Étiquette : Geneviève Bertrand


  • Geneviève Bertrand | Dire et redire




    DIRE ET REDIRE


    « Dans le dire, rien n’est jamais assez dit
    qui n’aspire à être redit, mais autrement ». E. Jabès




    Je dis
    la falaise déchirée
    son visage ridé
    pierres éboulées
    laissant le roc à la nue-verticale
    Falaise engendrée du vide
    secrète       abrupte       sauvage

    Je dis
    sa cicatrice toujours à vif à l’ouest du jour
    Scarification
    Traces infimes               Traces infirmes
    Roulement de pierres
    Éboulis de mémoire

    L’espace fendu
    s’ouvre au visage de l’absence

    Infirmité d’amour
    retenu à cette vie tenace

    nommée euphorbe et térébinthe

    Je dis
    la roche friable et grise
    dissoute par la brûlure acide d’une larme

    Je dis
    l’écriture glissée sous la peau
    la peau égratignée de ronces

    Je recopie le paysage
    mot à mot
    jusqu’à l’enfouir dans mes cellules


    Écrire comme une transfusion d’âme




    Geneviève Bertrand, À bouche décousue, éditions Unicité, Collection Poètes francophones planétaires, 2018, pp. 53-54-57. Monotype sur papier couverture et intérieur : Bruno Danjoux.






    Geneviève Bertrand  A bouche décousue 3





    GENEVIÈVE BERTRAND


    Geneviève Bertrand
    Source




    ■ Geneviève Bertrand
    sur Terres de femmes


    [Traversée de l’herbe nue]
    Voyage au pays des papesses…
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    [L’araignée règne sur l’enfance]



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions unicité)
    la fiche de l’éditeur sur À bouche décousue
    → (sur Cursives 74)
    un entretien avec Geneviève Bertrand (entretien mené par Odette et Michel Neumayer, mars-juin 2009) + une bibliographie
    → (sur Dépositions, le Blog d’Olivier Bastide)
    Geneviève Bertrand/Une idée de la poésie (+ une bio-bibliographie)





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  • Voyage au pays des papesses…

    par Geneviève Bertrand

    Chroniques de femmes – EDITO





    Camisoles 1
    Ph. Daniel et Colette Vincent







    VOYAGE AU PAYS DES PAPESSES… *




    Folles

    Elles sont,
    toutes,
    folles
    Bonnes pour le bûcher

    Et leur âme et leur rire et leur ombre
    habillés de camisoles
    courent dans les escaliers, frôlent les murs,
    jouent avec les araignées au plafond

    et elles chantent…

    « I do, I undo, I redo…. »

    Le bûcher, il est en haut de l’escalier, installé par défi
    et cette femme de bronze venue de la nuit des temps, agenouillée,
    c’est toi, c’est moi, c’est toutes,
    prêtes à être brûlées vives à l’entrée du palais




    femmes sacrées, femmes en travail, femmes déchirées, femmes à l’enfant,
    femmes princesses, femmes en rupture
    femmes trompées, femmes en plénitude…
    on n’en finirait pas de vous nommer…




    Détermination de femme à être, dire, attendre son heure
    70 ans durant
    humour, patience, conviction


    C’est toi, Louise
    « …cavalière ….seule… » — c’est ta devise —
    hors toute idéologie totalisante,
    ni mouvement ni féminisme
    mais la conjuration de ses propres démons
    devenus terreau de créativité




    Éludée
    la tentation de la mort dans la Bièvre


    Recousue, la vie
    Panneaux ciselés de dentelles, fragments bord à bord,
    Dégradés de boue et de pastel


    Le dur d’habiter son corps
    Le douloureux des frottements internes


    Alors
    Habiller de tissus les silhouettes informes, couvrir le visage de perles
    Peau sur peau
    Enfanter un nouveau corps


    Et la vie triomphante circule dans les veines et canaux
    Vénus aux seins multiples
    Maternités dessinées     aquarellées      traversées de sang
    Ventres gonflés,
    jusqu’à expulser tête première
    une petite fille tressée – image miroir de la mère




    Part charnelle de l’enfantement
    comme le non-dit
    des Vierges à l’enfant
    posées là
    au carrefour du temps




