Étiquette : Gérard Titus-Carmel


  • Françoise Ascal | [je vous devine]


    [JE VOUS DEVINE]




    je vous devine enveloppé dans l’un de ces grands manteaux
    que vous avez peints tant de fois dont vous avez observé les
    drapés les retombées les plissements

    dans leurs circonvolutions vous dissimulez des formes végétales organiques charnelles vous êtes le peintre du caché du secret du crypté vous déployez un filet d’analogies lamelles de champignons chevelures ruisselantes d’eau vive pouces et index en forme de verges coquillages fendus comme sexes féminins mains feuilles écorces visages veines animaux pierres failles variations d’une même entité

    tous les linéaments du monde se rejoignent
    Paracelse le médecin philosophe théologien l’avait déjà
    exprimé
    pas de rupture entre corps et paysages
    les lignes se poursuivent s’interpénètrent
    le monde est un vaste réseau d’une seule étoffe
    régi par un ordre secret que votre œil ne cesse de traquer

    pas de rupture non plus
    avec la trame sonore
    que libèrent
    panneau après panneau
    vos couleurs

    entendez-vous

    cris sanglots gémissements litanies murmures
    violes de gambe violes de bras polyphonies

    du concert des anges
    aux chants funèbres
    de la mélopée des paroles accordées
    au tintamarre des démons
    vibre dans l’air
    une partition secrète

    au pied de la croix
    sous la terre muette
    germent de futures leçons de ténèbres…




    Françoise Ascal, « III – L’homme ordinaire », Grünewald, le temps déchiré, éditions L’herbe qui tremble, 2021, pp. 42,44. Dessins de Gérard Titus-Carmel.





    Ascal-grunewald




    FRANÇOISE ASCAL


    Francoise Ascal par Michel Durigneux
    Ph. © Michel Durigneux




    ■ Françoise Ascal
    sur Terres de femmes


    Des voix dans l’obscur (lecture d’AP)
    [tu aurais voulu l’oublier] (extrait de Des voix dans l’obscur)
    [longtemps j’ai mâché | vos grains de grès](extrait d’Entre chair et terre)
    [Carnet, 2004] (extrait d’Un bleu d’octobre)
    [Carnet, 2011] (autre extrait d’Un bleu d’octobre)
    Levée des ombres (lecture d’AP)
    Lignées (lecture d’AP)
    [Je ferme les yeux et laisse le mot venir] (extrait de Lignées)
    Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Mille étangs
    L’Obstination du perce-neige et Variations-prairie (lectures d’AP)
    Rouge Rothko
    16 juillet 1796 | Françoise Ascal, La Barque de l’aube | Camille Corot
    5-10 août 2017 | Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions L’herbe qui tremble)
    la page consacrée à Grünewald, le temps déchiré






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  • Emmanuel Moses | [La pluie donne un soir inachevé]


    Moses 2
    Gravure de Frédéric Couraillon, in Emmanuel Moses, Dona, page 4.








    [LA PLUIE DONNE UN SOIR INACHEVÉ]



    À François Boddaert       



    La pluie donne un soir inachevé
    Je songe à ce corps de chien sur une route de Bourgogne
    À ton ami qui ne verra plus les cerfs dans le blé
    Ce qui manque nous murmure des chansons et des souvenirs
    Des pensées
    Il fait froid à Paris
    Les rues sont vides comme le cœur en chagrin
    Comme ma tête certains matins
    Dieu prenne pitié du chien et de l’homme
    Qui ne connaîtront plus ces hivers d’Europe
    Où le ciel est une muraille
    Où les heures peinent
    Où un peu à la manière de Pénélope devant son métier
    Dans l’attente irraisonnée de son époux royal
    On fait et on défait inlassablement la tapisserie de sa vie.



    Emmanuel Moses, Dona, 3, éditions Obsidiane, Collection Le Carré des lombes, 2020, page 9. Gravures de Frédéric Couraillon. Vignette de couverture de Gérard Titus-Carmel [en librairie le 22 octobre 2020].






