOUT CE QUE TU PEUX ESPÉRER MAINTENANT]




    Écoute, tout ce que tu peux espérer maintenant, c’est que les choses lèvent un peu, de temps à autre, qu’elles se dressent, quittent un instant leur terre et puis se posent de nouveau : une illusion, certainement, si tangible pourtant les quelques secondes qu’elle règne ! Avec un brin de chance et vu ton âge, à moins de quelque accident, cela devrait encore durer vingt ans, peut-être trente. Et puis tu tireras ta révérence, du mieux qu’il te sera donné — on choisit rarement sa fin. Tu signerais ces lignes si tu le devais, je le crois. Tu ne saurais juste pas trop où poser ton nom. À moins de la feuille transparente qui vole en toi et que tu ne pourras jamais saisir. Je ne t’en dirai pas plus, ne m’en veux pas, regarde plutôt : la porte, le couloir, les escaliers, une autre porte, la rue, des rues, la sortie de la ville, la route, la campagne, d’autres villes, d’autres pays : tu es, nous sommes toujours partout entre les mains du mystère le plus pur.


    Rien n’y fera

    Toujours
    la même
    éternelle
    absence

    Mais de quoi ?



    Dans quel sens
    court-elle

    La route ?

    Que fera-t-elle
    quand elle sera
    au bout ?




    Franck André Jamme, Bois de lune, Fata Morgana, 1990, pp. 57-59-60. Gravures de Richard Texier.






    Bois de lune 2





    FRANCK ANDRÉ JAMME (1947-2020)


    Jamme 3
    Ph. © Jean-Marc de Samie
    Source





    ■ Franck André Jamme
    sur Terres de femmes


    [Tu en as rêvé quelquefois] (autre poème extrait de Bois de lune)
    [Tu viens souvent avec ton oiseau sur le poing] (autre poème extrait de Bois de lune)
    les mygales (poème extrait du recueil Au secret)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site du cipM)
    une fiche bio-bibliographique sur Franck André Jamme





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  • Salah Stétié, Le Voyage d’Alep, XII


    Alep 1
    Citadelle d’Alep
    Source




    LE VOYAGE D’ALEP, XII




    Sur les plateaux, le printemps grave est d’herbe pure. Nul arbre, ici, pour limiter le rêve. Les lignes douces des collines me brûlent. Une noirceur gagne les dunes mauves.

    La terre est rousse et mal verdie souvent. Trésor du géologue. Elle est grosse de mystère et de clés. Elle échappe à sa toison domestique. Qu’elle est belle de couleur intégrale !

    Les villages de la paix dorment dans la lumière fraîche. Nul bruit n’en vient. Nul prophète ne les a dénoncés. L’homme même est accordé au silence.

    Partout l’œil touche une pensée prochaine. Et la lumière est toute pénétrée d’ombre…

    Des nuages me traversent, pleins d’oiseaux. Une fraîcheur débouche de la nuit. Les forces nues du monde chantent.

    Ici, tout pousse l’homme à partir. Tout l’incite à ne jamais s’attacher.

    Cela commence.

    Le jour se referme à regret sur l’origine.



    Salah Stétié, Le Voyage d’Alep, XII, éditions Fata Morgana, 2002 ; 2017 (nouvelle édition), pp. 29-30. Dessins de Jean Capdeville. In En un lieu de brûlure, éditions Robert Laffont, Collection Bouquins, 2009, page 807.







    Alep 2
    Citadelle d’Alep
    Source




    [ALEP EXISTE-T-IL ENCORE ?]



    Alep existe-t-il encore ? J’entends parler de la vieille, très vieille ville autour de son cœur de grès doré et de merveilleuse pierre grise et rosâtre, cette hautaine citadelle, que le soleil et la lune, puissants messagers astraux, venaient chaque jour et chaque nuit lécher de leur langue immatérielle comme une chatte son chaton préféré sous la main suzeraine des divinités d’antan, du Dieu d’après.

