Étiquette : Giuseppe Ungaretti


  • 9 juillet 1932 | Giuseppe Ungaretti, Carnets italiens

    Éphéméride culturelle à rebours


    Audel_du_temps_et_de_lespace_1
    Ph., G.AdC







    Naples, le 9 juillet 1932




    LOINTAINS DE PARADIS PERDU



        Souvenirs et songes mûrissent l’avenir. Même éveillés, nous portons dans notre conscience des points de magie sous une aile de secret : les songes. C’est la mémoire, personnelle ou tribale, qui s’est délivrée d’elle-même et ressurgit au-delà du temps et de l’espace. Ces lointains de paradis perdu, tout acte d’amour les rapproche et les recrée. La poésie consiste à convertir la mémoire en songes et à porter d’heureuses clartés sur le chemin de l’obscur.



    Giuseppe Ungaretti, « Vasàmolo int’a l’uocchie », Carnets italiens [1931-1934], Fata Morgana, 2004, page 57.






    NOTICE BIO-BIBLIOGRAPHIQUE


    [rédigée par Yves Thomas, l’éditeur-webmestre de Terres de femmes]



        Il y a eu d’abord, au commencement de la vie d’Ungaretti, au commencement de sa poésie, le désert (Philippe Jaccottet).

        Giuseppe Ungaretti est né le 10 février 1888 à Alexandrie (Égypte), de parents originaires de Lucca. Durant toute son adolescence égyptienne, il fréquente les milieux intellectuels français et italiens, ses principales lectures portant sur Leopardi, les poètes symbolistes, Mallarmé et Nietzsche. Venu suivre ses études à Paris de 1912 à 1914, il prend pension dans un petit hôtel de la rue des Carmes, s’inscrit à la Sorbonne, suit les cours d’Henri Bergson au Collège de France, fréquente les cafés littéraires et les milieux d’avant-garde français (Braque, Cendrars, Modigliani, Picasso,…) et italiens (les futuristes Boccioni, Marinetti, Palazzeschi,…), et se lie d’amitié avec Guillaume Apollinaire.

        Enrôlé volontaire comme simple soldat durant la Première Guerre mondiale, mais aussi poète révolutionnaire, il publie à Udine en 1916 son premier recueil, Le Port enseveli (Il Porto sepolto), ouvrant la voie au courant poétique dit « hermétique ». Au lendemain de la guerre, alors qu’il est le correspondant à Paris du Popolo d’Italia (le journal de Mussolini) et travaille pour l’ambassade d’Italie, il publie la Guerre (1919), recueil qu’il écrit directement en français et dédie à Apollinaire. A Paris, il fait la rencontre d’André Breton et de Philippe Soupault, mais aussi de Jean Paulhan. Il contribue notamment à la création de la revue rationaliste L’Esprit Nouveau (Le Corbusier/Ozenfant), et collabore à la revue surréaliste Littérature. Installé à Rome à partir de 1921, il travaille au ministère des Affaires étrangères, participe aux activités du groupe de la Ronda (Baldini, Barilli, Cardarelli), tout en écrivant pour les revues littéraires Tribuna et Commerce (la revue fondée en 1924 à Paris par Marguerite Caetani). En 1925, Ungaretti signe le Manifeste des intellectuels fascistes et se rapproche des artistes et hommes de lettres romains (Scuola di via Cavour), parmi lesquels Leonardo Sinisgalli. Au début des années 1930, il collabore à la Gazzetta del popolo, et devient le chef de file de la jeune génération des poètes hermétiques. Il publie en 1931 le recueil L’Allégresse (L’Allegria), et en 1933 Sentimento del Tempo (Sentiment du temps).

        Professeur de littérature italienne à l’Université de São Paulo à partir de 1936, son séjour au Brésil est endeuillé par la mort en 1939 de son tout jeune fils Antonietto, deuil qui lui inspirera les vers du recueil La Douleur (Il Dolore, 1947). Rentré dans son pays en 1942, il obtient une chaire de littérature italienne à l’université de Rome, où il enseigne jusqu’en 1959. Durant les dernières années de sa vie, il est notamment « visiting professor » à l’Université Columbia de New York et est fêté par les intellectuels et artistes de la Beat Generation (Greenwich Village). Il meurt à Milan en 1970.

        L’intégralité de l’œuvre poétique d’Ungaretti a été rassemblée de son vivant sous le titre Vie d’un homme (Vita d’un uomo. Tutte le poesie, 1969). Ungaretti est aussi l’auteur d’essais critiques et de traductions (Racine, Shakespeare, Góngora, Mallarmé, Rilke, T.S. Eliot et William Blake), publiés à part, mais toujours sous le titre Vie d’un homme.



