Étiquette : Françoise Ascal


  • Françoise Ascal | [je vous devine]


    [JE VOUS DEVINE]




    je vous devine enveloppé dans l’un de ces grands manteaux
    que vous avez peints tant de fois dont vous avez observé les
    drapés les retombées les plissements

    dans leurs circonvolutions vous dissimulez des formes végétales organiques charnelles vous êtes le peintre du caché du secret du crypté vous déployez un filet d’analogies lamelles de champignons chevelures ruisselantes d’eau vive pouces et index en forme de verges coquillages fendus comme sexes féminins mains feuilles écorces visages veines animaux pierres failles variations d’une même entité

    tous les linéaments du monde se rejoignent
    Paracelse le médecin philosophe théologien l’avait déjà
    exprimé
    pas de rupture entre corps et paysages
    les lignes se poursuivent s’interpénètrent
    le monde est un vaste réseau d’une seule étoffe
    régi par un ordre secret que votre œil ne cesse de traquer

    pas de rupture non plus
    avec la trame sonore
    que libèrent
    panneau après panneau
    vos couleurs

    entendez-vous

    cris sanglots gémissements litanies murmures
    violes de gambe violes de bras polyphonies

    du concert des anges
    aux chants funèbres
    de la mélopée des paroles accordées
    au tintamarre des démons
    vibre dans l’air
    une partition secrète

    au pied de la croix
    sous la terre muette
    germent de futures leçons de ténèbres…




    Françoise Ascal, « III – L’homme ordinaire », Grünewald, le temps déchiré, éditions L’herbe qui tremble, 2021, pp. 42,44. Dessins de Gérard Titus-Carmel.





    Ascal-grunewald




    FRANÇOISE ASCAL


    Francoise Ascal par Michel Durigneux
    Ph. © Michel Durigneux




    ■ Françoise Ascal
    sur Terres de femmes


    Des voix dans l’obscur (lecture d’AP)
    [tu aurais voulu l’oublier] (extrait de Des voix dans l’obscur)
    [longtemps j’ai mâché | vos grains de grès](extrait d’Entre chair et terre)
    [Carnet, 2004] (extrait d’Un bleu d’octobre)
    [Carnet, 2011] (autre extrait d’Un bleu d’octobre)
    Levée des ombres (lecture d’AP)
    Lignées (lecture d’AP)
    [Je ferme les yeux et laisse le mot venir] (extrait de Lignées)
    Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Mille étangs
    L’Obstination du perce-neige et Variations-prairie (lectures d’AP)
    Rouge Rothko
    16 juillet 1796 | Françoise Ascal, La Barque de l’aube | Camille Corot
    5-10 août 2017 | Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions L’herbe qui tremble)
    la page consacrée à Grünewald, le temps déchiré






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  • Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige et Variations-prairie

    par Angèle Paoli

    Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige (Carnets 2012-2017),
    éditions Al Manar, Collection Approches & Rencontres, 2020.
    Encres de Jérôme Vinçon.



    Françoise Ascal, Variations-prairie,
    suivi de Mille étangs, Lettre à Adèle, Colomban,
    éditions Tipaza, 2020.
    Peintures de Pascal Geyre.



    Lectures d’Angèle Paoli


    « JE DÉROULE LE RITUEL, CANTATE DE BACH, CIGARE »





    Je lis Françoise Ascal. Je lis en alternance Variations-prairies et L’Obstination du perce-neige. Les deux ouvrages me sont parvenus quasi simultanément. Comment ne pas naviguer-divaguer devant pareille coïncidence. Comment ne pas me laisser porter par elle ?

    Dans les Carnets qu’elle tient de 2012 à 2017, carnets intitulés L’Obstination du perce-neige, Françoise Ascal évoque, par touches disséminées entre les pages, les textes de différents chantiers d’écriture en cours. Dont celui de Variations-prairies. Lecture en regard, d’un livre l’autre. Des encres de Jérôme Vinçon aux peintures de Pascal Geyre. Variations de verts et de bruns pour le premier recueil. Paysages d’encres noires pour le second. Ponctuations. Respirations. Les Carnets comme laboratoire d’une écriture en cours d’élaboration. Les Carnets comme quête constante de concision/tension/économie, dont l’idéal serait le « poème-journal » ; à la façon d’Antoine Émaz dans les poèmes de Limite ; ou à la manière de Yannis Ritsos dans son Journal de déportation. Résister à « l’ensorcellement du langage ». À la manière de Wittgenstein. Un pari difficile. Ou bien se tourner vers la pratique du haïku dont le poète américain Richard Brautigan louait la faculté de « concentrer l’émotion, le détail et l’image pour aboutir à une espèce d’acier trempé dans la rosée » (19 janvier 2017).

    L’Obstination du perce-neige est questionnement incessant sur la vie et sur les choix que celle-ci met au jour. Sur l’irruption de la maladie qui infléchit le cours des choses. En même temps qu’elle transforme le regard posé sur tout ce qui leur donnait un sens ; qui impose de faire le point sur l’essentiel – le vital – et le superflu ; qui interroge l’écriture au jour le jour dans son rapport avec le monde et dans sa relation à l’autre ; qui expose au grand jour les doutes et les découragements que la maladie engendre inévitablement ; et révèle les multiples façons qu’a la poète de rebondir. Grâce aux forces vives que sont la musique (Bach, Schubert qu’interprète Radu Lupu, Beethoven, Mendelssohn…) et la peinture (Gérard Titus-Carmel, Alexandre Hollan…) ; la poésie et la calligraphie ; grâce à l’ouverture qui est celle de la poète à d’autres modes de pensée et manières de se penser ; grâce à sa culture, qui est vaste, et grâce à son inépuisable champ de lectures qui ouvre sur de multiples horizons ; grâce à son regard tendre et bienveillant sur la nature qui l’entoure et sur les beautés qu’elle recèle. Si modiques soient-elles ; et qui l’emportent sur toutes les contingences, les pesanteurs et les peurs, innombrables, qui ne sauraient avoir raison de sa vie. Pareille au perce-neige, la poète rejoint « ces petites vies qui cultivent le ralentissement et la profondeur protectrice ». Avec quelle force vitale !

    Inspiratrice, synonyme de paix, de sérénité retrouvée, la « prairie » aimée a pour nom Melisey. Elle est le Lieu par excellence, celui vers lequel revenir toujours et se ressourcer. Où s’emplir de lumière et du chant des oiseaux. Où accueillir le ronronnement familier du tracteur et le cri des corbeaux, pareillement aimés.

    « La prairie est un vide éblouissant dans l’enclave des jours. Une porte qui s’ouvre sur le tokonoma intérieur », écrit Françoise Ascal dans Variations-prairies.

    La prairie et ses racines multiples, archaïques. La poète lui redonne vie en assemblant dans un même damier de verdure – Variations-prairie – des textes aussi divers par leur forme et par leur propos que Mille Étangs, Lettre à Adèle et Colomban. C’est que Françoise Ascal s’y entend pour établir des passerelles. Entre les hommes, les espaces et les temps. Continuité et métamorphoses.

    Dans la prose poétique de Mille Étangs, la poète se laisse aimanter par le mot « source » qui draine avec lui toute une toponymie où l’eau perce « sous toutes ses formes, avec ces gouttes et goulottes, ces noies et ces fonts, ces gouilles et ce Ruisseau de la Mer qui prend source sur le plateau, rappelant un passé lagunaire, encore visible dans les couches de grès coquilliers. »

    En écho au « monde flottant » de Mille Étangs, ces notes du 2 mai 2015 :

    « Melisey avec V. Tout le voyage sous la pluie battante […] Dès notre installation faite, nous partons avec bottes et parapluies à l’étang de la Pierre plate. Vision japonisante des rochers luisants, moussus, des jeunes pousses d’épicéa, des boutons de saule. Ça ruissèle de partout. Rivières et étangs ont un haut niveau, parfois sont en crue […] Tout est simple. Harmonieux. Accordé… »

    À la date du 27 juillet 2014, Françoise Ascal évoque le poème qu’elle écrit pour Adèle. L’aïeule ? De « l’avant-naître » (Lettre à Adèle) :

    « Écrit à partir du noir des myrtilles. Le texte m’emporte dans une exploration de substance à la manière des rêveries bachelardiennes. Je laisse les associations venir librement, comme dans le poème pour Adèle avec l’apparition “des baies de datura” dont je viens de découvrir qu’elles étaient utilisées dans l’antiquité par les sorcières. »

    « Adèle, ma source et mon fardeau. Ma pesante poignée d’humilité. Liens de paille et de chanvre, nœuds de raphia, baies de datura au creux de la paume.