    Emmanuel Moses  Dona




    EMMANUEL   MOSES


    Emmanuel_moses_didier_pruvot_flammarion
    Ph. © Didier Pruvot/Flammarion
    Source





    ■ Emmanuel Moses
    sur Terres de femmes


    Dona (lecture d’AP)
    [Mais voilà il y a un au-delà des apparences](extrait de Quatuor)
    La fleur « Shortia » (extrait de Polonaise)
    Ivresse (lecture de Gérard Cartier)
    [Derniers feux](extrait d’Ivresse)
    [Aujourd’hui j’ai ouvert le journal de l’éternité](extrait de Dieu est à l’arrêt du tram)
    [Je ferme les yeux](autre extrait de Dieu est à l’arrêt du tram)
    [Je suis allée au puits](extrait de Comment trouver comment chercher)
    [La mer, à peau de cétacé](extrait du Paradis aux acacias)
    Quatuor (lecture d’AP)
    Tout le monde est tout le temps en voyage (lecture d’AP)
    Tardives (poème extrait de Tout le monde est tout le temps en voyage)
    [Mettre un éléphant dans un poème](extrait d’Un dernier verre à l’auberge)
    [Le cahier vide et le cahier qui se remplit](extrait du Voyageur amoureux)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site Les Découvreurs)
    une lecture de Dona par Georges Guillain





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  • Gérard Titus-Carmel | en traîne d’ocre et de blanc



    EN TRAÎNE D’OCRE ET DE BLANC



    voix tues en traîne d’ocre et de blanc, toutes béantes d’absence,          images pâles et brouillées en surplomb, décrochées des parois de la yourte, une fumée fauve restée vive en son centre, la gardant toujours simple et droite —

    (et dehors le dessin des ombres bleues marbrant les pavés, tordant les heures à notre avantage)

    une douleur, pourtant, au défaut de l’épaule,          une crainte nue qu’on devine sans recours, car attachée à une autre durée, comme le signal de l’effondrement à venir, suivi du froissement sec de la mémoire poussée en ses derniers replis —

    (comment dire cette aigreur surie au cœur de l’été, le souffle rendu rauque et les mots à peine lâchés, irritant durablement les lèvres, une guerre de position, les nerfs portés à vif, prêts à trahir)

    même le jour s’est fermé à la faveur de cette chute       il a transi nos fronts autour de cette figure cryptée qu’il découvre logée en fossile dans le fin mica d’une peau étrangère —




    Gérard Titus-Carmel, Serpentes, III.1, éditions Obsidiane, Collection Le Carré des lombes, 2018, page 24. Dessins et vignettes de Gérard Titus-Carmel [en librairie le 21 août 2018].






    Serpentes





    ________________________________
    NOTE DE L’ÉDITEUR : avec ce premier titre, la collection Le Carré des lombes publiera, deux fois l’an, de courts volumes au format 22 x 21cm, qui mêleront poésie et œuvres graphiques. Après Serpentes, écrit et accompagné par Gérard Titus-Carmel, Le Carré des lombes publiera des livres de Jean-Baptiste de Seynes (et Bazaine), Gérard Noiret (et Jean-Louis Gerbaud), Emmanuel Moses (et Liliane Klapisch)… Premier volume de la nouvelle collection Le Carré des lombes, Serpentes, ainsi nommé en référence aux feuilles de soie intercalées entre deux gravures, est un polyptyque sexpartite, scandé par les encres de Titus-Carmel : « Peau translucide », « serpent de lumière », « voile de brume »… Ce long poème, mélancolique et rêveur, décline les virtualités synonymiques (métaphoriques aussi bien) des feuilles légères qui, d’une stance à l’autre, menacent « qu’une cendre nue recouvre lentement toutes les pages de ce livre ». Mais c’est toujours la fragilité de la parole poétique qui est lovée (d’où la présence du serpent dans les vers) au cœur des poèmes de Titus-Carmel (sa langue riche et gourmande !), fondée sur l’obsession de l’absence, de l’effacement et de la nuit — voir aussi La Nuit au corps ou Travaux de fouille et d’oubli ainsi que ses livres publiés chez Obsidiane.





