Étiquette : Jacques Demarcq


  • Tennessee Williams | The island is memorable to us


    Tennessee Williams collage
    Collage, G.AdC







    THE ISLAND IS MEMORABLE TO US



    The island is memorable to us
    as the change of a mirror
    or an underground river.

    The island loses in going.
    it appears to be still.
    Half of it, now, is in shadow,

    and yet it increases in going,
    memorable as the moon’s changes.
    It makes unnoticed advances

    With an appearance of yielding;
    it slips through the fingers,
    a stone with a milky luster…

    No, you cannot hold it, it
    twists like a woman! Its nights
    are memorable to us: the black

    rope-straining goat’s golden-
    eyed gaze at our passings,
    the leghorn rooster, white

    as a bare body’s twisting, the cross
    enclosed by the cipher, the night
    enclosed by the rose…

    Oh, heavy our flow
    compared to the weight of an island!
    For we are the anchored, the island

    a constant white gliding!



    Tennessee Williams, In the Winter of Cities, A New Directions Books, 1956, 1964 ; The University of the South, 1984, 1992.






    Tennessee Williams, In the Winter of Cities,







    L’ÎLE NOUS RESTE EN MÉMOIRE



    L’île nous reste en mémoire
    comme le changement sur un miroir
    ou une rivière souterraine.

    L’île se perd en allant.
    Elle semble être tranquille.
    Une moitié à présent dans l’ombre

    et pourtant elle augmente en allant,
    aussi mémorable que les phases de la lune.
    Elle fait des avances inaperçues

    avec un semblant d’abandon ;
    elle glisse entre les doigts,
    une pierre au lustre laiteux…

    Non, tu ne peux la tenir, elle
    se tortille comme une femme !
    ses nuits nous restent en mémoire : les yeux

    d’or de la chèvre noire tirant sur sa
    corde nous fixent quand nous passons,
    le coq leghorn, blanc

    comme un corps se tortillant, la croix
    incluse dans un code secret, la nuit
    incluse dans la rose…

    Oh, le poids de nos flots
    comparé à celui d’une île !
    Car nous sommes ancrés, l’île

    un constant et blanc glissement !



    Tennessee Williams, Dans l’hiver des villes, Seghers, Collection Poésie d’abord, 2015, pp. 210-211-212-213. Édition bilingue. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jacques Demarcq.






    Williams Seghers




    __________________________________
    NOTE : Dans l’hiver des villes est un recueil de poèmes qui date de 1956. Pierre Seghers l’avait fait paraître en français en 1960 mais expurgé de 48 textes. Les voici disponibles dans une édition complète et entièrement retraduite par Jacques Demarcq. Tennessee Williams n’a publié que deux recueils de poèmes, celui-ci étant le premier, le second Androgyne, mon Amour, a été publié en 1977.





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Seghers)
    la fiche de l’éditeur consacrée à Dans l’hiver des villes de Tennessee Williams
    → (sur Terres de femmes)
    29 mars 1951 | Oscar de la meilleure actrice décerné à Vivien Leigh






    Retour au répertoire du numéro de février 2015
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • E. E. Cummings | [goodby Betty, don’t remember me]



    Tabarin By Paul Colin
    Source







    [GOODBY BETTY, DON’T REMEMBER ME]


    30.


    Goodby Betty, don’t remember me
    pencil your eyes dear and have a good time
    with the tall tight boys at Tabari’
    s, keep your teeth snowy, stick to beer and lime,
    wear dark, and where your meeting breasts are round
    have roses darling, it’s all i ask of you —
    but that when light fails and this sweet profound
    Paris moves with lovers, two and two
    bound for themselves, when passionately dusk
    brings softly down the perfume of the world
    (and just as smaller stars begin to husk
    heaven) you, you exactly paled and curled

    with mystic lips take twilight where i know:
    proving to Death that Love is so and so.







    [GOODBY BETTY, NE TE SOUVIENS PAS DE MOI]


    30.


    Goodby Betty, ne te souviens pas de moi
    crayonne tes yeux et prends du bon temps
    au bal Tabarin serrée parmi les grands gars,
    conserve tes dents de neige, au citron-bière tiens-t’en,
    vets-toi de noir, et là où se touchent tes seins ronds
    porte des roses darling, c’est tout ce que je veux —
    surtout quand le jour baisse et que ce doux profond
    Paris marche avec les amoureux, deux à deux
    partant vers eux-mêmes, lorsque avec passion le soir
    fait descendre en douceur un parfum sur terre (juste
    comme de petites étoiles commencent à écailler
    le ciel) toi, exactement toi poudrée frisée

    entre tes mystiques lèvres attrape le crépuscule :
    prouvant à la Mort que l’Amour est ci et ça.



    E. E. Cummings, « Grands Boulevards, Pigalle », Paris, Éditions Seghers, 2014, pp. 108-109. Édition bilingue, traduit de l’anglais et présenté par Jacques Demarcq.






    E. E. Cummings, Paris






    E. E. CUMMINGS


    Vignette cummings
    Source



    ■ e.e. Cummings
    sur Terres de femmes

    Beautiful
    Memorabilia
    [my lady is an ivory garden]



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site American Poems) une
    bio-bibliographie d’e.e. Cummings (+ un choix de 153 poèmes)
    → (sur scribd.com)
    l’intégralité des poèmes d’e.e. Cummings
    → (sur le site de la revue de traduction Palimpsestes)
    Antoine Cazé, « E. E. Cummings : (dé)composition d’adjectifs, inventivité linguistique et traduction », Palimpsestes [En ligne], 19 | 2007, mis en ligne le 01 janvier 2009






    Retour au répertoire du numéro de mars 2014
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Jonathan Williams, Portraits d’Amérique

    Jonathan Williams, Portraits d’Amérique,
    Éditions Nous, Collection Now, 2013.
    Traduits et édités par Jacques Demarcq.
    Introduction de Rachel Stella.



