Étiquette : Issa Makhlouf


  • Issa Makhlouf | Où es-tu ?




    Demain nous confierons nos secrets aux veines du marbre
    Ph., G.AdC






    [OÙ ES-TU ?]




    Où es-tu ?
    Hier encore
    nous étions ensemble
    à observer la lumière
    qui comptait nos jours.
    Quel est ce fleuve qui coule
    sans retenir une seule goutte
    d’eau ?



    Ce qui ne prend forme,
    ce qui devient cendre
    reste.
    Reste à jamais l’instant
    qui nous a unis.
    Demain
    nous confierons nos secrets
    aux veines du marbre,
    demain
    notre jardin se promènera
    dans les dédales
    des orangers.




    Issa Makhlouf, Leurs rêves endormis flottent sur les vagues, Éditions Imprévues, Collection « Accordéons », septembre 2016, pp. 5-6. Traduit de l’arabe (Liban) par Nabil El Azan.






    Makhlouf Imprévues






    ISSA MAKHLOUF


    Makhlouf
    Ph. © Thierry Rambaud/
    IMA



    ■ Issa Makhlouf
    sur Terres de femmes

    Au-delà de la vue (extrait de Mirages)
    Issa Makhlouf, Lettre aux deux sœurs (note de lecture d’AP)
    L’écriture sourit à la mort (extrait d’Une ville dans le ciel)
    Les pluies des amants (autre extrait d’Une ville dans le ciel)
    l’incipit de Lettre aux deux sœurs
    Celui qui part, laissons-le partir (extrait de Lettre aux deux sœurs + notice bio-bibliographique)



    ■ Voir aussi ▼

    le site officiel d’Issa Makhlouf
    → (sur le site des éditions Imprévues)
    la page de l’éditeur sur Leurs rêves endormis flottent sur les vagues d’Issa Makhlouf
    → (sur Terres de femmes)
    « Les traversées poétiques d’Andrée Chedid »





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  • Issa Makhlouf | Au-delà de la vue



    AU-DELÀ DE LA VUE (extrait)



    L’aveugle dit : « Combien de solitude dans cet or ». Qui dit que l’aveugle ne voit pas ? Il voit, mais à sa manière. Il voit l’unité du métal et son isolement terrible. Métal qu’on arrache à la terre et aux pierres, comme on arrache à sa coquille et à son eau l’huître du fond des mers. C’est cette solitude qui met à nu les entrailles de la terre et le mouvement de l’univers. Et lui, cet or, est-il le cœur de l’univers, est-il le rayonnement muet devenu givre ? Ou bien est-il cette lueur lointaine non encore parvenue jusqu’à nous ? Nous, les enfants d’une terre oubliée.

    Et l’aveugle de se demander : pourquoi ne voir qu’avec les seuls yeux, ces deux boules douceâtres ? Pourquoi pas avec le corps entier ? N’est-ce pas le corps qui est le passage vers la poussière à travers les voies de ses doutes et de ses certitudes ? N’est-il pas cette écume évanescente, inutilement tombée dans ses abîmes ? À peine s’est-il posé la question que l’aveugle est déjà sûr de n’être sûr de rien.

    Son premier écrit était un poème, c’est-à-dire une simple tentative de capter le souffle du temps et de retourner vers des lieux perdus à jamais. C’est ainsi qu’il se mit à rêver à des villes lointaines qu’il ne verrait plus car sa cécité les recouvrirait de son ombre. À des mers où il ne s’embarquerait pas, celles-là mêmes que des dents de dauphins déchirèrent. Et à des auberges où il dormirait une nuit, jamais deux. À imaginer une mer, une plaine ou une montagne, à écouter même de la musique, parfois, dans le sentiment d’être sur le point de recueillir quelque chose qu’il ne pourra jamais exprimer. Car écriture et labyrinthe, écriture et miroirs, miroirs et masques, nuit et boussole, tout cela n’est que le reflet des choses, rien de plus.