    GÉRARD TITUS-CARMEL


    Gérard Titus-Carmel
    Source



    ■ Gérard Titus-Carmel
    sur Terres de femmes

    Albâtre, I. 8
    La Nuit au corps
    Oppresse du loin montant





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  • Pierre Voélin | Le nom des pluies




    LE NOM DES PLUIES


    J’aurai suivi toute bête
    et la chevêche s’éveille orpheline

    Apprenant les traces et le patois nocturne
    comme une gerbe s’enroulent les prières






    Un pli de la terre retient les chants
    d’oiseaux inclassables

    Un feu et l’herbe luit — impardonnée






    L’amour guetté comme un gerfaut
    à l’étroit dans son vêtement de terre

    Tel un songe — des buissons en flammes
    l’invisible maison à l’éclat de sève
    et le deuil et l’ardente épine






    À se perdre dans le souffle il est seul
    hôte patient avec sa blouse de feuilles

    Sa demeure n’est qu’un arbre

    Il va ramassant l’écorce
    toutes les clefs de la pluie à la bouche






    Je vois tomber ses mains blanches

    Personne ne pleure pas un cri
    rien que les copeaux du temps
    le vin tiré la table des bûcherons

    Le sang lointain tache la roue d’un paon





    […]






    Aimant les tendres pluies dans le sommeil
    qui ferment leurs poings d’enfant

    Je suis sans voix
    sans rêves au trébuchet des nuits

    et la hulotte sur les forêts voisines
    vient secouer son hochet de sang






    Au versant des collines les passereaux
    — voyageurs éduqués par le chant

    Ses yeux clos sous la paupière de neige
    Un homme récite l’interminable deuil

    La nuit découpe les lisières



    Pierre Voélin, « Lents passage de l’ombre », 1 in Sur la mort brève, Fata Morgana, 2017, pp. 21-24. Dessins de Gérard Titus-Carmel.






    Pierre Voélin  Sur la mort brève 2






    __________________________
    Le 13 novembre 2017, à Lausanne, la Fondation Pierrette Micheloud remettra son Grand Prix de Poésie 2017 à Pierre Voélin, pour l’ensemble de son œuvre.






    PIERRE VOÉLIN


    Voelin-nb
    Ph. © ladogana.ch
    Source





    ■ Pierre Voélin
    sur Terres de femmes

    [Être dans le pas des chevaux] [To Follow The Horses’ Hoof Steps] (extrait de La Lumière et d’autres pas)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site de la Fondation Rilke)
    une notice bio-bibliographique sur Pierre Voélin
    → (sur le site de la Radio Télévision Suisse francophone)
    Pierre Voélin : « Des Voix dans l’autre langue » (Entre les lignes, 7 août 2016)





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  • Gérard Cartier | .La duplicité.



    Proche et le lointain
    « Le proche et le lointain »
    Diptyque photographique, G.AdC







    .LA DUPLICITÉ.



    Celui qui hier      robe et ceinture étroite
    Le front penché sous l’aile poudreuse
    Du bombyx des nuits      remâchait son passé
    Et déjà     enfermé dans son mur      se voyait
    Toucher l’hiver      le voici à la table prolixe
    Dans ces collines qui gonflent sous les pins
    Et le vent rouge de Lybie      un monde
    De sept couleurs où tout flatte et contente
    Le proche et le lointain La morue à l’humide
    Et le ciel léger des tumulus romains
    Celui qui allait solitaire le voici
    Près d’un être en chignon fille de l’Étrurie
    Une sirène mouchetée en sorte de serpent
    Chancelant      l’œil et la langue aux abois
    Et la chair à l’agonie      Comment
    Réconcilier ces deux qui font leur personnage
    Ce sera le labeur de nombreuses années
    Un mur de chaux et de courtes pages
    Où précipiter femme et tombeaux et flatter
    Tantôt la chair insatiable tantôt
    L’ombre du passé…



    Gérard Cartier, « 3. Cultiver ses vices » in Les Métamorphoses, Le Castor Astral, 2017, page 53. Vignettes de couverture et intérieur : Gérard Titus-Carmel.