    GIUSEPPE UNGARETTI


    Giuseppe_ungaretti




    ■ Giuseppe Ungaretti
    sur Terres de femmes


    10 février 1888 | Naissance de Giuseppe Ungaretti
    7 février 1915 | Premiers poèmes de Giuseppe Ungaretti
    16 février 1917 | Giuseppe Ungaretti, Naufragi
    29 janvier 1933 | Giuseppe Ungaretti, Carnets italiens
    16 janvier 1950 | Lettre de Giuseppe Ungaretti à Jean Paulhan
    12 septembre 1966 | Giuseppe Ungaretti, Dialogo
    2 juin 1970 | Mort de Giuseppe Ungaretti (+ notice bio-bibliographique)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur ina.fr)
    une exceptionnelle émission d’Archives du XXe siècle sur Giuseppe Ungaretti en deux parties (16/05/1971 – 57min49s) et (23/05/1971 – 45min13s)





    Retour au répertoire du numéro de juillet 2006
    Retour à l’ index de l’éphéméride culturelle
    Retour à l’ index de la catégorie Péninsule (littérature et poésie italiennes)
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • 16 février 1917 | Giuseppe Ungaretti, Naufragi

    Éphéméride culturelle à rebours


    Ungaretti par Bartoli
    Source






    TRASFIGURAZIONE

    Versa il 16 febbraio 1917



    Sto
    addossato a un tumulo
    di fieno bronzato

    Un acre spasimo
    scoppia e brulica
    dai solchi grassi

    Ben nato mi sento
    di gente di terra

    Mi sento negli occhi
    attenti alle fasi
    del cielo
    dell’uomo rugato
    come la scorza
    dei gelsi che pota

    Mi sento
    nei visi infantili
    come un frutto rosato
    rovente
    fra gli alberi spogli

    Come una nuvola
    mi filtro
    nel sole

    Mi sento diffuso
    in un bacio
    che mi consuma
    e mi calma




    Giuseppe Ungaretti, Naufragi in L’Allegria, Vita di un uomo, Tutte le poesie, Arnoldo Mondadori Editore, 1969, p. 69. A cura di Leone Piccioni.






    TRANSFIGURATION



    Je suis
    adossé à une meule
    de foin bronzé

    Un âcre spasme
    éclate et grouille
    des sillons gras

    Je me sens vraiment né
    des gens de cette terre

    Je me sens dans les yeux
    attentifs aux changements
    du ciel
    de l’homme rugueux
    comme l’écorce
    des mûriers qu’il émonde

    Je me sens
    dans les visages des enfants
    comme un fruit rose
    brûlant
    parmi les arbres dépouillés

    Comme un nuage
    Je me filtre
    au soleil

    Je me sens épandu
    dans un baiser
    qui me consume
    et m’apaise


    Versa, 16 février 1917




    Giuseppe Ungaretti, Naufrages in Vie d’un homme, Poésie 1914-1970, Éditions de Minuit-Gallimard, Collection Poésie, 1981, rééd. 2000, pp. 84-85. Traduction de Jean Lescure. Préface de Philippe Jaccottet.






    Ungaretti, Vie d'un homme





    GIUSEPPE UNGARETTI

    Ungaretti
    Source



    ■ Giuseppe Ungaretti
    sur Terres de femmes

    10 février 1888 | Naissance de Giuseppe Ungaretti
    7 février 1915 | Giuseppe Ungaretti
    9 juillet 1932 | Giuseppe Ungaretti, Carnets italiens
    29 janvier 1933 | Giuseppe Ungaretti, Carnets italiens
    16 janvier 1950 | Lettre de Giuseppe Ungaretti à Jean Paulhan
    12 septembre 1966 | Giuseppe Ungaretti, Dialogo
    2 juin 1970 | Mort de Giuseppe Ungaretti (+ notice bio-bibliographique)


    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur ina.fr)
    une exceptionnelle émission d’Archives du XXe siècle sur Giuseppe Ungaretti en deux parties (16/05/1971 – 57min49s) et (23/05/1971 – 45min13s)



    Retour au répertoire du numéro de février 2012
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index de l’éphéméride culturelle
    Retour à l’ index de la catégorie Péninsule (littérature et poésie italiennes)

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • 29 janvier 1933 | Giuseppe Ungaretti, Carnets italiens

    Éphéméride culturelle à rebours


    Pomposa_2
    D.R. Ph., Stefano Giacomini.





    Ferrare, le 29 janvier 1933.



