Étiquette : Gabrielle Althen


  • Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte

    par Isabelle Lévesque

    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte,
    Éditions Al Manar, 2015.
    Encres de Jean-Gilles Badaire. Postface de Gabrielle Althen.



    Lecture d’Isabelle Lévesque


    Ce que nous ne trouverons jamais reste ouvert : quelque chose le souffle et le cache. Nous entrons dans le livre de Lionel Jung-Allégret par les encres sombres de Jean-Gilles Badaire : une ligne s’incline, courbe l’espace d’une douceur de brindilles, dessinant un chemin, le bruissement du vent dans les feuilles, mimétique du titre, une promesse qui s’accomplira peut-être.

    Des trois épigraphes, je retiendrai le verbe « hanter » de Christian Doumet, assurément l’un des fils de Derrière la porte ouverte dédié aux ascendants, père mère, venus établir dans le texte une trace familiale en devenir.

    Dans le livre alternent deux voix. La première, celle du « je », est imprimée en caractères romains pour des poèmes numérotés de 1.1 à 1.5. Chaque texte, à l’exception du dernier, commence par « Derrière la porte ». La seconde voix répond à la première, ce « tu » auquel elle s’adresse, elle est imprimée en italiques. Elle commente et décrit les dires, les pensées et les actions de la première instance. Ces poèmes sont eux-mêmes numérotés de 2.1 à 2.4. Dans la mise en musique réalisée par Grégoire Lorieux 1, c’est l’auteur qui dit le poème 1.1 et une actrice le 2.1. Puis les deux voix interviennent de façon plus complexe, parfois en écho, en arrière-plan. La voix italique et la romaine semblent constituer des voix intérieures.

    Le vers liminaire, détaché, « Derrière la porte ouverte », donne son titre au livre, immédiatement assimilé à l’adjectif « étrange ». Paradoxale, la trace, polysémique peut-être, elle est source d’une émotion tour à tour douloureuse ou féconde. Indicible, on l’éprouve dans le chant anaphorique des intensifs :


    « tout est si étendu

    si infime

    tout est si étrange. »


    Par homophonie, on entend l’écho de la conjonction hypothétique dans cet adverbe intensif.

    Étonnante attaque du titre déjouant l’attente : « derrière la porte fermée » ? Non, elle est ouverte. Cet espace qui s’ouvre, « infime » et « étendu », est celui des paradoxes. Nous lirons plus loin :

    « Derrière la porte ouverte

    il y a une infinité de portes qui battent »


    ou encore :


    « Ne croyez pas que des portes s’ouvrent

    ou que des portes se ferment »


    Autre paradoxe. La porte ouverte et la porte fermée sont une. Deux espaces-temps coexistent, comme la physique quantique, mentionnée en première épigraphe2, le laisse supposer.

    Est-ce la « porte logique » 3 de l’ordinateur quantique ? Ou la porte de l’Enfer que franchit Dante ? Ou celle découverte par Alice, si petite qu’elle ne peut y passer, alors qu’elle voit derrière elle un merveilleux jardin ? Pays des Merveilles, apparemment, mais pour l’atteindre, il faut changer d’état.

    Giordano Bruno, dans un dialogue entre Albertino et Filoteo, qui est son porte-parole, écrit : « Débarrasse-nous des moteurs extrinsèques ainsi que des bornes de ces cieux. Ouvre-nous la porte par laquelle nous voyons combien notre astre ne diffère en rien de tous les autres. […] Fais-nous clairement comprendre que le mouvement de tous ces mondes procède de l’impulsion de l’âme intérieure, afin qu’illuminés par une telle contemplation nous puissions progresser à pas plus sûrs dans la connaissance de la nature. » 4 Giordano Bruno enseignait ici que la Terre tourne autour du Soleil, que les étoiles sont centres d’autres mondes, que l’univers donc s’avère infini. La porte qu’il ouvre est celle de la connaissance, celle de l’univers, de l’espace et du temps. (L’ouverture de cette porte le conduira au bûcher en 1 600.)

    Quand elle est ouverte, la porte permet le passage d’un espace à un autre. Derrière la porte ouverte du livre de Lionel Jung-Allégret, nous pénétrons dans la chambre d’hôpital ou bien l’espace mortuaire où gît la mère, puis dans le four aux « portes d’acier » réservé à la crémation. C’est aussi une porte derrière laquelle se trouve un savoir inaccessible.

    Que reste-t-il de si fragile et pénétrant qui disparaît « comme si l’on ne savait pas / que nous ne verrions rien » ? L’intensif et la condition, inatteignable, se joignent, situant le livre d’emblée sous le signe de l’insoluble.

    C’est donc dans un double mouvement d’amoindrissement et d’extension par la pensée qu’officie le poète de Derrière la porte ouverte.

    L’altérité pourrait-elle enfreindre la fatalité ? « Peut-être arriveraient un autre feu / ou la cendre d’une autre chair ». Les premières pages semblent vouloir puiser dans la répétition de syntagmes identiques une source, le participe présent portant la durée rédemptrice envisagée dans son processus, lent, récurrent. Marqué par l’effort ou l’inanité ? Seuls changent les compléments du nom (« naissant d’un reste d’algues », « d’un reste de soleil ») comme autant de possibles envisagés mais qui risquent de ne pas aboutir (à la vie), les interrogations en témoignent qui se multiplient en « [p]romesses jamais offertes ».

    Pour les mères, le chant, le sanglot « dans les matins blanchis », l’adresse « ô mère », alors qu’elles ouvrent le monde « derrière la porte » ou dans l’horizon qui porte déjà la blessure de la mort annoncée car, « derrière la porte ouverte », maintes blessures, recluses, vont apparaître dans le jour. Vestiges de douleurs passées comme celles, présentes et terribles, que porte la vie en ces énumérations introduites par « il y a », formulation d’un présent éternel qui ne peut que s’ouvrir en laissant paraître la souffrance. Les accumulations accentuent l’effet de prolifération sans fin des douleurs engendrées par la vie, la conjonction « et » ne les clôt pas. Le « je » que le poète avance est personnel et universel, témoin, auquel se confronte ce « tu » invoqué, mère ou l’autre qui souffre, perméable et exposé sans fin. Des parallèles s’établissent : les lignes de l’électrocardiogramme et « quelques lents calques de falaise », comme si la douleur humaine et le monde se reflétaient en un écho sans fin.

    Les encres de Jean-Gilles Badaire portent les traces de cette douleur : branches devenues de longues lignes courbes autour d’un espace ouvert sur des avancées et des reculs, ombres tacites dans la figuration du cri que le livre répète.

