Étiquette : Flammarion


  • Claude Vigée | Soufflenheim


    SOUFFLENHEIM 1




    Sans lit, sans fond
    la rivière du souffle coule
    invisible,
    sous la grange de brique ancienne,
    la demeure du temps.

    Ceux qui sont nés dans la boue adamique du Ried 2
    sont voués pour toujours au travail double
    du potier et du poète :
    pétrir la pâte terrestre, modeler la glaise informe,
    et puis germer dans la lumière matinale,
    inventer les formes justes qui respirent,
    réussir l’insufflation soudaine du vide
    au cœur de la tourbe charnelle,
    dans cette masse de limon lourde et mouillée,
    ruisselante d’une opaque noirceur !

    Tout lieu natal est travaillé
    par la rivière du souffle
    débordant sur l’obscur continent souterrain :
    la matrice de l’origine
    devient le globe
    encore lourdement chtonien,
    mais déjà rayonnant,
    d’un vase.
    Il résonne au milieu du feu
    qui le peuple et l’enserre :
    espace de musique habitable,
    île de terre
    ferme, où l’esprit-saint s’est pris soudain au piège
    entre les parois rondes et sonores
    dont la ténèbre a bu les vibrantes couleurs.
    Voici notre maison nouvelle
    modelée dans la face humaine :
    devant un ciel d’oiseaux tissés dans les nuages,
    l’haleine d’un visage.

    Heimat des Hauches, endlos 3
    sans rives ni frontières
    la rivière du souffle coule
    taciturne, sous la chape d’argile crue,
    la demeure du sang.
    Le corps muet me tourne sur sa roue.
    J’habite la maison d’un potier du silence.




    Claude Vigée, Pâque de la parole [Paris, Flammarion, 1983], in L’homme naît grâce au cri, poèmes choisis (1950-2012), édition établie, présentée et annotée par Anne Mounic, Points Poésie, 2013, pp. 193-194.



    ____________
    1. Soufflenheim : ville du Bas-Rhin, cité des potiers.
    2. Ried : marais rhénan, planté de roseaux.
    3. Patrie du souffle, infinie.







    Claude Vigée, L'homme naît grâce au cri,





    CLAUDE VIGÉE (1921-2020)


    Claude Vigée 2
    Source




    ■ Claude Vigée
    sur Terres de femmes


    L’amandier sous la lune (extrait d’Apprendre la nuit)
    Rien n’est jamais perdu (extrait de Poèmes de l’Été indien)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Esprits Nomades)
    une page sur Claude Vigée
    un site sur Claude Vigée





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  • Ariane Dreyfus | En sens inverse


    EN SENS INVERSE





    Sous la chemise il n’y a pas de porte

    Mais l’autre côté s’y trouve

    Puisqu’il me propose la chaleur de ses poils, je me couche dans le conte jusqu’en haut. Le cou des confidences, savoir où elles vont.

    Si elles nous reviennent

    Seuls les yeux.

    Là se tient l’échancrure

    La direction nue

    L’amour s’enfonce jusqu’à montrer son dos.

    *

    Sous la robe il y a moi que je n’ai jamais vue

    Des seins qui éclairent

    À chacun la source de la moins d’angoisse possible

    Le sexe doit se promener lui aussi

    Pour ne pas se perdre

    *

    Il aime m’asseoir sur lui

    Assez fort et très paisible



    Ariane Dreyfus, « Qui unissait leurs racines », Les Compagnies silencieuses, suivi de La Saison froide, éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2001, page 84.