        En voyant sur la lagune la lumière, près de mourir, baiser le vent, on pense à des libellules rasant l’eau. Cet air, de plus en plus translucide, dévoile en effet maintenant une irisation métallique.
        Que de fois Dante aura-t-il suivi cette morne via Romea ! C’est sur ces routes qu’il dut débattre et préciser dans son esprit la Quaestio de aqua et terra.
        C’est par cette route qu’il revint pour la dernière fois de Venise à Ravenne, après avoir défendu en vain la cause de la paix. Les fièvres qui infestaient ces terres l’avaient contaminé, et de Mesola, il se hâtait en direction de Pomposa, claquant des dents, dévoré par la maladie.
        Je ne sais si, à cette époque déjà, le voyageur avait à sa droite la « vallée » Vallona et la « vallée » Giralda, ni si le sable qui les investit aujourd’hui et s’y insinue à tâtons comme doigts d’aveugle, était couvert alors de ces mêmes plantes qui imitent un étrange corail lie de vin.
        Et voici le clocher carré de l’abbaye de Pomposa*, une haute et lourde lance. Tout le reste, qui est majestueux pourtant : église, monastère, Palazzo della Ragione a l’air d’un troupeau de brebis recroquevillées sur elles-mêmes au pied de ce formidable élan, symbole d’espérance dont le sommet s’illuminait, la nuit*, comme une étoile. Pomposa, dans sa fière solitude, entre la mer et les labours, au milieu de cités et de populations batailleuses, était un lieu accueillant à chacun.
        Au temps de Dante, elles étaient encore toutes fraîches, achevées à peine, toutes ces images glorieuses sur les murs de l’église alors comble, du réfectoire bondé.
        L’esprit qui avait conduit la main de Giotto s’était répandu jusqu’ici, et le peintre romagnol avait su lui aussi, avec une passion et une fermeté singulières, réintroduire la nature et le temps dans ses ascétiques visions.
        Dante à bout de forces aura-t-il pu contempler encore ces images fidèles à ses convictions ?
        Dante moribond, passant par ici, aura-t-il pu entendre une dernière fois le chant des prières, cette musique codifiée par Guido d’Arezzo dans une cellule de ce même monastère, et qu’il avait cherché si obstinément, pour se libérer de l’enfer et du purgatoire de sa chair brûlante et monter jusqu’à Béatrice, à insuffler sa poésie ?

         À présent, il n’y a plus ici qu’une cour où des ombres vont et viennent au gré du soleil.
         Les moines partis, on y abrita du foin, des charrettes, des houes, du bétail. Ces choses-là n’ont-elles pas aussi leur majesté ? Et ce monument ne gardera-t-il pas toujours la simplicité paysanne des villages, des maisons et des figures de Giotto ?
        Des fresques qui couvraient tous les murs jusqu’au plafond, éblouissantes, il ne reste plus que des lambeaux gris de poussière.
        La désolation de l’église, parmi les restes de crépi gonflé par les années, la fait paraître si vaste que je prends pour une fourmi un dessinateur occupé à recopier un motif de pavement.
        Sous cette poussière désolée, que de merveilles encore vivantes ! Regardez le Baptême de Jésus : quelle candeur dans le souffle qui réchauffe le nu, et comme ils sont vrais, les membres divins, encore surpris par le don de la grâce, qui s’arrachent à la longue catalepsie de Byzance ! Ailleurs, le peintre, inhabile à représenter la marche de son personnage, lui fait croiser les jambes presque pour un pas de danse, et fouler le dragon aux pieds avec la légèreté de qui pourrait courir même sur l’eau ; et le personnage avec son buste raide comme un tronc d’arbre, prend involontairement un ton dramatique.
        Regardez le Miracle de San Guido**, et vous me direz si aucun peintre moderne de natures mortes, Morandi excepté, saurait peindre une table servie avec un sens décoratif plus sobre et une plus poétique intimité.


    Giuseppe Ungaretti, « De Pomposa à Ferrare », Carnets italiens [1931-1934], Fata Morgana, 2004, pp. 87-88-89. Traduction de Philippe Jaccottet.



    * D.R. Ph., Stefano Giacomini.
    ** Source.





    GIUSEPPE UNGARETTI


    Ungaretti_giuseppe
    Source



    ■ Giuseppe Ungaretti
    sur Terres de femmes

    10 février 1888 | Naissance de Giuseppe Ungaretti
    7 février 1915 | Giuseppe Ungaretti
    16 février 1917 | Giuseppe Ungaretti, Naufragi
    9 juillet 1932 | Giuseppe Ungaretti, Carnets italiens
    16 janvier 1950 | Lettre de Giuseppe Ungaretti à Jean Paulhan
    12 septembre 1966 | Giuseppe Ungaretti, Dialogo
    2 juin 1970 | Mort de Giuseppe Ungaretti (+ notice bio-bibliographique)


    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur poesie.reportonline.it)
    108 poèmes de Giuseppe Ungaretti
    → (sur ina.fr)
    une exceptionnelle émission d’Archives du XXe siècle sur Giuseppe Ungaretti en deux parties (16/05/1971 – 57min49s) et (23/05/1971 – 45min13s)
    → (sur le site de la
    RAI) Giuseppe Ungaretti disant à voix haute certains de ses poèmes. Cliquer aussi ICI ou ICI
    → (sur You Tube) une interview (en italien) de Giuseppe Ungaretti par Pier Paolo Pasolini (extrait du film
    Comizi d’amore, 1963-64) :

    Giuseppe Ungaretti par Pier Paolo Pasolini .



    Retour au répertoire de janvier 2008
    Retour à l’ index de l’éphéméride culturelle
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’index de la catégorie Péninsule (littérature et poésie italiennes)