    Comment ce cri pourrait-il entrer dans la musique ? Vibre-t-elle encore lorsque le corps ralenti qui se meurt peut-être recule ? La porte ouverte laisse-t-elle les sons nous atteindre alors ? Le poète voyant depuis un point éloigné de la terre, dans une projection cosmique, entend une « mesure précise », « le chant de l’invisible » :


    « Je vois ce qui est dur

    dans l’oscillation des ondes »


    Quelque chose résiste, « ellipses d’abord », qui fera naître « un instant d’eau / dans l’éternité » car le temps se répare en devenant éternel et des échos prophétiques nourrissent les vers, « cendre bleue » sidérale et féconde.

    Guillaume Apollinaire percevait dans le fleuve « [d]es éternels regards l’onde si lasse » et écrivait : « Comme la vie est lente / Et comme l’espérance est violente ». Lionel Jung-Allégret nous décrit « [u]n monde plus lent que la vie. // Et les mots qui l’accompagnent / sont lents aussi. » L’autre voix parlera de « l’obscénité de l’espérance » face au vide entrevu. Espérance vaine comme celle de ce paysan de Kafka5 qui reste assis pendant des années à côté de la porte ouverte qu’il voudrait pourtant franchir. C’est la loi du temps, si difficile à penser.


    « Des mots amputés

    fracturés par ce qu’ils ne savent nommer

    des mots pour les lieux trop brefs

    des mots dont la couleur insaisissable

    crève les yeux

    et d’un langage obscur voile l’obscurité de la mort. »


    Une porte est ouverte sur des espaces et des temps autres, la référence aux expériences et aux spéculations de la physique quantique est manifeste. Seuls des mots blessés et défaillants peuvent les esquisser dans l’incertitude et l’indécision.


    En deux millions d’années pour l’humanité, combien de mères disparues, donnant la mort avec la vie, combien d’enfants les attendant sur le seuil ?


    « Ô mères aux corps abrupts de soleil

    aux corps de sols et de tombeaux ».


    Et si l’on envisage encore plus loin la formation de la terre, il y a 4,45 milliards d’années :


    « Je vois la matière profonde des limons

    jaillir du néant

    et de sa mesure précise. »


    « Je » et « tu » distinctement se lient pour entendre le ciel et la Terre, dans une arche que la musique crée. Mère perdue, retrouvée en ce chant, à « [l]’embrasure ». Le bleu alors traverse et perce, la fin du livre nous l’offre comme une main tendue sur le vide où résonnent quelques notes :


    « J’entends des murmures

    derrière les cordes du silence. »


    On peut lire le lexique emprunté à la musique comme dissocié du contexte monolithe de la perception visuelle, corde également tendue vers l’autre perdu que l’on peut atteindre : le futur ouvert, porté par un arbre, le vent entre soi et « [u]n corps dans la terre » qui s’ouvre à l’inconcevable musique de l’éternité.



    Isabelle Lévesque
    D.R. Texte Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes




    ________________________________
    1. L’Autre Côté du ciel (2014), pour quatuor vocal et électronique, de Grégoire Lorieux — sur un poème de Lionel Jung-Allégret lu par l’auteur et par Martine Erhel. Création en septembre 2014, Église des Billettes, Paris — avec l’Ensemble Regards, dir. Julien Beneteau. On peut entendre l’œuvre sur le site du compositeur :
    https://gregoirelorieux.net/gregoire_lorieux_compositeur/Works/bydate/2014-1.html
    2. « Les physiciens ont utilisé deux modèles pour théoriser le monde, l’onde et le corpuscule. Mais il a fallu renoncer aux images traditionnelles : les constituants ultimes de l’univers ne sont pas réductibles aux métaphores classiques. » Sven Ortoli et Jean-Pierre Pharabod, Métaphysique quantique, Éditions La Découverte, 2011.
    3. Métaphysique quantique, id. page 96.
    4. Giordano Bruno, L’Infini, l’Univers et les mondes (1584), Éditions Berg International, 1987. Traduction de Bertrand Lebergeois.
    5. Kafka, Le Procès, ch. IX, « À la cathédrale », page 453, in Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, tome I, Éditions Gallimard, 1976. Traduction d’Alexandre Vialatte.






    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte





    LIONEL  JUNG-ALLÉGRET


    Lionel_jung-allegret




    ■ Lionel Jung-Allégret
    sur Terres de femmes

    [Écris ce que tu sais] (poème extrait de Ce dont il ne reste rien)
    [Derrière la porte ouverte] (poème extrait de Derrière la porte ouverte)
    [J’ai vu les grandes digues au loin] (poème extrait d’Écorces)
    [Je regarde l’arbre dressé] (autre poème extrait d’Écorces)
    [Je suis celui qui cherche des secrets] (poème extrait d’Un instant appuyé contre le vent)
    Parallaxes (lecture d’Angèle Paoli)
    [Il restait dans la lumière des grandes voiles affalées] (poème extrait de Parallaxes)
    Un instant appuyé contre le vent (lecture d’Angèle Paoli)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Al Manar)
    une page sur Derrière la porte ouverte de Lionel Jung-Allégret




    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





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  • Lionel Jung-Allégret | [Derrière la porte ouverte]




    Derrière la porte
    Ph., G.AdC






    [DERRIÈRE LA PORTE OUVERTE]




    Derrière la porte ouverte


    il y a le vent qui mugit
    et des bouches affamées
    dans le ventre nu des bêtes.


    Il y a des cris d’oiseaux
    des voix ignorées dans la calcination des rumeurs
    et des arbres noirs qui ploient comme des glaciers
    à l’horizon


    des torses sans vie
    que traverse la lumière froide.






    Il y a le cri du silence
    qui porte le souffle du temps


    et des corps vivants
    qui brûlent dans une musique immense


    et dans la torche des corps
    d’autres corps
    qui ne verront jamais le jour.






    Derrière la porte ouverte
    il y a une infinité de portes qui battent.


    Il y a la nuit



    et le souffle inquiet des hommes
    comme une falaise qui se lève
    dans un jour sans lumière.



    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte, Éditions Al Manar | Alain Gorius, 2016, pp. 38-39-40. Encres de Jean-Gilles Badaire. Postface de Gabrielle Althen.






    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte





    LIONEL  JUNG-ALLÉGRET


    Lionel_jung-allegret




    ■ Lionel Jung-Allégret
    sur Terres de femmes

    [Écris ce que tu sais] (poème extrait de Ce dont il ne reste rien)
    Derrière la porte ouverte (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [J’ai vu les grandes digues au loin] (poème extrait d’Écorces)
    [Je regarde l’arbre dressé] (autre poème extrait d’Écorces)
    [Je suis celui qui cherche des secrets] (poème extrait d’Un instant appuyé contre le vent)
    Parallaxes (lecture d’Angèle Paoli)
    [Il restait dans la lumière des grandes voiles affalées] (poème extrait de Parallaxes)
    Un instant appuyé contre le vent (lecture d’Angèle Paoli)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Al Manar)
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  • Shakespeare | [What light is light]



    [WHAT LIGHT IS LIGHT]




    What light is light, if Silvia be not seen? / What joy is joy, if Silvia be not by? / Unless it be to think that she is by / And feed upon the shadow of perfection. / Except I be by Silvia in the night, / There is no music in the nightingale; / Unless I look on Silvia in the day, / There is no day for me to look upon. (VALENTINE — TGV 3, 1) *




    La lumière est-elle lumière si Silvia n’est plus visible ? La joie est-elle la joie si Silvia n’est plus là, à moins que je ne puisse penser qu’elle est auprès de moi et me nourrir de l’ombre de ses perfections ? Si je ne suis pas près de Silvia la nuit, le rossignol est privé de musique. Si je ne vois pas Silvia le jour, il n’est pas de jour que je puisse regarder.



