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  • Gabriela Mistral  |  L’étrangère


         Mistral
        Image, G.AdC







                                  LA  EXTRANJERA


         A Francis de Miomandre


    ― « Habla con dejo de sus mares bárbaros,
    con no sé qué algas y no sé qué arenas;
    reza oración a dios sin bulto y peso,
    envejecida como si muriera.
    En huerto nuestro que nos hizo extraño,
    ha puesto cactus y zarpadas hierbas.
    Alienta del resuello del desierto
    y ha amado con pasión de que blanquea,
    que nunca cuenta y que si nos contase
    sería como el mapa de otra estrella.
    Vivirá entre nosotros ochenta años,
    pero siempre será como si llega,
    hablando lengua que jadea y gime
    y que le entienden sólo bestezuelas.
    Y va a morirse en medio de nosotros,
    en una noche en la que más padezca,
    con sólo su destino por almohada,
    de una muerte callada y
    extranjera. »



    Gabriela Mistral, Tala [Ediciones Sur *, Buenos Aires, 1938], Pehuén Editores Limitada, Santiago de Chile, 1986, página 87.



    * Tala a été publié en 1938 par Victoria Ocampo au profit des enfants espagnols.







                                      L’ÉTRANGÈRE


         À Francis de Miomandre.


    « Elle parle avec un arrière-goût de ses mers sauvages
    avec on ne sait quelles algues, avec on ne sait quels sables ;
    Elle prie un Dieu sans forme ni poids,
    Elle est vieille comme si elle allait mourir.
    Dans notre jardin, qu’elle nous rendit étranger,
    elle a planté des cactus et des herbes dentelées.
    Elle exhale le souffle du désert,
    ses cheveux sont blanchis par des passions
    qu’elle ne raconte jamais et, si elle nous les contait,
    ce serait comme la carte d’une autre étoile.
    Elle vivra parmi nous quatre-vingts ans
    et elle sera toujours comme l’heure de sa venue,
    parlant une langue qui halète et gémit
    et que seules comprennent les bestioles.
    Elle va mourir au milieu de nous
    une nuit qu’elle souffrira davantage,
    avec son destin pour unique oreiller,
    d’une mort muette, étrangère. »




    Gabriela Mistral, Saudade, in Tala [1938], Poèmes, édition bilingue, Éditions Gallimard, Collection blanche, 1946, pp. 24-25. Traduction et postface par Roger Caillois.







                                      L’ÉTRANGÈRE


         À Francis de Miomandre.


    « Elle parle avec son accent de ses mers barbares,
    avec je ne sais quelles algues et je ne sais quels sables ;
    elle fait sa prière à un dieu sans corps et sans poids,
    vieillie comme si elle allait mourir.
    Dans notre jardin, qu’elle nous a rendu étranger,
    elle a mis des cactus et des herbes griffues.
    Elle nous souffle l’haleine du désert ;
    elle a aimé d’une passion qui l’a blanchie,
    qu’elle ne nous raconte jamais et si elle nous la racontait,
    ce serait comme la carte d’une autre planète.
    Elle pourra vivre parmi nous cent ans,
    ce sera toujours comme si elle venait d’arriver,
    parlant une langue essoufflée et gémissante,
    comprise seulement des bestioles.
    Et elle va mourir au milieu de nous,
    une nuit où elle souffrira trop
    avec son seul destin pour oreiller,
    d’une mort sans bruit et étrangère. »




    Gabriela Mistral, Tala, in Poèmes choisis, Éditions Stock, 1946, page 121. Poésie traduite par Mathilde Pomès. Préface de Paul Valéry.





    GABRIELA MISTRAL


    Gabriela Mistral 1
    Ph. D.R.
    Source




    ■ Gabriela Mistral
    sur Terres de femmes

    La cendre
    Cordillera
    Désolation
    15 novembre 1945 | Gabriela Mistral, Prix Nobel de littérature
    → (dans la galerie Visages de femmes de Terres de femmes)
    un autre poème de Gabriela Mistral (Ausencia)



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  • Gabriela Mistral | La cendre



