Étiquette : Gustave Flaubert


  • 23 août 1846 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet

    Éphéméride culturelle à rebours


    Gustave Flaubert et Louise Colet
    Flaubert et Louise Colet
    Source








    Dimanche, 23 août 1846




    Quand le soir est venu, que je suis seul, bien sûr de n’être pas dérangé, et qu’autour de moi tout le monde dort, j’ouvre le tiroir de l’étagère dont je t’ai parlé et j’en tire mes reliques que je m’étale sur ma table ; les petites pantoufles d’abord, le mouchoir, tes cheveux, le sachet où sont tes lettres ; je les relis, je les retouche. Il en est d’une lettre comme d’un baiser, la dernière est toujours la meilleure. Celle de ce matin est là, entre ma dernière phrase et celle-ci qui n’est pas finie ; je viens de la relire afin de te revoir de plus près et de sentir plus fort le parfum de toi-même. Je rêve à la pose que tu dois avoir en m’écrivant et aux longs regards vagues que tu jettes en retournant les pages. C’est sous cette lampe qui a donné sa lumière à nos premiers baisers, et sur cette table où tu écris tes vers. Allume-la le soir, ta lampe d’albâtre ; regarde sa lueur blanche et pâle en te ressouvenant de ce soir où nous nous sommes aimés. Tu m’as dit que tu ne voulais plus t’en servir. Pourquoi ? Elle est quelque chose de nous. Moi je l’aime.

    J’aime tout ce qui est chez toi ou à toi, tout ce qui t’entoure et te touche. Sais-tu que je suis tout dévoué à M.et Mme Ségalas qui étaient là, et même à ce bon bibliophile dont la visite prolongée m’agaçait les nerfs. Pourquoi ? Qui le dira ? C’est l’effet de la joie que j’avais ; elle débordait de moi et retombait presque sur les indifférents et sur les choses inertes. Quand on aime, on aime tout. Tout se voit en bleu quand on porte des lunettes bleues.

    L’amour, comme le reste, n’est qu’une façon de voir et de sentir. C’est un point de vue un peu plus élevé, un peu plus large ; on y découvre des perspectives infinies et des horizons sans bornes.

    […]

    Tu me parles toujours de tes douleurs ; j’y crois, j’en ai vu la preuve ; je la sens en moi, ce qui est mieux. Mais j’en vois une autre douleur, une douleur qui est là, à mon côté, et qui ne se plaint jamais, qui sourit même et auprès de laquelle la tienne, si exagérée qu’elle puisse être, ne sera jamais qu’une piqûre auprès d’une brûlure, une convulsion à côté d’une agonie. Voilà l’étau où je suis. Les deux femmes que j’aime le mieux ont passé dans mon cœur un mors à double guide, par lequel elles me tiennent ; elles me tirent alternativement, par l’amour et par la douleur. Pardonne-moi si ceci te fâche encore. Je ne sais plus que te dire, j’hésite maintenant ; quand je te parle, j’ai peur de te faire pleurer, et quand je te touche, de te blesser.

    Tu te rappelles mes caresses violentes, et comme mes mains étaient fortes ? Tu tremblais presque ! Je t’ai fait crier deux ou trois fois. Mais sois donc plus sage, pauvre enfant que j’aime, ne te chagrine pas pour des chimères !

    […]



    Gustave Flaubert, Lettres à Louise Colet, 1846-1848, éditions Payot & Rivages, Collection Rivages poche Petite Bibliothèque, dirigée par Lidia Breda, 2017, pp. 83, 84, 85. Préface de Mathieu Terence.






    Gustave Flaubert  Lettres à Louise ColetLOUISE COLET

    Louise_colet
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    ■ Louise Colet
    sur Terres de femmes


    Joëlles Gardes, Louise Colet. Du sang, de la bile, de l’encre et du malheur (lecture d’AP)
    15 août 1810 | Naissance de Louise Colet (+ extrait de Louise Colet, par Joëlle Gardes)
    19 septembre 1852 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
    16 décembre 1852 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
    26-27 mai 1853 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet





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  • 15 août 1810 | Naissance de Louise Colet

