Étiquette : Ghyslaine Leloup


  • Ghyslaine Leloup & Noël Roch, Bien à vous, Une correspondance

    par Angèle Paoli

    Ghyslaine Leloup & Noël Roch, Bien à vous
    Une correspondance,

    éditions unicité, 2017.
    Préface d’Alain Vircondelet.



    Lecture d’ Angèle Paoli



    Ghyslaine Leloup par Noël Roch
    Noël Roch, Ghyslaine Leloup au fauteuil bleu (détail), 2012.
    Acrylique sur panneau









    LE COLLOQUE SINGULIER




    C’est une « drôle de chose » que cet échange épistolaire entre un médecin-philosophe-peintre-ogre et une poète (poétesse ?). Un « colloque singulier » à deux voix, cependant : celle de Ghyslaine Leloup et celle de Noël Roch. L’un et l’autre ont en partage la première de couverture ; le peintre, par la toile choisie pour illustrer le recueil (Conversation, Acrylique sur toile, 80 cm x 100 cm) ; la poète, par le titre qu’elle donne à cet ouvrage à quatre mains : Bien à vous. C’est par cette formule que Ghyslaine Leloup clôt l’échange intitulé « L’ogre et les bulles ». Dans l’épilogue qui suit et dont elle est l’unique scriptrice, le « vous » qui a dominé et guidé cette correspondance se change en « tu ». La formule finale devient alors « Bien à toi ». L’ensemble de l’échange est relié sous le sous-titre : Une correspondance.

    Comment les deux voix se sont-elles croisées puis rencontrées ? Comment les deux épistoliers sont-ils entrés en contact l’un avec l’autre ? L’échange ne le dit pas explicitement. Mais l’allusion à Facebook laisse entrevoir que c’est par le biais de ce réseau que s’est liée cette amitié, tissée de complicités, de réflexions, de mises en parallèle des expériences, d’interrogations et d’antagonismes. La correspondance, toute électronique, s’est agrémentée d’envois de photos et de reproductions de toiles. Elle s’étire sur presque trois années, entre le 13 janvier 2011 et le 12 août 2013. Veille de « la première rencontre de visu » de Ghyslaine Leloup et de Noël Roch, le 13 août 2013, à Bayeux, en Normandie.

    Entre les deux épistoliers s’est installée une durée. Parfois interrompue par les aléas que connaît chacun au cours du temps qu’il traverse. La place est alors faite au silence. Puis l’échange reprend. Entre poésie et peinture se construit une approche progressive. Avec pour point d’accroche le regard.

    « Je ressens dans vos textes une tension, une force, un étonnement, une expérience de vie, une maîtrise du déséquilibre, le monde serré de votre regard », écrit Noël Roch (NR) dans le prologue.

    Le regard ? Celui que chacun porte sur soi, sur son propre travail. Sur ses origines sociales et sur l’incidence qu’elles ont eue sur chacun des protagonistes et sur leurs choix de vie respectifs. Sur les autres aussi, proches ou moins proches. Sur l’autre, enfin, cet étrange étranger avec qui l’on s’entretient, derrière son écran, et que l’on ne connaît pas. À partir des toiles et des mots, chacun tente de comprendre l’autre ; d’établir des ponts entre deux modes d’expression qui ne procèdent ni de la même matière ni de la même manière ; d’aborder à la pensée structurante et intime de son correspondant ; de s’accorder à lui et de rebondir à ses propos. « Oui mais non », reprend souvent Ghyslaine Leloup (GL) avant de relancer une réponse plus complète. Et, en définitive, pour l’un et pour l’autre, ne s’agit-il pas de tenter de « démasquer le personnage pour rencontrer l’homme » ? C’est sans doute cette quête qui anime le peintre pour qui « médecine et peinture ne sont pas antinomiques ». Bien au contraire. Ces deux passions se complètent, qui nécessitent « un regard convergent et des esprits qui se frottent l’un à l’autre, s’émerveillant des différences d’approche. » Pour Ghyslaine Leloup, le médecin semble avoir une longueur d’avance sur « l’homme de la rue ». Car celui que le médecin a en permanence sous les yeux, c’est l’humain, « sans les oripeaux qu’il arbore pour se rassurer et oublier. » « Le roi nu » est là, sous ses yeux, dépouillé de ses faux-semblants fanfaronnades et illusions. Ce qui rejoint la quête de Ghyslaine Leloup :