    […]

    Alep a reçu des tonnes d’obus, des tonneaux débordant de roquettes tous les jours pendant des années plus nocives et dévastatrices que les siècles. Des avions syriens ont rasé la ville, la tendre ville des hommes, des femmes et des enfants autant qu’ils ont pu le faire. Combien d’années ces siècles ? Sept, bientôt huit. […] Je pleure désormais en relisant ces quelques pages que j’ai écrites jadis dans le bonheur de vivre l’Orient et Alep en particulier dans leur splendeur. La splendeur n’est rien, rien, si elle ne signifie pas en son sein le beau et possible rayonnement de l’homme.

    Le Tremblay-sur-Mauldre, le 11 août 2017.



    Salah Stétié, avant propos de la nouvelle édition (2017) du Voyage d’Alep, pp. 10-11.





    Alep montage




    SALAH STÉTIÉ (1929-2020)


    Salah Stétié portrait
    Source




    ■ Salah Stétié
    sur Terres de femmes


    Méditation sur la mort d’une figue (extrait de Fiançailles de la fraîcheur)
    Mes oiseaux, mes enfants (autre extrait de Fiançailles de la fraîcheur)
    Tranchant de l’aube
    Une lampe sous l’orage (contribution de Nathalie Riera sur En un lieu de brûlure, éditions Robert Laffont, Collection Bouquins, 2009)




    ■ Voir aussi ▼


    le site officiel de Salah Stétié





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Edmond Jabès | [Dans le miroir de ma salle de bain]



    Claude Garache
    Claude Garache, gravure de l’édition originale
    de Edmond Jabès, Désir d’un commencement, Angoisse d’une seule fin,
    Fata Morgana, 1991.
    Source







    [DANS LE MIROIR DE MA SALLE DE BAIN]



    Dans le miroir de ma salle de bain, je vis apparaître un visage qui aurait pu être le mien mais dont il me semblait découvrir, pour la première fois, les traits.

    Visage d’un autre et, cependant, si familier.

    Groupant mes souvenirs, je retrouvais, à travers lui, l’homme avec lequel on me confond mais dont je suis seul à savoir que, de tout temps, il fut, pour moi, un étranger.

    Brusquement, le visage disparut et le miroir,
    ayant perdu sa raison d’être, ne refléta plus que le pan de mur, lisse et blanc, qui lui faisait face.

    Page de verre et page de pierre, dialoguant entre elles, solitaires et complices.

    Le livre n’a point d’origine.



    Jeune est le monde au regard de l’éternité et si vieux au regard de l’instant.



    Edmond Jabès, « Angoisse d’une seule fin » in Désir d’un commencement, Angoisse d’une seule fin, Fata Morgana, 1991, pp. 32-33. Eaux-fortes de Claude Garache.





    Edmond Jabès 2



    EDMOND JABÈS


    Edmond Jabès portrait
    Source




    ■ Edmond Jabès
    sur Terres de femmes


    La jeune fille qui marche (un poème extrait de Je bâtis ma demeure)
    La soif de la mer (autre poème extrait de Je bâtis ma demeure)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur YouTube)
    Au seuil du livre d’Edmond Jabès, dit par Michel Bouquet et Roger Blin






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  • Jacques Réda | Testament


    TESTAMENT
    (extrait)




    Il se peut que la Muse rie
    Elle-même, sous ces rameaux
    Tirés de la sauvagerie
    Où se cachaient les animaux
    Humains, enfants de la Nature.
    Domestiqué par la culture
    Du savoir, il produit des fleurs
    Presque toutes de rhétorique :
    Même le poète lyrique
    Se tient au rang des bateleurs.

    Il a fallu l’énorme orage
    Orchestré par Victor Hugo
    Pour retrouver un peu la rage
    Saine du Franc, du Hun , du Goth ;
    L’amertume de Baudelaire,
    L’impatience et la colère
    De Lautréamont et Rimbaud
    Qui, précipitant le ravage,
    Mirent la parole sauvage
    En désaccord avec le Beau.

    Ainsi qu’en somme au siècle Seize,
    On crut pouvoir l’aménager
    D’abord comme un parc à l’anglaise,
    Ici verger, là bocager
    Puis, de Marot jusqu’à Malherbe,
    On vit graduellement l’herbe
    Des sous-bois tourner au gazon,
    Les layons se border de chaînes,
    Fûts des hêtres et troncs des chênes
    S’aligner comme en garnison,

    Le plus souvent douze par douze
    Au garde à vous ou paradant
    Tout au long de chaque pelouse
    Où les causeurs, en bavardant,
    Démontraient ainsi que leur monde,
    Quand on le surveille et l’émonde,
    Est bien à coup sûr le meilleur :
    Un univers où tout gravite
    Autour du Soleil dont l’orbite
    Tient clerc, serf, prince et rimailleur.