    Shakespeare in Ainsi parlait Shakespeare, Dits et maximes de vie choisis et traduits de l’anglais par William English et Gérard Pfister, édition bilingue, Arfuyen, Collection Ainsi parlait, 2016, pp. 36-37. Préface de Gabrielle Althen.





    ______________________
    * TGV = Les Deux Gentilshommes de Vérone : The Two Gentlemen of Verona






    Ainsi parlait Shakespeare





    SHAKESPEARE



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    la fiche de l’éditeur sur Ainsi parlait Shakespeare





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  • Gabrielle Althen, Soleil patient

    par Matthieu Gosztola

    Gabrielle Althen, Soleil patient,
    Arfuyen, Collection Les Cahiers d’Arfuyen n° 225, 2015.



    Lecture de Matthieu Gosztola




    « Ce livre, même s’il dit aussi la complexité ordinaire de l’expérience existentielle, voudrait évoquer un trajet, avance l’auteure dans un éclairant « En guise d’argument ». Un trajet qui aille du gris, peut-être erroné, du moment à quelque visite furtive du meilleur. Trouver manque, son premier titre, était une expression de ma mère. Bretonne, transplantée en Algérie, elle pouvait dire qu’elle trouvait manque des ciels mobiles de sa Bretagne natale. La langue lui eût permis de dire tout simplement qu’elle en manquait. Mais l’expression – venue d’où ? – qu’elle employait, dans le paradoxe qu’elle institue entre le fait de trouver et celui de manquer, possède un caractère actif qui me touche. Il y a une initiative dans trouver manque. Falloir, le second titre, correspond à une autre initiative. Celle de répondre. Continuer et se battre pour secouer la grisaille ? Sans doute. Bien davantage cependant s’appliquer, comme on entretient un feu, à mériter son désir. »

    « [L]a poussière […] commençant à nos cœurs », la peine, la douleur apparaissent bien en premier (mais c’est pour que puisse avoir lieu – ensuite – la consolation) : « Choses noires avec choses blanches / Dans l’heure qui se tourmente / Le monde debout près de la peur […] ». « Tu appartiens à ta douleur ». « [A]imes-tu encore ton corps qui se délabre ? » « Il n’y a là aucun salut / C’est un oubli de la lumière ! »

    « La lumière est certaine mais elle est en voyage ». Quelle posture adopter, en conséquence ? Faire pousser des ombres ! « Je traversai la vitre et me baignai dans la couleur / Dans le jardin je fis pousser des ombres ». « Que la couleur me pardonne / J’ai fait pousser des ombres ! » « J’avais besoin de fleurs ». « J’étais venu pour du lilas ». « On a coupé tous les lilas ».

    « Le soleil dort encore / Et la fleur tient son cœur ». Puis la lumière paraît, cette enfant. « Dans les bois de la lumière, marche un ange à la rencontre du moment, sceau sur le jour qui fléchit, sourire à l’ombre dans l’inattendu que d’aucuns croient blessure. » « Les pentes sont très douces et la clarté aussi ». « Amen dit la lumière de la lumière ». « Car chacun, vois-tu, habite son ogive. Malgré l’ombre, une musique s’y concentre et des soleils s’entrecroisent. On cherche des accords. Sans murmures, rayonnement pour rayonnement, le tout reste secret. »

    Des larmes à la joie, des larmes au mystère : vivre ce trajet intérieur, jusqu’à l’amour (« Repère les crissements de la neuve aventure, et si parfois l’espace manque, c’est que le cœur y est futur. » « La limpidité n’épelle pas ses chemins, bien que les signes ni ne manquent ni ne mentent. Vous parcourrez ainsi beaucoup de passerelles, puis ce sera l’amour. »)

    Cela nous est possible grâce à la parole poétique (qui est notre « imperceptible clef de voûte »). Grâce à ce feu. Grâce aux doigts fous, amoureux, du vent (notre sensibilité), qui jouent, tendres, dans la chevelure de ce métaphorique (mais non moins vécu) feu.

    Si le feu qu’est la parole poétique est vécu, c’est parce qu’il n’est pas donné. Il est à construire. C’est-à-dire à recevoir (activement), avec une disposition d’accueil de tout l’être, avec une écoute sans limites données à la profondeur de cette dernière. « Nous avions il est vrai revêtu d’implacables prisons / Dans l’anfractuosité de nos phrases banales ». « Il n’y a pas encore de mots à l’horizon. » « Un mot / Pour attirer la foudre / Dans le gris sans éperons du moment ». « Des perles manquent au chapelet de la parole ». « J’ai prié / Pour que / Chaque jour la parole m’éveille ».

    Cette parole poétique, Gabrielle Althen (dont il faut lire également les très beaux essais que sont Proximité du Sphinx, Intertextes, 1991 –, Dostoïevski, le meurtre et l’espérance, Le Cerf, 2006 – et La Splendeur et l’Écharde, Corlevour, 2012), Gabrielle Althen l’abreuve au moyen (la liste n’est point exhaustive) de la mythologie, de l’Antiquité, des contes, d’une forme réinventée de la ballade, d’allusions faites à Rimbaud (« Autres saisons, autres châteaux. », « Au-dessus de la chance perdue des saisons de l’offense, la danse surélevant ses lignes où des ponts se parlaient. »…) ; elle l’abreuve et l’ouvrage (écrire : « nous étions la table où s’enfante le jour » ; « [l]a liberté fut nue sur la table du jour ») en se servant des outils de haute valeur et fort difficiles à manier que sont la formule (sa justesse, sa précision) et la beauté onirique, imprécise du rêve, se situant ainsi bellement, et de frappante manière, en ce recueil, à mi-chemin entre René Char (qu’elle a connu dès 1974) et Georges Schehadé.




