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Le 25 janvier 1896 meurt à Londres le peintre britannique Frederic Leighton, baron de Leighton of Stretton.
Fils d’un médecin réputé, Leighton reçoit une éducation classique soignée, complétée par de nombreux voyages en Europe. Formé par le nazaréen Steinle dont il suit l’enseignement pendant trois ans ― de 1849 à 1852 ―, Leighton étudie également à Rome ― de 1852 à 1855, puis à Paris. En 1855, Leighton réalise le fameux tableau intitulé Madone de Cimabue portée en procession à Florence. Cette toile, qui remporte aussitôt un très vif succès, assure au peintre une situation éminente. Leighton est l’auteur de toiles pour l’essentiel inspirées de l’Antiquité et de la Renaissance italienne : Hercule combattant la mort pour le corps d’Alceste (1871), Jardin des Hespérides (1892).
Cimabue Maestà de l’église Santa Trinità, 1280-1285 Détrempe sur bois, 385 x 223 cm Florence, Galerie des Offices Autre curieux synchronisme : la date de mort (1285) du roi Charles d’Anjou et celle de l’achèvement de la Maestà de Cimabue (1285). La présence de Charles d’Anjou à cette procession serait-elle pure invention de Giorgio Vasari ? Quoi qu’il en soit, il est plus que probable que cette procession triomphale du domicile du peintre vers l’église Santa Maria Novella, évoquée par Vasari dans ses Vite, ait plutôt concerné une toile de Duccio di Buoninsegna (peintre originaire de Sienne) dont la Madone dite Madonna Rucellai était en effet destinée à la chapelle Rucellai, dans l’église Santa Maria Novella de Florence. Commanditée le 15 avril 1285 par les recteurs de la Compagnie des Laudantes de Santa Maria Novella, la Madonna Rucellai, inspirée par la Maestà de Cimabue, fut longtemps attribuée à ce dernier. Cette légende « dorée » (ou imposture ?), inventée par Vasari pour glorifier Florence, sa ville natale, et qui a perduré bien longtemps après qu’un document eut identifié clairement la Madonna Rucellai comme œuvre de Buoninsegna, s’est perpétuée dans l’œuvre du peintre britannique. Persuadé d’avoir représenté la Madone de Cimabue ― à moins qu’il ne s’agisse d’une erreur volontaire ―, Leighton a intitulé son tableau Madone de Cimabue portée en procession à travers les rues de Florence. C’est pourtant bien la Madonna Rucellai de Buoninsegna qu’il a représentée sur sa toile. Duccio di Buoninsegna Madonna Rucellai, vers 1285 Détrempe sur bois, 450 x 290 cm Florence, Galerie des Offices Deux détails au moins permettent de l’affirmer. Derrière la Vierge, le feston dessiné par l’armature très ouvragée qui soutient les tentures ; sur les genoux de la Vierge, la position de l’enfant, bras droit tendu devant lui, sur la poitrine de la Vierge. Ces détails, très visibles sur la toile de Leighton, appartiennent bien à la Madonna Rucellai de Duccio di Buoninsegna et non pas à celle de Cimabue. Ce feston est absent de la Maestà de Cimabue. L’Enfant assis sur les genoux de la Vierge y tient son avant-bras replié sur sa poitrine. Et c’est la Vierge qui, de la main droite, montre l’enfant. Tableau dans le tableau, la Madone de Cimabue portée en procession à travers les rues de Florence est peut-être aussi une mise en abyme du peintre Leighton par lui-même. En mettant ostensiblement l’accent sur le peintre Cimabue (dont la notoriété dépassait celle de Duccio di Buoninsegna), Leighton n’a-t-il pas voulu se placer sous l’égide du célèbre peintre italien. Et tout en le reconnaissant comme son maître, en détourner sur lui, par effet de miroir, le talent et la gloire ? Angèle Paoli D.R. Texte angèlepaoli
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