    […]

    Mais quand la langue se rebelle
    Contre elle-même, par dépit,
    Elle qui fut hardie et belle
    Et ne connaît plus de répit
    Qu’elle ne trouve un artifice
    Ou ne consente un sacrifice
    Qui mime ses premiers élans
    Et le naturel de ses charmes,
    Elle sent croître ses alarmes
    Enchérit sur les insolents :

    Se farde à l’excès, se débraille,
    Jure, fume, rote, boit sec,
    Prend des poses à la canaille
    Comme les filles de Lautrec ;
    Ivre, au besoin, se prostitue,
    Rigole, insulte, s’évertue,
    Faute de plaire, à faire peur
    Avec des mines de sorcière
    Et, dans la fange ou la poussière,
    Prend pour extase sa stupeur.

    Mais sait-on ce qu’elle y contemple ?
    D’aucuns disent : c’est l’Absolu.
    D’autres la donnent en exemple
    D’un temps désormais révolu :
    La poussière qu’elle va mordre
    Est tout ce qui reste d’un ordre
    Dont le poète a secoué
    Le joug. Donc que nul ne s’encombre
    Du vieux rafiot vers qui sombre :
    Seuls des gâteux l’ont renfloué.

    Allons, la rime, à quoi ça rime ?
    Que chaque horrible travailleur
    Qu’elle veut charmer la réprime,
    Le pire y sera le meilleur.




    Jacques Réda, « Testament », Le Testament de Borée, Fata Morgana, 2020, pp. 37-40.





    Jacques Réda  Le Testament de Borée





    JACQUES RÉDA


    Jacques_reda_sete_20150726 (1)
    Jacques Réda
    Sète, festival Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée
    31 juillet 2015
    Ph. ©Pierre Kobel






    ■ Jacques Réda
    sur Terres de femmes


    24 janvier 1929 | Naissance de Jacques Réda
    L’aurore hésite
    La course
    L’homme et le caillou
    4 mars 1970 | Jacques Réda, Il s’est mis à neiger (hommage à Jean-Philippe Salabreuil)




    ■ Voir aussi ▼


    le site Jacques Réda
    → (sur Terres de femmes)
    Bernadette Engel-Roux | Le nom des choses [Une lecture de Jacques Réda, extrait]






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  • Joël Vernet, L’oubli est une tache dans le ciel

    par Angèle Paoli

    Joël Vernet, L’oubli est une tache dans le ciel,
    éditions Fata Morgana, 2020.
    Dessins de Joël Leick.



    Lecture d’Angèle Paoli


    L’INFIME BRUISSEMENT DU TEXTE





    Je lis un ouvrage dont l’auteur est actuellement hors d’atteinte. Les textes rassemblés sous le titre L’oubli est une tache dans le ciel sont pourtant bien les siens. De très belles proses poétiques qu’accompagnent des dessins de Joël Leick. Des dessins comme des bulles. Des bulles d’air ou d’eau, d’une légèreté translucide, traversées de branches brindilles feuilles et traces. Traversées de silence. Comme les proses. Poète et peintre sont en symbiose parfaite. Tout vibre dans ce très bel ouvrage édité par Fata Morgana.