    Adèle ma douce empoisonneuse

    ma semblable

    ma sœur. »

    confie la poète dans le poème au datura (Lettre à Adèle). Je relis la Lettre à Adèle. L’énigmatique Adèle, la silencieuse de l’enfance. La presque invisible. Pourquoi écrire sur cette aïeule un long poème épistolaire ? Sur le tard ? Qu’attendre du mystère de la paysanne en tablier ? Sans doute une délivrance. Que la poète exprime dans cette adresse inattendue mais claire et décidée :

    « Chères ancêtres, je vous ai assez retenues sous ma peau. Je peux me permettre d’évacuer vos traces. Faire dans la maison ce que mes reins ne parviennent plus à faire dans mon corps. »

    Ainsi s’adresse la poète à celles qui l’ont précédée. Le 6 août 2014.

    Adresse, mais sans doute aussi révélation d’un amour tardif pour celle qui habite aujourd’hui dans les murs d’Adèle et contemple la même prairie que l’aïeule. Quelque chose comme une reconnaissance qui va peut-être mettre la poète sur la voie d’une réconciliation avec sa propre mère. Mère complexe dont la poète a peur et dont elle retrouve en elle la trace, la marque, la présence intimes.

    Ainsi de cette litanie des peurs du 10 novembre 2017 :

    « Peur de ce que j’ignore de mon enfance. Peur d’avoir mal connu ma mère. Peur de ma mère. Peur de ne pas l’avoir aimée. Peur de revenir à la solitude de mes cinq ans. »

    Et, quelques jours plus tard, cet aveu du 7 décembre lié aux derniers souvenirs et à l’avant-dernière page de L’Obstination du perce-neige :

    « Près du feu, dans le fauteuil d’osier, je revois ma mère âgée au moment des Noël, lorsqu’elle venait passer quelques jours ici. Je sens ses gestes dans les miens. Je retrouve dans mes paumes la manière particulière dont elle joignait les mains. Je suis celle qu’un doigt de whisky et un peu de musique raniment pour un instant. Je suis à sa place. C’est mon tour. Je vois son vieux châle mauve, hérité de sa propre mère, jeté frileusement sur ses épaules.
    Il faudrait accepter comme elle-même l’a fait.
    Sans gémissements.
    Sans peser sur personne. »

    De l’une à l’autre femme, un même aveu d’amour. Une même leçon de vie. Qui prend en compte la mort.

    « Je ne sais pas qui tu es. Mais j’existe, à tes côtés.

    Là plus qu’ailleurs. » (Lettre à Adèle)

    Quant à Colomban, moine irlandais du VIe siècle à qui la poète consacre réflexions et pensées, Françoise Ascal en doit la découverte à sa dilection pour la région de Melisey :

    « Si j’ai découvert Colomban, c’est en raison de mon attachement au pays des mille étangs et non l’inverse. Cependant je ne soupçonnais pas que j’allais croiser chez lui une passion de l’écriture qui allait faire écho à la mienne. Des années durant, j’ai travaillé le geste calligraphique auprès d’un maître irakien, dépositaire de la tradition de l’époque de Bagdad… ».

    Et, à la date du 10 août 2017, la poète note dans ses Carnets :

    « Balade à Saint-Colomban. C’est un lieu qui évoque les petites chapelles bretonnes visitées durant plusieurs étés au moment de “L’art dans les chapelles”. Rencontre alchimique entre la roche, les arbres, la pierre, le ciel. Une densité qui diffuse son énergie. »

    Le terreau commun à ces textes, leur lien intime et presque charnel, c’est le pays de Melisey, ses déclinaisons de verts, ses jeux d’ombres et de lumières, et les reflets toujours changeants de Mille Étangs. Un univers de fougères et de mémoire, propice à la méditation mais tout autant aux vagabondages de la pensée. Au voyage intérieur. Bashô n’est jamais bien loin, ni les leçons d’un Tchouang-Tseu.

    Melisey. Un nom tout en miel et en douceur. Le 14 septembre 2015, Françoise Ascal note :

    « Commencé un premier texte sur le thème “Variations-prairies”. »

    La prairie de 2015 – qui a remplacé le « pré » de l’enfance à Villemomble – appartient à la « mythologie » personnelle de la poète, celle qu’elle s’est construite au fil du temps et qui fait partie intégrante de sa personne. Elle est le lieu fondateur, ce lieu qui la met provisoirement en correspondance avec les mots de Pascal Quignard :

    « Nous dépendons de nos lieux plus encore que de nos proches » (Dernier royaume, IV)

    et qui lui fait écrire, le 27 août de la même année :

    « Ici, la prairie est un tapis de prière aux contours limités qui crée à la fois un espace d’intériorité et une vastitude dont on se sent faire partie. Ma discipline de chaque jour est de contempler la prairie de telle sorte que j’y apprenne sa vérité ; et qu’ainsi elle m’apprenne la mienne. »

    La prairie de Melisey, « un espace mandala » nécessaire à la re-centration de soi, laquelle passe par l’observation attentive du minuscule qui surgit à ras de terre, par la rêverie fluide sans contrainte et par la méditation. Et toujours, lorsque le regard s’élève, ce jeu de la lumière à travers les grands arbres. Et les ciels dans leur mouvance. Corot, le peintre tant aimé, n’est jamais éloigné dans la pensée de la poète, qui écrit :

    « Étrange, cette obsession de la peinture en surimpression du paysage réel. » (10 août).

    Un mois plus tard, alors que la maladie taraude, qu’elle ramène l’angoisse au premier plan, la poète note : « Développer le côté “prairie” et sa lumière. » Camille Corot, le maître, le guide plutôt, et sa présence apaisante, sa modestie qui lui fait dire, regardant le ciel par la fenêtre ouverte, peu avant sa mort : « il me semble que je n’ai jamais su faire un ciel. » Corot qui peignait dans la lenteur et le silence, en pleine nature. Corot à qui Françoise Ascal a consacré tout un livre : La Barque de l’aube. Mais « la figure bachelardienne » de Corot n’est pas seule à inspirer la réflexion de Françoise Ascal. Avec Corot, il y a Constable, ses ciels et ses nuages. Constable et sa campagne anglaise, son souci de « voir le paysage comme il est, sans lui superposer une narration… ». Constable qui s’inscrit tout entier dans la lignée de Claude Lorrain. Mais Corot, son « fil de lumière », toujours revient sous la plume de la poète. Sa quête personnelle la ramène sans cesse à lui. Ainsi, le 19 mars 2017, écrit-elle :

    « Mon texte sur Corot vient au jour avec fluidité. Corot est un humble, un modeste. Il ne fait pas peur façon Grünewald. C’est un proche. »

    Avec Mathias Grünewald et la majesté imposante du retable d’Issenheim, Françoise Ascal parviendra-t-elle au bout du chantier auquel elle s’est attachée ? Ce travail l’obsède, qui la met à mal et qui nourrit ses doutes :

    « Relu le poème de Margherita Guidacci sur Grünewald. Il me faut porter sur l’œuvre un regard aussi pénétrant que le sien… » (20 février 2016).

    Ou encore :

    « Je travaille le Grünewald. Hâte de tourner la page de la douleur. Développer le côté « prairie » et sa lumière. Creuser la lumière » (28 septembre 2016).

    Et le 7 octobre de la même année :

    « J’ai retravaillé mon Grünewald. Je rêve déjà à autre chose. Fermer les yeux et laisser la main courir. Vers ce que j’ignore, vers l’inconnu de soi, car même à mon âge il y a de larges plages d’inconnu. »

    Françoise Ascal exploratrice. Exploratrice de mondes lointains, dans le temps et dans l’espace. Mais en elle-même aussi. Et là est sa plus haute interrogation, son arrière-pensée d’angoisse la plus prégnante :

    « Après des mois de vie affadie par les problèmes de santé, puis-je renouer avec l’intensité d’une vie intérieure colorée, vibrante ? (25 octobre 2016).

    Lucide et inquiète, la poète appartient « à un monde en voie de disparition », un monde qu’elle ne reconnaît plus. Dont l’étrangeté et la cruauté la font souffrir. Pourtant, il n’est qu’à lire les pages des Carnets pour croiser un nombre infini de noms familiers. Écrivains, poètes, éditeurs, artistes forment et animent à ses côtés ce petit « monde clos de la poésie ». Françoise Ascal le fréquente de longue date. Ce dont témoigne l’œuvre imposante qui est la sienne.

    Il n’empêche. Les interrogations multiples qui traversent la poète, les doutes qui la fragilisent, nous la rendent tout à la fois très proche, très humaine, et très tendrement présente. Ma proximité avec la poète s’est affinée à la lecture de ces deux ouvrages et je peux aujourd’hui avouer que cette proximité est grande. Ainsi, comment ne pas partager cette réflexion du 13 février 2017 dont je perçois bien les mille nuances ?

    « Je crains que mes prairies métaphysiques soient loin de ce qu’attend un lecteur d’aujourd’hui. Je suis dans une lenteur méditative contraire à l’air du temps.

