Étiquette : George Sand


  • 1er juillet 1804 | Naissance de George Sand

    Éphéméride culturelle à rebours



         Le premier juillet 1804 naît à Paris Amandine Lucie Aurore Dupin, plus connue sous le nom de George Sand.






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        Fille de Sophie Victoire Delaborde et de Maurice Dupin de Francueil, officier de l’armée impériale tué au cours d’une bataille, l’enfant est élevée à Nohant par sa grand-mère paternelle. Devenue baronne Dudevant par son mariage (1822), puis George Sand à partir de sa relation amoureuse et littéraire avec Jules Sandeau, George Sand publie, dès 1832, plusieurs « romans lyriques » d’inspiration autobiographique et féministe. Indiana, Valentine, Lélia (1833), Mauprat (1836). Suivront, plus tard, d’autres romans dans lesquels l’auteur développe rêves et idées où s’exprime sa vision du romantisme. Consuelo (1842-1843) et La Comtesse de Rudolstadt (1843-1845), somme romanesque qui rassemble tout à la fois roman historique et roman noir, roman de formation et roman d’amour, roman d’initiation et roman feuilleton…, sont de cette veine. Toute cette « matière » compose un ensemble complexe et foisonnant, et donne naissance, selon l’expression d’Hubert Juin au « fabuleux roman de George Sand ».

        Renonçant à ses engagements politiques au lendemain de mai 1848 ― « je ne crois plus à l’existence d’une république qui commence par tuer ses prolétaires » ―, George Sand s’installe à Nohant, lieu de ralliement de ses amis et amants. Liszt, Marie d’Agoult, Balzac, Chopin, Delacroix, Flaubert. La « dame de Nohant » règne sur ce monde bohême et artiste où l’on joue de la musique, discute de politique et de littérature jusque tard dans la nuit. C’est aussi à Nohant qu’elle compose les romans « champêtres » inspirés par la vie paysanne de sa campagne berrichonne : La Mare au diable (1846), François le Champi (1847-1848), La Petite Fadette (1849), Les Maîtres sonneurs (1853).

        George Sand laisse derrière elle une riche correspondance publiée après sa mort. Notamment sa correspondance avec Alfred de Musset et Gustave Flaubert.

        Troisième ouvrage de George Sand, Lélia annonce par sa composition hybride la somme romanesque de Consuelo, suivi de La Comtesse de Rudolstadt. Œuvre romantique d’inspiration autobiographique, Lélia est le récit d’un « cœur malheureux » rongé comme tant d’autres de la même époque, d’inquiétude métaphysique, de déception politique et de désespoir. On retrouve dans Lélia des accents proches de ceux du René (1802) de Chateaubriand et de La Confession d’un enfant du siècle (1836) d’Alfred de Musset. Un même esprit de désenchantement baigne La Peau de chagrin (1831) de Balzac, Oberman (1833) de Senancour et Lélia de George Sand.






    LÉLIA (extrait)

    DEUXIÈME PARTIE

    XXXI


        Lélia descendit les montagnes et, avec un peu d’or versé sur son chemin, elle franchit rapidement les vallées frontières. Peu de jours après avoir dormi sur la bruyère de Monteverdor, elle étalait le luxe d’une reine, dans une de ces belles villes du plateau inférieur qui rivalisent d’opulence entre elles et qui voient encore fleurir les arts sur la terre d’où ils nous sont venus.

        Comme Trenmor, qui s’était rajeuni, et fortifié au bagne, Lélia espéra renaître, par la force de son courage, au milieu de ce monde qu’elle haïssait et de ces joies qui lui faisaient horreur. Elle résolut de se vaincre, de dompter les révoltes de son esprit sauvage, de se jeter dans le flot de la vie, de se rapetisser pour un temps, de s’étourdir, afin de voir de près ce cloaque de la société et de se réconcilier avec elle-même par la comparaison.