    « Trouver une parole « d’être humain » à ras de la conscience du vivre, essayer d’aller plus loin que mon moi anecdotique, extirper une sorte de femme primitive. » Énonciation qu’elle complète par une analyse lucide d’elle-même :

    « Je sens mes limites, les verrous, je ressens souvent l’étroitesse dans mon expression. En même temps, je refuse la violence qui pourrait en surgir, préférant continuer sur une certaine tension. Oui, mais non donc… »

    Pour le peintre comme pour la poète, ce qui émerge du dialogue, c’est cette nécessité d’être au plus près des exigences que chacun poursuit. Vis-à-vis de soi, vis-à-vis de l’autre.

    Pour GL, « ces courriers ne sont pas des monologues déguisés, comme souvent… C’est du mouvement, avec des mots, où la part d’imaginaire doit être tenue à distance pour que soit le « parler vrai » — ni confidence ni intellectualisation outrancière… Ni conversation ni entretien.  » Un peu plus loin, pourtant, dans le même espace épistolaire, elle confie : « Notre conversation au long cours m’est jubilatoire. » (in « Correspondance, quel mot superbe, multiple ! »)

    Plus loin, dans un autre échange qui s’ouvre sur un portrait de Noël Roch par Coucke (Katherine Coucke partage avec Noël Roch l’Atelier CouckéRoch), Ghyslaine Leloup définit leur échange épistolaire comme une « bulle ». Car, écrit-elle, « il n’y est question que de soi, et du monde dans la relation qu’on entretient, ou pas, avec lui. » Et la poète de prolonger son approche et de la justifier en la complétant ainsi :

    « La bulle n’est donc pas un repli : c’est léger, rond, ça rebondit, fait lever les yeux, c’est comme un ballon gonflé d’hélium. Une voix amplifiée ? Ma métaphore de l’échange. » (in « L’ogre et les bulles »)

    Par la vision qu’elle a de cet échange, Ghyslaine Leloup, qui nourrit pour les correspondances des siècles passés une passion toujours vive, rejoint les préoccupations qui pouvaient être celles de la marquise de Sévigné, par exemple. Ouverte sur le monde et à l’écoute de son bruissement incessant, la grande épistolière était capable, jusque dans l’éloignement qui la maintenait hors de Paris, de rendre compte par sa plume alerte de ce qui se passait dans la capitale. Ici, dans le cas d’une correspondance par courriel, le temps et l’espace prennent une tout autre dimension. Ils n’en sont pas moins présents. Ainsi, en se livrant à cet exercice d’un genre renouvelé, Ghyslaine Leloup renoue-t-elle avec cet art de l’échange qui tient les sens en éveil et aiguise le regard. Non sans se départir d’un certain humour.

    La peinture. Le regard. Dans cet ouvrage qui comporte des reproductions de toiles de Noël Roch, des photos et des poèmes de Ghyslaine Leloup, une toile et un poème de Coucke, deux portraits retiennent plus particulièrement mon attention. Celui de Noël Roch réalisé par Coucke. Un écho, en quelque sorte au portrait que Noël Roch a peint de Ghyslaine Leloup. Une symétrie parfaite. Au choc de Ghyslaine Leloup face à elle-même — « dépecée, jusqu’au noyau » — répond le « regard sagittal » dont elle qualifie le portrait de Roch réalisé par Coucke.

    Les deux portraits ne se rejoignent-ils pas, en effet, pour dire l’« Énigme froide » que chacun des épistoliers cherche à décrypter derrière les précautions dont il s’entoure ?