    Il n’est qu’à parcourir les titres que le poète a choisis pour ces proses et de les relier aux titres des nombreux ouvrages déjà écrits et publiés pour reconnaître une présence. Discrète. Lovée à travers quelques mots fondateurs, des mots très simples, souvent les mêmes. Maison / Jardin / Sous-bois / Libellule / Merle / Mante religieuse / Lézard / Papillon / Chat / Tilleul / Herbes / Lumière / Noir / Neige / Silence / Oubli / Rumeur / Lettre / Signe / Sable… Des mots qui parlent déjà du poète. De Joël Vernet. Qui, en quelque sorte, le résument. Je lis ces proses, je les savoure. Je me perds dans les chemins, je me perds dans les hautes herbes. M’interromps un instant au seuil d’une maison isolée, livrée à la lumière éclatante de l’été et scintillante de neige l’hiver. Et je l’imagine, lui, le poète. Je le retrouve tel que je l’ai laissé après ma lecture des Carnets du lent chemin. Je le retrouve à l’identique. Pourtant ici, dans ce nouveau recueil qui vient de me parvenir en son absence, il n’y a ni dates ni noms de lieux. Tout ancrage spatio-temporel s’est estompé. Demeurent les collines et les crêtes, les sentes que le marcheur arpente, méditant sur le temps qui passe et sur ce qui le fait vivre, lui, le rêveur, le nomade infatigable. Ce qui le fait vivre ? Presque rien. Trois fois rien. Une mante religieuse, un papillon élégiaque, un chat paresseux et doux, un lézard égaré dans la maison et dont il se sent si proche :

    « N’es-tu pas ce frêle lézard pris au piège, celui qui est allé ici et là, abandonnant son père, sa mère, ses paysages par idiotie pour se lancer dans l’aventure ? Un piège s’est refermé sur toi… ».

    « Je me suis émerveillé d’un rien », écrit le poète.

    Et de ce rien surgit un « alphabet nouveau », que le poète s’est approprié de longue date et qu’il a fait sien. Autant de menues choses, compagnes du silence et de la solitude qui l’absorbent des heures durant et n’ont de sens que pour lui qui sait s’en saisir dans leur profondeur. Et puis il y a les mots, et puis il y a les phrases. La vie même. Sa vie de poète. C’est dans cette proximité avec le minuscule, le minime, l’infime, qu’il peut

    « commencer à vivre, à écrire, ce qui est la même chose, le même chemin pas plus épais qu’une aile de libellule, qu’un serment ancien. Ce serment, je l’ai prononcé enfant sans même ouvrir la bouche, dans un silence indestructible. »

    Ce sont ces mots de toujours, et le serment de faire silence, qui remettent le poète en lien avec l’enfance, avec la lointaine disparition du père, si brutale et si cruelle ; avec la disparition récente de la mère dont il retrouve la présence/absence à la vue du chemisier bleu abandonné au dos d’une chaise. Une tache de ciel, à peine. Mais un bleu qui persiste au plus fort de l’oubli. La mère ? Une disparition, un retrait discret, un effacement qui reste sur le seuil, un silence qui voit. Et qui entraîne le poète sur la voie d’une perception irréversible :

    « Quand ma mère est morte, je me suis senti très vieux, glissant dans un autre temps, sur une autre pente. »

    Face au désarroi, une seule chose possible. Écrire.

    « Écrire permet peut-être de retrouver une forme de grâce, une échappée, une espérance. »

    Ce que le poète entreprend, fidèle à lui-même et fidèle à ses choix. Marcher écrire sentir méditer. « Les carnets sont mon seul espoir », écrit-il dans « La maison où vivre avec le silence. » Et, quelques lignes plus loin :

    « les poèmes sont des compagnons inestimables. »

    Les poèmes, la maison. Le tilleul. La petite table sous la fenêtre. Tout cela forme un tout. Un ermitage. Un lieu unique d’observation du monde. Mais un lieu détaché, à l’abri des innombrables nuisances. Avec l’arbre géant comme compagnon fidèle avec qui converser, afin d’affiner et de poursuivre la quête de l’inatteignable :

    « J’ai cherché une écriture ayant la pureté d’un diamant, la souplesse d’une herbe, la force d’un torrent. Un souffle. Cela m’a pris une vie… ».

    Là où d’autres, connaissances et amis, s’acharnent à poursuivre les biens-de-ce-monde, lui, le poète, travaille à leur effacement. Être dans l’observation d’un escargot ou dans l’oubli momentané du monde. L’oubli de son insoutenable bavardage et de son fracas. De son « grondement » sourd. Que seul le silence de la maison, un « silence ravageur », rend véritablement audible. Paradoxe du silence. À la fois jalousement courtisé et jalousement craint. Oublier aussi les livres lus qui n’ont fait qu’obscurcir le monde. Ne s’en tenir qu’à ce qui existe autour de soi, au plus près. Éclaircir le paysage, mettre au jour, donner de la lumière à ce peu qui existe encore.

