Étiquette : Isabelle Baladine Howald


  • Isabelle Baladine Howald | [Je pense à toi qui n’a plus de corps]


    [JE PENSE À TOI QUI N’A PLUS DE CORPS]




    Je pense à toi qui n’a plus de corps     je te sens pourtant
    encore contre moi
    je sens tellement ton corps qui n’existe plus       je te vois
    dedans les yeux fermés        je ferme les yeux pour te voir
    et te sentir contre moi revient
    ton  odeur ta douceur ton souffle        tout ce que j’aimais
    tant
    la sensation d’opacité, peau, carrure, contours, tessitures

    ce chatoiement de toi en moi

    nous fermons les  yeux  quand  il  n’y  a  plus  rien  à  voir
    se souvenir est « mémoire d’aveugle »

    tu n’as plus les yeux ouverts

    je te vois dedans  et je pense  tout le temps  mon âme qui
    est ton âme




    Isabelle Baladine Howald, Fragments du discontinu, éditions Isabelle Sauvage, collection présent (im)parfait, 29410 Plounéour-Ménez, 2020, page 53.





    Howald Fragments du discontinu



    ISABELLE BALADINE HOWALD


    Isabelle Baladine Howald
    Ph. © Vincent Muller
    Source





    ■ Isabelle Baladine Howald
    sur Terres de femmes


    [Je — court à la mort] (extrait d’Hantômes)
    La Douleur du retour (lecture d’AP)
    Mouvement d’adieu, constamment empêché (lecture d’AP)





    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la fiche de l’éditeur sur Fragments du discontinu
    → (sur Poezibao)
    une lecture de Fragments du discontinu par Anne Malaprade





    Retour au répertoire du numéro de septembre 2020
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Isabelle Baladine Howald | [Je — court à la mort]




    [JE — COURT À LA MORT]





    Je — court à la mort


    (devancer sans fin la scène des adieux, je —
    court devant— les mains et bras tendus ouverts
    pour/contre)

    Je ne veux pas que le jour commence je ne veux pas
    que le jour finisse        à chaque mort je       pense
    non, pas pensée       mais       épreuve de l’aube et du soir


    Relever, relever
    Ne pas s’en relever. Mais relever : survivons comme /
    les deux extrêmes —


    va — ferme ces doux yeux / — ne sache pas — je me / charge —    continue — / et tu vivras —, me demandant comment vivre avec celui qui travaille dans la forêt — celui qui coupe les arbres ou recueille la sève — avec le faucheur d’herbes, avec le photographe ou le peintre, celui qui écoute ou celui qui parle,  avec celui qui rit aux larmes sur la photo ou celui qui tient sa tête dans ses mains — celui des figurines. Avec le petit mort. Je me souvenais de ceux avec lesquels j’avais vécu, auprès desquels je ne dormais pas

          et je devenu le cheval frappé



    Isabelle Baladine Howald, Hantômes, I, éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait, 29410 Plounéour-Ménez, 2016, pp. 12-13.







    Howald_hantomes






    ISABELLE BALADINE HOWALD


    Isabelle Baladine Howald
    Source




    ■ Isabelle Baladine Howald
    sur Terres de femmes


    La Douleur du retour (note de lecture d’AP)
    [Je pense à toi qui n’a plus de corps] (extrait de Fragments du discontinu)
    Mouvement d’adieu, constamment empêché (note de lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la page de l’éditeur sur hantômes







    Retour au répertoire du numéro d’août 2016
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Isabelle Baladine Howald, Mouvement d’adieu, constamment empêché

    par Angèle Paoli

    Isabelle Baladine Howald,
    Mouvement d’adieu, constamment empêché,
    La Cabane, 33000 Bordeaux, novembre 2010.