    Noël Roch, se regardant dans le portrait de Coucke, déclare :

    « L’œil de l’émotion, c’est mon œil gauche et l’œil mathématique, c’est mon œil droit. Peindre, c’est la balance continuelle de la décision qui oscille de l’œil droit à l’œil gauche. C’est cela qui immobilise au final le tableau, sans le tuer tout à fait, il faut qu’il gueule dans sa prison. »

    Regardant celui qu’il a fait de Ghyslaine Leloup, il rassure la poète en l’invitant à une lecture différente de celle qu’elle a faite d’elle-même — le visage d’« un avant-dernier souffle ».

    Y lire plutôt « l’épreuve de la Vie, comme un archet fait résonner un violoncelle. » Et le peintre de poursuivre :

    « Est-ce que le son est dur, énigmatique, parce qu’il meurt dans l’instant qu’il est produit ? C’est cette réalité que j’ai peinte. Mais la musique est globale. »

    J’emprunte à la belle préface d’Alain Vircondelet ces quelques mots avec lesquels je me sens, lectrice séduite par ce dialogue, en parfaite symbiose et adéquation :

    « Le mystère de ce récit, insolite et rare, est que jamais son lecteur ne se sent voyeur ou importun. Il est, lui aussi, partie prenante de cette aventure duelle, il s’y glisse sans fausse pudeur, ami et souriant, invité de ce que ses auteurs appellent « le colloque singulier ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Ghyslaine Leloup & Noël Roch  Bien à vous





    GHYSLAINE LELOUP


    Ghyslaine Leloup
    Image, G.AdC




    ■ Ghyslaine Leloup
    sur Terres de femmes


    La paix disent-elles (+ une notice bio-bibliographique sur Ghyslaine Leloup)
    Les heures froides (poème extrait de Nuit chorale, son soleil sous les paupières)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Ils ont tenté de broyer mon esprit



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Unicité)
    la page de l’éditeur sur Bien à vous de Ghyslaine Leloup & Noël Roch
    → (sur Ce Qui Reste)
    « La grande fugue » de Ghyslaine Leloup





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  • Ghyslaine Leloup | Ils ont tenté de broyer mon esprit


    Vierge d-finitive ou catin repentie
    Ph., G.AdC







    ILS ONT TENTÉ DE BROYER MON ESPRIT



    Ils ont tant de fois tenté
    De broyer mon corps et d’effacer ma mémoire
    Ployant sous l’anathème
    Leurs mots lacéraient ma chair autant que leurs pierres

    Je sais les deux

    L’obscurité du temps n’y fera rien
    Pas plus que leurs souillures
    Une lumière d’un autre ordre
    Brûle
    Intacte dans ma chair peuplée de voix

    J’ai trois mille ans
    Mariage blanc sur une faille d’encens
    Prophéties criées de dieux supposés
    Les hommes m’exilent loin des vivants

    Venant d’en bas
    Les cris

    Toujours les cris

    J’ai deux mille ans
    Épouse des aubes de granit
    Répudiée des chênes et des solstices
    Le gui éteint son or au seuil de la raison

    J’ai deux mille ans ailleurs
    Repentie à la chevelure parfumée
    Ils me disent la putain de l’autre
    Celle qui danse sur des paroles inouïes
    Et baise ses mains sans entraves

    Depuis mille ans dans leurs cathédrales
    Vierge définitive ou catin repentie
    Ils ont gelé mes courbes dans des plis de stuc
    Ourlé ma bouche de marbre

    Voix envolée cris d’hirondelles
    Arc du corps traduction des ailes

    Venant d’en bas
    Les cris

    Silhouette furtive des futaies
    Mes élixirs guérissent on me dit maléfique
    Ils me fouettent me fouaillent me forcent et m’étouffent
    Avant le bûcher et son orgie de ténèbres

    Toujours les cris

    Musique condamnée jusque dans les cages
    Le glas de la prière tombe comme nos larmes
    Traquée dans un orient aux fontaines taries
    Je porte ma prison en un voile tissé lourd
    Ciel obscurci sous les barreaux de mon regard

    Les étoiles se taisent la lumière s’achève

    Mais revient aujourd’hui et sa promesse de clarté

    L’obscurité du temps n’y fera rien
    Pas plus que leurs souillures
    Une lumière d’un autre ordre
    Brûle
    Intacte dans ma chair peuplée de voix

    Le jour se lève

    Je rejoins la prochaine aurore



    Ghyslaine Leloup
    D.R. Texte inédit
    Ghyslaine Leloup pour Terres de femmes







    Voir aussi :
    – (sur Terres de femmes)
    Ghyslaine Leloup/La paix disent-elles (+ notice bio-bibliographique) ;
    – (dans la galerie Visages de femmes de Terres de femmes)
    le Portrait de Ghyslaine Leloup.