    Gerard Cartier, Les Métamorphoses






    GÉRARD CARTIER


    PORTRAIT DE GERARD CARTIER
    Image, G.AdC



    ■ Gérard Cartier
    sur Terres de femmes



    Les Métamorphoses (lecture de Maëlle Levacher)
    Le Voyage de Bougainville (lecture de Marie-Claire Bancquart)
    Le Voyage de Bougainville (lecture d’AP)
    .Par moi on va dans la cité dolente… (poème extrait du Voyage de Bougainville)
    Tristran (lecture de Nathalie Riera)
    Le philtre (extrait de Tristran)
    [Terra nullius] (extrait de L’Ultime Thulé)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Gérard Cartier
    → (sur le site du Castor Astral)
    la fiche de l’éditeur sur Les Métamorphoses de Gérard Cartier





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  • Françoise Ascal | [tu aurais voulu l’oublier]



    [TU AURAIS VOULU L’OUBLIER]



    Tu aurais voulu l’oublier
    ou ne jamais l’entendre
    mais tu tendais l’oreille stationnais près de la margelle guettais malgré l’interdit

    tu guettes encore

    tu ne veux pas manquer le moindre de ses murmures mélopées sanglots litanies bercements tout cela qui vacille dans l’ombre de jour comme de nuit tout cela qui coule et roule dans sa voix secrète sa voix d’eau souterraine sa voix cachée retirée du monde mutique volontaire campée dans un refus de forêt noire non pas de pacte avec la lumière pas d’étreinte avec le bleu du ciel toujours elle veillera le malheur

    elle n’entend pas les vivants qui l’appellent elle a quitté leur table depuis longtemps elle est avec eux les morts ses morts pour eux seuls sa langue se délie elle leur parle les rassure ils sont nombreux ne vieillissent pas à celui en tenue de soldat elle confie qu’elle ne tardera pas à cet autre elle chant une comptine

    tu cherches les morts tu te demandes si toi aussi tu as des morts partout dans la maison tu les cherches les siens les tiens tu crois les apercevoir entre les cloisons ajourées de la grange les surprendre dans le craquement du plancher il leur arrive de te frôler quand tu t’attardes dans les friches un soir de lune tu les devines terrés au fond du puits

    est-ce que les morts parlent
    tu lances tes mots dans l’énigme la peur te répond
    la peur trace des cercles au centre tu perds ton nom

    tu aurais aimé l’oublier
    ou ne jamais l’entendre
    mais tu guettes encore

    tu ne l’entends plus

    elle est devenue ton ombre



    Françoise Ascal, Des voix dans l’obscur, Éditions Æncrages & Co, Collection Ecri(peind)re, 2015, s.f. Dessins de Gérard Titus-Carmel.







    Ascal desvoixdanslobscur





    FRANÇOISE ASCAL


    Francoise Ascal par Michel Durigneux
    Ph. © Michel Durigneux
    Source





    ■ Françoise Ascal
    sur Terres de femmes


    [longtemps j’ai mâché | vos grains de grès](extrait d’Entre chair et terre)
    [Carnet, 2004] (extrait d’Un bleu d’octobre)
    [Carnet, 2011] (autre extrait d’Un bleu d’octobre)
    Des voix dans l’obscur (note de lecture d’AP)
    Levée des ombres (note de lecture d’AP)
    Lignées (note de lecture d’AP)
    [Je ferme les yeux et laisse le mot venir] (extrait de Lignées)
    Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli (note de lecture d’Isabelle Lévesque)
    Mille étangs
    L’Obstination du perce-neige et Variations-prairie (lectures d’AP)
    Rouge Rothko
    16 juillet 1796 | Françoise Ascal, La Barque de l’aube | Camille Corot
    5-10 août 2017 | Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél)
    une fiche bio-bibliographique sur Françoise Ascal
    le site des éditions Æncrages & Co