    Lecture d’Angèle Paoli




    Isabelle Baladine Howald
    Image, G.AdC







    MOUVEMENT IMPERCEPTIBLE, MAIS SÛR




    Cela dure trois mois, d’août à octobre. Cela tremble. En trois temps. Trois mouvements d’inégale longueur. Avec peu de phrases. Parfois des paragraphes un peu plus denses. Tous numérotés. Comme les jours du calendrier. De 1 à 31 pour le premier mouvement (août). De 1 à 30 pour le second (septembre). De 1 à 11 pour le troisième mouvement (octobre).

    Y a-t-il eu accélération ? Ou densification et resserrement ? Précipitation ? Vers quelle nouvelle réalité ?

    C’est dans le second mouvement, au 11 septembre, que se trouve évoqué le titre de ce petit opus, Mouvement d’adieu constamment empêché, dernier recueil d’Isabelle Baladine Howald. Avec une variante. Un ajout. Une répétition qui marque une insistance têtue :

    « mouvement constant d’adieu, constamment empêché ».

    Cinq mots pour contenir une œuvre, une écriture. Cinq mots pour tenter de dire. La souffrance de la séparation. La résistance et l’obstacle. Mouvement vers l’adieu, sans cesse différé, sans cesse empêché. Comme un balbutiement à vivre l’impossible de l’adieu.

    Mouvement ? Oui, dans le temps qui s’écoule de l’été à l’automne ; dans celui aussi qui se compte à rebours : « à trois semaines du départ » (septembre, 13) ; « jour de l’automne, il reste trois semaines, exactement » (septembre, 20). Il y a un avant, il y a un après. (sept semaines avant le départ). Un avant le « partir » ; un après le départ. Un départ qui est d’abord un désir : « il avait voulu partir » (août, 22). Et une dispute, un écart qui se creuse, un « je » qui dévisse. Les phrases sont courtes, nominales souvent, binaires souvent aussi. Comme l’est le titre, pris dans la volonté de mouvance de ses « M ». Retenu dans le ahanement de ses nasales. Deux syntagmes, répartis en deux temps inégaux — 5/6.

    Énumérations brèves d’objets, le regard s’arrête un instant sur les éléments du décor, des « fenêtres grillagées du fort » à « la petite porte en fer forgé » ou au « petit clou dans le bois ». Un décor ordinaire sur lequel il n’est pas utile de s’attarder. La séparation se vit jusque dans le décrochement des objets, menus objets sans retenue autre que celle du regard qui se pose momentanément sur eux.

    Dans l’espace aussi. Le mouvement est déjà contenu dans l’exergue destiné à François :

    « Il faut que je me retrouve une place et il faut que tu te déplaces ». Une place pour le « je ». Un espace où se poser. Un déplacement pour l’autre ; le « tu » ; François ?

    Au commencement, la séparation se vit dans le tremblé d’une pluie fine, dans la retenue, le peu de. La suspension. Parfois une éclaircie survient, « une fente immédiate », de peu de durée ; un rapprochement à peine sensible. Le « je » et le « tu » se rejoignent, presque, dans le « nous ». Puis vient l’obstacle qui conduit à l’écrasement.

    « Écrasement, tout le lundi.
    Les poumons écrasés. Le corps écrasé. Pas debout pas assis
    pas couché. (Du noir vers le noir). » (août, 28)

    Il faut accepter le déplacement. Même si se déplacer est une épreuve. Accepter le déplacement du « tu » vers une autre. Accepter les rires et les conciliabules, les conseils et les promesses, extorquées du bout des lèvres :

    « dans un an », je dis « oui » (septembre, 18)

    Et apprivoiser les nouveaux lieux, pièces vides, murs absents, couleurs et miroirs, couloirs et lampes. Et les clés. Les anciennes et les nouvelles. Elles aussi séparées. Indices sûrs du déplacement de l’autre à soi et de soi à soi. Mais que peut le changement du décor dans la souffrance ? Dans cette mise à l’épreuve de soi ? Le mystère de l’autre reste entier. L’énigme intime de l’amour demeure indéchiffrable.