    « L’amour du monde serait là, devant nous, nu. Les pages vibreraient dans l’azur, comme ce ne fut jamais le cas, jusqu’à ce jour. »

    Il y a pourtant, dans cette mémoire nomade à la recherche de l’oubli, des noms qui reviennent et qui hantent durablement. Des noms de poètes aimés sur qui le marcheur se penche et à qui il écrit, par-delà les nuages. Khlebnikov et Mandelstam. Ou encore Marina :

    « Je pose cette lettre sur ton âme endormie. Je vois une boîte, à Elabouga, qui le recevra. C’est la boîte du ciel […] Tout poème n’est qu’une simple lettre que la vie a tachée d’un peu de sang. D’un peu de joie. »

    Il suffit de se mettre à l’écoute de « l’infime bruissement » du texte pour déceler ce qui vibre dans la page. Le livre redevient alors cette part de miracle vivant qu’en deçà des mots le lecteur cherche en filigrane.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Vernet oubli





    JOËL VERNET

    Joel Vernet
    Source




    ■ Joël Vernet
    sur Terres de femmes


    Les petites routes (extrait de L’oubli est une tache dans le ciel)
    Carnets du lent chemin, Copeaux (1978-2016) [lecture d’AP]
    Décembre 2010 | Joël Vernet, Carnets du lent chemin, Copeaux (1978-2016) [extrait]
    [De Rimbaud […] tu n’auras jamais rien su] (extrait de Mon père se promène dans les yeux de ma mère)
    30 août 1994 | Joël Vernet, Le Regard du cœur ouvert




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur remue.net)
    Joël Vernet /marcher vers un ciel de pierre
    → (sur Le Nouveau Recueil) Joël Vernet, ou l’esthétique de la trace, par Sylvie Besson (
    fichier Word)






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  • Franck André Jamme | [Tu en as rêvé quelquefois]




    [TU EN AS RÊVÉ QUELQUEFOIS]


    Tu en as rêvé quelquefois mais tu n’arriveras jamais à œuvrer au grand jour, sous le regard de tous, et les lumières. D’ailleurs, au fond, tu ne le supporterais pas. Cultive plutôt tes façons, elles sont devenues toi-même. Continue d’aller voler ton bois, la nuit, ainsi que tu l’as toujours fait — c’est bien ton erre, sois-en sûr.




    Pièce nue

    Et ce souffle

    Feux de l’âme
    passant le nez

    Mais c’est la douleur
    qui danse ?




    Mémoire

    Ma rôdeuse

    Grâce et regrets
    dans le panier

    La fleur

    Ce serait l’oubli




    On suit le temps

    On parle
    à peine

    Que dire ?

    Nous sommes déjà
    en retard




    Nuit
    voguant
    sur le port

    Coups de sabre
    de la pensée

    Dans l’eau noire




    Franck André Jamme, Bois de lune, Fata Morgana, 1990, pp. 9-11-12-13. Gravures de Richard Texier.






    Frank André Jamme  Bois de lune





    FRANCK ANDRÉ JAMME


    Franck André Jamme
    Ph. © Jean-Marc de Samie
    Source





    ■ Franck André Jamme
    sur Terres de femmes


    [tout ce que tu peux espérer maintenant](autre poème extrait de Bois de lune)
    [Tu viens souvent avec ton oiseau sur le poing] (autre poème extrait de Bois de lune)
    les mygales (poème extrait du recueil Au secret)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site du cipM)
    une fiche bio-bibliographique sur Franck André Jamme





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  • Pierre Voélin | Le nom des pluies




    LE NOM DES PLUIES


    J’aurai suivi toute bête
    et la chevêche s’éveille orpheline

    Apprenant les traces et le patois nocturne
    comme une gerbe s’enroulent les prières






    Un pli de la terre retient les chants
    d’oiseaux inclassables

    Un feu et l’herbe luit — impardonnée






    L’amour guetté comme un gerfaut
    à l’étroit dans son vêtement de terre

    Tel un songe — des buissons en flammes
    l’invisible maison à l’éclat de sève
    et le deuil et l’ardente épine