    Je ne peux pas parler de ce que je ne connais pas. La ville. Les réfugiés. L’exil. La guerre. Cela a-t-il encore un sens d’évoquer la lumière sur une lisière d’arbres ? Est-ce un luxe insolent ? Une provocation dans le désastre ambiant ? Une ultime résistance ? »

    Et comment ne pas avoir un sourire complice à la lecture de cette note écrite loin de Melisey ?

    8 septembre (2017)

    « Retour à St. B. Aujourd’hui premier feu. Je déroule le rituel, cantate de Bach, cigare. C’est peut-être le seul moment qui pourrait ressembler à ce qui se passe de singulier face à la prairie. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Claudine Bertrand  Sous le ciel de Vézelay





    Françoise Ascal  Variations-prairie



    FRANÇOISE ASCAL


    Ascal-Francoise-par-michel.durigneux2
    Ph. © Michel Durigneux
    Source





    ■ Françoise Ascal
    sur Terres de femmes


    [longtemps j’ai mâché | vos grains de grès](extrait d’Entre chair et terre)
    [Carnet, 2004] (extrait d’Un bleu d’octobre)
    [Carnet, 2011] (autre extrait d’Un bleu d’octobre)
    Des voix dans l’obscur (lecture d’AP)
    Lignées (lecture d’AP)
    [Je ferme les yeux et laisse le mot venir] (extrait de Lignées)
    [tu aurais voulu l’oublier] (extrait de Des voix dans l’obscur)
    Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Levée des ombres (lecture d’AP)
    Mille étangs
    Rouge Rothko
    16 juillet 1796 | Françoise Ascal, La Barque de l’aube | Camille Corot
    5-10 août 2017 | Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél)
    une fiche bio-bibliographique sur Françoise Ascal
    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la fiche de l’éditeur sur L’Obstination du perce-neige de Françoise Ascal
    → (sur le site des éditions Tipaza)
    la fiche de l’éditeur sur Variations-prairie de Françoise Ascal
    → (sur Terres de femmes)
    Margherita Guidacci | Tentation de saint Antoine (retable d’Issenheim)





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  • 5-10 août 2017 | Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige

    Éphéméride culturelle à rebours



    2017





    5 août

    Chutes de Miellin. Ce lieu est toujours aussi moussu, aussi japonisant que dans mon souvenir. Il y a plus de cinquante ans, je m’y baignais nue, avec un corps solide de jeune fille éprise des fougères.

    Mélancolie en songeant à ma vie, en la considérant de l’extérieur, comme une chose presque achevée. Une petite vie. Sans grandes audaces. Aurais-je pu faire mieux ?


    6 août

    Lecture de Joël Cornuault, Ce qui fait oiseau. Beaucoup aimé cette notion, chez lui, d’« écarter les branches ». Oui, « il suffit parfois d’écarter les branches ». Et aussi : « Nos dialogues, engagés par hasard, avec des oiseaux de petite taille se prêtent admirablement à cet allègement du monde par allègement de soi. Plotin a dit que l’on ressemble à ce que l’on contemple ».


    7 août

    Jaccottet évoque les dix mots du poète Buson (dix-sept syllabes dans l’original) « assez limpides pour tinter au chevet d’un mourant comme une clochette de temple annonçant qu’une porte va s’ouvrir ». Il parle aussi de « descension », opposée à l’ascension de Dante vers le paradis, une descension vers le plus humble, « les verdures basses » dont « nous serons un jour, avec un peu de chance, revêtus ».


    9 août

    Ici, comme dans une estampe japonaise, le proche et le lointain paraissent contigus, sur un même plan vertical. Continuité de l’herbe au ciel, tandis que la lumière commence à décliner.
    Plénitude qui ne peut se dire. L’éprouver suffit. Je voudrais posséder moins. Laisser davantage de vide pour qu’elle puisse surgir. Est-ce cela que je cherche ici, une vacance de l’être ? Contempler dissout les questions. Ici, plus facilement qu’ailleurs, j’assiste à la disparition de ce qui d’ordinaire est entrave. Comment oser dire que regarder pousser l’herbe, littéralement, s’absorber dans le flux des nuages, écouter la chute de quelques aiguilles de pin est une expérience des plus nécessaires ? Comment soutenir que cela modifie l’humain ? Le rend meilleur, plus tolérant, plus respectueux, plus aimant ?


    10 août

    Balade à Saint-Colomban. C’est un lieu qui évoque les petites chapelles bretonnes visitées durant plusieurs étés au moment de « L’art dans les chapelles ». Rencontre alchimique entre la roche, les arbres, la pierre, le ciel. Une « densité » qui diffuse son énergie.
    La prairie, malgré sa superficie d’un hectare, est un jardin clos. Une forme de vaste non inquiétant. Le contraire de l’infini des Landes. C’est habitable. Les dimensions sont humaines. Les grands arbres bornent le regard. L’au-delà peut devenir désirable, rêvé, imaginé, non imposé comme la ligne d’horizon de la mer. On demeure dans une échelle proportionnelle au corps, au pas, à notre capacité d’appréhension, voire d’étreinte.



    Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige (Carnets 2012-2017), éditions Al Manar, Collection Approches & Rencontres, 2020, pp. 127-129. Encres de Jérôme Vinçon.





    Claudine Bertrand  Sous le ciel de Vézelay



    FRANÇOISE ASCAL


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    ■ Françoise Ascal
    sur Terres de femmes


    L’Obstination du perce-neige et Variations-prairie (lectures d’AP)
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    [Carnet, 2004] (extrait d’Un bleu d’octobre)
    [Carnet, 2011] (autre extrait d’Un bleu d’octobre)
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    Lignées (lecture d’AP)
    [Je ferme les yeux et laisse le mot venir] (extrait de Lignées)
    [tu aurais voulu l’oublier] (extrait de Des voix dans l’obscur)
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    Mille étangs
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  • Françoise Ascal, Mille étangs

    MILLE ÉTANGS

    (extrait)








    Plus tard, lorsque tu reviendras sur ces lieux, tu contempleras sans te lasser la calligraphie indocile des herbes et des joncs, bâtons d’écriture dressés en lignes ou en bouquets sur les rides grises de l’eau, traçant d’impalpables messages face à l’indifférence du ciel. Tu sonderas les nuages défilant sur la moire, t’efforçant d’en retenir la leçon.


    N’es-tu pas faite des mêmes molécules ? Proche du héron autant que de la grenouille, traversée par une même vie tenace autant que précaire, vouée aux mêmes métamorphoses ?


    Tour à tour transparente et opaque.

    Ne t’arrive-t-il pas de brasiller de joie, cœur dilaté
    à se rompre ?

    N’abrites-tu pas la noirceur des grands fonds, avec ces morts inapaisés séjournant dans les creux de ton corps comme dans une fosse d’argile ?










    Pascal Geyre
    Peinture de Pascal Geyre

    in Variations-prairie de Françoise Ascal,

    éditions Tipaza, 2000, page 49.









    Sauvage, le plateau. Rude avec ses épineux, ses bouleaux tordus, jaillissant entre des blocs granitiques.

    Inhospitalier.

    Pourtant tes pas t’y ramènent sans relâche.


    Que cherches-tu ici ? Que soupçonnes-tu ? Qui t’appelle ? Qu’entends-tu dans le criaillement des choucas ? Dans celui de l’épervier ? Quelle mémoire anonyme implore en silence, à chaque détour du sentier sinuant entre les fougères ?


    Perçois-tu le fracas des combats anciens ?


    Sens-tu glisser entre tes doigts le fichu fané de celle qui, un soir, s’est jetée dans l’oubli ?




    Françoise Ascal, Mille Étangs, in Variations-prairie, suivi de Mille étangs, Lettre à Adèle, Colomban, éditions Tipaza, 2020, pp. 48, 49, 51. Peintures de Pascal Geyre.








    Françoise Ascal  Variations-prairie



    FRANÇOISE ASCAL


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    Ph. © Michel Durigneux
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    5-10 août 2017 | Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige




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  • Françoise Ascal | Rouge Rothko


    Mark Rothko  1957
    Mark Rothko, No. 16. Red, white and brown, 1957
    Huile sur toile, 252, 5 × 207,3 cm
    Musée d’Art de Bâle, Basel.
    Source







    ROUGE ROTHKO




    Faut-il me jeter tête en avant dans votre toile en feu ?
    Choisir la plus rouge, la plus incandescente, la plus haute ?
    Traverser des parois de coquelicots des gorges de salamandres des pépins de grenades des gouttes de sang frais ?
    Devenir torche ou tornade ?

    Qu’enfin tombe en cendres le trop qui m’entrave.
    Qu’enfin s’ouvre l’au-delà caché derrière l’iris.

    Approcher, ne serait-ce que d’une largeur de paume, la calme vibration de ce qui brûle, là-bas derrière les pigments, dans un tout près insaisissable, dans un sans cesse habité par la joie – oui, la joie, je veux le croire.

    Séjour de la lumière, comment te rejoindre ?