    Éphéméride culturelle à rebours






    Le 15 août 1810* naît à Aix-en-Provence Louise Révoil, plus connue sous son nom d’épouse, Louise Colet. Elle est la fille de Henri-Antoine Révoil, directeur des postes, et de Henriette Le Blanc, dont le père, bien qu’appartenant à la noblesse, partageait les idéaux de son ami Mirabeau. Louise eut trois frères et deux sœurs plus âgés qu’elle. Une enfance entre Aix, où la famille habite un appartement de fonction dans un hôtel particulier de la rue de l’Opéra, et la propriété de Servanne [ou Servanes], près de Mouriès, qu’Henri-Antoine a rachetée à son beau-père, ruiné par la Révolution et par ses idées utopiques. Le père apprend l’italien à sa fille, et sa mère lui donne une solide culture littéraire.**

    En juillet 1846, Louise Colet rencontre Gustave Flaubert, qui n’est alors qu’un inconnu de vingt-quatre ans. C’est le début d’une liaison difficile et discontinue, comme l’est la correspondance entre les deux écrivains.


    _____________________
    * Louise Révoil est née le 15 août 1810 (selon son acte de naissance), le 15 septembre 1810 (selon le registre de la commune).
    ** Source : Joëlle Gardes, « Chronologie » in Louise Colet | Du sang de la bile de l’encre et du malheur, Éditions de l’Amandier, 2015, page 153.








    Colet






    EXTRAIT DE LOUISE COLET, PAR JOËLLE GARDES



    La pensée des premiers moments avec Gustave, loin de me réchauffer, me fait frissonner. Le temps a mis sa patine sur la plupart de mes souvenirs et je n’en garde au cœur qu’une vague tristesse. Mais ceux-là continuent à me tourmenter dans mes rêves et la journée, dès que son nom surgit dans mon esprit. Même en resserrant autour de moi mon triste châle gris, le froid ne me quitte pas, le froid de la dernière saison de ma vie plus que de l’hiver. Et ce n’est certes pas dans ces images que je peux trouver quelque douceur, quelque chaleur. Le regret seul demeure, empreint de colère et d’amertume. Sauf pour ce qui touche à la littérature, l’unique domaine que nous ayons vraiment partagé.

    L’a-t-on répété à l’envi que j’étais sa Muse, sa Musette (je détestais ce diminutif qu’il lui arrivait de me donner et qui me rabaissait), comme de bien d’autres, d’ailleurs ! En réalité, quand je l’ai connu, j’ai été sa conseillère écoutée et respectée, plus que son inspiratrice. J’étais plus âgée (il nous a toujours aimées mûres, comme Elisa, avec qui il a joué les amoureux transis, ou Eulalie, la Marseillaise, avec qui c’était autre chose !), j’étais auréolée de mes succès auprès de l’Académie, je pouvais espérer que mes leçons, mon amour surtout, lui enseigneraient que la vie vaut mieux que les livres.

    En définitive, peu à peu, les rôles se sont renversés et c’est lui qui m’a servi de mentor, jugeant mes vers avec une extrême sévérité qui rendait d’autant plus précieuses ses rares approbations. Que de moqueries devant la comparaison qu’après notre rencontre enflammée de Mantes j’avais faite de son impétuosité avec celle d’« un buffle indompté » ! Il avait annoté en détails la Colonie de Mettray, pourtant primé par l’Académie, ou mon poème sur Pradier, comme le plus impitoyable des censeurs, traquant les répétitions, les métaphores banales, les rimes à l’intérieur du vers… Il m’avait proposé des corrections, changeant même un simple « sa » en « ta ». D’une manière générale, dans son horreur des choses « po-ë-tiques », il n’appréciait guère mon lyrisme, qu’il jugeait faux, ni les débordements de mon imagination. Il trouvait faible la composition de mes volumes. Pour lui, le plan d’un livre était fondamental. Je dois reconnaître qu’il était tout aussi sévère pour lui-même, navré d’un défaut de construction dans son Saint Antoine qui le privait d’un effet dramatique. Un livre, selon lui, devait être exempt de tout élément personnel, alors que c’est précisément ce que je recherchais, dans ma poésie comme dans ma prose. J’avais donc tort de poétiser les réalités les plus simples et je faisais de l’art un pot-de-chambre où je déversais un trop plein sentimental ! Je devais oublier Lamartine et relire La Fontaine et Montesquieu ! La portée sociale de mes textes l’exaspérait aussi, tout comme ma défense des femmes. […]

    Avec Gustave, j’étais également critique. J’aurais voulu qu’il enlève de la première Éducation sentimentale le personnage de Jules qu’il trouvait nécessaire par rapport à Henry. Avec le recul du temps, je reconnais que j’avais d’autres motivations que purement artistiques. En Henry, je voyais Gustave et en Jules, son âme damnée, Maxime. Mais tout de même, je pense que je n’avais pas tort. Cette version, d’ailleurs, il ne l’a pas publiée.