    À se perdre dans le souffle il est seul
    hôte patient avec sa blouse de feuilles

    Sa demeure n’est qu’un arbre

    Il va ramassant l’écorce
    toutes les clefs de la pluie à la bouche






    Je vois tomber ses mains blanches

    Personne ne pleure pas un cri
    rien que les copeaux du temps
    le vin tiré la table des bûcherons

    Le sang lointain tache la roue d’un paon





    […]






    Aimant les tendres pluies dans le sommeil
    qui ferment leurs poings d’enfant

    Je suis sans voix
    sans rêves au trébuchet des nuits

    et la hulotte sur les forêts voisines
    vient secouer son hochet de sang






    Au versant des collines les passereaux
    — voyageurs éduqués par le chant

    Ses yeux clos sous la paupière de neige
    Un homme récite l’interminable deuil

    La nuit découpe les lisières



    Pierre Voélin, « Lents passage de l’ombre », 1 in Sur la mort brève, Fata Morgana, 2017, pp. 21-24. Dessins de Gérard Titus-Carmel.






    Pierre Voélin  Sur la mort brève 2






    __________________________
    Le 13 novembre 2017, à Lausanne, la Fondation Pierrette Micheloud remettra son Grand Prix de Poésie 2017 à Pierre Voélin, pour l’ensemble de son œuvre.






    PIERRE VOÉLIN


    Voelin-nb
    Ph. © ladogana.ch
    Source





    ■ Pierre Voélin
    sur Terres de femmes

    [Être dans le pas des chevaux] [To Follow The Horses’ Hoof Steps] (extrait de La Lumière et d’autres pas)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site de la Fondation Rilke)
    une notice bio-bibliographique sur Pierre Voélin
    → (sur le site de la Radio Télévision Suisse francophone)
    Pierre Voélin : « Des Voix dans l’autre langue » (Entre les lignes, 7 août 2016)





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  • 3 décembre 1971 | Lettre d’André Dhôtel à Philippe Jaccottet

    Éphéméride culturelle à rebours




    André Dhôtel
    Source






    12. Le 3 décembre 71

    Cher Philippe Jaccottet,

    J’aurais voulu remercier plus tôt Anne-Marie Jaccottet pour ce livre de poèmes* qu’elle a illustré avec tant de rêve, mais regrettant de ne pas mieux connaître tout ce qu’elle peint et dont Marcel Arland m’a parlé l’autre jour avec éloge. Mais ces poèmes d’Anne Perrier sont aussi parmi les rares d’aujourd’hui que j’aime, comme hors littérature sans prétention à y échapper. On a l’impression d’être en présence de simples vérités, sensibles comme les choses du monde dont elle parle. Je n’oublierai pas « les fentes de l’éternité », ni « l’espace fut notre royaume » ni « la neige inaccessible », ni rien en somme de ce qui donne l’accent angoissant d’une absence qui n’est pas absence et beaucoup plus que souvenir.

    Et merci pour La semaison ** complète, que j’ai lue et relue. J’ai retrouvé dans la première partie ce que j’avais aimé, ce renversement des données : mort — condition de vie, l’impossible aussi condition de vie. Mais j’ai trouvé pour ainsi dire encore mieux dans la présence des paysages. D’abord surpris par la multiplicité des couleurs et des choses décrites, par l’interrogation des lieux (pour moi les lieux sont aussi une incroyable réalité), j’ai été finalement saisi par un événement essentiel qui s’affirme dans votre vision : c’est qu’il y a dans notre monde perçu non pas un au-delà poétique ou métaphysique mais une réalité qui se trouve là bien évidente, mais aussi en dehors, à côté, comme s’il s’agissait d’une visitation. Cela m’a fait penser au titre d’un livre de Patrick Reumaux : Ailleurs au monde ***. C’est un fait : il y a la couleur, la lumière et les objets. Ça ne va pas séparément bien sûr, mais il y a un décalage évident. L’en dehors devient part essentielle du monde. Comment vous dire ? Enfin merci encore de tout cœur. Bien à vous

    André Dhôtel.