    LA CENDRE
    Ph., G.AdC





    LA CENIZA



    La ceniza es ligera y callada.
          La ceniza callada viuda del gayo fuego, que no brinca más con treinta piernas doradas y rojas; viuda del fuego-centauro, que siempre
    vencía tirando esparadazos azules. La ceniza sin fiesta, tumbada como la viuda hindú.
          La ceniza beguina, oración sin ímpetu, oración arrodillada sin un levantamiento de palabra en el pecho.
          La ceniza esposa del fuego, que lo cubría un poco como una mujer, para guardarlo en el tizón rosado.
          La ceniza gris, sin niguna voz para su pequeña derrota; con callada muerte de pobre.
          La ceniza clara, que deja la leña tierna, felpa de cariño, parecida a una mejilla de madre vieja, como el pliegue tibio que hace el cuello
    humano debajo del mentón, tibia también como una pequeña lagartija muerta que ya se voltea con la mano y no responde.
          La ceniza acre de la lengua que no quiere ser probada, áspera por voluntad de pureza, como la nuez.
          La ceniza que ayuda a la tierra fecundarse, hermana sin hijo que alimenta al otro.
          La ceniza buena de la muerte; un copo liviano sobre la boca que ya no avienta más. Buen sayal de muerte que cae sin pliegues de la cabeza a los pies, tan largo como se quiera, tan espeso como el corazón, para ensordecerse.
          La ceniza con su olor fuerte de substancia absoluta, sabe alejar de la carne tendida las hormigas largas de la muerte, la mosca grande de la muerte (1).


    Noviembre de 1926.




    Gabriela Mistral, Elogio de las cosas de la tierra, Editorial Andrés Bello, Santiago, 1979, pp. 76-77. Seleccion y prologo de Roque Esteban Scarpa.




    (1) Hay otra versión de la misma prosa, con variantes.






    LA CENDRE


    La cendre est légère et silencieuse.

          La cendre, veuve du feu joyeux, qui ne peut plus sauter sur ses trente jambes rouges, du Centaure aux mille lances toujours victorieuses, mais qui a dû finir par mourir… La cendre sans fête, anéantie comme la veuve hindoue.
          La cendre-béguine, oraison privée d’élan, prière sans mots qui s’élèvent dans le cœur : la Grise, incapable de tout cri dans son petit écroulement, avec sa mort muette de pauvre.
          La cendre claire qui fait le bois tendre, velours d’amour, pareille à la grande ride qui traverse le cou de la vieille mère, et tiède comme un oiseau qui vient de mourir mais qui se retourne encore et ne répond plus.
          La cendre des arbres amers, qui est âcre sur la langue, qui refuse d’être goûtée, rude par volonté de pureté.
          La cendre qui aide la terre à se féconder, la sœur sans enfant qui nourrit celui de l’autre.

       La cendre est légère et silencieuse.

          Bonne cendre de la mort : un flocon sans poids sur la bouche qui déjà n’évente plus rien. Bonne robe de bure qui tombe sans pli, de la tête aux pieds, aussi longue qu’on veut, aussi épaisse qu’on le désire, pour bien s’assourdir.
          La cendre, qui éloigne de la chair étendue la longue fourmi de la mort, l’affreuse mouche de la mort.




    Gabriela Mistral, Éloges des choses, in Proses, Poèmes choisis, Éditions Stock, 1946, pp. 181-182. Traduction de Francis de Miomandre. Préface de Paul Valéry.






    LA CENDRE



          La cendre est légère et muette.


          La cendre, veuve du feu joyeux, qui ne bondit que sur trente jambes dorées et rouges ; veuve du feu-centaure qui vainc toujours à coups d’épées d’azur. La cendre sans fête, gisante comme la veuve hindoue.

          La cendre-béguine, oraison sans élan, oraison agenouillée ― sans mots qui s’élèvent dans la poitrine.

          La cendre, épouse du feu qui le couvrait un peu comme une femme, pour lui garder un tison rosissant.

          La cendre grise, sans voix dans sa petite défaite, sa mort muette de pauvre.

          La cendre claire que fait bois tendre, velours de tendresse, pareille à la grande ride qui traverse jusqu’au menton le cou de la vieille mère ; tiède comme le petit lézard qui vient de mourir, et qui gît, ventre à l’air, sans plus répondre.

          La cendre âcre de la langue qui refuse d’être goûtée, rugueuse par volonté de pureté ― comme la noix.

          La cendre qui aide la terre à se féconder, la sœur sans enfant qui nourrit celui de l’autre.

          La cendre est légère et muette

          La bonne cendre de la mort : flocon sans poids sur la bouche qui n’évente plus rien. La bonne cendre de bure de la mort qui tombe sans pli de la tête aux pieds, aussi longue qu’on le veut, aussi épaisse que le cœur le désire pour bien s’assourdir.