    Le style de ce roman ne devait pas l’emballer. Voilà bien ce qui l’enflammait, le style ! Il aurait dû faire tenir à lui seul un livre sans matière, évidemment privé de sentiment et quant à l’intention, elle ne comptait pas… Son travail, il en souffrait, il lui arrachait des larmes, mais il l’aimait comme il ne m’a jamais aimée. Il l’avait dans la peau, lui disait « le ventre » ! Contre une femme, j’aurais peut-être pu lutter, je n’avais aucune chance contre les charmes et les caprices de cette rivale, l’écriture !



    Joëlle Gardes, Louise Colet. Du sang, de la bile, de l’encre et du malheur, Éditions de l’Amandier, Collection Mémoire Vive, 2015, pp. 111-112-113-114.







    LOUISE COLET



    ■ Louise Colet
    sur Terres de femmes

    Joëlles Gardes, Louise Colet. Du sang, de la bile, de l’encre et du malheur (note de lecture d’AP)
    19 septembre 1852 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
    16 décembre 1852 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
    26-27 mai 1853 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la la Médiathèque André-Malraux de Lisieux)
    les premières lettres de Gustave Flaubert à Louise Colet (4 août 1846 – 14 août 1846)





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  • 8 mai 1880 | Mort de Gustave Flaubert

    Éphéméride culturelle à rebours



    Le 8 mai 1880 meurt au hameau de Croisset (Canteleu, Seine-Inférieure), Gustave Flaubert, à l’âge de cinquante-neuf ans (il était né le 12 décembre 1821). Gustave Flaubert meurt entre onze heures et midi, terrassé par une hémorragie cérébrale alors même qu’il se préparait à se rendre à Paris d’où il s’était absenté six mois durant. Il venait d’achever la rédaction de Bouvard et Pécuchet, grande œuvre satirique, entreprise en juin 1874.

    Le 11 mai, ses amis (Zola, Goncourt, Maupassant, Coppée, Huysmans, Alexis, Hennique) accompagnent le cercueil depuis l’église de Croisset jusqu’au cimetière monumental de Rouen où Flaubert est inhumé aux côtés des siens, dans la sépulture familiale.







    Flaubert
    Image, G.AdC







    EMMA BOVARY (1856-1857), Troisième partie, extrait du chapitre VIII



    Cependant, elle n’était plus aussi pâle, et son visage avait une expression de sérénité comme si le sacrement l’eût guérie.
          Le prêtre ne manqua point d’en faire l’observation, il expliqua même à Bovary que le Seigneur, quelquefois, prolongeait l’existence des personnes lorsqu’il le jugeait convenable pour leur salut ; et Charles se rappela un jour où, ainsi près de mourir, elle avait reçu la communion.

    — Il ne fallait peut-être pas se désespérer, pensa-t-il.

    En effet, elle regarda tout autour d’elle, lentement, comme quelqu’un qui se réveille d’un songe, puis, d’une voix distincte, elle demanda son miroir, et elle resta penchée dessus quelque temps, jusqu’au moment où de grosses larmes lui découlèrent des yeux. Alors elle se renversa la tête en poussant un soupir et retomba sur l’oreiller.

    Sa poitrine aussitôt se mit à haleter rapidement. La langue tout entière lui sortit hors de la bouche; ses yeux, en roulant, pâlissaient comme deux globes de lampe qui s’éteignent, à la croire déjà morte, sans l’effrayante accélération de ses côtes, secouées par un souffle furieux, comme si l’âme eût fait des bonds pour se détacher. Félicité s’agenouilla devant le crucifix, et le pharmacien lui-même fléchit un peu les jarrets, tandis que M. Canivet regardait vaguement sur la place. Bournisien s’était remis en prière, la figure inclinée contre le bord de la couche, avec sa longue soutane noire qui traînait derrière lui dans l’appartement. Charles était de l’autre côté, à genoux, les bras étendus vers Emma. Il avait pris ses mains et il les serrait, tressaillant à chaque battement de son cœur, comme au contrecoup d’une ruine qui tombe. À mesure que le râle devenait plus fort, l’ecclésiastique précipitait ses oraisons ; elles se mêlaient aux sanglots étouffés de Bovary, et quelquefois tout semblait disparaître dans le sourd murmure des syllabes latines, qui tintaient comme un glas de cloche.