    Ariane Dreyfus  Les Compagnies silencieuses




    ARIANE DREYFUS


    Ariane-dreyfus
    © D. Pruvot/Flammarion
    Source






    ■ Ariane Dreyfus
    sur Terres de femmes


    Anatomie (poème extrait de Moi aussi)
    Le Dernier Livre des enfants (lecture d’AP)
    [J’écris parce que je vais disparaître] (poème extrait du Dernier Livre des enfants)
    Comment habiter l’Inhabitable (note de lecture d’AP sur L’Inhabitable)
    Épilogue (poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    La nuit commence (poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    La Lampe allumée si souvent dans l’ombre (note de lecture de Matthieu Gosztola)(+ L’Amour 1 dans sa graphie originelle)
    Nous nous attendons (lecture de Tristan Hordé)
    « C’est tout mouillé » (poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    « Je suis en train d’oublier son visage » (poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    Sophie ou la vie élastique (lecture d’AP)
    Le beau tapis (poème extrait du recueil Sophie ou la vie élastique)
    Un recoin dans un coin (poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    SAMI (autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait d’Ariane Dreyfus (+ un autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Ariane Dreyfus
    → (sur YouTube)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Du jour au lendemain d’Alain Veinstein (France Culture, 29 décembre 2001)
    → (sur le site de France Culture)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Ça rime à quoi ? de Sophie Nauleau (30 octobre 2010)
    → (sur le site de France Culture)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Du jour au lendemain d’Alain Veinstein (19 mars 2013)
    → (sur En attendant Nadeau)
    un entretien avec Ariane Dreyfus (par Gérard Noiret, 14 mars 2017)





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  • Cécile Mainardi | [ai-je une voix du fait de porter un nom]



    Mainardi idéogrammes


    [AI-JE UNE VOIX DU FAIT DE PORTER UN NOM]



    ai-je une voix du fait de porter un nom ai-je une voix de porter mon nom ma voix est-ce mon nom porté par moi et prononcé par moi et par personne d’autre est-ce mon nom prononcé par moi quand je  cours oui est-ce  cela qui me donne une voix d’avoir une fois porté mon nom pour toujours hors du rapport entre le passé et l’avenir  rien  qu’une fois est-ce d’avoir été en train  de courir  pour  cela



    Cécile Mainardi, Idéogrammes acryliques, Flammarion, Collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno, 2019, page 99.


    Cécile Mainardi  Idéogrammes acryliques





    CÉCILE MAINARDI

    Cecile-Mainardi
    Source




    ■ Cécile Mainardi
    sur Terres de femmes


    [Écrire ces temps-ci pour moi] (extrait de Rose activité mortelle)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site du cipM)
    une bio-bibliographie de Cécile Mainardi






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  • Fabienne Courtade | [le fleuve s’entend au loin]




    [LE FLEUVE S’ENTEND AU LOIN]





    le fleuve s’entend au loin


    Nous respirons ensemble


    un grand feu nous soulève

    embrase les odeurs, le grain de la peau

    la douceur des cheveux

    son haleine



    cette fois j’inventais les souvenirs
    j’aspirais à grands poumons


    qui a disparu ?
    qui était là
    juste avant
    je ne sens plus rien

    pas une respiration
    J’écoute seulement
    la rumeur

    un flottement au-dessus
    ville remplie d’arbres et d’allées



    toutes les ombres sont effacées
    je ne reconnais rien



    au milieu

    je refais le même rêve
    un autre temps
    se décline
    que nous devons descendre
    ou traverser

    à nouveau



    au bout du couloir
    des formes humaines

    des portes
    nous descendons trop vite

    notre vie presque à reculons
    d’un claquement
    tombe


    doigts, pensées, muscles noués

    bouche et yeux



    nettoie par terre les sacs
    éclatés


    se perd
    un peu de sang      renversé ( balayé )



    morceaux de kleenex ont déjà servi
    plusieurs fois    ramollis effilochés    en bouillie
    ces jours-là on les reprend    au début
    sortis des poches des sacs
    écrasés
    sous les talons



    Petite passerelle entre nous
    et ces mots sur un mur

    Collés en pleine nuit


    s’en aller est impossible





    « À qui la vie humaine est une expérience à mener le plus loin possible »





    Fabienne Courtade, Corps tranquille étendu, Flammarion, Collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno, 2017, pp. 115-118. Couverture d’après une photo de l’auteur.






    Fabienne Courtade  corps tranquille étendu




    FABIENNE COURTADE


    Fabienne Courtade
    Source




    ■ Fabienne Courtade
    sur Terres de femmes


    Table des bouchers, poésie (lecture d’AP)
    suffoquer prendre cette douleur (extrait de Table des bouchers)
    Rien ne nous précède (extrait de Ciel inversé)
    19 août 2004 | Fabienne Courtade, le cœur bat très vite
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    poème inédit [sans titre]





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  • Isabelle Garron | [On est toujours là]




    [ON EST TOUJOURS LÀ]



    On est toujours là.