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Gérard Titus-Carmel | Albâtre, I. 8



    Peur & fissure de l'ombre bis
    Ph., G.AdC






    ALBÂTRE (extrait I. 8)




    Peur & fissure de l’ombre –

    seule veillant au fond de l’antre nocturne

    cette forme pansue impénétrable & froide

    gardant au feu de son énigme

    drogues & onguents pour huiler nos rêves

    comme remontant tous les siècles éclairant

    tous mes visages antérieurs



    (… Où l’esprit se désœuvre et oublie –
    où le cœur se tord, ce bloc de lumière
    confond toutes les aubes.)




    Gérard Titus-Carmel, Albâtre (extrait I. 8), in revue trimestrielle de poésie & littérature Diérèse, 58, automne-hiver 2012, page 31.





    Diérèse 58





    GÉRARD TITUS-CARMEL


    Gérard Titus-Carmel
    Source




    ■ Gérard Titus-Carmel
    sur Terres de femmes

    en traîne d’ocre et de blanc (extrait de Serpentes)
    La Nuit au corps
    Oppresse du loin montant




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur La Pierre et le Sel)
    Diérèse 58 | Respirations de la poésie





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  • Françoise Ascal, Lignées

    par Angèle Paoli

    Françoise Ascal, Lignées,
    Æncrages & Co, Collection Ecri(peind)re, 2012, s. f.
    Dessins de Gérard Titus-Carmel.



    Lecture d’Angèle Paoli



    Lignees







    UN RÊVE MINÉRAL



    Marche à travers la forêt obscure des signes, Lignées est l’énigme d’une vie immémoriale, semée de figures sans visages. La narratrice/la poète, semblable à celles qu’accueillent les fougères, pétrie de froid ou de peur, chemine vers les lointaines collines du « grand est » originel, inaccessible et rêvé. En lisière de la quête se vit/se dit le manque. Manquent la lumière et l’air, « la solitude et son vertige », « la mystérieuse banalité offerte à fleur de terre ». « Une vie entière à poursuivre la lumière, est-ce raisonnable ? », interroge Françoise Ascal. Manque, dès avant la naissance, la matrice douce d’une mère aimante. Au cœur de l’écriture, arrimée à la noirceur de la naissance, gît l’enfance confisquée. « Froidure/effroi » dominent, même si le parfum mentholé de la lumière ruisselle parfois dans le cresson. Comment se désengluer « du sans-forme du sans-fond » et retrouver la pureté du silex ? Comment rejoindre la passe, en franchir les eaux sombres, et, du doigt, soudain, toucher « l’or de l’énigme » ?

    En quête d’une histoire et d’un passé, en quête surtout d’une issue lumineuse, Françoise Ascal fait lever sa lignée. Au fil des pas et des pages, une « ancêtre bienveillante », des tisseuses de chanvre « aux mains usées par le fil », des mineurs forant des trous dans le noir, des serfs et des « faneuses de juillet », accompagnent la poète dans son cheminement. Dans la lignée manque la mère, dont ne demeure que la « Mémoire ombilicale en forme de laisse », manquent les hommes « tous avalés par l’horizon un premier août 1914 aux environs de 16 heures. » Comme dans certains contes nordiques, au cœur même de l’épaisse noirceur, survient une marraine à « voix de sirène », qui scande à l’oreille de la marcheuse de mystérieuses formules pour lui montrer la voie : « Tire, tire comme sur un fil de soie, dit-elle. Arrondis ton geste et tire délicatement. »… « Respire, dit-elle, laisse faire le souffle. » Écartant ronces et salamandres, secouant les scolopendres qui s’agitent dans sa chevelure, la narratrice se fraie un chemin parmi les obstacles. « Je cherche le passage », écrit-elle.

