Étiquette : Francis Carco


  • Suzy Solidor, Escale (1938)

    Éphéméride culturelle à rebours



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    ESCALE



         Il y a soixante-dix-neuf ans, à l’automne 1938, « une bourrasque, un vent du large […] entre par « la fenêtre ouverte » [du cabaret] la Vie Parisienne. Suzy Solidor va offrir à son public le plus beau morceau, la plus belle composition, entre chanson et poésie. Cet exact pendant de « Ouvre » ― l’hymne lesbien que l’on sait ― devient désormais le chant de ralliement des homosexuels, « des invertis », comme on disait alors, et sera son plus grand succès aussi, celui dont encore et toujours on se souvient : Escale. On raconte que c’est à son ami Jean qu’elle en doit l’idée, évoquant dit-on Jean Genet. Et Cocteau, on l’a vu, est constamment aux côtés de Suzy ces années-là, travaillant pour les décors de ses films et de ses pièces avec Christian Bérard, dit Bébé à cause des ses grosses joues enfantines.



        « C’est Jean Marèze qui m’a apporté cette chanson et il m’a dit c’est pour toi ! C’est collé à ta peau !… Et je l’ai écoutée… »

        Elle va la chanter, cette chanson, pleine de frémissements et de tristesse, une belle chanson de marins… pour intellectuels, dont on attend le refrain fameux entre tous, ce refrain dit et non pas chanté, qu’on aime à écouter de cette voix comme voilée par une émotion trop forte :


    Le ciel est bleu
    La mer est verte
    Laisse un peu
    La fenêtre ouverte… »



    Marie-Hélène Carbonel, Suzy Solidor, Une vie d’amours, Éditions Autres Temps, 2007, pp. 151-152.

                               ESCALE



    Le ciel est bleu, la mer est verte
    Laisse un peu la fenêtre ouverte.

    Le flot qui roule à l’horizon
    Me fait penser à un garçon
    Qui ne croyait ni Dieu ni diable.
    Je l’ai rencontré vers le nord
    Un soir d’escale sur un port
    Dans un bastringue abominable

    L’air sentait la sueur et l’alcool
    Il ne portait pas de faux-col
    Mais un douteux foulard de soie
    En entrant je n’ai vu que lui
    Et mon cœur en fut ébloui
    De joie.

    Le ciel est bleu, la mer est verte
    Laisse un peu la fenêtre ouverte.

    Il me prit la main sans un mot
    Et m’entraîna hors du bistrot
    Tout simplement d’un geste tendre
    Ce n’était pas un compliqué
    Il demeurait le long du quai
    Je n’ai pas cherché à comprendre

    Sa chambre donnait sur le port
    Des marins saoûls chantaient dehors
    Un bec de gaz d’un halo blême
    Eclairait le triste réduit
    Il m’écrasait tout contre lui
    Je t’aime

    Le ciel est bleu, la mer est verte
    Laisse un peu la fenêtre ouverte.

    Son baiser me brûle toujours
    Est-ce là ce qu’on dit l’amour
    Son bateau mouillait dans la rade
    Chassant les rêves de la nuit
    Au jour naissant il s’est enfui
    Pour rejoindre les camarades

    Je l’ai vu monter sur le pont
    Et si je ne sais pas son nom
    Je connais celui du navire
    Un navire qui s’est perdu
    Quant aux marins nul n’en peut plus
    Rien dire

    Le ciel est bas, la mer est grise
    Ferme la fenêtre à la brise.


    Musique de Marguerite Monnot,
    paroles de Jean Marèze [1903-1942],
    frère de Francis Carco, et auteur des paroles françaises de Sombre Dimanche.





    SUZY SOLIDOR


    Suzy_s



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur YouTube) Suzy Solidor/
    Escale (1938), superbement mis en ligne par Dominique HMG
    → (sur Terres de femmes)
    30 mars 1983 | Mort de la chanteuse Suzy Solidor
    → (sur le site de Paul Dubé) une
    notice consacrée à Suzy Solidor (extraits musicaux + une vidéo)
    → (sur YouTube) Suzy Solidor/
    Ouvre (Edmond Haraucourt – Laurent-Rualten, 1933) + un extrait d’Escale
    → (sur le site de la
    collection en ligne du Centre Pompidou – Musée national d’art moderne) plusieurs photos de Suzy Solidor par Man Ray (1929) [1] [2] [3] [4]
    → (dans la galerie Visages de femmes de Terres de femmes) le
    Portrait de Suzy Solidor par Guidu





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