    Matthieu Gosztola
    D.R. Texte Matthieu Gosztola
    pour Terres de femmes







    Gabrielle Althen, Soleil patient 2




    GABRIELLE ALTHEN


    Gabrielle Althen
    Source



    ■ Gabrielle Althen
    sur Terres de femmes

    Soleil patient (note de lecture d’Isabelle Lévesque)
    Corps à corps (poème extrait de Soleil patient)
    La Cavalière indemne (note de lecture d’AP)
    L’isole (extrait de La Cavalière indemne)
    Sans titre
    Vie saxifrage (extrait)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Une fois le gris devenu l’autre versant du bleu
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un poème extrait de Vie saxifrage



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    la page de l’éditeur sur Soleil patient
    le site personnel de Gabrielle Althen
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Gabrielle Althen
    → (sur La Pierre et le Sel)
    Gabrielle Althen, entre splendeur et écharde






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  • Gabrielle Althen, Soleil patient

    par Isabelle Lévesque

    Gabrielle Althen, Soleil patient,
    Arfuyen, Collection Les Cahiers d’Arfuyen n° 225, 2015.



    Lecture d’Isabelle Lévesque




    La pierre résiste au vent impérieux,
    mais cède au pied patient.

    Albert Camus
    1



    Quelle initiale pour le premier poème ? Le « mot », matière et magie, « [p]our attirer la foudre » ? Quelque chose à rompre par l’éclat, le gris sur ce socle de parole où manque quelque chose qui n’est pas nommé mais que « L’épée », titre d’un des premiers poèmes, pourra peut-être fendre de son tranchant salvateur ? « [D]ans le temps sans paroles », il faut pénétrer, (en) découdre, trouer, faire briller sa lame et, d’estoc ou de taille, traverser le gris.

    Tout commence sous le signe des épines, « [t]e voilà écorché ». Par cette écorchure passe la lumière et le mouvement sera déclenché par l’impératif « danse » répété quatre fois, cerclé ou auréolé de ce que ce verbe engendre : le poème.

    Le livre est constitué de trois parties, le sens apparemment paradoxal de la première, « Trouver manque », est expliqué par l’auteur en fin de volume (« En guise d’argument »). « [U]ne expression de ma mère », nous confie-t-elle, Bretonne allée en Algérie loin du ciel changeant du pays : elle instaure le manque comme fruit d’une action ou plutôt aboutissement d’un processus qui n’est pas vain. Trouveur, celui qui cherche en la langue une source que le poème accomplit. L’emploi de l’impératif régulier confirme la démarche volontaire d’un sujet, de « [l’]enfant pesant comme un caillou / Sur le chiffon des choses / Et ce n’est que le vent sur la ville sans toits / Son cri à l’unisson / Et le mot qui grandit sur ce morcellement ». Émiettement qui grandit, fragments multipliés pour le « mot du monde », cela « s’écrit lentement ». Les poèmes courts et longs alternent, comme le vers (majoritaire) et la prose :

    « Des perles manquent au chapelet de la parole ».

    Ce qui se passe, en suite logique, « [e]t le gris va au gris sans laisser de sillage », placé sous le signe du morcellement et du manque, il diffracte le temps, les mots en appellent d’autres, « forêt verte » et « vertèbres », l’arbre devenu personne humaine, tandis que les « épines » de la mer côtoient « [u]n liseron béant ». L’homme, lié à l’espace infini, s’accroche aux parois, fines écorces, marquées par l’effroi, le temps réduit au silence « des vieux châteaux de craie ». Manquent le commencement, l’augure pur et sa portée libre inclinée vers la promesse mais « [l]e moment se referme », les courtes proses envisagent le constat démis, l’impossible accru :

    « L’incroyable t’aura touché la main, puis il est reparti, sans laisser de restes. »

    Constat, langue d’éviction alternant le temps d’une projection caduque, futur antérieur, et celui du passé : fermeture de la faille où passait la lumière.

    Si les « phrases noires » « ne donnent pas d’ombre », l’espoir (espérance ?) subsiste là où « irradient des feuilles mortes », liées à la mémoire oubliée de ce qui fut un. Glissement d’un mouvement vers une sensation : vol des brindilles puis leur bruit, comme si la perméabilité du monde autorisait les transferts (les suscitait). Au milieu, « je », instance d’écriture mais aussi personne au monde qui voit ses défaillances, son tremblement. L’analogie fonctionne comme révélateur et laisse une présence immanente. Toutefois « [l]e sens gît à terre / Mais il ne se voit pas », comment le dévoiler ? La mémoire offre un accès mais « [o]n croit l’histoire tombée / Fond de puits ou bien vide prolixe ? » Où trouver quand cherche encore Ulysse, aidé par les étoiles (ont-elles manqué ?) ? Le nom fait-il foi dans la quête et le retour vers le lieu ? Le chemin n’est-il pas sa propre réponse quand Personne écarte l’assaut d’une possible vengeance ?

    La craie à la trace effaçable apparaît dans des contextes différents : auprès des corps nus avant le baiser, elle éloigne, comme un bâton de pluie, la durée cruciale et la discorde. En perpétuelle osmose ou conversation, l’abstrait et le concret se rencontrent sur le socle du questionnement : « l’absolu rit depuis sa robe nue », des siècles de langue ou de faits glorieux traversent le poème pour fixer en ce « soleil patient » les repères évanouis mais incontournables de la mémoire. La musique les éveille comme la fable, ou le « mot » du poète repris du premier poème. Les compléments du nom assoient l’alliance entre l’invisible, ou l’idéal, ou l’abstrait, et les parties du corps ou les objets, « la main du poème ».

    Le titre de la seconde partie, « Falloir », est un infinitif, celui de la nécessité absolue, de la volonté surtout qui fait agir et entreprendre pour fermer ou traverser la faille. Ce verbe, doublet de « faillir » est issu du latin populaire « fallire » qui signifie « faire défaut ». Le manque y est inscrit.

    Des vers courts présentent une suite d’actions au passé récent des constats, sans autre complément que l’essentiel et minimal :

    « Tu as bu ton café

    Tu as fermé le gaz

    Rangé ta chambre

    Et rassemblé tes feuilles ».

    Départ sans fin, solitude et la vieillesse mesurée au corps abîmé :

    « Les épaves rouillent ainsi devant l’oubli ».

    Le vent garant traverse les poèmes, peut-être assure-t-il la pérégrination constante du cœur ou du geste salvateur et fécond qui fait du gris une durée limitée. Parenthèses nombreuses (ou tirets), commentaires ou l’écho affirmé d’une voix consciente de ses actes, prosopopées successives, le « je » se déplace :

    « Je ne suis pas à ma place dans l’abri de mon cœur ».

    Le verbe « falloir » en son subjonctif, « qu’il y faille », répété, fait entendre le nom commun de l’interstice ou de la fragilité avouée, grise et persistante. Vie florale (la rose) ou le bleu pour percer cette brume indécise, en italique :

    « Le jour qui se déplace n’attend personne
    Et fait rouler dans le soir ses éponges d’air bleu ».