    Convaincu qu’on n’invente plus rien de nouveau, qu’on ne fait que mettre au goût du jour des inventions passées et des destins entiers d’écriture, il avait davantage de plaisir à lire qu’à écrire. Quoiqu’il en fût, en écrivant et en racontant, il donnait l’impression de réciter des textes déjà lus, c’est- à-dire qu’en écrivant, il n’écrivait pas mais se souvenait. C’est pour cela qu’il s’autorisait à s’attribuer tous les textes qu’il voulait. Pourquoi diable réécrire les textes dont il eut désiré être l’auteur ? Il en était l’auteur, à coup sûr, mais comme écrites par une autre main. La main d’un autre.



    Issa Makhlouf, « Au-delà de la vue », Mirages, Éditions José Corti, 2004, pp. 32-33-34. Traduit de l’arabe (Liban) par Nabil El Azan.






    Mirages






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    Makhlouf
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    ■ Issa Makhlouf
    sur Terres de femmes

    Issa Makhlouf, Lettre aux deux sœurs (note de lecture d’AP)
    L’écriture sourit à la mort (extrait d’Une ville dans le ciel)
    Les pluies des amants (autre extrait d’Une ville dans le ciel)
    l’incipit de Lettre aux deux sœurs
    Celui qui part, laissons-le partir (extrait de Lettre aux deux sœurs + notice bio-bibliographique)
    Où es-tu ? (extrait de Leurs rêves endormis flottent sur les vagues)



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  • Issa Makhlouf | Les pluies des amants




    La comète
    Image, G.AdC







    LES PLUIES DES AMANTS



    La comète poursuit sa route et l’écho coloré de son rire demeure. Quand nous avons envie de la voir, nous ouvrons les portes.

    La rosée se dépose pour que les plaies se referment. C’est de la soif que naît le nuage. Il passe au-dessus de la femme et ses hymnes à la pluie battent les cloches de ses ombres cuivrées.

    Les pluies des amants tombent aux pieds des statues. Les femmes qui passent par là referment la béance des plaies comme elles éteignent les lampes avant de dormir.



    Issa Makhlouf, « L’Automne », Une ville dans le ciel, Éditions Corti, 2014, page 90. Traduit de l’arabe (Liban) par Philippe Vigreux.






    Issa Makhlouf, Une ville dans le ciel, Éditions Corti, 2014.






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    Au-delà de la vue (extrait de Mirages)
    Lettre aux deux sœurs (note de lecture d’AP)
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    l’incipit de Lettre aux deux sœurs
    Celui qui part, laissons-le partir (extrait de Lettre aux deux sœurs + notice bio-bibliographique)
    Où es-tu ? (extrait de Leurs rêves endormis flottent sur les vagues)



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  • Issa Makhlouf | L’écriture sourit à la mort



    L’ÉCRITURE SOURIT À LA MORT



    Y a-t-il dans l’écriture un point de départ et un point d’arrivée ? Le premier mot, c’est la rose que nous nous refusons à cueillir pour ne pas bousculer le rythme du jardin et ne pas détruire la fragrance du parfum. Le premier mot, nous le gardons pour nous et écrivons quelque chose qui lui ressemble.

    Chaque goutte d’eau que prodigue la terre ou le ciel est toujours la première. Quant au dernier mot, il vient tout seul avec l’absence.

    Le voyageur, parfois, se souvient-il qu’il est en voyage. Il ausculte son cœur et essaie d’écrire. Mais l’écrivain, lui, que peut-il bien écrire ? L’écriture a-t-elle besoin de lui pour exister ? L’écriture véritable vient de plus loin que ce babil qui papillonne sur les lèvres. C’est la force qui nous pousse à écrire, pas l’écriture.

    Nous écrivons pour mieux écouter, pour mieux pénétrer le silence qui croît sur les franges du rêve. L’écriture nous conduit vers ce que nous ne pouvons saisir qu’à l’instant où nous écrivons. Nous écrivons pour éloigner la peur, un peu comme ces voyageurs nocturnes qui éloignaient les bêtes féroces avec le feu. Nous écrivons dans l’attente de ce qui va advenir, pour nous embellir aux yeux de ceux pour qui nous écrivons, pour nous approcher de l’insondable et rendre proche ce qui est lointain.

    L’écriture, c’est le réveil des voix profondes qui sommeillent, cloches lointaines qui n’ont pas besoin qu’on les sonne pour vibrer.

    Le rayon du mot traverse le métal et ralentit le temps.