    Plus près de nous, du côté de l’écriture, Montaigne-le-vif et René Crevel ― cerveau de viande qui fait mal ―, « en visite » sous sa peau, sèment leurs signes. Les frontières s’effacent un instant mais les questions demeurent, paumes ouvertes sur le vide. Plus proche encore et plus présent, Arthur Rimbaud-le voyant. Les poèmes en prose de Françoise Ascal s’inscrivent dans la lignée du poète « aux semelles de vent ». L’enfant se voudrait magicienne, capable de traverser la vitre, « d’entendre ruisseler la lumière » et d’atteindre enfin la clarté. Mais la réalité est autre. Les eaux de la naissance et de la mort se rejoignent. Entre sexe et sang, intimement mêlés, Eros et Thanatos noient le rêve de l’exploratrice dans la même soue.

    « Un goût de sang emplit ta bouche. Le bleu du ciel a deux trous rouges au côté droit ».

    À travers les poèmes des épreuves ― « Je dois courir vers le puits, écouter encore et encore le chant de la poulie qui se fige » ―, face au rien qui enveloppe toute chose et tout être, surgissent le mot et sa cohorte exigeante de verbes, d’adjectifs, de rythmes et de scansions (3/2/3/2), ses images d’herbes folles et ses tiges plantées à même le crâne. Dans l’univers d’inexistence de la poète, c’est un univers foisonnant qui lève, corps et plantes, graminées et chiendent, « paumes pleines de syllabes rouges encore vivantes ». Gonflé de « sève obscure », taillant à vif, le mot se fraie un passage, s’anime, se forge une présence, s’immisce dans la brèche. Il prend corps dans le corps de l’absente ― absente à elle-même. Le rythme s’accélère, emplit la page d’une respiration forte que les dessins de Gérard Titus-Carmel accompagnent, forêt dense, entre le noir et les ocres. Le mot s’insinue « sous les pores de la peau », force les cavités et les résistances.

    « Il ne faut pas avoir peur, pas reculer, texte/peau même combat pour la vie, pour l’expansion dans la lumière… », confie la poète.

    Sous « la nostalgie de silex », le « rêve minéral » peut enfin s’accomplir.



    Angèle Paoli

    D.R. Texte angèlepaoli






    ________________________________
    Le Prix du Poème en Prose Louis-Guillaume 2014 a été décerné à Françoise Ascal pour le recueil Lignées.






    Lignees_2





    FRANÇOISE ASCAL


    Francoise Ascal par Michel Durigneux
    Ph. © Michel Durigneux
    Source





    ■ Françoise Ascal
    sur Terres de femmes


    [longtemps j’ai mâché | vos grains de grès](extrait d’Entre chair et terre)
    [Carnet, 2004] (extrait d’Un bleu d’octobre)
    [Carnet, 2011] (autre extrait d’Un bleu d’octobre)
    Des voix dans l’obscur (lecture d’AP)
    [Je ferme les yeux et laisse le mot venir] (extrait de Lignées)
    Levée des ombres (lecture d’AP)
    [tu aurais voulu l’oublier] (extrait de Des voix dans l’obscur)
    Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Mille étangs
    L’Obstination du perce-neige et Variations-prairie (lectures d’AP)
    Rouge Rothko
    16 juillet 1796 | Françoise Ascal, La Barque de l’aube | Camille Corot
    5-10 août 2017 | Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Un nécessaire malentendu)
    un autre extrait de Lignées
    → (sur le site de la mél)
    une fiche bio-bibliographique sur Françoise Ascal
    → (sur le blog de Jacques Josse)
    une note de lecture sur Lignées