    Le temps de la séparation se rapproche ; mouvement imperceptible mais sûr. Il faut s’en remettre aux automatismes de la journée. Phrases infinitives, privées de sujet. Actes voués à la répétition. Morceau après morceau, d’un déplacement à l’autre, le puzzle se reconstitue. Le passé survient par bribes, qui a gardé mémoire de l’enfance. L’histoire d’un amour se recompose qui draine aussi, par touches minuscules, celle de la douleur et des larmes. Le « je » brisé de celle dont les efforts n’ont servi à rien, assiste, impuissant, désemparé à la lumière triomphante de l’autre :

    « Ta clarté m’a toujours porté un coup, à moi si contrainte à l’effort :
    Trouées d’air aveuglantes — vitesse, l’entrevue. » (septembre, 29)

    « Je me déplace traquée », avoue, au début du mouvement/mois d’octobre, l’abandonnée.

    Il y a pourtant cette fascination pour la lumière, ses variations. Transparence, indices de réfraction, scintillements inaccessibles. Et « le miroitement de l’eau » dont la brièveté s’accommode si bien de la brièveté de « Mot ». Fascination pour « tout ce qui ne se décide pas ». Qui maintient en état de « flottaison ». « Vers l’absence de soutien ». Comme ces phrases en italiques qui font irruption à l’improviste dans l’espace mental du « je » et ne s’y attardent pas. Celle de Baudelaire :

    « Me fait voir : le mouvement qui déplace les lignes, ainsi le scintillement. » (septembre, 25)

    ou celle de Giacometti :

    « Je ne sais bien ce que je vois qu’en travaillant » (septembre, 30)

    Ou comme ces personnages de Thomas Mann ou de W.G. Sebald, en qui le « je » trouve un écho passager à sa propre souffrance :

    « “Austerlitz”, c’est le nom de la place, tu sais, Jacques Austerlitz. Petite, quelques bancs, le marchand de journaux. Jacques Austerlitz la traverse sans fin. » (septembre, 13)

    Autant de mouvements indicibles qui portent en eux les germes de la dissolution. Et conduisent à l’« entame » d’octobre, à ses « fenêtres aveuglées, murs gris, trajets murés ». À sa solitude et à son désarroi. À son horizon. L’unique présence sur le mur est celle de Robert Walser. Silhouette qui fait face à celle qui écrit :

    « Je suis loin de moi-même, mais je ne cesse de penser à la poésie » (octobre, 2)

    Restent une écriture et sa fragilité de verre.


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli



    ISABELLE BALADINE HOWALD


    Isabelle Baladine Howald
    Ph. © Vincent Muller
    Source





    ■ Isabelle Baladine Howald
    sur Terres de femmes

    La Douleur du retour (note de lecture)
    [Je pense à toi qui n’a plus de corps] (extrait de Fragments du discontinu)
    [Je — court à la mort] (extrait d’Hantômes)






    Retour au répertoire du numéro de janvier 2011
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index des « Lectures d’Angèle »

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Isabelle Baladine Howald, La Douleur du retour

    par Angèle Paoli

    Isabelle Baladine Howald, La Douleur du retour,
    La Cabane, 2009.



    Lecture d’Angèle Paoli


    André du Bouchet par Giacometti
    Source






    C’ÉTAIT À TRUINAS, DANS LA DRÔME




    « Un petit récit exemplaire ». Ainsi peut-on définir La Douleur du retour, récit qu’Isabelle Baladine Howald a écrit en écho à Truinas, œuvre de Philippe Jaccottet. Dans Truinas (Éditions La Dogana, 2004), cet autre « petit récit exemplaire », le poète évoque la journée du 21 avril 2001. Jour de l’enterrement d’André du Bouchet, au surlendemain de sa mort. C’était à Truinas, dans la Drôme.

    Quelques années plus tard, bouleversée par la lecture de Truinas, Isabelle Baladine Howald se rend sur la tombe d’André du Bouchet, mettant ainsi ses pas dans les pas des deux poètes, le vivant et le mort.