    L’écriture a un visage dont nous recherchons l’empreinte en nous-mêmes. Un seul visage qui est la clé de tous les autres.



    Issa Makhlouf, « Le Printemps » in Une ville dans le ciel, Éditions Corti, 2014, pp. 158-159. Traduit de l’arabe (Liban) par Philippe Vigreux.






    Issa Makhlouf, Une ville dans le ciel, Editions Corti, 2014.






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    Mahklouf
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    ■ Issa Makhlouf
    sur Terres de femmes

    Au-delà de la vue (extrait de Mirages)
    Les pluies des amants (autre extrait d’Une ville dans le ciel)
    Issa Makhlouf, Lettre aux deux sœurs (note de lecture d’AP)
    Celui qui part, laissons-le partir (extrait de Lettre aux deux sœurs + notice bio-bibliographique)



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  • Issa Makhlouf, Lettre aux deux sœurs

    par Angèle Paoli

    Issa Makhlouf, Lettre aux deux sœurs,
    José Corti, octobre 2008.
    Traduit de l’arabe (Liban)
    par Abdellatif Laâbi.



    Lecture d’Angèle Paoli



    Lettre_aux_deux_soeurs







    « LÀ, LE VOYAGEUR DÉNOUE L’ÉNIGME DES PIERRES »



    Histoire d’une séparation qui ne peut prendre fin, alimentée qu’elle est par l’écriture d’une lettre d’amour toujours réitérée, jamais interrompue, Lettre aux deux sœurs d’Issa Makhlouf est porté, tout au long de sa composition, par la même poésie énigmatique que celle que j’avais découverte dans Mirages1. Mirages éblouissants de l’amour-attente, mirages de la passion partagée, mirages de l’impossible guérison. Vertiges.

    Double vertige et double incessante voration à laquelle celui qui écrit, amant et poète, se soumet, amour de l’absente et amour de l’écriture ― qui entretient la « flamme du trésor perdu » ―, Lettre aux deux sœurs, dont l’ouverture se fait sur la voix de Kathleen Ferrier, chante « un amour nimbé de mystères » qui puise ses racines « dans nos profondeurs depuis les balbutiements de la genèse ». Écrit par un homme raffiné, promeneur, photographe, amant passionné et délicat, philosophe et poète, Lettre aux deux sœurs s’écrit au fil des jours, mêlant aux lieux traversés, propices à la méditation, les souvenirs d’un temps révolu (dix années de séparation) et les interrogations liées à la promesse d’une rencontre prochaine.

    La première page de Lettre aux deux sœurs pose d’emblée la question fondatrice de l’écriture : « Pouvons-nous écrire si nous n’avons pas à qui écrire ? » Question reprise en écho quelques pages plus loin :

     « Nous écrivons pour l’absent.
    Dans la vastitude de ce lieu, seul l’absent est présent.
    Son silence remplit entièrement l’espace. »


    Apparemment adressée à une seule femme, la lettre se révèle une savante partition épistolaire (sans date d’émission ni destinataire explicitement nommé) où voix et visages s’entrelacent, démultipliant à l’infini, dans un étrange jeu de miroirs et d’inversion des rôles, lectures et confidences, questions et répons. De sorte que l’émetteur que l’on croyait stable est à son tour l’objet d’interrogations qui portent bien au-delà de lui-même :

    « L’émetteur de l’appel est-il en nous ou en dehors de nous? Est-il proche ou distant ? Il est au-delà de ce que nous voyons, toujours, dans ce qui dépasse l’assemblage de la nuit et du corps, la traversée des ténèbres vers la lumière reculée. Signe de notre passage ne laissant nulle trace. » Jusqu’à la prise de conscience finale et à sa révélation : « Je ne savais pas que ce que je t’écrivais n’était pas en fait destiné à toi seule » / « Ce n’est que maintenant que je ressens la densité de la double voix sortant de vos gorges alors que je pensais qu’il ne s’agissait que de ta voix et croyais que les lettres que je t’écrivais étaient à toi seule adressées ». Jusqu’à l’aveu qui s’exprime dans la métaphore picturale du chapitre XXI :

    « Je cherche la troisième couleur qui naîtrait de la rencontre de deux jaunes soutenus comme il en est de la façade de l’église Saint-Marc à Venise. Je la retiendrais et la fixerais pour que sa lumière déblaie devant nous la neige. »