          La cendre, qui, par sa forte odeur de substance absolue, éloigne de la chair étendue les longues fourmis de la mort, l’affreuse mouche de la mort.


    novembre 1926




    Traduction inédite de Denise Le Dantec.
    D.R. Denise Le Dantec pour Terres de femmes





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    Cordillera
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  • Gabriela Mistral | Désolation

    «  Poésie d’un jour  »



    Gabriela_mistral
    Image, G.AdC






    DESOLACIÓN


    La bruma espesa, eterna, para que olvide dónde
    me ha arrojado la mar en su ola de salmuera.
    La tierra a la que vine no tiene primavera:
    tiene su noche larga que cual madre me esconde.

    El viento hace a mi casa su ronda de sollozos
    y de alarido, y quiebra, como un cristal, mi grito.
    Y en la llanura blanca, de horizonte infinito,
    miro morir inmensos ocasos dolorosos.

    ¿A quién podrá llamar la que hasta aquí ha venido
    si más lejos que ella sólo fueron los muertos?
    ¡Tan sólo ellos contemplan un mar callado y yerto
    crecer entre sus brazos y los brazos queridos!

    Los barcos cuyas velas blanquean en el puerto
    vienen de tierras donde no están los que no son míos;
    sus hombres de ojos claros no conocen mis ríos
    y traen frutos pálidos, sin la luz de mis huertos.

    Y la interrogación que sube a mi garganta
    al mirarlos pasar, me desciende, vencida:
    hablan extrañas lenguas y no la conmovida
    lengua que en tierras de oro mi pobre madre canta.

    Miro bajar la nieve como el polvo en la huesa;
    miro crecer la niebla como el agonizante,
    y por no enloquecer no cuento los instantes,
    porque la noche larga ahora tan solo empieza.

    Miro el llano extasiado y recojo su duelo,
    que vine para ver los paisajes mortales.
    La nieve es el semblante que asoma a mis cristales:
    ¡siempre será su albura bajando de los cielos!

    Siempre ella, silenciosa, como la gran, mirada
    de Dios sobre mí; siempre su azahar sobre mi casa;
    siempre, como el destino que ni mengua ni pasa,
    descenderá a cubrirme, terrible y extasiada.


    Gabriela Mistral, Desolación, Nascimento, Santiago de Chile, 1923.





    DÉSOLATION


    La brume épaisse, éternelle, pour me faire oublier où
    m’a rejetée la mer dans son flot saumâtre.
    La terre où j’ai abordé n’a pas de printemps :
    sa nuit sans fin me couvre comme une mère.

    Autour de mon logis, le vent fait sa ronde de sanglots
    et de hurlements et, tel un fil de cristal, brise mon cri.
    Sur la plaine blanche, à l’horizon sans fin,
    je regarde mourir d’immenses couchants douloureux.

    Qui pourra appeler celle qui est venue jusqu’ici,
    puisque seuls les morts sont allés plus loin ?
    Ils regardent une mer muette et glacée
    s’allonger entre leurs bras et les bras chéris.

    Les bateaux dont les voiles blanchissent le port
    viennent de terres où ne sont pas les miens ;
    leurs hommes aux yeux clairs ne connaissent pas mes fleuves,
    et n’apportent que des fruits pâles, qui n’ont pas la lumière de mes vergers.

    La question qui monte à ma gorge
    lorsque je les vois passer, retombe, accablée :
    ils parlent des langues étrangères, non l’émouvante
    langue que, sur des terres dorées, chante ma pauvre mère.

    Je regarde tomber la neige comme poussière dans la tombe ;
    je regarde s’épaissir le brouillard comme l’agonisant,
    pour ne pas tomber dans la folie, je ne compte pas les instants ;
    la longue nuit ne fait que commencer.

    Je contemple la plaine figée et en recueille le deuil,
    car je suis venue voir les paysages de mort.
    La neige est le visage qui regarde à travers mes vitres,
    sa blancheur descend sans trêve des cieux.

    Toujours elle, silencieuse, ainsi que le vaste
    regard de Dieu sur moi, toujours ses jasmins sur mon toit ;
    toujours, tel le destin égal, présent,
    elle viendra me couvrir, terrible, extasiée.


    Gabriela Mistral, Poèmes choisis, Éditions Stock, 1946, pp. 80-81-82. Préface de Paul Valéry. Traduction de Mathilde Pomès.





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    La cendre
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