    Tout à coup, on entendit sur le trottoir un bruit de gros sabots, avec le frôlement d’un bâton ; et une voix s’éleva, une voix rauque, qui chantait :

    Souvent la chaleur d’un beau jour

    Fait rêver fillette à l’amour.

    Emma se releva comme un cadavre que l’on galvanise, les cheveux dénoués, la prunelle fixe, béante.

    Pour amasser diligemment

    Les épis que la faux moissonne,

    Ma Nanette va s’inclinant

    Vers le sillon qui nous les donne.

    — L’Aveugle s’écria-t-elle.

    Et Emma se mit à rire, d’un rire atroce, frénétique, désespéré, croyant voir la face hideuse du misérable, qui se dressait dans les ténèbres éternelles comme un épouvantement.

    Il souffla bien fort ce jour-là,

    Et le jupon court s’envola !

    Une convulsion la rabattit sur le matelas. Tous s’approchèrent. Elle n’existait plus.


    Gustave Flaubert, Madame Bovary in Œuvres, Tome I, Bibliothèque de la Pléiade, Éditions Gallimard, 1962, pp. 622-623. Texte établi et annoté par A. Thibaudet et R. Dumesnil.






    UN CŒUR SIMPLE (1876), V, Extrait.


    Les herbages envoyaient l’odeur de l’été ; des mouches bourdonnaient; le soleil faisait luire la rivière, chauffait les ardoises. La mère Simon, revenue dans la chambre, s’endormait doucement.

    Des coups de cloche la réveillèrent ; on sortait des vêpres. Le délire de Félicité tomba. En songeant à la procession, elle la voyait, comme si elle l’eût suivie.

    Tous les enfants des écoles, les chantres et les pompiers marchaient sur les trottoirs tandis qu’au milieu de la rue s’avançaient premièrement : le suisse armé de sa hallebarde, le bedeau avec une grande croix, l’instituteur surveillant les gamins, la religieuse inquiète de ses petites filles ; trois des plus mignonnes, frisées comme des anges, jetaient dans l’air des pétales de roses ; le diacre, les bras écartés, modérait la musique ; et deux encenseurs se retournaient à chaque pas vers le Saint-Sacrement, que portait, sous un dais de velours ponceau tenu par quatre fabriciens, M. le curé, dans sa belle chasuble. Un flot de monde se poussait derrière, entre les nappes blanches couvrant le mur des maisons ; et l’on arriva au bas de la côte.

    Une sueur froide mouillait les tempes de Félicité. La Simonne l’épongeait avec un linge, en se disant qu’un jour il lui faudrait passer par là.

    Le murmure de la foule grossit, fut un moment très fort, s’éloignait.

    Une fusillade ébranla les carreaux. C’était les postillons saluant l’ostensoir. Félicité roula ses prunelles, et elle dit, le moins bas qu’elle put:

    — « Est-il bien ? » tourmentée du perroquet.

    Son agonie commença. Un râle, de plus en plus précipité, lui soulevait les côtes. Des bouillons d’écume venaient aux coins de sa bouche, et tout son corps tremblait.

    Bientôt, on distingua le ronflement des ophicléides, les voix claires des enfants, la voix profonde des hommes. Tout se taisait par intervalles, et le battement des pas, que des fleurs amortissaient, faisait le bruit d’un troupeau sur du gazon.

    Le clergé parut dans la cour. La Simonne grimpa sur une chaise pour atteindre à l’œil-de-bœuf, et de cette manière dominait le reposoir.

    Des guirlandes vertes pendaient sur l’autel, orné d’un falbala en point d’Angleterre. Il y avait au milieu un petit cadre enfermant des reliques, deux orangers dans les angles, et, tout le long, des flambeaux d’argent et des vases en porcelaine, d’où s’élançaient des tournesols, des lis, des pivoines, des digitales, des touffes d’hortensias. Ce monceau de couleurs éclatantes descendait obliquement, du premier étage jusqu’au tapis se prolongeant sur les pavés ; et des choses rares tiraient les yeux. Un sucrier de vermeil avait une couronne de violettes, des pendeloques en pierres d’Alençon brillaient sur de la mousse, deux écrans chinois montraient leurs paysages. Loulou, caché sous des roses, ne laissait voir que son front bleu, pareil à une plaque de lapis.