    Alternant chapitres numérotés, histoire de la lettre, liée à celle de l’amour –  « J’ignore pourquoi elle m’a choisi pour que je devienne le narrateur de sa propre histoire, de ce parcours enrobé de mystère dont je ne connais ni le début ni la fin » – et textes brefs en italiques où se dit le « cheminement de la quête de soi », le poète construit sa pensée dans une incessante confrontation de ses pérégrinations mentales et de ses propres interrogations sur lui-même. Il écrit, dit-il, « pour recouvrer ce que nous croyons avoir perdu de notre vie et affronter la mort de l’enfance antérieure à toute mort. »

    Véritable tissage aux voix multiples, Lettre aux deux sœurs allie poésie extrême et extrême sensualité. Mais peut-être la clé de cette lettre se tient-elle inscrite dans l’âme discrète mais essentielle de ces pierres dispersées tout au long des feuillets en train de s’écrire, pierres « plus anciennes que la vie elle-même », « ces pierres qui ont présidé à la mémoire de la terre » et que le poète s’attache à retenir entre ses doigts, suivant en cela la voix/voie de Roger Caillois :

    « Réussirai-je, alors que le temps m’est chichement compté, à polir mes petites pierres et à te les restituer dans une forme correspondant à tes désirs ? » Celle de la Vierge à l’Enfant entourée d’anges de Jean Fouquet, celle de la paume de la main dans La Diseuse de bonne aventure du Caravage, celle de La Danseuse d’Izu de Yasunari Kawabata. Ou celle encore de l’Aphrodite Sôsandra, dont « la tristesse énigmatique » « émeut au plus profond ».

    Abandonnée à son tour, la lettre inachevée laisse le poète à son incomplétude :

    « Que fera donc l’ébloui avec l’objet de son éblouissement ? » La réponse est dans l’injonction lancée à l’oiseau :

    « Plane, oiseau. Plane bien haut. Loin. Dans toutes les directions ;
    N’arrête pas de battre des ailes. Ne t’arrête pas, oiseau ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli



    _______________________________________
    1. José Corti, 2004.






    ISSA MAKHLOUF


    Makhlouf
    Ph. © Thierry Rambaud/
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    ■ Issa Makhlouf
    sur Terres de femmes

    Au-delà de la vue (extrait de Mirages)
    l’incipit de Lettre aux deux sœurs
    Celui qui part, laissons-le partir (extrait de Lettre aux deux sœurs + notice bio-bibliographique)
    L’écriture sourit à la mort (extrait d’Une ville dans le ciel)
    Les pluies des amants (autre extrait d’Une ville dans le ciel)
    Où es-tu ? (extrait de Leurs rêves endormis flottent sur les vagues)



    ■ Voir aussi ▼

    → le
    site officiel d’Issa Makhlouf
    → (sur le site des Éditions José Corti) la
    page consacrée à Lettre aux deux sœurs d’Issa Makhlouf (quatrième de couverture)
    → (sur le site d’Issa Makhlouf)
    l’article de Marta Krol (paru dans la revue Le Matricule des anges) sur Lettre aux deux sœurs
    → (sur Terres de femmes)
    Abdellatif Laâbi | Tu passes sans passer
    → (sur Terres de femmes)
    « Les traversées poétiques d’Andrée Chedid »





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  • Issa Makhlouf | Celui qui part, laissons-le partir

    «  Poésie d’un jour  »



    CELUI QUI PART, LAISSONS-LE PARTIR


    IX

    Ph., G.AdC       

    Loiseau_lhaut_cest_toi_3

    Celui qui part, laissons-le partir. Nous n’avons pas à détourner le fleuve de son cours, à contrer la pérégrination du nuage. Celui qui part, même s’il nous revient un jour, ne reviendra plus. Car son retour se sera effectué du côté de l’absence dont il nous menacera sans cesse alors qu’elle fut jadis un mystère lové dans son visage.

    Le visage passe, et sa beauté demeure. La lampe s’éteint, et sa lumière persiste.

    Celui qui part, laissons-le partir. Ne le suivons pas à la trace, ne l’appelons pas, et n’ayons nul regret de ne pas lui avoir dit le dernier mot.