    Faut-il grimper un à un les barreaux de votre échelle de Jacob ? Ou la descendre, comme on descend en soi-même, par seuils successifs au long de la vie, en voyage depuis l’humus brun des origines vers ce blanc éblouissant qui mange les paroles, dissout les peurs et les spectres.

    Blanc chauffé à blanc, ouvrant sur… ?

    Échelle ou marelle ?

    Une marelle inversée, la terre à la place du ciel, le lourd au sommet, pesant son poids de chair avec son fracas familier, tandis qu’à l’étage inférieur, des fenêtres ou reflets de fenêtres appellent, appellent.

    Peut-être suffit-il de sauter ?
    D’une case à l’autre, à cloche-pied, en toute innocence ?

    Jouer ?
    Jouer à en perdre haleine ?
    Jouer très sérieusement.
    Monter descendre monter descendre, de haut en bas et de bas en haut, vite, de plus en plus vite, de plus en plus abandonnée, de plus en plus confiante, comme un derviche cherchant l’extase, comme le poète Rumi chantant les atomes de l’univers, ivre du « Soleil de Tabriz ».

    Votre tableau est un « Soleil de Tabriz ».

    J’attends qu’il me consume.



    Françoise Ascal, « Rouge Rothko », Rouge Rothko, éditions Apogée, Collection « Piqué d’étoiles », 2009, pp. 55-56.








    Françoise Ascal  Rouge Rothko




    FRANÇOISE ASCAL


    Francoise Ascal par Michel Durigneux
    Ph. © Michel Durigneux
    Source





    ■ Françoise Ascal
    sur Terres de femmes


    Des voix dans l’obscur (lecture d’AP)
    [tu aurais voulu l’oublier] (extrait de Des voix dans l’obscur)
    [longtemps j’ai mâché | vos grains de grès](extrait d’Entre chair et terre)
    [Carnet, 2004] (extrait d’Un bleu d’octobre)
    [Carnet, 2011] (autre extrait d’Un bleu d’octobre)
    Levée des ombres (lecture d’AP)
    Lignées (lecture d’AP)
    [Je ferme les yeux et laisse le mot venir] (extrait de Lignées)
    Noir-racine précédé du Fil de l’oubli (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Mille étangs
    16 juillet 1796 | Françoise Ascal, La Barque de l’aube | Camille Corot
    5-10 août 2017 | Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige




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    une notice bio-bibliographique sur Françoise Ascal
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  • 16 juillet 1796 | Françoise Ascal, La Barque de l’aube | Camille Corot

    Éphéméride culturelle à rebours


    Françoise Ascal a consacré au peintre Camille Corot, né à Paris le 16 juillet 1796, un opuscule intitulé La Barque de l’aube. La toile choisie pour la première de couverture de cet ouvrage est une Vue du pont de Mantes, réalisée entre 1868 et 1870. Outre les arches solides du pont, on y voit, sur les rives et se reflétant dans les eaux de la Seine, deux troncs défeuillés qui s’élancent vers le ciel. Au pied des troncs, immobile, une étrave de barque et son pêcheur. Paysage d’eaux et de nuages, tremblé des couleurs et jeux de lumière : un paysage récurrent chez le peintre, une « obsession propre aux artistes qui cherchent et creusent au plus profond d’eux-mêmes. » Françoise Ascal, poète, nourrit pour Camille Corot une tendresse particulière. Il est vrai qu’elle compte dans sa famille un Camille, fauché par la guerre en pleine jeunesse. Mais bien d’autres raisons justifient sa dilection pour la peinture de Camille Corot. Qu’elle livre au lecteur, non sans pudeur, tout en tressant subtilement l’histoire du peintre avec celle du jeune homme :

    « Camille. Tu portes le même prénom que ce jeune homme dont j’ai scruté autrefois le visage sur une photographie de famille. Toi, peintre infatigable, galopant à travers bois et chemins creux jusqu’à quatre-vingts ans, et lui, foudroyé à dix-neuf ans, deux trous rouges au côté droit. Vous auriez pu arpenter les mêmes terres, longer les mêmes rivières, graver vos initiales sur les mêmes écorces de frêne. Vous cohabitez sous mon crâne sans égard pour le temps. »

    Ainsi commence le récit de La Barque de l’aube. Un bel hommage à Camille Corot. Une méditation. Une rêverie. Une longue réflexion.





    EXTRAIT DE LA BARQUE DE L’AUBE



    Tu es un homme des carnets. Tu en as dans chaque poche en permanence. Papier lisse, papier grumeleux, pour le fusain, l’aquarelle, le crayon. Tu croques à grands traits nerveux, tu engranges pour plus tard, tu accumules, tu notes avec ardeur. Le feu sous le flegme. Tu n’es pas un peintre du plein air comme on se plaît à le penser, ou comme le seront les impressionnistes. Tu es le peintre du fourneau alchimiste au secret de l’atelier. Tu trafiques la matière. Tu la mijotes pour la cuire à point. Ton naturel, tu le conquiers de haute lutte. Ta prétendue « naïveté » est une chimère, l’un de ces écrans avec lequel tu joues :

    « Pour bien entrer dans mes paysages, il faut au moins avoir la patience de laisser le brouillard se lever ; on n’y pénètre que peu à peu et, quand on y est, l’on doit s’y plaire. »

    Ainsi, regardant ta Liseuse au bord de l’eau, on ne voit au premier coup d’œil qu’un paysage vaporeux, gaze ou tulle. Herbes, frondaisons, ciels dans de sourdes tonalités dont on ne sait si elles vont se dissoudre avec la lumière matinale, ou s’intensifier pour rejoindre l’obscur. Rivière étale, sans ride. Pas de vent dans les branches. Quelques pâles reflets esquissés sur une eau sans vertige. Un univers frappé d’inconsistance. L’arche du pont, au fond à droite, semble le seul point de fermeté. Promesse d’un ailleurs. Comme ce bateau endormi, amarré sur la rive proche, qui peut-être un jour sortira de sa torpeur pour s’arracher à l’eau morte.

    Il faut du temps pour découvrir l’échappée ménagée pour celle qu’on aperçoit sous le couvert des saules, appuyée contre un tronc, à moitié dissimulée par un fouillis d’herbes. Entre ses mains, un livre — ou une lettre plus vraisemblablement. Dans le secret végétal, elle se tient debout, elle-même secrète et grave. Attentive à déchiffrer les signes qui l’ont conduite ici, dans cet espace dérobé où les émois peuvent se déployer, jaillir hors du tableau, hors du temps, loin de la tyrannie du réel et plus encore des intentions du peintre. Sans rien troubler du songe mélancolique qui l’entoure, la jeune liseuse ouvre l’horizon.

    Ce thème de la liseuse t’obsède. Plus d’une vingtaine de tableaux lui sont consacrés. De quelle vision onirique, de quel désir tires-tu ces femmes, ces jeunes filles ? Souvent ce sont des rêveuses plutôt que de véritables liseuses — la lecture est suspendue, le livre posé sur les genoux, le regard s’échappe vers le lointain.

    Moi qui ai longtemps arpenté les campagnes et les rives boisées, je n’en ai jamais rencontré. On imagine mal une paysanne se soustraire au travail pour s’adonner à l’oisiveté de la lecture, pas davantage une dame de la bourgeoisie s’aventurer seule en pleine nature au risque de déchirer sa robe aux buissons épineux.



    […]



    Je pourrais évoquer les liseuses de Vermeer, mais celles-ci évoluent dans l’espace privé de leurs maisons bourgeoises. D’ailleurs elles ne lisent pas des livres mais des lettres intimes, des billets. Le peintre se fait voyeur, tente de déchiffrer les émotions clandestines.

    Rien à voir avec toi. Utopie de partage du savoir ? Féminisme timide ? Écho de tes propres lectures, celles de Jean-Jacques Rousseau en particulier qui te convainquent de l’importance de l’éducation ?

    Même lorsque tu peins une femme à sa toilette, cheveux dénoués, assise une fois encore au bord de l’eau avec sa servante, tu éprouves le besoin de placer à quelques pas, en retrait, une jeune fille adossée à un arbre, livre en main. Mystérieuse présence. Fantasme ou signe de ta relation à la culture. Tu n’es pas seulement le bon papa Corot légendaire qui trinque et chante à l’auberge Ganne, mais un homme qui lit, aime le théâtre et se rend régulièrement à l’opéra.

    Mon Camille n’est jamais allé à l’opéra, ni aucun des siens. Mais il chantait. Dans la maison de mon jadis, j’ai trouvé un cahier de chansons, attestant que ces murs n’ont pas toujours été le sanctuaire des morts familiaux, interminablement veillés par des veuves de guerre. Les rires ont résonné. Les fêtes de moisson ont soulevé verres et jupes. Le soleil a fait mûrir les fruits du verger.



    Françoise Ascal, La Barque de l’aube, Camille Corot, Arléa Éditions, collection Arléa-Poche, 2018, pp. 28-29-30-31. Préface de Charles Juliet.