    Les marcheurs, des chiens, des joggeurs font bouger l’immobilité de la dune.
    Seule une haie de pieux en bois la sépare de la ligne parfaite du ciel.
    On dirait une arête de poisson      échouée depuis des siècles
    enfin     pas exactement mais un peu.
    Elle ramasse un os de seiche.

    Rouler avec la rumeur des vagues de l’autre côté de la dune est possible.

    Et mêler la rumeur au crissement des cailloux sous les roues du vélo
    sur le parcours de santé,      c’est écrire : le réel
    une bande littorale ou zip inversé
    du réel sans autre appui
    que la lande

    qui va et vient sous les apparitions du soleil.

    Il est     des réels où traîner, où rouler loin     des vieilles
    dames avec leur cabas     avec leurs histoires
    d’édredon     de chimères d’océan     loin
    de la mémoire de leurs marins
    et tout     et tout


    Et tout ; et rien.




    […]



    Isabelle Garron, « Le vent » in Bras vif, Flammarion, Collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno, 2018, pp. 54-55.






    Isabelle Garron





    ISABELLE GARRON


    Isabelle Garron





    ■ Isabelle Garron
    sur Terres de femmes

    Ce schiste sur les hauteurs, 4
    Suite 4 (extrait de Corps fut)
    ]. la position du soleil (extrait de Qu’il faille + une notice bio-bibliographique)





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  • Auxeméry | tes haillons, bonhomme…


    TES HAILLONS, BONHOMME…



    tes haillons, bonhomme

    ton chant de gorge, ton étouffoir

    pendant que les grains naissent

    là-bas, où le ciel mûrit ses hivers

    que les averses giclent sur les plaines

    où les troupeaux paissent les graminées —

    tes vêtements de sable & d’argile friable, toi

    tes sandales harassées, tes poches creuses

    & ta faiblesse, demeurer — quand le ciel se fige,

    quand ton ennui brasse ses nostalgies

    que tu voyages encore à la rame de guingois

    & et que les vents nés d’ailleurs s’en viennent trépasser

    au coin de ton bureau d’idéologue du train-train de scribouillage

    voyons,

    les bêtes lentes plaquent leurs bouses avec plus d’à-propos

    les ruminants défèquent entre les herbes des semences plus pertinentes

    monseigneur le rapace déchire mieux les entrailles des antilopes

    son compère le lion rote plus heureusement sa ripaille de boyaux

    on rêve d’oripeaux trop nobles sur ce coin de table, on est gris de vins frelatés
    on empeste du gosier, on se drape de frusques au rabais

    frappe

    ta monnaie de main moins lâche, s’il te plaît, coche ta flèche au mitan de la cible
    où un tantinet de sang viendra perler autrement que pour la séduction des goules

    un soupçon de cruauté vraie, mon cher

    au diable ces striges, ces effraies de carnaval

    tu es le masque, toi — patient cadavre, œil ouvert sur le mur clos

    là derrière, la monnaie sonne clair, le sang rissole à plaisir, les babines chuintent

    & là-bas oui, les pluies encore, espèces de déluges longs, avec les animaux
    tout à leur industrie                                    avec ces meurtres & ces digestions

    imite ce festin, falsifie & tu deviendras vrai



    Auxeméry, Lignes de failles in Failles/traces, Éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2017, pp. 92-93.






    Auxeméry  Failles






    AUXEMÉRY


    Auxemery
    Ph.© Corneloup
    Source




    ■ Jean-Paul Auxeméry
    sur Terres de femmes

    la mort des êtres…
    petits animaux



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Flammarion)
    plusieurs pages de Failles/traces [PDF]





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  • Jean Tortel | Jeter le mot



    JETER LE MOT
    (EXTRAIT)




    La parole n’est pas ailleurs
    Le lys le sang la pierre sont là
    Avec leur odeur leur force
    Je t’aime autant que le blé
    Fort à l’odeur de lance

    Nulle autre neige nul autre poids
    Hors d’elle je m’embarrasse
    Et je m’en vais de nous

    Celui qui parle ne se trompe pas
    Je parle Est-ce que je parle
    Un navire est perdu