    Les fabriciens, les chantres, les enfants se rangèrent sur les trois côtés de la cour. Le prêtre gravit lentement les marches, et posa sur la dentelle son grand soleil d’or qui rayonnait. Tous s’agenouillèrent. Il se fit un grand silence. Et les encensoirs, allant à pleine volée, glissaient sur leurs chaînettes.

    Une vapeur d’azur monta dans la chambre de Félicité. Elle avança les narines, en la humant avec une sensualité mystique ; puis ferma les paupières. Ses lèvres souriaient. Les mouvements de son cœur se ralentirent un à un, plus vagues chaque fois, plus doux, comme une fontaine s’épuise, comme un écho disparaît ; et, quand elle exhala son dernier souffle, elle crut voir, dans les cieux entrouverts, un perroquet gigantesque, planant au-dessus de sa tête.


    Gustave Flaubert, Un cœur simple in Trois contes, Éditions Garnier-Flammarion, 1965, pp. 80-81-82-83.




    GUSTAVE FLAUBERT



    Gustave Flaubert




    ■ Gustave Flaubert
    sur Terres de femmes



    4 janvier 1839 | Flaubert, Les Mémoires d’un fou
    19 septembre 1852 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
    10 février 1851 | Lettre de Flaubert à Louis Bouilhet (Lettres de Grèce)
    16 décembre 1852 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
    26-27 mai 1853 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
    26 janvier 1861 | Lettre de Gustave Flaubert à Jules Michelet
    12 décembre 1857 | Lettre de Gustave Flaubert à Mademoiselle Leroyer de Chantepie
    18 janvier 1862 | Lettre de Gustave Flaubert à Mademoiselle Leroyer de Chantepie
    7 avril 1872 | Lettre de Gustave Flaubert à Laure de Maupassant
    9 avril 1872 | Lettre de George Sand à Gustave Flaubert
    19 juin 1876 | Lettre de Gustave Flaubert à Edma Roger des Genettes




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    le site du Centre Flaubert
    → (sur litteratureaudio.com)
    Émile Zola, L’Enterrement De Flaubert






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  • 12 décembre 1821 | Naissance de Gustave Flaubert

    Éphéméride culturelle à rebours



    Il y a cent quatre-vingt-quinze ans, le 12 décembre 1821, naissait à Croisset (aujourd’hui en Seine-Maritime) Gustave Flaubert.






    Portrait de Gustave Flaubert
    Image, G.AdC






    Flaubert est le fils d’Achille-Cléophas Flaubert, chirurgien à l’Hôtel-Dieu de Rouen, et d’Anne Justine Fleuriot, fille d’un médecin de Pont-l’Évêque, en Normandie.







    À Mademoiselle Leroyer de Chantepie

    [Croisset,] samedi,
    12 décembre 1857.



    C’est ce soir que je prends 36 ans. Je me rappelle plusieurs de mes anniversaires. Il y a aujourd’hui huit ans, je revenais de Memphis au Caire, après avoir couché aux Pyramides. J’entends encore d’ici hurler les chacals et les coups du vent qui secouait ma tente.

    J’ai l’idée que je retournerai plus tard en Orient, que j’y resterai et que j’y mourrai. J’ai d’ailleurs, à Beyrouth, une maison toute prête à me recevoir. Mais je n’en finirais plus si je me mettais à vous parler des pays du soleil. Ce serait trop long. Causons d’autre chose.

    Voilà plusieurs fois que vous me parlez de Jean Reynaud ; je trouve, comme vous, son livre un fort beau livre. Seulement, il a fait son théologien bien complaisant. La forme dialoguée est mauvaise. Elle était peut-être même impossible. Je trouve le tout un peu long. Quant à son explication des peines et des récompenses, c’est une explication comme une autre, c’est-à-dire qu’elle n’explique rien. Qu’est-ce qu’un châtiment dont n’a pas conscience l’être châtié ? Si nous ne nous rappelons rien des existences antérieures, à quoi bon nous en punir ? Quelle moralité peut-il sortir d’une peine dont nous ne voyons pas le sens ?

    Avez-vous lu les Études d’histoire religieuse de Renan ? Procurez-vous ce livre, il vous intéressera.