    Francoise Ascal




    FRANÇOISE ASCAL


    Francoise Ascal par Michel Durigneux
    Ph. © Michel Durigneux
    Source





    ■ Françoise Ascal
    sur Terres de femmes


    [longtemps j’ai mâché | vos grains de grès](extrait d’Entre chair et terre)
    [Carnet, 2004] (extrait d’Un bleu d’octobre)
    [Carnet, 2011] (autre extrait d’Un bleu d’octobre)
    Des voix dans l’obscur (note de lecture d’AP)
    [tu aurais voulu l’oublier] (extrait de Des voix dans l’obscur)
    Levée des ombres (note de lecture d’AP)
    Lignées (note de lecture d’AP)
    [Je ferme les yeux et laisse le mot venir] (extrait de Lignées)
    Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli (note de lecture d’Isabelle Lévesque)
    Mille étangs
    L’Obstination du perce-neige et Variations-prairie (lectures d’AP)
    Rouge Rothko
    5-10 août 2017 | Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige




    ■ Voir aussi ▼


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    une fiche bio-bibliographique sur Françoise Ascal
    → (sur le site des éditions Arléa)
    la fiche de l’éditeur sur La Barque de l’aube



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  • Isabelle Lévesque, Voltige !

    par Angèle Paoli

    Isabelle Lévesque, Voltige !
    éditions L’herbe qui tremble, 2017.
    Peintures de Colette Deblé. Postface de Françoise Ascal.



    Lecture d’Angèle Paoli


    « VIVRE ÉCRIRE | SANS TOURMENT »




    Une rêverie dansée ? Une chanson triste hissée à hauteur d’absolu ? Les trois vers de Guillaume Apollinaire, extraits de « Sanglots » et inscrits en épigraphe de Voltige ! — dernier recueil d’Isabelle Lévesque —, incitent à le penser. De même la peinture qui illustre la première de couverture. On peut certes imaginer une danse, un envol, une silhouette enlevée dans le mouvement tourbillonnant d’un manège. Mais on peut aussi lire dans cette danse l’expression d’une résistance, hanches déportées et bras levés vers le ciel. Peut-être même faut-il voir dans ce déport l’expression d’une supplication ?

    Derrière cette silhouette tremblée de femme, on reconnaît aussitôt la créatrice Colette Deblé. Une autre silhouette féminine, du même rouge jaspe et entourée de la même nébuleuse étoilée, est insérée dans le recueil. Toutes deux renvoient à une céramique du peintre de Marsyas dont s’est inspirée Colette Deblé. La silhouette se nomme Thétis. Elle est la Néréide que Pelée a enlevée afin de l’épouser. Une légende corse prétend que les noces extravagantes entre la jeune beauté « au voile flottant » et son époux furent célébrées en mer, au large du Monte Genovese et des Agriates. Me reviennent aussi en mémoire les envolées lyriques de l’opéra vénitien de Francesco Cavalli : Le nozze di Tite e di Peleo (1639). La Thétis de Colette Deblé se tient, elle, accroupie sur ses talons ; torse tendu dans une torsion, visage au regard invisible tourné en arrière des épaules, bras écartés. Thétis résiste-t-elle en un ultime effort à l’assaut de Pelée ? Ou bien s’est-elle résignée à le suivre ? Impossible d’en décider de façon affirmée, même si l’intitulé de la toile révèle l’épisode qui précède les noces: Pelée s’empare de Thétis. Quelques vers de L’Iliade laissent échapper la plainte de Thétis. La divinité marine s’épanche sur son sort, elle qui s’est vu imposer par Zeus un époux qu’elle ne désirait pas. Ainsi la violence a-t-elle présidé à ses épousailles. Mais l’amour n’est-il pas en soi une forme de rapt ? C’est peut-être le récit d’un rapt amoureux, mais un rapt consenti, que le recueil Voltige ! va dévoiler pour nous.

    Dans son chemin de lecture, le lecteur croise d’autres silhouettes de femmes. Une Allégorie de la Paix d’Amiens (1802), réalisée par Pierre Lacour (1745-1814) ; une silhouette accroupie inspirée par l’artiste Elina Brotherus (Model Study) ; celle, très enlevée, de la duchesse d’Angoulême, d’après la toile du Baron Antoine Jean Gros (1771-1835) : L’Embarquement de la Duchesse d’Angoulême à Pauillac. Silhouettes ailées de femmes qui s’élancent, détachées de leur histoire, pour rejoindre l’éternelle légèreté de leur danse. Celle-là même qui préside à leur envol absolu.

    Voltige ! Vers quelles cimes la poète veut-elle entraîner sa suite ? Faut-il voir une incitation à un envol neuf ? Après l’idylle, l’abandon. Après le doler, un chant nouveau ? Le recueil de la poète est-il le récit d’une expérience de l’intime ? Un épithalame en l’honneur de l’amant ? Peut-être tout cela mais aussi affirmation d’un chant fondateur pour la poète :

    (Je suis

    coquelicot.)

    En lisant les poèmes lyriques qui composent ce recueil, j’éprouve le sentiment diffus de renouer avec les mythes d’antan, amours sylvestres entre les mortels et les dieux. Ou encore avec les poèmes médiévaux, tels que nous les a laissés Marie de France:

    « le chèvrefeuille et son lai, le coquelicot le bleuet

    soupirs. »

    Ne sont pas loin, non plus, les coquelicots de Zanzotto (« Fiers d’une fièreté et d’un rut barbare ») et ceux de Giuseppe Conte (« légères fleurs de soie ») qui habitent la mémoire.

    Amours champêtres et floraux, la néréïde interroge. « Sais-tu », « Veux-tu », « Entends-tu », « as-tu si peur ? »… Elle n’a de cesse, dès le poème d’ouverture, de susciter la geste de l’aimé.

    « Tu rejoindras

    les blés    le pain    la couleur. »

    Ainsi s’ouvre le chant d’amour éternel qui prend son essor au printemps et se déploie, le temps de floraisons intenses — bleuet/coquelicot — au cours d’un été :

    « Soif été fol        
    il était une fois

    25 août

    or épelé      depuis midi tu es
    soleil jour d’or
       à minuit sonné. »


    Amour absolu qui tient entre ses mains l’éternité offerte, danse parmi les blés, naissance à l’autre et au désir, ponctuée par les silhouettes colorées et fragiles de Colette Deblé.

    « Jamais-toujours :

    seule proposition. »

    Deux textes en italiques (il y en a d’autres), phrases elliptiques ou inachevées, viennent suspendre momentanément le tremblé des quatre poèmes d’ouverture. Mais toujours le vent balaie qui disperse les signes et les soumet à l’épreuve de la souffrance :

    « Derrière l’apparence bleue, ce signe saigne. »

    Quelque chose se prépare qui menace l’attente. D’un poème à l’autre, l’imperceptible poursuit sa percée, voltige modeste silencieuse entre les phrases. Les allitérations en [V] et en [Ʒ] ponctuent les poèmes, qui sèment et disséminent dans le récit de cet amour-rapt-apothéose- abandon, leurs sonorités chuintantes et ailées. Voltige / sillage / neige / songe / orange / tige / chevauche / rival / image / léger / manège / sortilège / présage / fragile / vent / vol / rêve…

    Cette légèreté discrète jointe au récit qui sourd derrière les vers conduit une langue nouvelle :

    « Ma langue nouvelle

    corne ta voix (tympan de mon souffle) »

    La voix poursuit son appel sombre tandis que celle de la poète se fait souple, résiste à la brisure même si le parcours poétique revient sur ce qui fut de ce fusionnement ébloui, cercle des mains lieuses, habiles à la caresse. Il faut revenir sur ses pas, remonter vers le poème d’ouverture, pour entrevoir la manière subtile dont la poète entreprend de tisser son histoire. Présence d’un « nous » fusionnel et séparation annoncée du « je » et du « tu » s’entrelacent habilement. Mais ce qui s’affirme explicitement, bien avant que la séparation ait lieu, c’est la force du « je » féminin. Et l’aveu qu’il restera maître du rituel amoureux :

    « Je prendrai le cuir

    de nos pas nus

    sur la terre. »

    Le premier vers du poème d’ouverture « L’aurore est assoiffée » est-il l’amorce d’un avant, l’amorce d’un après ? Annonce-t-il les noces printanières, l’invention des amants, voltige haute d’un été, « danse fauve », éros sublimé « papillon nu dans le vent » ?

    « Ce soir, cercle clos

    (tes bras m’entourent). »

    Ou bien l’annonce du désarroi, désamour inscrit à même la danse nuptiale, sacrée par l’amante dans l’or de l’été :

    « La boucle des rêves s’achève,

    manège, haltes brèves contre ton corps.

    Danse le coquelicot !

    Le vent ne peut rester debout, je cesse et libre.