    Lointaine et proche
    Tout est miroir
    Lointaine et proche et toi
    Confondue mais présente
    Toujours légèrement plus proche
    Que toute parole

    Qu’elle naisse de toi
    Qu’elle te fasse vivre
    Je prononce ton nom
    Qui la suscitera

    Je dis herbe ou miroir
    La parole est surprise
    Même dans ton sommeil
    Elle n’a point d’abri

    Je ne sais si c’est toi
    Qui parais la première
    Flammé douceur verger
    Je ne distingue pas



    Jean Tortel, « Jeter le mot », Naissances de l’Objet, Cahiers du Sud, 1955 in Yves Di Manno & Isabelle Garron, « Prémices d’un nouveau monde prosodique », Un nouveau monde, Poésies en France, 1960-2010, Flammarion, Collection Mille&unepages, 2017, pp. 158-159.






    Naissances de l'objet 2






    JEAN TORTEL


    Jean Tortel
    Ph. : Jean Marc de Samie
    – tous droits réservés
    Source





    ■ Jean Tortel
    sur Terres de femmes

    [Et de l’eau | Avant la nuit] (extrait de Relations)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur remue.net)
    Jean Tortel | Fragment personnel, par Philippe Rahmy
    → (sur universalis.fr)
    une notice sur Jean Tortel





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  • Ariane Dreyfus | [J’écris parce que je vais disparaître]




    [J’ÉCRIS PARCE QUE JE VAIS DISPARAÎTRE]




    J’écris parce que je vais disparaître

    C’était là,
    Ma fille assise dans l’escalier, je la regarde entre les barreaux
    Ne bouge pas
    J’aime continuer

    L’importance de se regarder
    Sans doute
    Le visage en veut un autre

    Les tout petits, ne plus rien dire

    Ainsi la nuit si j’entends le chat manger enfin,
    Lui si maigre, je sais qu’il bouge son menton aux os fins
    Il a besoin de manger, nous oubliant
    Pendant que la nourriture craque entre ses dents

    Les craquements, si on voulait, on saurait où c’est
    Passer entre les barreaux, les frôler
    Sans se faire peur
    Surtout quand un animal tourne sa tête, hésite,
    Puis retourne à son bol où il reste de la solitude




    Ariane Dreyfus, Le Dernier Livre des enfants, Éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno, 2016, page 9.






    Ariane Dreyfus.jpg 2






    ARIANE DREYFUS


    Ariane Dreyfus
    Image, G.AdC




    ■ Ariane Dreyfus
    sur Terres de femmes


    En sens inverse (poème extrait des Compagnies silencieuses)
    Anatomie (extrait de Moi aussi)
    Le Dernier Livre des enfants (lecture d’AP)
    L’Inhabitable (note de lecture d’AP)
    Épilogue (poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    La nuit commence (autre poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    La Lampe allumée si souvent dans l’ombre (note de lecture de Matthieu Gosztola)(+ L’Amour 1 dans sa graphie originelle)
    Nous nous attendons (note de lecture de Tristan Hordé)
    « C’est tout mouillé » (poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    « Je suis en train d’oublier son visage » (autre poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    Sophie ou la vie élastique (lecture d’AP)
    Le beau tapis (poème extrait du recueil Sophie ou la vie élastique)
    (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) SAMI (poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    Un recoin dans un coin (autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait d’Ariane Dreyfus (+ un autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Ariane Dreyfus
    → (sur YouTube)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Du jour au lendemain d’Alain Veinstein (France Culture, 29 décembre 2001)
    → (sur le site de France Culture)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Ça rime à quoi ? de Sophie Nauleau (30 octobre 2010)
    → (sur le site de France Culture)
    Ariane Dreyfus dans l’émission Du jour au lendemain d’Alain Veinstein (19 mars 2013)






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  • Hervé Piekarski | Matin d’un jour d’orage




    MATIN D’UN JOUR D’ORAGE



    L’excès de la distance rend les yeux capables de bien davantage qu’eux-mêmes, le visage garde en lui les traces des épreuves qu’il a dû traverser pour être si beau qu’on puisse et qu’on doive à présent le décrire. L’œuvre est une vision, la considération d’une vision. En même temps que grandit la tranquillité se précise la violence qui dès le départ la soutenait. Matin d’avant l’orage, très doux près de la combe. L’homme voudrait s’aventurer loin de tout, chanter plus bas que sa voix, pouvoir au-dehors se risquer comme l’animal qui a compris que le danger était passé. Les routes donnent de précieuses indications. La lumière n’en finit pas de gonfler dans le ciel et la conscience de sa fin ne l’affecte plus, lui l’homme délivré qui guette la pluie. De la poussière partout. De nouvelles traces dans la poussière comme des signes qui attendent leur interprète.