    Philippe Jaccottet, « Correspondance 1958-1991 », Avec André Dhôtel, Fata Morgana, 2008, pp. 73-74. Dessins d’Anne-Marie Jaccottet.



    __________________________________
    * Anne Perrier, Lettres perdues. Avec des illustrations d’Anne-Marie Jaccottet (Lausanne, Payot, 1971).
    ** La Semaison. Carnets, 1954-1967 (Gallimard, 25 octobre 1971) reprend et complète l’édition Payot de 1963.
    *** Gallimard, 1968.






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    PHILIPPE JACCOTTET


    Jaccottet Poncet
    Ph. © F. Poncet
    Source






    ■ Philippe Jaccottet
    sur Terres de femmes


    Accepter ne se peut (poème extrait d’Airs)
    Tout à la fin de la nuit (autre poème extrait d’Airs)
    [Toute fleur n’est que de la nuit] (autre poème extrait d’Airs)
    [Les larmes quelquefois montent aux yeux] (poème extrait d’À la lumière d’hiver)
    (Tombeau du poète)[The poet’s tomb] (poème extrait de Cahier de verdure)
    [Considérez le ciel solaire] (poème extrait du Dernier Livre de Madrigaux)
    [Sois tranquille, cela viendra !] (poème extrait de L’Effraie et autres poésies)
    1er janvier 1950 | Philippe Jaccottet, Agrigente (autre poème extrait de L’Effraie et autres poésies)
    [Encore des fleurs ? | Flowers again ?] (poème extrait d’Et, néanmoins)
    Toute fleur qui s’ouvre (poème extrait d’Et, néanmoins)
    Ponge, Pâturages, Prairies (note de lecture d’AP)
    Mai 1977 | Philippe Jaccottet, La Semaison
    Septembre 1981 | Philippe Jaccottet, La Seconde Semaison
    26 juin | Philippe Jaccottet, L’Ignorant
    20 avril 2001 | Philippe Jaccottet, Truinas
    Le Grand Prix Schiller 2010 remis à Philippe Jaccottet




    ■ André Dhotel
    sur Terres de femmes


    1er septembre 1900 | Naissance d’André Dhôtel (+ extrait de Campements)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de la Radio Télévision suisse)
    un entretien avec Philippe Jaccottet (émission En personne du 21 avril 1975)






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  • Claude Louis-Combet, Radeau de la première femme, III



    Première femme
    Elizabeth Prouvost, Radeau de la première femme
    in Claude Louis-Combet | Elizabeth Prouvost,
    Dérives, Fata Morgana, 2013, pp. 80-81.
    Source








    RADEAU DE LA PREMIÈRE FEMME, III



    Comme petite monnaie et pacotille
    Tous les mots sont tombés en chemin
    Le souffle a pris le relais de la parole
    L’un après l’autre
    Les gestes se sont rendus

    Dans le regard de l’un comme de l’autre
    Chacun l’amant comme l’amante
    Coule son âme et son désir
    Les mêmes eaux emportent le temps
    L’existence est immersion

    Femme première
    Au cœur de tout instant
    Est celle qui flue sans jamais changer
    Celle qu’étreinte noue à elle-même
    Hors de quoi rien ne serait

    Elle a marché comme une seule troupe
    Elle s’est trainée sur les genoux
    Elle a rampé
    Elle a pris possession de sa faille
    À coups de griffes à coups de poing

    Elle a traversé son enfance femelle
    Et sa jeunesse d’affamée
    Elle a tranché dans ses désirs
    Ni la sainte ni la démone
    Mais l’une et l’autre dans l’amante

    Elle est allée droit au phalle
    Par les chemins qu’elle inventait
    Il n’était pas d’autre amant
    Celui qui venait à sa rencontre
    La suivait depuis toujours

    L’un de l’autre l’un par l’autre
    De la même étreinte ils sont nés
    D’inépuisable amour et d’incessant désir
    Jalons d’un mythe qui les dépasse
    Et qui les fonde

    L’existence est immersion
    Dans cette fluidité sans interstice
    Où la chair épouse la chair qui l’épouse
    La bouche a pris le relais du sexe
    Pour prier à l’adresse du néant

    Amour, que votre volonté soit faite
    Et que rien ne vienne disjoindre
    Ceux que le désir a choisis
    Faites qu’en partage la mort nous soit accordée
    Gisants flottants tels nous viendrons au monde

    INSÉPARÉS



    Claude Louis-Combet, « Radeau de la première femme », III, in Claude Louis-Combet | Elizabeth Prouvost, Dérives, Fata Morgana, 2013, pp. 93-94-95.