    Voltige. »

    Plus loin, à l’idéal amoureux de l’amante répond le détachement déjà sensible de l’aimé. Et le regret douloureux qui accompagne l’épreuve :

    « Légère assonance

    du manque, tes mains l’avouent.

    Perdent en assurance le scandale.

    Tout a fondu     antan. »

    Vient très vite l’envers de la voltige, « vacillement » « voilé ». Celui de l’arbre mort, celé dans ses cendres :

    « L’arbre ne renaîtra pas, squelette capricieux,

    rien ne l’agite. Ses membres dessinent

    la pierre d’oubli lancée,

    passé voilé, vacillement d’une ombre et

    ce n’est pas la nuit… »

    Le célèbre vers de Guillevic annonce-t-il le manque à venir ? Associée à la multiplicité d’images négatives, la prolifération insistante des assonances en [i] semble confirmer cette interprétation. Les cercles progressivement vont se dénouer, qui détisseront ce que les bras avaient voluptueusement scellé.

    Restent les mots du poème pour dire le froissé éternel du coquelicot. La passion secrète qu’il porte en lui. Et ce désir irréalisable qui taraude et qui creuse l’écriture :

    « Vivre écrire — sans tourment

    pure perte

    pétales nus loin des blés. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Voltige !






    ISABELLE  LÉVESQUE


    Isabelle Lévesque
    Source



    ■ Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes

    [Oh, ce désordre de disparaître !] (extrait de Nous le temps l’oubli)
    C’est tout c’est blanc
    [Entends, c’est jour, la forme aimantée du point] (poème extrait de Ravin des Nuits que tout bouscule)
    Chemin des centaurées (lecture de Pierre Dhainaut)
    Chemin des centaurées (lecture d’AP)
    Mai | La Ronde (extrait de Chemin des centaurées)
    [Les feuilles envolées du peuplier] (extrait d’ En découdre)
    [Nous vaut la force courant le vent] (poème extrait de Va-tout)
    [Oh, ce désordre de disparaître !] (poème extrait de Nous le temps l’oubli)
    Nous le temps l’oubli (note de lecture d’AP)
    Ossature du silence (note de lecture d’AP)
    [Ouvre et lis entre les lignes] (poème extrait du Fil de givre)
    Le Fil de givre (lecture d’AP)
    Le Fil de givre (lecture de Jean Marc Sourdillon)
    [Peine singulière] (poème extrait d’Un peu de ciel ou de matin)
    Ravin des Nuits que tout bouscule (note de lecture d’AP)
    [Les serments] (poème extrait de Le tue braccia saranno)
    Va-tout (note de lecture de Jean-Louis Giovannoni)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque | L’origine de l’écriture | [Si léger… tu cours] (extraits de La Grande Année)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque, La Grande Année (lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Territoire
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait d’Isabelle Lévesque (+ un poème extrait de Va-tout)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la revue Texture)
    une recension de Voltige ! par Jean-François Mathé
    → (sur le site de la revue Terre à ciel)
    une recension de Voltige ! par Claudine Bohi
    → (sur La Pierre et le Sel)
    Isabelle Lévesque, de la terre à la lumière, par Pierre Kobel
    → (sur Recours au Poème)
    une notice bio-bibliographique sur Isabelle Lévesque
    → (sur Recours au Poème)
    trois lectures de Voltige !, par Hervé Martin, Marie-Hélène Prouteau et Lucien Wasselin




    ■ Notes de lecture (55) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





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  • Françoise Ascal | [longtemps j’ai mâché | vos grains de grès]



    [LONGTEMPS J’AI MÂCHÉ | VOS GRAINS DE GRÈS]




    longtemps j’ai mâché
    vos grains de grès
    de quartz et d’hématite


    j’ai braqué la lampe
    au ventre noir
    de vos maisons


    longtemps j’ai séparé
    trame et chaîne
    pour détisser nos vies


    j’ai tracé un chemin
    loin de vos empreintes
    inventé des pas nouveaux
    menant à la rivière
    la même toujours changeante
    ouvert un sentier sous les herbes
    le même toujours changeant



    au lavoir vous m’attendiez
    avec de grands draps blancs



    Françoise Ascal, Entre chair et terre, éditions Le Réalgar, Collection l’Orpiment dirigée par Lionel Bourg, 2017, page 14. Peintures de Jean-Claude Terrier.






    Françoise Ascal, Entre chair et terre






    FRANÇOISE  ASCAL


    Francoise Ascal par Michel Durigneux
    Ph. © Michel Durigneux
    Source





    ■ Françoise Ascal
    sur Terres de femmes


    [Carnet, 2004] (extrait d’Un bleu d’octobre)
    [Carnet, 2011] (autre extrait d’Un bleu d’octobre)
    Des voix dans l’obscur (lecture d’AP)
    [tu aurais voulu l’oublier] (extrait de Des voix dans l’obscur)
    Levée des ombres (lecture d’AP)
    Lignées (note de lecture d’AP)
    [Je ferme les yeux et laisse le mot venir] (extrait de Lignées)
    Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Mille étangs
    L’Obstination du perce-neige et Variations-prairie (lectures d’AP)
    Rouge Rothko
    16 juillet 1796 | Françoise Ascal, La Barque de l’aube | Camille Corot
    5-10 août 2017 | Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél)
    une notice bio-bibliographique sur Françoise Ascal





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Françoise Ascal | [Carnet, 2011]






    Grandir est peut-être une œuvre de dissimulation.
    «  Grandir est peut-être une œuvre de dissimulation »
    Triptyque photographique, G.AdC








    [CARNET, 2011]
    (extrait)




    À Melisey, le silence est d’une épaisseur inconnue à Saint-B. Dans la cuisine, j’ai mis une longue table de bois de bonnes proportions. Il me semble retrouver celle de l’enfance, lorsque nous mangions tous ensemble sur la grande maie de chêne. Je suis l’enfant silencieuse, vaguement dégoûtée devant son assiette creuse de faïence remplie de soupe de gruau d’avoine ou au tapioca dont la consistance donne envie de vomir. J’entends presque la matière confuse des voix, la sonorité des éclats et des basses. Y avait-il des rires ? De quoi parlait-on ? Ne me reste que cette sensation d’enveloppement par les adultes et néanmoins de solitude, moi, invisible au cœur de leurs échanges et pourtant incluse, tissée dedans. Curieusement, je ne vois pas la place de mon frère. Où était-il ? Où dormait-il ? Déjà ailleurs, déjà déligoté, déjà lui-même, tourné vers le large ? Et moi déjà retenue, poreuse, à l’écoute.


    J’ai longé la rivière en vélo, jouissant des odeurs, attentive aux sons variant selon le niveau d’eau. C’est ici que mes pieds se reconnaissent à leur juste place. Ici que les pierres s’adressent à moi. Celles de la cheminée, dans la cuisine, ne sont pas muettes. Elles veulent dire. L’épaisseur du temps est pleine de mains suppliantes. Qui voudrait qu’on l’oublie ? Quel mort n’envoie pas une adresse aux vivants ou à quelques vivants, les priant de veiller sur leur décomposition ? Les enjoignant de ne pas trop vite se résoudre à leur effacement ? Quel vivant n’est pas happé par l’ombre des pierres comme celle des morts ? Ici, c’est l’entre-deux saturnien, le lieu du dialogue interdit, le lieu des mélanges secrets, des liqueurs fortes qui ont longtemps sommeillé sous la terre. Ici, une fillette survit. Elle est plus vraie que moi. Elle est celle que je ne suis que par intermittence. J’ai toujours su que grandir n’était qu’une excroissance de chair autour d’un noyau inaltérable, un habillage du cœur, un vêtement d’extérieur. Grandir est peut-être une œuvre de dissimulation. Ou une manière d’éteindre le feu, de réduire les intensités.


    Jamais rassasiée de lumière rasante sur la prairie, de ce vert doré éblouissant que je ne connais nulle part ailleurs.
    Près des vieux sapins, sons d’orgue et odeurs de miel.



    Françoise Ascal, Un bleu d’octobre, Carnets 2001-2012, Éditions Apogée, 2016, pp. 97-98.






    Unbleud'octobre





    FRANÇOISE ASCAL


    Francoise Ascal par Michel Durigneux
    Ph. © Michel Durigneux
    Source





    ■ Françoise Ascal
    sur Terres de femmes


    [longtemps j’ai mâché | vos grains de grès](extrait d’Entre chair et terre)
    [Carnet, 2004] (autre extrait d’Un bleu d’octobre)
    Des voix dans l’obscur (note de lecture d’AP)
    [tu aurais voulu l’oublier] (extrait de Des voix dans l’obscur)
    Levée des ombres (note de lecture d’AP)
    Lignées (note de lecture d’AP)
    [Je ferme les yeux et laisse le mot venir] (extrait de Lignées)
    Noir-racine précédé du Fil de l’oubli (note de lecture d’Isabelle Lévesque)
    Mille étangs
    L’Obstination du perce-neige et Variations-prairie (lectures d’AP)
    Rouge Rothko
    16 juillet 1796 | Françoise Ascal, La Barque de l’aube | Camille Corot
    5-10 août 2017 | Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Apogée)
    la fiche de l’éditeur sur Un bleu d’octobre
    → (sur La Pierre et le Sel)
    une recension d’Un bleu d’octobre par Isabelle Lévesque
    → (sur le site de la mél)
    une notice bio-bibliographique sur Françoise Ascal





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli

    par Isabelle Lévesque

    Françoise Ascal, Noir-racine,
    précédé de Le Fil de l’oubli,
    Éditions Al Manar, 2015.
    Monotypes de Marie Alloy.