    Hervé Piekarski, L’État d’enfance, II, Flammarion, Collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno, 2016, page 116.






    Piekarski





    HERVE PIEKARSKI


    Hervé Pekarski Frontignan avril 2008
    Hervé Piekarski en pleine lecture
    au centre culturel François-Villon
    de Frontignan-la-Peyrade
    le vendredi 28 mars 2008
    Source




    Hervé Piekarski est né à Marseille en 1955 et vit aujourd’hui à Montpellier. Son œuvre a vu le jour en 1984 sur l’initiative de Jean-Pierre Sintive aux éditions Unes (Ouest), qui ont publié huit ans plus tard (1992) le premier mouvement de L’État d’enfance. La collection Poésie/Flammarion a accueilli trois autres de ses ouvrages, du Gel à bord du Titanic (1996) à Limitrophe (2005). Après un silence de plus de dix ans (hors quelques lectures poétiques, notamment à Crest et à Frontignan en 2008), il a entrepris avec L’État d’enfance, II un nouveau cycle en poésie, qu’il dit « appelé à de futurs développements ».



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Unes)
    la page de l’éditeur sur Hervé Piekarski
    → (sur le site du CipM)
    une fiche bio-bibliographique sur Hervé Piekarski





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau, treize à seize

    par Angèle Paoli

    Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau, treize à seize,
    éditions Flammarion,
    Collection Poésie/Flammarion, 2016.



    Lecture d’Angèle Paoli


    JAUNE de Juliau, inépuisable. Jusqu’au vertige.
    Aquatinte numérique, G.AdC






    DE L’OR COMME DANS ORIGINE



    Lire la poésie de Nicolas Pesquès comme on lirait une longue suite poétique d’un genre nouveau s’inventant sous les yeux de la lecture dans la continuité d’une temporalité sans accroc. Plus encore, dans la continuité du fleuve Juliau, en passant par toutes les étapes du « jaune », depuis les origines de la création en 1988 (volumes un à dix, publiés par l’éditeur André Dimanche) jusqu’au dernier volume (treize à seize), qui vient de voir le jour, tout comme le précédent (onze, douze), dans la collection Poésie/Flammarion. Vingt-huit ans de vie partagée entre le poète et sa colline. Entre le poète et son œuvre unique. Une histoire de passion amoureuse.

    « colline ma

    vulve béante » (in « J » 11)

    L’œuvre impose par l’extériorité stable de son titre. La Face nord de Juliau jamais ne varie. Elle est là, dans sa permanence solide et fiable, qui vient à notre rencontre par le biais de « l’écre » du poète. Mais, avec l’écriture, s’immisce une variation sur le même, formes couleurs approches points de vue. Jusqu’à voir surgir des éclairages inattendus, drainant dans leur sillage d’autres méthodes d’apprentissage et d’autres réflexions, d’autres interrogations et doutes d’où naît l’« intranquillité ». Celle du lecteur et celle du poète. D’autres personnages surviennent, pense-bêtes du poète : lièvre perdrix épervier taupe ver… in « J » 11, 12 et… 13. Et d’autres « formules ». Suivre ainsi le poète dans le cheminement de sa pensée, dans son parcours poétique, dans son obstiné tête-à-tête avec la colline, dans ses tentatives douloureuses de dire Juliau, de l’appréhender en profondeur et en nudité, en crudité (ou à cru ?), de pourchasser « l’hypnotiseuse » jusque dans ses moindres retranchements, c’est se joindre au plus près à l’aventure provocatrice d’une écriture, se fondre en elle, adhérer à la démarche du poète et à son propos. Dans une constance partagée jusque dans l’épreuve que représente la lecture d’un texte aussi singulier et aussi rebelle. Avec fidélité et admiration.