    L’araignée

    ton animal tutélaire, Louise

    Elle est mère protectrice qui chante les comptines de l’enfance, et de toujours


    Araignées

    Omniprésentes    noires     gigantesques

    qui__________tissent__________ tapissent____________

    pondent______________nourrissent____________________

    _______emmaillotent la maison dans ses bobines de fil rouge




    Maisons comme mandala
    où se trace le destin des petites filles

    se joue     et déjoue     et se blesse le destin des femmes

    « le père trompait la mère avec la nurse »

    Restaurer l’édifice — étage par étage




    Et la folie guette
    Pays limitrophe aux frontières perméables


    Corps comme arc tendu
    soumis au désir autant qu’à l’hystérie
    cette arche sculptée sur un lit d’enfant brodé de « je t’aime »
    — monument immense, pesant, intransportable, insupportable
    où crient l’angoisse, l’amour et le cauchemar




    Là bas, dans la chapelle
    une sculpture de Marie-Madeleine
    Autre visage de femme et de chair

    Qui saura la limite
    Qui saura le gouffre séparant folie et extase mystique —
    comme deux extrêmes opposés de la dépossession du corps




    Tu l’as fait, jusqu’au bout,
    le voyage de l’enfermement
    Camille


    Déni des proches      Violence médicale
    Toute puissance d’une « ordonnance », pire qu’édit royal


    Aucun ange ne te protège
    si ce n’est celui blotti dans tes mains
    qui caressent et lissent et modèlent
    les corps froids

    éclos de la pierre et du bronze


    Corps et souffrance mis à nu dans le métal obscur
    Visages à peine émergés de la terre cuite


    Aucun espoir




    Ossements    carcasses mises à mal
    Corps de cire     suspendus comme boucherie chevaline
    par Berlinde
    Ossature, dépouillée de ce qui fut sa force
    Pas de secours possible


    Os devenus branchages lancés dans l’espace


    La chair
    dans sa transparence veineuse offerte en proie à la douleur
    Chair à vif
    sans condescendance     sans artifice     sans beauté
    La chair
    rien d’autre, face à la mort




    Poids de souffrance
    Plus d’une tonne de souffrance,
    que ces deux corps suspendus très haut, à six mètres,
    tels des Christs sans croix


    L’effroi du réel       sans masque
    à l’œuvre à l’envers de la peau
    jusqu’au morbide


    Travail de l’obscur
    La matière mise au jour      agrandie à la puissance mille      objectivée


    La fragilité              le tourment en creux              la décomposition possible
    Menace sans détour


    Oser aller jusqu’à l’absence




    Tes tapisseries émergent de la pierre grise :
    Kiki Smith perpétue le métier éternel de tisserande
    Cosmogonie fondatrice, création du ciel et des étoiles,
    figures originaires d’Ève et de Vénus


    Et l’animal, si proche par instinct, de la nature,

    se mêle aux fils de soie, à la brillance des fils d’or et d’argent

    Lapins    Scarabées    Fourmis…

    Le loup et l’aigle sont présences nobles et sauvages




    Vierge à la pomme d’or derrière une vitrine
    Mystère de la fécondité et de la vie
    Célébration venue des origines




    Tu tentes cette même saisie de l’absolu, Jana
    Pomme d’or devenue verres soufflés       Même perfection sphérique


    Globes couleur d’ardoise, d’ocre, de nacre
    qui recueillent la lumière à leur surface
    Transparence du vide


    On entend la musique des sphères
    On se promène dans le ciel venu à notre mesure



    Là où l’artiste devient mère de l’univers
    Dépassant ses propres limites




    Geneviève Bertrand
    D.R. Texte Geneviève Bertrand,
    décembre 2013





    ___________________________________
    * Texte en écho à l’exposition “Les Papesses” (Palais des Papes d’Avignon) qui a réuni (du 9 juin au 11 novembre 2013) 5 artistes femmes de l’art moderne et contemporain (Louise Bourgeois, Camille Claudel, Kiki Smith, Berlinde de Bruyckere, Jana Sterbak), dont le travail est mis en correspondance avec certaines œuvres de l’art médiéval.
    Nota : ce texte ne se veut nullement un compte rendu exhaustif et critique de cette magnifique exposition mais une mise en dialogue avec ce qui m’a personnellement le plus interpellée.








    Camisoles 2
    Ph. Daniel et Colette Vincent






    _____________________________________
    NOTE d’AP : Geneviève Bertrand est présente dans l’anthologie poétique francophone de voix féminines contemporaines pas d’ici, pas d’ailleurs (Voix d’encre, 2012).