    Incantation, le poème prend appui sur des mots redits : assise, affermir la voix avant de poursuivre. Rien n’est sûr (gris seul), la note rejouée favorise le vol, le vent portant sa mélopée dans « la déperdition des rues ». C’est peut-être la possibilité de lier le monde aux hommes, le lien naturel perdu se lit à travers ce refrain, parfois des anaphores (« Volonté » en tête de vers), qui établit une continuité :

    « Étourdis, étourdis que nous sommes ! »

    comme se répondent les mots aux sonorités différentes mais dont le sens, proche, faisant référence à un même domaine (la cassure, les tessons…), assure dans le tissu du texte la présence d’un fil sémantique formant écho lui aussi, ici le tranchant, déjà présent au début du texte. La douceur possible est démentie par la nécessité de la coupure établie tel un passage nécessaire vers vivre et écrire, « interstice », « porte précaire » : « Et bleu sur brun », le temps de l’apparition.

    « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience » 2, affirmait René Char. Or ce qui vient ici mérite la plus grande patience. Il interrogeait aussi : « Comment montrer, sans les trahir, les choses simples dessinées entre le crépuscule et le ciel ? » 3 Les « trous dans les nuages », l’« épiphanie de l’interstice » permettent d’envisager l’envers du gris. Il faut le vouloir, longuement. Il faut beaucoup de patience. « À l’aurore, armés d’une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes » 4, annonçait Arthur Rimbaud. À l’« homme-roi » des villes, ce roi pauvre au « corps éclairant », mais « précaire », le poète demande : « Comment, comment vous reconnaître ? »

    Il est établi que le soleil est né voici plus de quatre milliards et demi d’années, il lui resterait encore plus de temps avant de s’éteindre. Et, parmi toutes les étoiles que nous regardons, beaucoup sont éteintes : obstination de cette lumière. Dans l’avant-propos à sa Belle Mendiante, Gabrielle Althen expliquait ce qu’elle doit à René Char pour son apprentissage de la patience : « Ainsi le patron me fut-il définitivement légué de la patience devant l’œuvre à prononcer et du rassemblement d’énergie nécessaire à la parole à naître. » 5


    Troisième partie, « Le troisième jour », « un peu de vocation lui tenait encore aux doigts », « [l]e ciel pour fleur qui se peut couper ». Vient le temps de conciliation, de résurrection :

    « Ah ! Qu’il faille aimer le jour parce qu’il est le jour ! »

    Entendue autrement, la « faille » au subjonctif de l’accomplissement désiré, miraculeux et évident propose une lecture apaisée du chemin parcouru. Signes de semence, temps d’une résolution des contraires :

    « Tu es ma consternation et ma consolation

    Tu es ma colère et mon rire ».

    On pense au titre actif de la première partie, « Trouver manque », la rose et le bleu fossoyeurs du gris reconnu, la floraison s’annonce. L’impératif relaie le mode précédent, « [m]ontre-moi », ordonne trois fois le narrateur en ses forces retrouvées et certaines, « [u]ne fois le gris devenu l’autre versant du bleu » 6.

    Un poème, « Köchel 467 », propose en exemple le Concerto pour piano n° 21 de Mozart, dont Gabrielle Althen aime la « distance tendre » 7. Le mouvement lent (andante) de cette œuvre laisse percer l’angoisse, dans un climat de mélancolie :

    « Un pas plus loin nous savons bien que c’est le drame

    Avec le sol qui craque au-dessus de la mort

    Et moi qui comprends si peu comment va la lumière

    En tremblant je m’en vais avec elle jusqu’au dernier accord

    Qui déjà m’avait tout pardonné ».

    Mais avec Mozart, « tout finit dans l’allégresse », remarque Gabrielle Althen, et le troisième mouvement du concerto est un allegro vivace assai. René Char, dans un poème assez sombre de 1978, déplorait « l’entrain de l’obéissance » auquel « la plupart des hommes sont voués », mais il concluait : « Nous n’avons cessé d’assister à cela. Charme bizarre : sans renoncer à l’espoir ! »8

    Espérance, vertu « la plus difficile »9, selon Charles Péguy. Elle est à l’œuvre ici.

    Temps des mots exaucé pour l’écrivain silencieux qui tente enfin de « recomposer tous ces morceaux », hors le gris, passé. Voici le bleu :

    « Les veines de Dieu courent sur la mer

    Des mots s’écrivent que l’eau noue et délace

    L’esquif tente sa grâce

    – Un bleu pensant posé sur la peau nue ».



    Isabelle Lévesque
    D.R. Texte Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes




    ________________________________
    1. Albert Camus / René Char / Henriette Grindat, La Postérité du soleil, Gallimard, 2009
    2. René Char, Fureur et Mystère, Éditions Gallimard, 1962
    3. La Postérité du soleil, op. cit.
    4. Arthur Rimbaud, Une saison en enfer – « Adieu »
    5. Gabrielle Althen, La Belle Mendiante suivi de Lettres à Gabrielle Althen de René Char, Éditions L’Oreille du Loup, 2009
    6. On lira une autre version de ce dernier poème de Soleil patient dans l’anthologie poétique Terres de femmes de Terres de femmes
    7. Gabrielle Althen parle de Mozart dans l’émission : Au singulier – France Culture – 26/06/2015.
    8. René Char, Fenêtres dormantes et porte sur le toit, Éditions Gallimard, 1979
    9. Charles Péguy, Le Porche du Mystère de la Deuxième Vertu, 1911






    Gabrielle Althen, Soleil patient 2




    GABRIELLE ALTHEN


    Gabrielle Althen
    Source



    ■ Gabrielle Althen
    sur Terres de femmes

    Corps à corps (poème extrait de Soleil patient)
    Soleil patient (lecture de Matthieu Gosztola)
    La Cavalière indemne (note de lecture d’AP)
    L’isole (extrait de La Cavalière indemne)
    Sans titre
    Vie saxifrage (extrait)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Une fois le gris devenu l’autre versant du bleu
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un poème extrait de Vie saxifrage



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    la page de l’éditeur sur Soleil patient
    le site personnel de Gabrielle Althen
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Gabrielle Althen
    → (sur La Pierre et le Sel)
    Gabrielle Althen, entre splendeur et écharde




    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Ici (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris






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  • Gabrielle Althen | Corps à corps




    CORPS À CORPS



    Souffre de ton angoisse comme d’une fable
    Et sois tendre avec le superbe ennui

    Ossip Mandelstam



    S’est posé sur le tapis au milieu de la chambre
    Le temps rond comme une pomme
    L’étoile avait perdu son fard
    Et nous très nus au moment du baiser
    Malgré notre désir d’applaudir
    Nous étions immobiles tous deux
    Ce temps de craie nous faisant face
    La grosse pomme posée sur le tapis
    Sans entrelacs le temps
    La porte torse
    Présent sans bras
    Et craie à remuer
    ― L’évasement de la personne !




    Gabrielle Althen, « Trouver manque » in Soleil patient, Arfuyen, Collection Les Cahiers d’Arfuyen n° 225, 2015, page 31.