    Pourquoi ne donnez-vous pas cours, sur le papier, à vos idées ? Écrivez donc ! Quand ce ne serait que pour votre santé physique.

    Vous me dites que je fais trop attention à la forme. Hélas ! C’est comme le corps et l’âme ; la forme et l’idée, pour moi, c’est tout un et je ne sais pas ce qu’est l’un sans l’autre. Plus une idée est belle, plus la phrase est sonore ; soyez-en sûre. La précision de la pensée fait (et est elle-même) celle du mot.

    Si je ne peux rien aligner maintenant, si tout ce que j’écris est vide et plat, c’est que je ne palpite pas du sentiment de mes héros, voilà. Les mots sublimes (que l’on rapporte dans les histoires) ont été dits souvent par des simples. Ce qui n’est nullement un argument contre l’Art, au contraire, car ils avaient ce qui fait l’Art même, à savoir la pensée concrétée, un sentiment quelconque, violent, et arrivé à son dernier état d’idéal. « Si vous aviez la foi, vous remueriez des montagnes » est aussi le principe du Beau. Ce qui peut se traduire plus prosaïquement : « Si vous saviez précisément ce que vous voulez dire, vous le diriez bien. » Aussi n’est-il pas très difficile de parler de soi, mais des autres !

    Eh bien ! Je crois que jusqu’à présent on a fort peu parlé des autres. Le roman n’a été que l’exposition de la personnalité de l’auteur, et, je dirais plus, toute la littérature en général, sauf deux ou trois hommes peut-être. Il faut pourtant que les sciences morales prennent une autre route et qu’elles procèdent comme les sciences physiques, par l’impartialité. Le poète est tenu maintenant d’avoir de la sympathie pour tout et pour tous, afin de les comprendre et de les décrire. Nous manquons de science, avant tout ; nous pataugeons dans une barbarie de sauvages: la philosophie telle qu’on la fait et la religion telle qu’elle subsiste sont des verres de couleur qui empêchent de voir clair parce que : 1° on a d’avance un parti pris ; 2° parce qu’on s’inquiète du pourquoi avant de connaître le comment ; et 3° parce que l’homme rapporte tout à soi. « Le soleil est fait pour éclairer la terre. » On en est encore là.
         Je n’ai que la place de vous serrer les mains bien affectueusement.



    Gustave Flaubert, Correspondance, Éditions Gallimard, Collection folio classique, 1998, pp. 357-358-359.






    Flaubert correspondance
    Ph., G.AdC






    ■ Gustave Flaubert
    sur Terres de femmes

    4 janvier 1839 | Flaubert, Les Mémoires d’un fou
    10 février 1851 | Lettre de Flaubert à Louis Bouilhet (Lettres de Grèce)
    19 septembre 1852 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
    16 décembre 1852 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
    26-27 mai 1853 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
    26 janvier 1861 | Lettre de Gustave Flaubert à Jules Michelet
    18 janvier 1862 | Lettre de Gustave Flaubert à Mademoiselle Leroyer de Chantepie
    7 avril 1872 | Lettre de Gustave Flaubert à Laure de Maupassant
    9 avril 1872 | Lettre de George Sand à Gustave Flaubert
    19 juin 1876 | Lettre de Gustave Flaubert à Edma Roger des Genettes
    8 mai 1880 | Mort de Gustave Flaubert (+ extrait de Madame Bovary et d’Un cœur simple)




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  • 26-27 mai 1853 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet

    Éphéméride culturelle à rebours



    Louise Colet et Gustave Flaubert  par Charles Hobson
    Source







    [Croisset], nuit du jeudi, I heure, [26-27 mai 1853.]



    Je ferais mieux de continuer à travailler et de t’écrire demain, car je suis ce soir fort animé et dans un grand rut littéraire. Mais comme demain il peut revenir, cela me remettrait trop loin (au plaisir que me font tes lettres, je pense que tu dois bien fort aimer les miennes). Et puis il faut se méfier de ces grands échauffements. Si l’on a alors la vue longue, on l’a souvent trouble. Le bon de ces états-là, c’est qu’ils retrempent et vous infusent dans la plume un sang plus jeune. On a dans la tête toutes sortes de floraisons printanières qui ne durent pas plus que les lilas, qu’une nuit flétrit, mais qui sentent si bon ! As-tu senti quelquefois comme un grand soleil qui venait du fond de toi-même et t’éblouissait ? […]