    Lecture d’Isabelle Lévesque


    Ascal Autre Livre
    Source






    On ne saura rien du sang répandu qui a
    noyé son âme, de la boue des tranchées
    pétrifiée dans son corps, ensevelissant l’aimé,
    puis le frère trop jeune, puis les rêves.

    F. A.



    Sur « le bruit d’une faux », le livre s’ouvre. S’agit-il de couper l’herbe qui nourrira le bétail ou est-ce le grand Faucheur qui tranche les fils d’une lignée 1 ? Cet ensemble affirme un paradoxe que la fin de la première page interroge, en juxtaposant l’aube et le crépuscule et le questionnement, manifeste (présent cinq fois en ces quelques lignes), réfute toute devise. Ici, rien n’est certain. L’observation puis l’écoute de ce que le mouvement de faucher a généré suscite une analyse dont la réponse reste en suspens. Le début est placé sous le signe d’une menace, d’un trouble généré par la perception double, visuelle et auditive, qui fait osciller les couleurs, vert (sombre puis pâle), jaune, avant que soit enfin capté le parfum. L’éveil, là, en ce tumulte du « bruit de la faux », identique au premier monotype de Marie Alloy qui le précède, rendu noir et blanc de mouvements contradictoires, verticalité balayée par un pinceau large qui la réduit alors que des taches sombres se concentrent sur la page. Fort à dire, pour ce qui concerne Françoise Ascal, de la vocation du peintre dans ses livres et du lien « organique », elle a plusieurs fois employé ce terme, entre la vision du peintre et la parole balbutiante qui s’efforce et cerne, qui constate et demeure.

    Ce volume assemble deux recueils précédemment publiés pour un tout cohérent aux différentes facettes. Le Fil de l’oubli fut publié par les éditions Calligrammes (Quimper) en 1998 et Noir-racine par les éditions Al Manar en 2009, sous forme de livre d’artiste avec Marie Alloy.

    Le Fil de l’oubli s’organise autour de cinq cartes postales écrites par Joseph, le grand-père paternel de la narratrice, à son épouse Élise. Celui-ci est en train de mourir à l’hôpital militaire de Besançon, elle a 34 ans. Chacune des cinq cartes postales de Joseph, datées du 20 au 27 mars 1915, commence par « Chers Élise, Marthe, Gabriel », l’épouse, la fille et le fils, par ordre de préséance, d’âge. Et chacune est suivie de textes en prose suivant un fil de la lignée. Aux trois destinataires des cartes postales s’ajoute la « petite fille », fille de Gabriel et petite-fille de Joseph et Élise, que nous devinons être l’auteur. L’évocation de ces vies court de 1915 à 1985. Le lieu central en est la ferme de Joseph et Élise, située près d’un village non nommé. Un pont sur la rivière permet de rejoindre un autre village où se trouve la ferme de l’oncle.

    Le premier fil est celui de Gabriel, le fils de Joseph et Élise, frère de Marthe et père de la « petite fille ». Fils, frère, père, les fils ne sont pas isolés et les liens familiaux essentiels. Nous le suivons ici de 1915 à 1951. Il connaît l’essentiel, les « signes que lancent l’herbe et le vent, l’arbre et l’oiseau ». Privé de son père par la guerre, il met en pratique le déchiffrement de la nature enseigné sans mots. Qu’est-ce qui se transmet et comment ? La parole n’est pas le seul vecteur et les lettres du père que la guerre oblige à « parler » changent la transmission établie sur la répétition des gestes que permet la proximité. Imitation silencieuse, gestes accomplis ensemble avant la guerre comme un rite qui fonde une relation (père/fils) mais aussi un enseignement efficace. Dans la remémoration des jours où fils et père se trouvaient ensemble, le lecteur s’approprie une communication tandis que Gabriel, qui ne sait pas écrire, observe sa sœur tracer des lettres sur le papier pour répondre à leur père. Puis vient une écriture trouée, des vers qui n’atteignent pas la phrase, pour évoquer ceux qui « avancent / piétinent / avancent », ce mouvement de conquête et repli – ce qui revient au même. Alors la narration, elle-même percée, progresse vers l’histoire remémorée de ceux qui furent, à travers leurs traces. Ici, le temps n’est pas un simple flux. Le texte épouse ce mouvement qui va, cette force qui hésite, la ligne est discontinue.

    On retrouve des mots presque oubliés (« la salle commune »), on revoit le visage ouvert et souriant de jeunes filles inconnues, sur les chromos, cartes postales anciennes, cela qui n’est rien – un trésor de mémoire. On imagine celle qui écrit, narratrice, poète, cherchant, dans ces traces dénichées, un fil. Et ce trésor, infime, l’écriture en est la matière, qu’il s’agisse des traces manuscrites ou des légendes courtes portées par les cartes illustrées, que Gabriel voudrait « EN COULEURS ». Les images révèlent aussi la vie à la caserne (fusil, godillots ou juste à côté, ironique portée, l’Arc de Triomphe de Paris). Succession d’instants, le quotidien d’« une religieuse en cornette », « une épouse », « des enfants réunis autour d’une mappemonde », l’absence du père est comblée par ce réseau d’images que les enfants voudraient traduire « en mots ». Genèse. Rituel de plume et d’encrier — buvard. Or les mêmes mots s’écriront, « carte très jolie… deux bons points… hâte de te voir ». Ici c’est déjà l’oubli que la poète retient, ici un livre s’écrit. Le livre avance, de prolepse en fil rompu du temps recousu (de 1915 à 1924), ce « fil des générations » qui couvre d’oubli le temps qu’on peut à peine entrevoir, ce fil rompu entre la vie paysanne, « sur une terre trop ingrate », et le destin de Gabriel qui la quitte. Dans le texte, la figure de la coupe rythme les pages, « le soir tu es rompu », écho de la faux, ou plus tard, en 1937, « [l]a rivière sépare les deux villages »… Comment réparer les trous du temps, lier la mémoire au texte et renouer le fil ? Un accident a blessé l’oncle cultivateur, « une roue de chariot lui est passée sur le corps, l’estropiant pour toujours ». Une des photographies, retrouvée par la narratrice, le montre « très droit, étrangement crispé », appuyé sur les deux femmes, épouse et belle-sœur, qui l’entourent. Perception des êtres en ce à quoi ils appartiennent : terre nourricière qui façonne les personnes, leur donnant un visage et l’âme de ce qu’ils sont, voués au travail, au sacrifice peut-être :

    « Qui est-il sans la chaleur de ses bœufs sous la paume, sans leur dialogue complice, attelés ensemble pour l’éternité ? »

    Oncle claudiquant, livré au manque, les prépositions privatives lui ôtent sa vocation, homme voué à creuser sillon pour retourner la terre, la rendre féconde et l’on retourne à la faux initiale, au fil rompu des herbes qui furent avant la coupe. On le dit fou, on le condamne, les femmes prient pour le garder du diable, elles toutes qui cherchent à le protéger. De lui-même, elles ne le pourront pas, il se pend. Le fil et la corde, en écho.

    Ainsi, le récit lacunaire avance : bond de quelques années et le futur simple pour évoquer ce qui se serait passé, autre trame ou la même, celle du fil noir de l’encre que la poète tisse, Pénélope de la mémoire elliptique retenant le temps, suggérée par plusieurs clichés retrouvés. Parfois les verbes d’action occupent le devant de la scène (« il fera… allumera… regardera… sortira… choisira »), prophétie à l’envers d’un temps passé troué, inventé. Gestes rituels :

    « Puis il sortira son couteau, et avec lenteur, circonspection, il choisira deux branches bien droites, qu’il coupera avec soin. »

    Penser au geste séculaire de la taille (branches de noisetier), fondre le geste individuel en ceux des autres : bâton de marche, appui, comme écrire se fonde sur la remémoration nécessaire et créative d’un passé que l’on ne peut que supposer. Les traces sont trop infimes pour être fidèles à chaque mouvement, mais la restitution existe et l’arbre ne vit pas sans racine. Entre la mère et le fils, Gabriel, le patois à mi-voix lorsqu’ils se retrouvent, pour partager ce qu’il est devenu : parti, pour un autre métier plus sûr. Ce dialecte du pays où les clochers sont en forme de bulbe ne sera plus parlé par les enfants partis près de Paris.