    Avec le « tunnel » de Juliau onze et douze, inscrit dans le noir de la nuit, la cécité et le deuil, à quoi il faut adjoindre l’expérience de la mutité, le poète s’était confronté au travail de composition/détournement qui se joue au cœur de « la chambre noire de la langue ». Avec en permanence cette idée que retourner aux origines de Juliau est nécessaire pour que s’opère la séparation qui préside à sa reconnaissance. Paradoxe de la double hélice qui vrille sur elle-même, entraînant le mouvement de flux et de reflux de la marée. L’écriture de « J » 12 se clôt sur ces « bouts de prose comme la vie. Bouleversés à chaque instant. Jaune transitoire, rayé de j. Éclats de tendresse avec du silence. » Telle pourrait être l’une des multiples définitions de l’écriture de l’ensemble des recueils.

    Avec pour transition entre les différents volumes, cette ouverture de « J » 14 :

    « Longtemps, je n’ai pas écrit la colline. La vie aura précédé. Plus longtemps encore écrire aura déjoué l’avènement de l’écart. Il aura fallu ce jaune, cette transmissibilité.

    M’écrire au noir pour que ce soit un jaillir, pour le retour de la vraie nuit. N’écrire que si la colline devient. »

    Le désir de « j », « jaune aux joues » retrouvé, l’aventure reprend et nous voilà à l’orée de La Face nord de Juliau, 13 à 16. Le nouveau recueil s’échelonne de 2009 à 2012. En trois temps pour « J » 13 : « Prologue » (2009) / « Le Grand Pense-Bête » pour 2010 / « Les Formules, deuxième séquence » pour 2011. À la complexité temporelle de la composition — l’année 2011 s’échelonne sur plusieurs sections, débordant sur « J » 14 et « J » 15 — s’ajoute une curiosité qui attire et attise l’attention. « J » 15 est vide. Or, nous sommes toujours en 2011, comme le précise la table des matières. La mutité est-elle à nouveau à l’œuvre, dès début janvier 2012, et pour quelques semaines encore ? Une seule page et deux mots, séparés par un fort interlignage, formant une énigme. Affirmative. Un constat irréfutable, commun à tous :


    « nous



    sommes »


    Séparés, nous sommes, en effet, de manière irréversible. Seule la poésie. « L’autre écriture. » Une rencontre. « L’entreprise d’une vie. » Et pour « troisième voie », le poème.

    S’ouvre alors « J » 16. On entre en 2012. Ainsi l’indique à nouveau la table des matières. Dans cette ultime section du recueil, le poète délaisse la prose — et la forme journalistique — au profit des poèmes. Le poème d’ouverture annonce le thème de la « nudité » étroitement lié au projet de la recherche poétique et à son but :

    « Par nudités mutiques

    dédiées de longue date

    vient l’appel à revouloir

    à dévêtir

    l’extension du face à face »

    Mais la nudité est violence et pour que le combat avec « l’hypnotiseuse » soit loyal il faut en passer par l’acceptation de sa propre mise à nu et de la souffrance qui l’accompagne :

    « se sera répandue

    l’hypnotiseuse

    pour me nudifier

    et que le poème coule

    d’un seul j

    en acceptance de piqûre

    d’effroi »

    Le poète parviendra-t-il, grâce à « la force nue » qui se dégage de la concision de ses vers, mais aussi à force de volonté d’encerclement de cette nudité et de désossement, à satisfaire sa quête ? Dans sa confrontation exigeante avec le langage, réussira-t-il à « parler genêt » ? « Écrire sans accessoires ni chuchotements » est-il possible ? Jusqu’où ? Et si le langage, une fois de plus, s’absentait ? Faire face alors à l’angoisse de la mutité.

    Le poète affronte au plus près les complexités d’« écre » ; il les traverse, de ruptures en rêves, de déconstruction en re-construction. Pourtant, parfois s’imposent les images. Comme dans ces vers-aveu :

    « jamais été plus nus

    et si lointains

    de parole en parole

    abondance de pluriel

    brasero au milieu

    infini bivouac des corps »


    ou encore :


    « parfois l’image vient

    au lieu du mot

    la scène au lieu du verbe

    écrire abandonne le devenir… »


    En dépit de la « pression » qu’exerce sur le poète l’incorporation de « telles pensées », c’est sur le surgissement d’une image mystérieuse parce qu’inhabituelle chez Nicolas Pesquès — elle combine à la fois l’anaphore, la ternarité du rythme et la rime — que se ferme « J » 16 :

    « au croisement

    au firmament ».