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  • Gérard Titus-Carmel | Oppresse du loin montant



    Gérard Titus-Carmel dans son atelier
    Ph. Julien Daniel (décembre 2001)
    Source







    OPPRESSE DU LOIN MONTANT
    (Premier mouvement)



    4. Quatrième état



    Là devant la mer se dresse sans défaut
    seule crantée devant l’impossible et s’effrangeant
    à tant mourir dans la répétition

    des vagues claires & rondes toutes sœurs liées
    dans le balancement en pure salive
    de l’écume défaite sous le ciel toujours semblable

    et comme ainsi demeurés cois interdits
    roulés à son bord le temps rompu
    cognant fou régulier à nos corps




          (Flaque sans fond où toujours le ciel se renverse et que la nuit pousse et nourrit ; obscurité peuplée de monstres violets & sans yeux circulant gravement en son sein, ahans du monde invisible rythmant la danse. Et le sel toujours dévastant la bouche : je me tiens à cette lisière comme à l’avancée du jour ainsi que j’acquiesce aux saisons, comptant et recomptant les coups qu’assènent les sœurs laiteuses, si mauvaises en leur belle eau des origines quand le sable les boit et que mon image disparaît avec elle sous le miroir.)




    Gérard Titus-Carmel, « Oppresse du loin montant » (Premier mouvement), in Ressac, Obsidiane, 2011, pp. 26-27.





    Gérard Titus-Carmel, Ressac





    GÉRARD TITUS-CARMEL


    Gérard Titus-Carmel
    Source




    ■ Gérard Titus-Carmel
    sur Terres de femmes

    Albâtre, I. 8
    en traîne d’ocre et de blanc (extrait de Serpentes)
    La Nuit au corps




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Mediapart)
    une note de lecture de Bernard Demandre sur Ressac de Gérard Titus-Carmel (+ éléments de bibliographie + extraits)
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    Gérard Titus-Carmel | L’exposition Suite Grünewald au collège des Bernardins, Paris (13 mars-9 août 2009)





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  • Gérard Titus-Carmel | La Nuit au corps


    Nuit au corps
    Ph. angèlepaoli






    LA NUIT AU CORPS  (extrait)


        Il n’est plus profonde obscurité au fond des êtres que l’impartageable noyau des mots qu’ils tentent opiniâtrement de fracasser. Ainsi, à la mesure des phrases que hersent vos lèvres, une pénombre descend sournoisement en vous à la manière d’un voile, comme un vœu d’abandon, un secret consentement ― une gratitude, presque : tout à coup, en effet, un violent désir de calme et d’infini vous submerge et vos paupières se font brutalement aussi lourdes que l’indifférence qui vous dépose au bord de ce torrent de mots durs, arrondis et sonores, qui roulent à côté de vous ; rendus étrangers au courant et aux tourbillons, vous rêvez alors d’un sommeil opaque, vous en appelez à la pierre, à l’oubli. Car au défaut de la nuit, en effet, est logé comme le ver dans le fruit, l’oubli de ce jour qui fut, qui fut infiniment, là où, précisément, nous ne souhaitions que nous glisser dans une épaisseur sans histoire, comme disparaître, le temps d’une halte, dans une densité inconnue et sans remords.