    Que reste-t-il de ceux qui nous précèdent lorsque la faucheuse, passée, a coupé tous les fils, lorsque les branches de l’arbre ont été sectionnées ? L’interrogation suscite également l’idée des destins alignés. La ligne pour Françoise Ascal est cruciale : ligne des combattants de guerre, lignée des descendants, nervures des feuilles, irriguées.

    Dans L’Évolution créatrice, Bergson montre que « comme l’univers dans son ensemble, comme chaque être conscient pris à part, l’organisme qui vit est chose qui dure. Son passé se prolonge tout entier dans son présent, y demeure actuel et agissant » 2. L’anthropologue anglais Tim Ingold prolonge la réflexion du philosophe en montrant que les arbres généalogiques rendent mal compte des lignées : chaque personne y est un point. Les lignes n’y sont que des connecteurs indiquant un lien : union (avec ou sans amour ?), filiation (avec ou sans amour ?). Alors que les vies ne sont pas des points mais des lignes, entrelacées, chacune partant d’une autre, en divergeant lors des séparations ou des éloignements, puis se rapprochant des mêmes ou d’autres. Le fil de la vie qui se transmet est aussi constitué d’histoires racontées, de gestes enseignés, d’habitudes, de regards. La transmission s’établit des parents aux enfants, mais souvent aussi des grands-parents aux petits-enfants. Tim Ingold évoque « la tresse de la vie » 3.

    Gabriel adolescent, poussé par sa mère qui rêve d’une vie autre que la sienne pour son fils, quitte la ferme pour faire des études et passer un brevet de technicien. Puis ce sera un emploi dans la banlieue parisienne, le mariage, un enfant. Divergence alors, éloignement, une vie.

    Jeux de points de vue déplacés, les cartes postales de Gabriel s’éteignent à l’hôpital de Besançon. Intercalées, elles forment un récit troué, obus tombés dans la mémoire dont le fil se noue pour révéler un passé qu’on suppose, les traces d’une fin de vie. Cette transposition s’apparente à l’appropriation, tentative pour lire et faire sien le destin des aïeux, leur trace menacée entre dans une préservation. Alors les fils (du trousseau) apparaissent encore, métaphore filée du destin : en 1926, Marthe brode sa robe de mariée, mariage « sans amour, mais sans aigreur », « [e]lle trace des arabesques, rehausse de satin la taille » et se souvient de celui qui partit – ne revint. « [V]isage pétrifié » : ôtée par la guerre, la promesse de l’amour a cédé. Les mots se succèdent (père et l’aimé secret), les soirs d’orage, les sauts dans le temps (1953), le basculement d’une génération à l’autre et le mot « zébrures », répété, dans le ciel d’orage ou parce que le cri et les gémissements des hommes, dans les tranchées, percent les âges comme le grondement du tonnerre. La terre rappelle qu’à elle on revient, « porteuse d’os et de fleurs », vie et mort mêlées, deux fils qui se joignent ou un seul promis à disparaître.

    Guerre et la veuve, guerre et le mari ou le fils ôtés, ce sont les enfants qui porteront « une poignée de champignons fraîchement cueillis. Ce sont les premières girolles que la chaleur de juillet mêlée aux brèves ondées ont fait jaillir en une nuit sous les sapins. »

    En bout de récit, un fil se coupe : Joseph mort à l’hôpital militaire, laissant un message humble où l’amour murmure la mort prochaine pressentie. La narratrice clôt ce récit en décrivant le cimetière qui semble oublié, où les tombes abîmées, la végétation se mêlent et emmêlent les noms, « [o]n finit par ne plus savoir ce que l’on cherche ». Des os exhumés apparaissent, morts remontés, terre retournée, fragments :

    « On marche sur d’anciens corps de femmes, d’hommes, d’enfants, on avance parmi des morts remontés de terre, affleurant sous sa croûte durcie. »

    « Trop de morts », ici, partout, dans la maison à l’abandon qui fut celle des vivants où trouver les cinq cartes postales et le « canif de fer-blanc » qui laisse passer les souvenirs, pour tapisser la mémoire. La faux revient, son ombre sur la fin, fil de l’oubli passé par le tranchant d’un objet intercesseur :

    « Coquillage au creux de l’oreille des vivants pour prolonger leur murmure. »

    Entre l’aube et le crépuscule – nul choix, la faux s’abat. Mais le cœur bat trop fort de tous ses morts au secret, même le fil dénoué d’une narration trouée les entend encore.

    Dans le livre déjà cité, Tim Ingold, à propos de la lecture au Moyen Âge, évoque le souvenir comme un cheminement : « La mémoire doit donc s’entendre comme un acte : on se souvient d’un texte en le lisant, d’un récit en le racontant et d’un voyage en le faisant. […] un texte, un récit ou un voyage est un trajet qu’on accomplit et non un objet qu’on découvre. Et même si chaque trajet couvre le même terrain, chaque déplacement est unique. » 4 Françoise Ascal nous entraîne dans son cheminement. Les lignes de son grand-père Joseph, traces de sa vie, permettent de faire venir à la mémoire les fils liés à cette vie. Et chaque lecteur est renvoyé à lui-même et à sa propre tresse de vie.

    Dix poèmes, à la fin du livre, pour Noir-racine et le sème de l’obscurité agglutine les deux textes, c’est l’ombre vouée de la frontière entre l’enfance et l’âge adulte qui force – point. L’odeur de fermentation des fruits guide ces pages, elle actionne un temps qui fait surgir les êtres dans l’ombre. Silence. Ne se délivre pas la mémoire, en terre, elle bat. Ne débute pas (ni début ni fin : tout déborde).

    Obscurité dans la ferme, la tenue de deuil, noir des secrets et des non-dits : ces générations qui précèdent et dont nous ne savons rien. Et puis le noir des disparitions à venir.

    Ce qui a si bien noué ces fils de sorte qu’ils puissent ici réapparaître, c’est la force de l’amour, celui d’Élise et Joseph. Jamais Élise n’a voulu se remarier malgré les sollicitations, et Joseph a continué de vivre en elle. Amour encore, celui de Marthe pour un jeune homme à peine connu et mort à la guerre, jamais oublié lui non plus. Enfin l’amour d’Élise pour son fils dont l’éloignement est un sacrifice et puis celui de la narratrice pour sa grand-mère…

    Lignes et traces se tressent en fil de broderie, sillons des labours, lignes d’écriture, fil de laine du tricot, lignes courbes tracées par la faux, chemin de mémoire allant de trace en trace, de vie en vie, vies mêlées et enchaînées.

    Pour ces derniers poèmes, une ligne encore, les mots, pour « les soulever, un à un, avec précaution, comme on lève les pierres au fond de la rivière pour voir apparaître ce qu’on ignorait ». L’écriture, alors, contre ce noir, juste pour regarder en face et franchir.


    Isabelle Lévesque
    D.R. Texte Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes




    ________________________________
    1. Lignées, de Françoise Ascal, dessins de Gérard Titus-Carmel, éd. Æncrages & Co, 2012.
    2. Henri Bergson, L’Évolution créatrice, Presses Universitaires de France, collection Quadrige, 1941, p. 15.
    3. Tim Ingold, Une brève histoire des lignes, Éditions Zone Sensible, 2013, p. 152. Traduction de Sophie Renaut. Voir en particulier son schéma très éclairant de la p. 154.
    4. op. cit. supra, p. 27.








    Marie Alloy détail 2
    « Entendez-vous parfois le bruit d’une faux ?
    Une vibration dans l’air,
    Un bruissement de graminées qui chutent

    Est-ce l’aube ?
    Est-ce le crépuscule ? »
    (p. 56)
    Source








    Noir-racine 2





    FRANÇOISE ASCAL


    Francoise Ascal par Michel Durigneux
    Ph. © Michel Durigneux
    Source





    ■ Françoise Ascal
    sur Terres de femmes


    [longtemps j’ai mâché | vos grains de grès](extrait d’Entre chair et terre)
    [Carnet, 2004] (extrait d’Un bleu d’octobre)
    [Carnet, 2011] (autre extrait d’Un bleu d’octobre)
    Des voix dans l’obscur (note de lecture d’AP)
    [tu aurais voulu l’oublier] (extrait de Des voix dans l’obscur)
    Levée des ombres (note de lecture d’AP)
    Lignées (note de lecture d’AP)
    [Je ferme les yeux et laisse le mot venir] (extrait de Lignées)
    Mille étangs
    L’Obstination du perce-neige et Variations-prairie (lectures d’AP)
    Rouge Rothko
    16 juillet 1796 | Françoise Ascal, La Barque de l’aube | Camille Corot
    5-10 août 2017 | Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la page de l’éditeur consacrée à Noir racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Le Silence qui roule, le site de Marie Alloy




    ■ Autres notes de lecture (53) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





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