    Mais peut-être faut-il revenir en arrière, du côté de « J » 13 ?

    La première séquence, qui se déroule comme un journal daté de juin à octobre (2009), occupe une vingtaine de pages. Plus ou moins développés, ces paragraphes ont la particularité d’être ponctués d’italiques. Parfois un seul mot attire le regard : « fabrique », « inventé », « yellow »… ; mais le plus souvent ce sont des intitulés entiers, à caractère récurrent. « Quitter la représentation sans quitter la colline. » / « S’extraire de la présentation » / « Qu’est-ce qu’on voit quand on lit ? »… Les infinitifs, souvent à valeur injonctive, sont autant de « cristaux théoriques semés ici et là. » Ce sont des « formules » qui « émaillent Juliau 13 ». Dans le prologue qui sert d’ouverture à la section, Nicolas Pesquès donne la raison de ce procédé. Il s’agit, à chaque apparition de ces marques, de revisiter l’interrogation sur le langage. Que fait le langage au paysage ? Ou inversement. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, encore et toujours. L’écriture de Juliau est une interrogation permanente sur la petite fabrique du langage. Inventer fabriquer. Chaque Juliau reprend le questionnement de l’ingénierie de l’écriture. Et le poète de jongler inlassablement avec ces multiples opérations pour poursuivre, dans un corps à corps avec l’écriture, l’aventure exigeante de Juliau. Et de s’étonner toujours des infinis rouages et mécanismes qu’elle met en place. Des déclencheurs inattendus qu’elle suscite. Où l’on retrouve JAUNE mais aussi Écre.

    Ainsi peut-on lire cet aveu : « Le mystère : on écrit un geste, et du jaune est là. »

    Pourquoi « Écre » ? Parce que seul écrire. Retrouver « le noyau de toute graphie », renouer avec l’« étymologie corporelle » de l’écriture, le corps étant absent.

    « Écre pour vaincre les résistances, les sabrer, les estomaquer ; son épée s’enfonce où écrire suffoque, éperonne et jure sa force, sa crise de oui, son outrance, son coup d’archet sur la moelle, à même la moelle. »

    Une seule méthode alors. Se déposséder du corps et du corps même des images. Les désosser de la « représentation ». Toute la difficulté est là, qui réside dans ce travail qui en appelle, pour pouvoir parvenir à ses fins, à la séparation. Se séparer du paysage et des images qu’il fait naître, est-ce chimère ? Sans doute car cela signifie aussi dégager l’écriture du cadre de la temporalité. Tenir tout cela à distance. « La colline peut-elle satisfaire ce vœu, elle, milieu de l’œil et de la phrase ? »

    Quelle réponse le poète propose-t-il à la question : Qu’est-ce qu’on voit quand on lit ?

    « J’écris genêt et vous lisez sans passer par la couleur. Tous les j de l’histoire, superposés, surjaunis.
    On voit ce qu’on lit : la bouillie ou la synesthésie. »

    La question étant posée par trois fois, d’autres réponses parachèvent, qui donnent une autre tonalité. Peut-être même une autre coloration. Il y faut de la patience, un regard aiguisé, une capacité d’abstraction, une volonté de comprendre, de se saisir de, de prendre avec soi ce qui occupe le poète. L’on voudrait tout retenir, s’imprégner de chaque « formule », tant chaque phrase importe. On cherche appui sur les pense-bêtes. Mais ce n’est pas ce que souhaite le poète qui définit ces « objets » comme « des rapports d’étape… des poignées pour aller autrement, ailleurs, c’est-à-dire en tous sens dans la direction du cœur, centre désaimanté par attirance. » Les pense-bêtes émaillent le « GRAND PENSE–BÊTES » de 2010. Ils rajoutent une énigme vivante à l’énigme statique de Juliau. Un peu comme ces animaux menus que l’on trouve dans les grandes toiles de la Renaissance italienne et qui distraient un instant le regard, attirant l’œil loin du sujet essentiel que la peinture donne à voir. Cette vision des choses n’engage que moi, superposition d’images personnelles à celles que dés-invente Nicolas Pesquès. Divertissement. Peut-être suis-je en train de « papillonner » loin de l’esprit du texte, loin de la séparation essentielle et profonde dans laquelle le poète s’inscrit.