        (Ce soir-là, il a quitté sa maison sans même jeter un dernier regard derrière lui quand il est parti. En a-t-il été chassé, ou s’est-il soudain trouvé fatigué d’y vivre ? Il ne se souvient plus. Il sait seulement qu’il a peu à peu cessé de sentir la vie couler en lui, et qu’il s’est alors enfoncé dans la solitude de son corps, comme on pénètre dans l’ombre d’une cabane enfouie sous l’enfance, ou d’une grotte dont on est seul à connaître l’entrée. (C’est, en fait, un long tunnel creusé au milieu du paysage ; on dirait une bouche noire, béant sur ce qui reste de jour et ouvrant peut-être ― en tout cas bien plus loin, ou ailleurs ― sur l’inconnu.) Dans ce couloir d’oubli qu’il a élu pour nouvelle demeure, il se tient ramassé sur lui-même, comme à l’affût de son ombre. Et il entreprend là son récit de nuit. Car il fait chaque fois ce rêve terrible, toujours le même : il est jeté à jamais dans ce boyau ; il ne tombe plus, il se retourne. Il se terre, il est tout entier rentré dans sa mémoire, et tous les sons, toutes les odeurs, toutes les sensations se sont d’un seul coup évanouis. L’air, même, n’oppose plus de résistance, les dimensions s’effacent, il n’y a bientôt plus ni issue, ni direction. Silencieusement, les murs se sont écartés jusqu’à l’infini, le sol s’est dérobé, il n’y a plus de haut ni de bas, plus rien n’est simplement nommable autour de lui : rien qu’un immense ciel en expansion, privé d’étoiles, qui entoure un vide absolu, sans commencement, ni terme, ni langage. Alors il a senti ses yeux se fermer doucement, l’impression fugace d’une caresse sur l’écume, sur le rien consenti, une paix. Et son corps, pareillement à la grotte, s’est ouvert à la nuit, jusqu’à être totalement, essentiellement dissous dans son rêve.
        Au matin, le réveil a été difficile. Et long le chemin pour regagner la maison…)



         C’est aussi l’étang sans berges, au-dessus de quoi les mots lancent leurs dernières lueurs avant de se poser dans le silence. Seul le secret qu’ils viennent joncher les endort. Ou bien s’ils s’enfoncent dans cette matière et se distendent, on dirait que certains dérivent, désamorcés, sans poids. Mais beaucoup restent présents, sournois et menaçants, comme nageant entre deux eaux, rendus méconnaissables à cette profondeur, apparaissant sous un autre relief, parés de couleurs inhabituelles ou évoluant en de nouvelles compagnies. Nous nous trouvons là plongés dans un espace à la fois plein et aboli en lui-même, mais où repose notre corps qui répète à l’infini l’annonce de sa chute à venir avec des mots tenant encore au jour, mais que déjà la nuit défigure.


         Philippe Jaccottet : « Songe à ce que serait pour ton ouïe, / toi qui es à l’écoute de la nuit, / une très lente neige/ de cristal. » Voilà ce qu’il écrit au seuil du silence, quand encore une musique l’enchante, et qu’elle se déroule comme un récit. Voire qu’elle monte en fumée, ou qu’elle tinte comme le verre…



    Gérard Titus-Carmel, La Nuit au corps, Fata Morgana, 2010, pp. 34-35-36-37.





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    PREMIER RABAT DE COUVERTURE : « Ici est le pays sans déception. Car la nuit, toujours souveraine, se montre magnanime : elle se déverse généreusement en nous, sans mesure ni remords, et rafraîchit celui qu’une trop forte passion consume à l’intérieur. Chaque soir, elle s’ouvre ainsi qu’une vaste et accueillante étendue d’eau noire, plus vastement encore que les plus larges fleuves connus, plus sombre que les grands lacs, avec des berges qui s’ourlent de lointain dès qu’on avance. Et c’est de tout son mystère qu’elle nous introduit à sa lumière ― à son «obscure clarté» au sein de quoi se dilue notre ardent désir de paix et d’oubli. On dit alors qu’on a la nuit au corps. »





    GÉRARD TITUS-CARMEL


    Gérard Titus-Carmel
    Source




    ■ Gérard Titus-Carmel
    sur Terres de femmes

    Albâtre, I. 8
    en traîne d’ocre et de blanc (extrait de Serpentes)
    Oppresse du loin montant




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur remue.net)
    Gérard Titus-Carmel | Ici rien n’est présent (texte de l’intervention d’Antoine Emaz au colloque de Villeneuve-sur-Yonne, 24 & 25 septembre 2004)



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