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    (Printemps des poètes 2010 « Couleur femme »)

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  • Ghyslaine Leloup | La paix disent-elles

    «  Poésie d’un jour  »



    Que reste-t-il sous la cendre ?
    Ph., G.AdC







    LA PAIX DISENT-ELLES



    La paix disent-elles

    La guerre font-ils

    Nous avions maquillé nos yeux pour contempler le ciel
    Et rougi nos lèvres au suc des grenades pour embrasser la terre
    Nous avions arrondi nos ventres pour honorer le monde

    Les oiseaux se sont tus
    Ô silence des déserts rendus plus arides
    Sous l’acharnement des chars
    Que reste-t-il sous la cendre ?
    Nous cherchons les chemins, les champs
    Dévastés par les bottes

    Nos yeux sont cernés de deuil, nos jardins de décombres

    Nos sexes ont été fouaillés au nom des frontières
    Nos bouches souillées
    Nos ventres ont accouché d’enfants traîtres

    Ô paix abandonnée aux ronces
    Mariée couronnée de la fleur d’oranger
    Laissée blanche dans un cortège funèbre
    Nous demeurons tes filles d’honneur
    Et
    Nos voix continuent d’élever au milieu des salves
    Leurs chants impérieux
    Nos pieds continuent de fouler la terre gorgée de sang
    En danses imprécatoires

    Nous nous vêtirons à nouveau pour les noces
    Nous nous parfumerons à nouveau de rose
    Nos maisons s’ouvriront à nouveau au voyageur

    Le ciel reflétera à nouveau les vagues du désert

    Nos obsédantes psalmodies emplissent déjà l’horizon où se poursuit notre légende



    Ghyslaine Leloup in Marlène Tuininga, Femmes contre les guerres, carnets d’une correspondante de paix, Desclée de Brouwer, Paris, 2003, page 106.




    Marl-ne Tuininga- Femmes contre les guerres





    NOTICE BIO-BIBLIOGRAPHIQUE


        Née le 1er février 1956 près d’Omaha Beach en Normandie, Ghyslaine Leloup vit à Paris. Elle travaille depuis 1983 dans le milieu culturel et artistique. Engagée dans le tissu associatif, elle est aussi rédactrice dans une revue humanitaire. Elle est l’auteure de nombreuses publications en revue ainsi que de recueils de poésie :

    J’appelle, au bord du monde, La Bartavelle éditeur, 2000 ;
    Le Rêve aux mains lentes, La Bartavelle éditeur, 2001 ;
    L’Ange de sable, Éditions Encres Vives, Collection Encres Blanches n°103, 2003 ;
    La Joie, pourtant, Hélices Poésie, 2006 ;
    Sur le seuil, promis, L’Harmattan-Accent tonique, 2013 ;
    Nuit chorale, son soleil sous les paupières, Éditions Unicité, 2016.

    Et d’un récit (correspondance avec Noël Roch) :

    Bien à vous, Une correspondance, Éditions Unicité, 2017.





    GHYSLAINE LELOUP


    Ghyslaine Leloup
    Image, G.AdC




    ■ Ghyslaine Leloup
    sur Terres de femmes


    Les heures froides (poème extrait de Nuit chorale, son soleil sous les paupières)
    Ghyslaine Leloup & Noël Roch, Bien à vous, Une correspondance (lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Ils ont tenté de broyer mon esprit



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Recours au Poème)
    une page sur Ghyslaine Leloup (+ cinq poèmes)
    → (sur Ce Qui Reste)
    « La grande fugue » de Ghyslaine Leloup






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