    Ainsi écrit-il le 13 novembre 2011, dans « FORMULES, deuxième séquence » :

    « Qâdash, en araméen signifie séparé, on le traduit aussi par saint

    c’est-à dire au secret, au fond des grottes, séparés vivants à main nue, animaux de nous-mêmes. »

    Comme Saint Jérôme, peut-être ? Le poème ne le dit pas. Mais c’est à lui que je pense. Autre divertissement.

    Me voici cependant ramenée à la préoccupation première de la séparation. Car « il n’y a de séparation que parce qu’il y a quelque chose qui veut être retrouvé, je veux dire inventé à nouveau pour avoir été tranché. »

    Ici j’interromps à nouveau le cours de ma lecture et je m’interroge. Nicolas Pesquès est-il un lecteur de Pascal Quignard ? À lire ces lignes, j’inclinerais à répondre oui. À penser du moins qu’il s’en rapproche. Que leurs préoccupations se rejoignent. Mais sans doute est-ce que moi qui m’éloigne à nouveau. Il me faut reprendre le chemin de lecture là où je l’avais laissé. Et retrouver le long cheminement de l’écriture de Nicolas Pesquès. Sa pérégrination inquiète dans la « lente variation des jaunes ». Définie comme « un apprentissage des sensations, des essais d’amour ». Comme un « gouffre ». Au fil des jours et des mois qui composent le recueil, je retrouve les animaux. Ils mêlent leurs traces, pointillés entre les paragraphes. Guêpe paon buse lièvre orbe pie… parsèment les pages, semis de signes qui ponctuent le propos le relancent, « encielle[nt] » la réflexion et la phrase. Et nourrissent ma jubilation. Celle-ci culmine avec la rencontre de notations comme celles-ci :

    « f de je quand la buse tourne » / « noir émotif où sont la taupe, le crapaud, à l’abri des consonnes » / « Queue de paon et la pente qui vient »…

    Et toujours revient l’obsession du commencement. Elle perdure, insiste, leitmotiv qui sous-tend la nécessité d’« écre », la contient dans la totalité de ces deux vers:

    « JAUNE, jaune de lettre, genêt intime

    ventre à colline, de l’or comme dans origine. »

    Mouvement de ressac de l’écriture sur elle-même, qui sans cesse ramène à « l’apparition première ». Liée à la disparition et au silence. JAUNE de Juliau, inépuisable. Jusqu’au vertige.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli







    Juliau 14 NICOLAS PESQUÈS


    Pesquès portrait

    Ph. © Jean-Marc de Samie




    ■ Nicolas Pesquès
    sur Terres de femmes


    Gilles Aillaud (extrait de Sans Peinture)
    après Privas. Nicolas Pesquès (I). « du geste une écriture », par Yves di Manno
    après Privas. Nicolas Pesquès (II). J9, Prémisses de lecture d’une « énigme intime », par Angèle Paoli
    Juliau//ascension face nord (lecture d’AP sur La Face nord de Juliau deux, trois quatre cinq, six)
    21 août 1995 | Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau trois, quatre (extrait)
    Comment recoller ce que la langue détache (extrait de La Face nord de Juliau, cinq)
    15 mai 1886 | Mort d’Emily Dickinson (+ extrait de La Face nord de Juliau, sept)
    La Face nord de Juliau, huit, neuf, dix (lecture d’AP)
    [Courir la pente] (extrait de La Face nord de Juliau, huit, neuf, dix)
    Intérieur nuit (Juliau 11)
    28 février | Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau (onze à seize)
    21-22-23 octobre 2013 | Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau dix-sept, dix-huit
    La caisse claire (journal d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    le site de Nicolas Pesquès
    → (sur Poezibao)
    La Face nord de Juliau, six, de Nicolas Pesquès (lecture d’Angèle Paoli)
    → (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature]) une
    fiche bio-bibliographique sur Nicolas Pesquès





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