    À quoi bon l’attendre, alors qu’il est sorti du cercle de notre attente ?

    En dehors de l’attente, nous n’avons plus besoin de l’autre. Nous en avons fini avec lui comme lorsque nous refermons un livre et nous abandonnons au sommeil. Puis, à notre réveil, nous voyons passer le temps, accompagné de nos corps poignardés mais ne perdant pas de sang.

    Celui qui part, laissons-le partir.

    En ce midi, tu étais plantée sur le rivage. Tu as renversé la tête pour regarder là-haut le vol plané des mouettes. L’une d’elles essayait de s’approcher de toi. Elle criait sans oser se rapprocher davantage, semblant redouter la traversée d’une frontière invisible. Tu es restée figée, voulant savoir ce qu’elle cherchait à te transmettre. Elle volait, descendait lentement, puis brusquement elle s’est immobilisée, le bec pointé vers la tête.

    L’ayant scrutée un bon moment, tu t’es retournée vers moi et m’as dit : «  L’oiseau là-haut, c’est toi. Pourquoi ne viens-tu pas ? Pourquoi me regardes-tu comme si tu ne me connaissais pas ? [Variante de la traduction définitive : Pourquoi me regardes-tu en feignant de ne pas me reconnaître ?] Tu me désires de loin comme si tu convoitais la femme d’un autre. Approche. Viens et prends-moi. »

    Celui qui part, laissons-le partir et ne suivons pas ses traces. Dorénavant, ses traces disparaîtront et il sera libre comme le vent. Celui qui part ne sait pas qu’il part. Il s’engage dans la même voie qu’il a empruntée pour venir.

    Laissons partir celui qui veut partir. Ne voyons-nous pas qu’il est gravé tel qu’il était à la fleur de l’âge, lorsqu’il fut ?

    Celui qui part, laissons-le partir en paix.



    X


    Plane, ô oiseau. Plane bien haut. Loin. Dans toutes les directions. N’arrête pas de battre des ailes. Ne t’arrête pas, oiseau.



    Issa Makhlouf, Marges, traduit de l’arabe par Abdellatif Laâbi, revue littéraire mensuelle Europe, janvier-février 2008, n° 945-946, pp. 290-291.1



    ____________________________________
    1. Ce texte est extrait de Lettre aux deux sœurs [Rissala ila al-ukhtayn, Éditions An-Nahar, Beyrouth, 2004], paru en traduction française chez José Corti en octobre 2008 (pp. 120-121 et p. 127 [excipit]).



    *
            *   *



    Écrivain, poète et journaliste (Radio Orient), Issa Makhlouf est né en 1955 à Zghorta (Liban) et réside à Paris depuis 1979. Docteur en anthropologie sociale et culturelle (Université de la Sorbonne), il a publié plusieurs ouvrages en arabe et en français, et également traduit des auteurs français et latino-américains (Issa Makhlouf est l’auteur d’un essai sur l’œuvre de Jorge Luis Borges : Rêves d’Orient [Borges aux confins des mille et une nuits], 1997).

    Parmi ses dernières publications : Mirages, Éditions Corti, Paris, 2004. Traduit de l’arabe (Liban) par Nabil El Azan ; Rissala ila al-ukhtayn, Éditions An-Nahar, Beyrouth, 2004 ; trad. fr. Lettre aux deux sœurs, José Corti, 2008. Traduit de l’arabe (Liban) par Abdellatif Laâbi ; La Pomme du Paradis (Réflexions sur la culture contemporaine), Éditions Al-Markaz Assakafi Al-Arabi, Beyrouth, 2006 ; Une ville dans le ciel, Éditions Corti, Paris, 2014. Traduit de l’arabe (Liban) par Philippe Vigreux.






    ISSA MAKHLOUF


    Issa_2
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    Où es-tu ? (extrait de Leurs rêves endormis flottent sur les vagues)



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    → le
    site officiel d’Issa Makhlouf
    → (sur le site des Éditions José Corti) la
    page consacrée à Mirages d’Issa Makhlouf
    → (sur Terres de femmes)
    Abdellatif Laâbi | Tu passes sans passer
    → (sur Terres de femmes)
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