    _______________________________
    NOTE : Dérives de Claude Louis-Combet est directement inspiré de photographies d’Elizabeth Prouvost, qui consacre une grande partie de son travail à la composition de puissantes scènes, dramatiques et symboliques, animées dans leur structure comme dans leur désolation, par l’image du Radeau de la Méduse de Géricault. De cette série des Radeaux, Claude Louis-Combet a retenu cinq figurations dont chacune, à la façon d’une vision complètement intériorisée, a suscité un récit où l’horreur épouse le sublime.






    Dérives






    CLAUDE LOUIS-COMBET


    Claude_louiscombet_par_ric_toulot_3
    Eric Toulot, Portrait de Claude Louis-Combet
    Source






    ■ Claude Louis-Combet
    sur Terres de femmes

    Bethsabée à jamais
    Celle par qui la ténèbre arrive
    Depuis le temps que la chair s’épure
    Hiérophanie du sexe de la femme
    Isula, insula
    « J’écris du désir comme du désert »
    Mala Lucina
    Noyau central
    Résurgences
    Suzanne et les Croûtons (note de lecture d’AP)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site de Fata Morgana)
    la page de l’éditeur sur Dérives
    → (sur YouTube)
    Les radeaux d’Elizabeth Prouvost
    → (sur lelitteraire.com)
    une recension de Dérives par Jean-Paul Gavard-Perret






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  • Franck André Jamme |
    [Tu viens souvent avec ton oiseau sur le poing]




    TON OISEAU SUR LE POING
    Image, G.AdC







    [TU VIENS SOUVENT AVEC TON OISEAU SUR LE POING]



    Tu viens souvent avec ton oiseau sur le poing. Enfin, on le croit. Tu viens et tu attends. Lui ne te ressemble pas, s’impatiente assez vite, gratte le gant de son maître, commence à y planter ses serres. Alors il s’agite de trop sous sa coiffe de cuir, c’est là qu’il a senti une brèche et tu n’as plus le choix : tu lui ôtes son masque, desserres le fil de sa patte et le voilà parti. La moindre chose qui brillait fait chaque fois long feu. Et tu sais avec sûreté ce qu’il repère et tue, car il te le ramène. Mais ce qu’il a vraiment vu, là-bas, la chose hurlant de vie et de lumière, toujours tu la méconnaîtras : tu ne pourras jamais que décrire la prise qu’il dépose à l’instant à tes pieds ― qui marmonne encore, c’est vrai, mais déjà de l’autre berge. En somme, tu es un aveugle. Ta chasse, une simple cueillette. Et pourtant, cet oiseau, tu n’as pas le plus petit souvenir de son bruissement dans l’air, ni de la courbe de son vol. Pour la raison qu’il est en toi. Tu n’as jamais pu repérer précisément où, mais tout cela se passe en toi.



    Pluie
    au crâne de nacre

    Flaque

    Perle tranchée

    Qui se rappelle
    sa naissance ?

    Es-tu sûr
    de ta main de jour ?

    Et de ta main de nuit ?

    Est-ce que tu peux
    faire chanter
    une malle vide ?


    […]



    Franck André Jamme, Bois de lune, Fata Morgana, 1990, pp. 25-27-28. Gravures de Richard Texier.







    Frank André Jamme  Bois de lune






    FRANCK ANDRÉ JAMME


    Franck André Jamme
    Ph. © Jean-Marc de Samie
    Source





    ■ Franck André Jamme
    sur Terres de femmes


    [tout ce que tu peux espérer maintenant](autre poème extrait de Bois de lune)
    [Tu en as rêvé quelquefois] (autre poème extrait de Bois de lune)
    les mygales (poème extrait du recueil Au secret)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site du cipM)
    une fiche bio-bibliographique sur Franck André Jamme





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