    Eh bien, oui, je deviens aristocrate, aristocrate enragé ! Sans que j’aie, Dieu merci, jamais souffert des hommes et [bien] que la vie, pour moi, n’ait pas manqué de coussins où je me calais dans des coins, en oubliant les autres, je déteste fort mes semblables et ne me sens pas leur semblable. C’est peut-être un monstrueux orgueil, mais le diable m’emporte si je ne me sens pas aussi sympathique pour les poux qui rongent un gueux que pour le gueux. Je suis sûr d’ailleurs que les hommes ne sont pas plus frères les uns aux autres que les feuilles des bois ne sont pareilles : elles se tourmentent ensemble, voilà tout. Ne sommes-nous pas faits avec les émanations de l’Univers ? La lumière qui brille dans mon œil a peut-être été prise au foyer de quelque planète encore inconnue, distante d’un milliard de lieues du ventre où le fœtus de mon père s’est formé. Et si les atomes sont infinis et qu’ils passent ainsi dans les Formes comme un fleuve perpétuel roulant entre ses rives, les Pensées, qui donc les retient, qui les lie ? A force quelquefois de regarder un caillou, un animal, un tableau, je me suis senti y entrer. Les communications entr’humaines ne sont pas plus intenses.

    D’où viennent les mélancolies historiques, les sympathies à travers siècles, etc. ? Accrochement de molécules qui tournent, diraient les épicuriens. Oui, mais les molécules de mon corps vivant ne tournent guère, et enfin ce n’est pas parce qu’un imbécile a deux pieds comme moi, au lieu d’en avoir quatre comme un âne, que je me crois obligé de l’aimer ou, tout au moins, de dire que je l’aime et qu’il m’intéresse.

    Il fut un temps où le patriotisme s’étendait à la cité. Puis le sentiment, peu à peu, s’est élargi avec le territoire (à l’inverse des culottes : c’est d’abord le ventre qui grossit). Maintenant l’idée de patrie est, Dieu merci, à peu près morte et on en est au socialisme, à l’humanitarisme (si l’on peut [s’]exprimer ainsi). Je crois que plus tard on reconnaîtra que l’amour de l’humanité est quelque chose d’aussi piètre que l’amour de Dieu. On aimera le Juste en soi, pour soi, le Beau pour le beau. Le comble de la civilisation sera de n’avoir besoin d’aucun bon sentiment, [ou] ce qui s’appelle [ainsi]. Les sacrifices seront inutiles ; mais il faudra pourtant toujours un peu de gendarmes ! Je dis là de grandes bêtises, mais pourtant le seul enseignement à tirer du régime actuel (basé sur le joli mot vox populi vox Dei) est que l’idée du peuple est aussi usée que celle du roi. Que l’on mette donc ensemble la blouse du travailleur avec la pourpre du monarque, et qu’on me les jette de compagnie toutes deux aux latrines pour y cacher conjointement leurs taches de sang et de boue ; elles en sont raides.

    Adieu, comme il est tard ! Je t’embrasse partout, du cœur et du corps, toi avec qui je me fonds et me confonds. Aussi je signe toujours de ce seul mot.
        Ton



    Gustave Flaubert, « Lettre du 26-27 mai 1853 » [extrait], Correspondance, in Œuvres complètes, vol. 13 [1850-1859], Paris, Club de l’honnête homme, 1974-1976, pp. 345-348.





    ■ Gustave Flaubert
    sur Terres de femmes

    12 décembre 1821 | Naissance de Gustave Flaubert
    4 janvier 1839 | Flaubert, Les Mémoires d’un fou
    23 août 1846 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
    10 février 1851 | Lettre de Flaubert à Louis Bouilhet (Lettres de Grèce)
    19 septembre 1852 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
    16 décembre 1852 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
    26 janvier 1861 | Lettre de Gustave Flaubert à Jules Michelet
    18 janvier 1862 | Lettre de Gustave Flaubert à Mademoiselle Leroyer de Chantepie
    7 avril 1872 | Lettre de Gustave Flaubert à Laure de Maupassant
    9 avril 1872 | Lettre de George Sand à Gustave Flaubert
    19 juin 1876 | Lettre de Gustave Flaubert à Edma Roger des Genettes
    8 mai 1880 | Mort de Gustave Flaubert (+ extrait de Madame Bovary et d’Un cœur simple)






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