    Gabrielle Althen, Soleil patient 2




    GABRIELLE ALTHEN


    Gabrielle Althen
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    ■ Gabrielle Althen
    sur Terres de femmes
    Soleil patient (lecture de Matthieu Gosztola)
    Soleil patient (note de lecture d’Isabelle Lévesque)
    La Cavalière indemne (note de lecture d’AP)
    L’isole (extrait de La Cavalière indemne)
    Sans titre
    Vie saxifrage (extrait)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Une fois le gris devenu l’autre versant du bleu
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un poème extrait de Vie saxifrage



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Arfuyen)
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  • Gabrielle Althen, La Cavalière indemne

    par Angèle Paoli

    Gabrielle Althen, La Cavalière indemne,
    Al Manar | Alain Gorius, 2015.
    Dessins de Philippe Hélénon.



    Lecture d’Angèle Paoli



    Nous faisons de même avec nos palissades. Sans cesse nous rebâtissons nos murailles.
    « Nous faisons de même avec nos palissades.
    Sans cesse nous rebâtissons nos murailles. »
    [The Matter of Time: sculptures by Richard Serra,
    Guggenheim Museum Bilbao]
    Source







    UNE TRAVERSÉE D’AMANDE NOIRE



    Lumière amande beauté. Mais encore montagne azur âme. Ces mots, et tant d’autres, nous sont donnés pour traverser à gué La Cavalière indemne, dernier ouvrage de Gabrielle Althen. Qui est-elle, cette mystérieuse, qui annonce sa présence singulière dès le titre ? Singulière et belle. Singulière parce que déroutante. Inattendue. Belle parce que la beauté est au cœur du recueil, une beauté presque inaccessible, comme peut l’être l’azur auquel la poète aspire (la voix appartient le plus souvent à un narrateur masculin), beauté sans cesse ravalée au rang de « la tourbe de chez nous », liée à la douleur qui est aussi le lot des hommes. Là où passe « la cavalière indemne », l’orant demeure. Et « suintent partout les violettes fatiguées du remords ». L’immobilité comme une déchirure héritée de l’enfance. Une douleur inguérissable. Il faut attendre de remonter jusqu’à la prière au titre éponyme du recueil La Cavalière indemne, dans la toute fin de l’ouvrage, pour se saisir avec exactitude de la teneur métaphorique de cette image.

    « Je vois la vie passer comme une cavalière indemne sur le chemin, et je ne suis pas assez vif pour aller vers elle et l’aimer. »

    Quelques lignes plus bas, la même phrase est reprise, légèrement modifiée :

    « Comme une cavalière étrangère et indemne, la vie ne cesse de passer et je reste. »

    De cette comparaison insolite naît le chemin qui s’ouvre devant nous. Entre poèmes en prose et poèmes. Avec comme compagnon de route, ce « je » narrateur qui affirme sa difficulté à aller au-devant de cette « étrangère » et à l’aimer. Tout entier tendu entre la nécessité impérieuse de « réapprendre la vie sauve, la violente, l’alarmante vie sauve » et la mort, le narrateur poursuit sa route âpre, laissant tomber ses « pauvres choses basses, avec le ciel cachant ses gestes doux et le lin de la distance qui blanchit le présent. » Le lecteur fait de même, qui a conscience que « la route est brusque entre la mort avide et la lumière. » Aussi est-il attentif à suivre les jalons qui composent l’ensemble de l’ouvrage. Contre-terreur / Sed libera nos a malo / Sans preuves / Le corps indélébile. Un cheminement de funambule qui se vit sur le seuil, entre la double aspiration de l’amour et de la mort.

    « Seuil, seuil, la lumière ! Seuil, la ténèbre ! Je m’en fis un tremplin pour ne jamais faiblir. Seuil, la hache bleue du ciel, seuil, l’or jamais controuvé de l’instant ! Seuil, — qui sait ? — la promesse, la peur et le commencement… »

    Face au vide sidéral qui est au cœur de l’expérience humaine, chacun s’affronte comme il peut à « la vague brute », victime de son propre enfermement, du repli sur soi et de l’incapacité à regarder au-delà. Tel est le triste constat du narrateur.

    « Mais le cœur fatigué soupire et, dédaigneux de la navette qui le faisait tinter dans l’entre-deux des choses, il se mure : tête-à-tête de chacun et de son vain souci. »

    Comment, dès lors que l’absence de Dieu a ouvert sous nos pieds un abyme, regarder sans ciller cette « fleur sans charpente » qu’est la vie ? Comment demeurer indemne sur la rive où s’agitent les contraires ― lumière/ténèbre ― sinon en prenant garde de donner prise davantage à la « vulnérabilité sanguinolente » qui guette ? Le pèlerin, dans la démarche solitaire qui l’attache à soulever tous les voiles, a découvert les vérités qui s’opposent et déposé ses faiblesses. Pour lui, l’apocalypse a déjà eu lieu, qui se vit dans l’acceptation de sa pauvreté. Pour qui a soif d’absolu, l’expérience du dénuement et du renoncement est expérience vivifiante.

    Ainsi de cet aveu de la « pauvreté noire » originelle qui court dans le second texte de « Contre-terreur » jusqu’à son aboutissement :

    « La pauvreté noire revint parce que je n’avais rien… » / « Le poing noir se montra de la plus usée des pauvretés, sans un clapotis d’âme »… / « Voici venir une pauvreté de saison nue où l’âme se tiendra comme un poing muet en même temps que connu… / Petite sœur prête à pleurer, proche de moi, qui es moi, aimons, aimons la pauvreté quand elle irrigue ».

    Contre la terreur éprouvée face à la vie et au « vide inguérissable » qu’elle ouvre, l’avènement de l’écriture. Le temps du vitrail peut advenir, comme le suggère la peinture de Philippe Hélénon ― peinture en forme de tesselles de verre translucide serties de noir ― dans la page qui précède les poèmes de « Sed libera nos a malo ». Neuf très beaux poèmes, proches, par l’esprit, de la prière (Confiteor) et du psaume (Psaume 129). Des poèmes pour faire reculer la terreur, pour détourner l’absurdité des choses, pour tenter d’agrandir le monde au-delà de soi-même. Des poèmes pour contrecarrer la peur et « réapprendre la vie sauve ». Ainsi le suggèrent ces quelques vers :

    « Le ciel vide de chimères

    Est pourtant bien trop grand

    Pour un lieu si petit

    Marie-toi, étranger

    Étranger, marie-toi ! »

    Mais aussi des poèmes pour dire la beauté espérée du monde :

    « Le regard tout là-bas danserait

    Où la neige est lumière ignorante du gel »

    ou encore le désir de mots autres que ceux du poète pour nommer ce monde :

    « Les poètes ont des mots pour la beauté

    Je voulais d’autres mots

    Pour le monde qui ce soir accomplit son office de calme… »

    Pour ouvrir à l’amande son chemin de rigueur ; rigueur envers soi-même rigueur envers autrui. Ou pour permettre au monde une extension bienfaisante. Ainsi du poème intitulé « Le dialogue flexible », où se dit la proximité-rencontre, chère aux surréalistes, de la fenêtre et de l’enfant :

    « Face à face énervé de la fenêtre et d’une solitude

    Un enfant à côté pris dans cette solitude

    La fenêtre comme une femme fait glisser

    Sa main dans ses cheveux

    Avec un bras parti là-bas où traîne une lueur […]

    […] L’enfant le regard et la fenêtre sont roses de ce monde

    ― Roses profondes ―

    Lorsque la vie est sauve

    Entre un babil de bébé et le silence »

    Mais la terreur est toujours là. Tenace. Irréversible. Le sentiment de la perte demeure et, avec lui, celui du renoncement, de la défaillance, de l’insuffisance. Et au-delà, de l’incapacité de l’homme à aimer.