    De ce déplacement dans le temps et dans l’espace, la visiteuse est profondément bouleversée. Quelque chose en elle a bougé, continue de bouger, de manière imprévue, au plus profond d’elle-même. « Je suis déplacée en moi-même, comme sous l’effet d’un souffle », écrit la narratrice. C’est à ces infimes « déplacements intérieurs », liés à la lecture de Truinas, que la narratrice ouvre la voie de sa mémoire jusqu’au déplacement ultime, celui de la douleur.

    Confrontée à un univers inconnu où rien ne lui parle, ni la couleur du ciel méditerranéen ni ses paysages, la visiteuse de Truinas au toponyme énigmatique tente d’accrocher son œil à des détails minuscules, porte en fer verrouillée, « carré d’herbe », « murets de pierres claires ». Tout est miniature, tout est dans l’économie, tout est minimal, jusque dans le nombre des visiteurs, clairsemés entre « les tombes éparses », jusque dans le « très léger renflement de la terre » ou dans « la brindille de ronce ramassée » mise à sécher, depuis, « dans le mince livre bleu », « petites feuilles dentelées ». Tout ce qu’elle perçoit du monde miniaturisé qui l’entoure est vu au travers du filtre du sfumato, lumière vaporeuse qui caresse les ifs ombreux, posés là depuis toujours. On songe, à lire ces lignes, aux paysages de Léonard de Vinci, dont la visiteuse, absorbée dans les dégradés de couleur et les effleurements de lumière, semble soudain faire partie. Le temps aussi s’immobilise, qui rejoint dans cet instant précis, l’éternité :

    « J’étais là où je devais être, à un instant parfait d’éternité, entrouverte sous mes yeux à l’intérieur d’un paysage comme si j’étais dans le tableau. »

    De cet instant vécu dans le suspens du jour restent « quelques cailloux », « quelques racines » cueillies le long d’un « petit chemin d’herbes ». Reste aussi le souvenir du « nom clos » de Truinas, qui dépose l’énigme de son paysage vocalique dans les profondeurs de la mémoire et sédimente, à l’insu de la narratrice, son secret.

    Reste « le petit livre » de Jaccottet, qui continue de faire entendre son chant « presque inaudible » et montre à celle qui l’écoute « comme une direction ». Le détachement à soi-même dans l’abandon à l’écriture et jusqu’à l’oubli de soi. Et, découverte inattendue, « en l’absence de tout repère familier », le déplacement vers l’exactitude :

    « J’étais déplacée vers l’exactitude dans le déplacement lui-même. »

    De ces infimes « déplacements intérieurs » qui agissent par vagues successives au plus intime de l’être, naît la douleur lancinante du retour au pays d’origine. D’où surgit le déplacement ultime, celui qui laisse entrevoir soudain « l’idée d’un dieu ». Une fois éloignée l’idée d’un dieu, une fois apaisée la douleur qui suffoque, les écarts s’estompent. Des ajustements internes surviennent peu à peu dans le tremblé du déplacement jusqu’à la presque adéquation dans le tableau.

    « Je fus au plus près, non effrayée ».

    Bel hommage à l’écriture et à ses cheminements secrets que ce petit opus qu’Isabelle Baladine Howald nous donne à méditer.


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    ■ André du Bouchet
    sur Terres de femmes


    19 avril 2001 | Décès d’André du Bouchet
    André du Bouchet | En pleine terre
    André du Bouchet | sur la terre immobile




    ■ Isabelle Baladine Howald
    sur Terres de femmes


    [Je pense à toi qui n’a plus de corps] (extrait de Fragments du discontinu)
    [Je — court à la mort] (extrait d’Hantômes)
    Mouvement d’adieu, constamment empêché (note de lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Terres de femmes)
    20 avril 2001 | Philippe Jaccottet, Truinas





    Retour au répertoire du numéro d’avril 2010
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index des « Lectures d’Angèle »

    » Retour Incipit de Terres de femmes