    GENEVIÈVE BERTRAND


    Geneviève Bertrand
    Source




    ■ Geneviève Bertrand
    sur Terres de femmes

    Dire et redire (extrait d’À bouche décousue)
    [Traversée de l’herbe nue]
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    [L’araignée règne sur l’enfance]



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Cursives 74)
    un entretien avec Geneviève Bertrand (entretien mené par Odette et Michel Neumayer, mars-juin 2009) + une bibliographie
    → (sur Dépositions, le Blog d’Olivier Bastide)
    Geneviève Bertrand/Une idée de la poésie (+ une bio-bibliographie)





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  • Geneviève Bertrand | [L’araignée règne sur l’enfance]



    [L’ARAIGNÉE RÈGNE SUR L’ENFANCE]





    Araignée
    Source






    L’araignée règne sur l’enfance


    Emprisonné, le ferment de vie

    au fond de son petit fagot

    Fil invisible tendu sous le pas

    — fil gluant où s’attache l’ombre



    L’araignée règne sur les pensées


    L’araignée se promène dans la tête de l’enfance
    Sombre et silencieuse l’enfant écoute le glissement des pas sur le fil
    Quelle danse se joue sous le crâne ?

    L’araignée accroche son fil à chaque geste

    Retient les mots au piège de sa toile

    Capte ses victimes au centre immobile

    Se nourrit des non dits qui

    lui gonflent le ventre

    Enfante le silence

    L’araignée prend la tristesse dans ses mailles

    Sécrète une soie grise

    C’est voile sur le regard

    Au coin des lèvres

    Un fil retient le sourire



    L’araignée règne sur l’enfance


    L’araignée tricote son fil

    fagote les mémoires


    Elle remonte le fil

    à chaque retour de l’histoire

    et le mange

    et le renforce

    couche sur couche

    malaise familial                      incompréhension

    pas trouver sa place


    Ça pique l’ araignée
    mais peut-être
    ça réveille
    une piqûre


    M’enseigneras-tu araignée à piéger mes pensées dans une toile

    à avaler le passé

    et la tristesse              et l’amertume
    à tendre mes fils sous la rosée du matin

    Ce sera lumière éclatée en gouttelettes vives

    joie captive d’une cellule à naître





    Geneviève Bertrand
    mars 2013
    texte inédit pour Terres de femmes (D.R.)





    GENEVIÈVE BERTRAND


    Geneviève Bertrand
    Source



    ■ Geneviève Bertrand
    sur Terres de femmes

    [Traversée de l’herbe nue]
    Voyage au pays des papesses…



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Cursives 74)
    un entretien avec Geneviève Bertrand (entretien mené par Odette et Michel Neumayer, mars-juin 2009) + une bibliographie
    → (sur Dépositions, le Blog d’Olivier Bastide)
    Geneviève Bertrand/Une idée de la poésie (+ une bio-bibliographie)





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  • Geneviève Bertrand | [Traversée de l’herbe nue]



    Glissée entre deux organes devenus feuillages
    Ph., G.AdC






    X



    Traversée de l’herbe nue
    J’ai marché ce matin sur un rayon de soleil


    J’ai su que j’étais là où je devais être
    à cet instant sans impatience




    Oubli oublieux de toute mémoire
    dans la rature de l’instant présent
    en coïncidence avec le multiple



    Porte battante de l’écriture
    Rester à l’envers du mot
    là où le sang bat, la vie ne se ride pas, le doute n’a pas prise




                               Glissée entre deux organes devenus feuillages
                                                                                 la Part du Souffle





    Geneviève Bertrand, L’Impatience du tilleul, Éditions de l’Atlantique, Collection Phoïbos, 2012, page 48. Page hors texte (Compotilleul 2) de Daniel Vincent.




    ______________________________________________________
    NOTE d’AP : Geneviève Bertrand est présente dans l’anthologie poétique francophone de voix féminines contemporaines pas d’ici, pas d’ailleurs (Voix d’encre, 2012).





    GENEVIÈVE BERTRAND


    Geneviève Bertrand
    Source




    ■ Geneviève Bertrand
    sur Terres de femmes

    Dire et redire (extrait d’À bouche décousue)
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    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    [L’araignée règne sur l’enfance]



    ■ Voir aussi ▼

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    Geneviève Bertrand/Une idée de la poésie (+ une bio-bibliographie)





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