    « Le crépuscule arrive j’ai failli

    J’ai failli

    Ayant fini mon jour hélas

    Et non l’œuvre due pourtant à ce jour

    Le paysage vire sur tons de roses veules

    Autour d’un cœur

    Pas assez cœur

    Comme chaque cœur » (Confiteor)

    C’est pourtant au vif même de ces faiblesses que surgit la question essentielle. Celle qui repousse un instant l’idée du néant et le met en doute : « Y aurait-il pour rien tant de musique ? ».

    Peut-être la réponse se trouve-t-elle dans « Ateliers de Braque ». Dans le dernier poème de cette section, le narrateur-poète s’absorbe dans la contemplation des oiseaux du peintre qui habitent « un halo d’espace blanc / Tout frissonnant de foi prémonitoire… » Une foi qui « déplace les images » et conduit la poète à l’évidence :

    « Tous ces oiseaux coulaient de source. »

    Plus sûrement la réponse se trouve sans doute dans l’« Art Poétique » sur lequel se clôt La Cavalière indemne.

    « Sans preuves ». Avec l’écriture comme ligne d’horizon, le narrateur-poète poursuit sa quête de l’inaccessible. « Je voulais voir le palais de cristal que je nomme le monde. Les vitres en sont de toutes les couleurs, mais je cherchais l’odeur qui, selon toute probabilité, est aussi le signe de mon Dieu. »

    Sans preuves cependant que ce qu’il avance soit clairement défini ou vérifiable ; que ses méditations épousent l’exact contour de la pensée. Une question, surtout, obsède. La parole. L’immense parlure de notre temps a-t-elle remplacé la parole poétique ? C’est ce qu’énonce le narrateur-poète.

    « Entre une fumée de cigarette et son refus de sourire, le poète, qui la croyait de verre, prit le temps de transformer la cage du monde en un gigantesque parloir. »

    Serions-nous prisonniers de nos subterfuges de nos masques de nos fuites de notre déraison ? De l’immense cacophonie dont les poètes se seraient rendus responsables ? Peut-être, face à cette profusion incontrôlable, est-ce le silence qu’il faut choisir ? C’est ce vers quoi tend ici le poète.

    Ainsi, en dépit de toutes les hésitations et de toutes les blessures que la vie inflige, le choix est-il conclu, la décision prise. Courageuse, exemplaire. Évidente :

    « Je voyagerai avec les idées, parmi elles, contre elles, et me frayerai, entre leurs menaces, un chemin qui, dans un sens ira jusqu’au silence et dans l’autre, jusqu’à un visage autrefois vu de près, où pourra continuer de se jouer, entre deux comédies, ma grâce. »

    Assoiffé d’azur et de cristal, le poète cherche des ponts. Passerelles et arches, bras et doigts, sutures ; et peut-être mots, susceptibles de recréer les liens entre l’ailleurs et l’ici-bas. Des mots pour rendre à la montagne toute sa force de temple et sa lumière. Et à l’homme sa modeste jubilation originelle. « L’homme humblement prenait le pouls du monde cependant que se rapprochait de lui une échancrure de la montagne. » Il en était ainsi jadis où « les doigts crépus de nos vergers tressaient des arches naines à l’allégresse ».

    La poésie de Gabrielle Althen s’appuie sur une rhétorique recherchée, maîtrisée avec art. La métaphore, le zeugma, les enchâssements et les inclusions, les personnifications audacieuses, les constructions syntaxiques complexes, le passage entre concret et abstrait, les correspondances verticales, les répétitions et leur musique — « Musique et mots ! Musique des mots ! Retour du temps ! Retour du même ! » — sont pour la poète des outils dont il est impensable de faire l’économie. Autant de figures ouvragées qui permettent au narrateur de La Cavalière indemne d’apprivoiser les limites de ses questionnements, de dompter ses propres proies, de les transcender par l’écriture :

    « Une pierre dans l’azur fut ma moisson de pensée pâle. Ce fut aussi un angle et la tendresse. Je ne savais toujours pas quel chemin allait de l’un à l’autre, ni si ce beau dessin pouvait se parcourir dans les deux sens comme l’échelle de Jacob. »

    Cependant, et paradoxalement, le rêve de beauté alimente la peur. Il ouvre sur le vertige abyssal de ce que nous nous refusons de reconnaître et de nommer.

    « L’abîme commence là-haut et nous le savons tous, puisque nous avons peur et que nous colmatons les fenêtres qui donneraient sur le cristal. »

    De sorte que la peur se cultive, se dorlote et que le narrateur-poète en appelle à elle ; à sa présence intime consolatrice et touchante :

    « Ô ma peur, ma petite compagne, précise et jeune sous le vent, reste avec moi dans l’air tendre. Tu me rappelles que je vis et mon visage cabossé d’émotions contraires connaît déjà la rectitude vampirique des corvées de lumière. »

    Ainsi engendrons-nous nos propres monstres parce qu’inconsciemment nous chérissons nos souffrances et que nous nous nourrissons d’elles :

    « Bien malgré nous pourtant, nous nourrissons de tout petits dragons, afin d’aimer plus sûrement le feu chaque jour. »

    Nous faisons de même avec nos palissades. Sans cesse nous rebâtissons nos murailles. Nous habitons au centre même de la vie sans même en avoir conscience ni même avoir conscience de ce qu’elle est.

    « La vie est là. La vie est toujours là, et nous rebâtissons nos palissades, sans bien savoir que nous habitons le cercle de son œil », constate le narrateur-poète dans « L’œil », texte d’ouverture du « Corps indélébile ». De sorte que la mort suit à notre insu « son imperceptible méthode ». Même au plus haut degré de la beauté ― la beauté culmine avec le « Divin Mozart », dans cet « Art Poétique » final où coexistent les contraires ― la mort applique pour nous ― qui nous sommes cru un instant bénis ― sa terrible « morsure ». Cependant, même avec la mort à nos côtés, « d’inexplicables perles volaient sous le nuage, une fontaine heureuse nous comblait. » Il fut ainsi donné à chacun de connaître la jubilation.