        Lélia n’avait pas de sympathie pour la race humaine, quoiqu’elle souffrît les mêmes maux et résumât en elle toutes les douleurs semées sur la face de la terre. Mais cette race aveugle et sourde sentait son malheur et son abaissement sans vouloir s’en rendre compte. Ceux-là, hypocrites et vaniteux, cachaient les plaies de leur sein et l’épuisement de leur sang sous l’éclat d’une vaine poésie. Ils rougissaient de se voir si vieux, si pauvres, au milieu d’une génération dont ils ne voyaient pas la vieillesse et la pauvreté percer de tous côtés ; et, pour se faire jeunes comme ceux qu’ils croyaient jeunes, ils mentaient, ils fardaient toutes leurs idées, ils niaient tous leurs sentiments : ils étaient fanfarons d’innocence et de simplicité, eux décrépits dès le sein de leurs mères ! Ceux-ci moins effrontés, se laissaient emporter par le siècle : lents et débiles, ils s’en allaient avec le monde, sans savoir pourquoi, sans se demander où était la cause, où était la fin. Ils étaient de nature trop médiocre pour s’inquiéter beaucoup de leur ennui ; petits et faibles, ils s’étiolaient avec résignation. Ils ne se demandaient pas s’ils pouvaient trouver secours dans la vertu ou dans le vice ; ils étaient également au-dessous de l’un et de l’autre. Sans foi, sans athéisme, éclairés tout juste au point de perdre les bienfaits de l’ignorance, ignorants au point de vouloir tout soumettre à des systèmes étroitement rigoureux, ils pouvaient constater de quels faits se compose l’histoire matérielle du monde, mais ils n’avaient jamais voulu étudier le monde moral ni lire l’histoire dans le cœur de l’homme ; ils avaient été arrêtés par l’imbécile inflexibilité de leurs préventions. C’étaient les hommes du jour, qui raisonnaient sur les siècles passés et futurs sans s’apercevoir que leurs génies avaient tous passé par le même moule et que, rassemblés en masse, ils auraient pu s’asseoir encore sur les bancs de la même école et suivre la loi du même pédant.

        Quelques-uns, c’était le petit nombre, mais ils représentaient pourtant une puissance sociale, avaient traversé l’atmosphère empoisonnée des temps, sans rien perdre de la vigueur primitive de l’espèce. C’étaient des hommes d’exception comparativement à la foule. Mais, entre eux, ils se ressemblaient tous. L’ambition, seul ressort d’une époque sans croyance, annihilait la noblesse mâle et caractéristique, départie à chacun d’eux, pour les confondre tous dans un type de beauté grossière et sans prestige. C’étaient bien encore les hommes de fer du moyen âge ; ils avaient le regard fauve, les pensées fortes, le bras robuste, la soif de la gloire et le goût du sang, tout comme s’ils se fussent appelés Armagnac et Bourgogne. Mais à ces larges organisations que la nature produit encore manquait la sève de l’héroïsme. Tout ce qui le fait naître et l’alimente était mort : l’amour, la fraternité d’armes, la haine, l’orgueil de la famille, le fanatisme, toutes les passions personnelles qui donnent de l’intensité aux caractères, de la physionomie aux actions. Il n’y avait plus pour mobile de ces âpres courages que les illusions de la jeunesse détruites en deux matins et l’ambition virile, têtue, sale, déplorable fille de la civilisation.

        Lélia, triste existence flétrie par le sentiment de sa dégradation, seule peut-être assez attentive pour la constater, assez sincère pour se l’avouer ; Lélia, pleurant ses passions éteintes et ses facultés perdues, traversait le monde sans y chercher la pitié, sans y trouver l’affection. Elle savait bien que ces hommes, malgré leur agitation essoufflée et chétive, n’étaient pas plus actifs, pas plus vivants qu’elle ; mais elle savait aussi qu’ils avaient l’impudence de le nier ou la stupidité de l’ignorer. Elle assistait à l’agonie de cette race, comme le prophète, assis sur la montagne, pleurait sur Jérusalem, opulente et vieille débauchée étendue à ses pieds.



    George Sand, Lélia, Éditions Garnier Frères, 1960, pp. 134-135. Texte établi, présenté et annoté par Pierre Reboul.





    ■ George Sand
    sur Terres de femmes

    30 mars 1852 | Pauline de George Sand
    15 janvier 1854 | George Sand, Lélia
    26 juillet 1857 | George Sand, Promenades autour d’un village
    9 avril 1872 | Lettre de George Sand à Gustave Flaubert





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  • 30 mars 1852 | Pauline de George Sand

    Éphéméride culturelle à rebours



    GEORGEsAND
    Image, G.AdC




    PAULINE


         « J’avais commencé ce roman en 1832, à Paris, dans une mansarde où je me plaisais beaucoup. Le manuscrit s’égara : je crus l’avoir jeté au feu par mégarde, et comme, au bout de trois jours, je ne me souvenais déjà plus de ce que j’avais voulu faire (ceci n’est pas mépris de l’art ni légèreté à l’endroit du public, mais infirmité véritable), je ne songeai point à recommencer. Au bout de dix ans environ, en ouvrant un in-quarto à la campagne, j’y retrouvai la moitié d’un volume manuscrit intitulé Pauline. J’eus peine à reconnaître mon écriture tant elle était meilleure que celle d’aujourd’hui. Est-ce que cela ne vous est pas souvent arrivé à vous-même, de retrouver toute la spontanéité de votre jeunesse et tous les souvenirs du passé dans la netteté d’une majuscule et dans le laisser-aller d’une ponctuation ? Et les fautes d’orthographe que le monde fait, et dont on se corrige tard, quand on s’en corrige, est-ce qu’elles ne repassent pas quelquefois sous vos yeux comme de vieux visages amis ? En relisant ce manuscrit, la mémoire de la première donnée me revint aussitôt, et j’écrivis le reste sans incertitude.
         Sans attacher aucune importance à cette courte peinture de l’esprit provinciale, je ne crois pas avoir faussé les caractères donnés par les situations ; et la morale du conte, s’il faut en trouver une, c’est que l’extrême gêne et l’extrême souffrance sont un terrible milieu pour la jeunesse et la beauté. Un peu de goût, un peu d’art, un peu de poésie ne seraient point incompatibles, même au fond des provinces, avec les vertus austères de la médiocrité ; mais il ne faut pas que la médiocrité touche à la détresse ; c’est là une situation que ni l’homme ni la femme, ni la vieillesse ni la jeunesse, ni même l’âge mûr, ne peuvent regarder comme le développement normal de la destinée providentielle. »

    30 mars 1852
    G.S.



    George Sand, Pauline, Éditions Gallimard, Collection folio, 2007, pp. 135-136.





    EXTRAIT


         La voyageuse éprouva une émotion à la fois douce et déchirante en montant l’escalier en vis auquel une corde luisante servait de rampe. Cette maison lui rappelait les plus fraîches années de sa vie, les plus pures scènes de sa jeunesse ; mais, en comparant ces témoins de son passé au luxe de son existence présente, elle ne pouvait s’empêcher de plaindre Pauline, condamnée à végéter là comme la mousse verdâtre qui se traînait sur les murs humides.
         Elle monta sans bruit et poussa la porte qui roula sur ses gonds en silence. Rien n’était changé dans la grande pièce, décorée par les hôtes du titre de salon. Le carreau de briques rougeâtres bien lavées, les boiseries brunes soigneusement dégagées de poussière, la glace dont le cadre en chêne sculpté avait été doré jadis, les meubles massifs brodés au petit point par quelque aïeule de la famille, et deux ou trois tableaux de dévotion légués par l’oncle, curé de la ville, tout était précisément resté à la même place et dans le même état de vétusté robuste depuis dix ans, dix ans pendant lesquels l’étrangère avait vécu des siècles ! Aussi tout ce qu’elle voyait la frappait comme un rêve.
         La salle, vaste et basse, offrait à l’œil une profondeur terne qui n’était pourtant pas sans charme. Il y avait dans le vague de la perspective de l’austérité et de la méditation, comme dans ces tableaux de Rembrandt où l’on ne distingue, sur le clair-obscur, qu’une vieille figure de philosophe ou d’alchimiste brune et terreuse comme les murs, terne et maladive comme le rayon habilement ménagé où elle nage. Une fenêtre à carreaux étroits et montés en plomb, ornée de pots de basilic et de géranium, éclairait seule cette vaste pièce ; mais une suave figure se dessinait dans la lumière de l’embrasure, et semblait placée là, comme à dessein, pour ressortir seule et par sa propre beauté dans le tableau : c’était Pauline.


    George Sand, Pauline, Éditions Gallimard, Collection folio, 2007, pp. 28-29.




    George Sand- Pauline- -ditions Gallimard





    ■ George Sand
    sur Terres de femmes

    1er juillet 1804 | Naissance de George Sand (+ un extrait de Lélia)
    15 janvier 1854 | George Sand, Lélia
    26 juillet 1857 | George Sand, Promenades autour d’un village
    9 avril 1872 | Lettre de George Sand à Gustave Flaubert





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