    Portée par une réflexion dense et un style exigeant, l’écriture de Gabrielle Althen est une écriture de haut lyrisme et de spiritualité. Habitée par le souffle, elle est éblouissement. De cette traversée d’« amande noire », le lecteur ne peut sortir indemne. Quelque chose le touche de cette « crise de vide », qu’il reconnaît comme sienne et partage. Que faire alors face à « la mort nue comme une offrande sur du verre » ? Se raccrocher peut-être à cette phrase émouvante de simplicité énigmatique : « Les petites routes empourprées avaient cessé d’être fuyardes ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Gabrielle Althen, La Cavalière indemne




    GABRIELLE ALTHEN


    Gabrielle Althen
    Source



    ■ Gabrielle Althen
    sur Terres de femmes

    L’isole (extrait de La Cavalière indemne)
    Corps à corps (poème extrait de Soleil patient)
    Sans titre
    Vie saxifrage (extrait)
    Soleil patient (lecture de Matthieu Gosztola)
    Soleil patient (note de lecture d’Isabelle Lévesque)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Une fois le gris devenu l’autre versant du bleu
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un poème extrait de Vie saxifrage



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Le temps bleu) une recension de La Cavalière indemne par Roselyne Fritel
    → (sur Recours au poème) une recension de La Cavalière indemne par Sabine Huynh
    le site personnel de Gabrielle Althen
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Gabrielle Althen
    → (sur La Pierre et le Sel)
    Gabrielle Althen, entre splendeur et écharde






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  • Gabrielle Althen | L’isole



    L’ISOLE



    Le ciel sans offre jette son mur de maison nue devant ton front. En contrebas s’agitent des nœuds d’oiseaux labiles et la charité des hommes qui glisse sur leurs mains d’échange. Le paysage que tu as tant aimé s’est déversé ailleurs où s’achève le pain et les paroles à saisir au vol sur la sinuosité vive des lèvres.

    Et toi, pauvre de toi, qui te sens si souvent fils d’une maison vide, et qui t’es tu, jusqu’à ce que l’absence de messages d’un ciel lavé de ses figures ne délimite plus le temps, tu ne sais si tu pourras longtemps habiter plus haut parce que ton âme, que tu voulais retenir, à demeurer trop silencieuse s’est gonflée de son bruit naturel et de tonnerre, et que nous nous plaignons de supporter très mal ce rapt d’ententes et d’horizons.




    Gabrielle Althen, La Cavalière indemne, Al Manar | Alain Gorius, 2015, page 49. Dessins de Philippe Hélénon.






    Gabrielle Althen, La Cavalière indemne



    GABRIELLE ALTHEN


    Gabrielle Althen
    Source



    ■ Gabrielle Althen
    sur Terres de femmes

    La Cavalière indemne (note de lecture d’AP)
    Corps à corps (poème extrait de Soleil patient)
    Sans titre
    Soleil patient (lecture de Matthieu Gosztola)
    Soleil patient (note de lecture d’Isabelle Lévesque)
    Vie saxifrage (extrait)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Une fois le gris devenu l’autre versant du bleu
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un poème extrait de Vie saxifrage



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Le temps bleu) une recension de La Cavalière indemne par Roselyne Fritel
    le site personnel de Gabrielle Althen
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Gabrielle Althen
    → (sur La Pierre et le Sel)
    Gabrielle Althen, entre splendeur et écharde




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  • Gabrielle Althen | Vie saxifrage (extrait)



    VIE SAXIFRAGE (extrait)


    Le premier devoir était d’accéder aux vestiges d’années fortes, carrures géantes sous le ciel cru. Puis quand déclinerait l’ardeur insinuée entre la roche et le cri trop léger de l’été, de renouer cette gloire dans son propre baluchon, pour le porter à demain et rentrer dans la ville.

    Toi que je cerne déjà d’espace, ne me dis pas que j’ai touché au vide !

    J’aimais notre matière de corps, de roc, de tête et de lumière, et notre matière d’âme faite pour garder les mains pleines.

    Qui n’est pas nu entre la vie et la mort conjuguée dans cette obsédante pureté que le vent laisse en partant ?



    Gabrielle Althen, Vie saxifrage, Al Manar | Éditions Alain Gorius, 2012, page 37.






    Vie Saxifrage



    GABRIELLE ALTHEN


    Gabrielle Althen
    Source



    ■ Gabrielle Althen
    sur Terres de femmes

    La Cavalière indemne (note de lecture d’AP)
    L’isole (extrait de La Cavalière indemne)
    Corps à corps (poème extrait de Soleil patient)
    Sans titre
    Soleil patient (lecture de Matthieu Gosztola)
    Soleil patient (note de lecture d’Isabelle Lévesque)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Une fois le gris devenu l’autre versant du bleu
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un autre poème extrait de Vie saxifrage



    ■ Voir aussi ▼

    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Gabrielle Althen
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Gabrielle Althen
    → (sur La Pierre et le Sel)
    Gabrielle Althen, entre splendeur et écharde







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  • Gabrielle Althen | Une fois le gris devenu l’autre versant du bleu





    Blanc comme une cathédrale
    Ph. angèlepaoli





    UNE FOIS LE GRIS DEVENU L’AUTRE VERSANT DU BLEU


    Une fois le gris devenu l’autre versant du bleu
    Malgré les jours bavards
    Et bijoux qui contrent la terreur
    Il faudra inventer des repères
    Parce que l’histoire se fane
    As-tu vu cela ? dis-je à mon fils
    As-tu vécu ? demande le poète ?
    Indemnes sont les choses
    Indemne le moment
    Et la question embellie par le vent
    On a vu bien des larmes vaporisées par les lointains
    De quoi avons-nous donc besoin ?
    Et de quoi avoir peur
    Lorsque l’histoire se fane
    Hors la question de la question ?
    Et c’est le cœur qui murmure
    En connivence avec le serpent qui le mord
    Mais la beauté reste imparable
    De temps à autre une tiédeur se retourne
    Et l’air bâtit sa cathédrale
    Blanc comme une hésitation
    L’été crisse autour d’un buisson de silence
    As-tu vu ? dis-je à mon fils
    As-tu vécu ? demande le poème
    Qui donc attend le timbre de sa voix ?


    Gabrielle Althen
    Texte inédit pour Terres de femmes (D.R.)



    GABRIELLE ALTHEN



    ■ Gabrielle Althen
    sur Terres de femmes

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    L’isole (extrait de La Cavalière indemne)
    Sans titre
    Soleil patient (lecture de Matthieu Gosztola)
    Soleil patient (note de lecture d’Isabelle Lévesque)
    Corps à corps (poème extrait de Soleil patient)
    Vie saxifrage (extrait)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un autre poème extrait de Vie saxifrage



    ■ Voir aussi ▼

    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Gabrielle Althen




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