    Lecture d’Angèle Paoli




    « UN PETIT LIVRE POUR ÉCLABOUSSER L’AUTRE CÔTÉ DE L’ATLANTIQUE »



    « Un petit livre pour éclabousser l’autre côté de l’Atlantique ». Tel est le souhait exprimé par Rachel Stella dans son introduction aux Portraits d’Amérique du photographe, poète et éditeur Jonathan Williams.

    J’ignore encore si le but est atteint, le « petit livre » venant tout juste de voir le jour aux éditions Nous. Une chose est sûre, c’est que ce livre est jubilatoire. Aucun des portraits (trente-et-un en tout) réalisés par Jonathan Williams, photographies et textes, n’échappe à l’humour de leur auteur. Peut-être y a-t-il aussi, sous-jacent aux mots de l’Américain, l’humour propre à Jacques Demarcq, le traducteur de ces portraits miniatures. Tandem réussi, car chaque page apporte son lot de surprises et, à chaque page, le rire est au rendez-vous.

    Condensés sur une seule page, le plus souvent répartis sur deux paragraphes, les portraits n’occupent pas plus d’une vingtaine de lignes (entre dix-huit et vingt le plus souvent). Sur la page en regard (page de droite ou page de gauche) se trouve la photo en corrélation avec le texte.

    Album à double entrée, Portraits d’Amérique présente des poètes et des écrivains mais aussi des artistes ou des créateurs farfelus qui couvrent la totalité du XXe siècle. Les dates de naissance s’échelonnent de 1873 à 1947. La disparition la plus ancienne remonte à 1953. Quant au benjamin de la galerie, Thomas Meyer, né en 1947, il est toujours de ce monde et incarne selon l’écrivain-photographe le type du Puer Eternus décrit par le professeur Karl Jung.

    Le lecteur croise inéluctablement, au cours de sa lecture, les grands noms de la poésie américaine : Mina Loy, Lorine Niedecker, William Carlos Williams, Louis Zukofsky, Ezra Pound, Allen Ginsberg, Charles Olson, Robert Duncan… et bien d’autres encore. À côté des plus connus, figurent d’autres noms dont la notoriété n’est sans doute pas tout à fait parvenue jusqu’aux confins des terres européennes. Eddie Martin, sorte de Facteur Cheval de Géorgie ; Vollis Simpson de Caroline du Nord (né en 1919 et toujours vivant), grand inventeur de machines éoliennes, combinant Miró et Dubuffet et qui se demande où diantre ses géniteurs sont allés dénicher un prénom pareil ; le coiffeur-pasteur-franc-maçon Elijah Pierce, l’« un des meilleurs sculpteurs afro-américains » qui « prie au-dessus [du bois] avant de l’entailler » ; James Harrold Jennings, un « visionnaire » qui vit dans sa campagne « sans eau courante ni électricité ni automobile ni téléphone »… et dont les inventions lui tiennent compagnie. « Des constructions brillamment colorées avec des bouts de bois récupérés ». Il y a aussi Thornton Dial, noir d’Alabama, peintre en bâtiment qui ne sait ni lire ni écrire mais qui sait ce qu’il a à faire et écrit tout de même dans son Thornton Dial : Image of the Tiger :

    « y’a là
    tous les visages de l’Amérique

    tous les blancs tous les noirs
    tous les bruns tous les rouges

    tous les jaunes… »

    Il y a là tous les visages de l’Amérique, en effet, toute sa folie qui fait sourire et qui surprend ; tout le côté « foldingue » de ses originaux qui laisse abasourdis nos esprits cartésiens.

    Seule la première photo du « petit livre » impressionne. Il ne s’agit nullement d’un portrait de la sculptrice Laura Pope Forrester, la doyenne de la suite, mais de l’une de ses réalisations. Visage et main de morte engoncés dans la matière, regard incisif qui tente de déjouer le mystère. « Sérénité d’expression qu’on ne trouve que dans certains temples bouddhistes ou hindous », écrit Williams. Voire. Cette photo a spontanément exhumé pour moi l’une des « momies de Palerme » de la crypte des Capucins.

    Chaque portrait surprend, cerné par une remarque incisive ou une expression du visage qui caractérise la personne. Ainsi de Mina Loy, dont la poésie érotique, définie comme « élégiaque et satirique », n’est pas appréciée. Parce que « les gens n’aiment pas ce genre de poésie », commente Williams. Son œuvre, inconnue de tous, constitue pourtant une exception absolue. Quant à Ezra Pound, qui suit immédiatement Mina Loy, son portrait se conclut sur cette remarque lucide mais probablement juste : « Tout ce que j’ai fait, c’est un peu de bruit pour quelques gus que personne n’écoutait. » Le docteur William Carlos Williams étonne par ailleurs par « sa féminité ». « Exaspéré par la fréquentation d’un monde insensible », il tient « sa force de sa vulnérabilité ». L’œuvre de l’écrivain Edward Dahlberg (1900-1977) est définie comme « un sommet impossible dans la Cordillère »… et les titres de ses ouvrages sont à eux seuls promesse de joyeusetés érotiques : Que ces os revivent, Les Puces de Sodome, Parce que j’étais de chair, Les Larmes de Priape, La Porte arrière de Cythère, L’Américain sans feuille de vigne. De Zukofsky, « Zuk », mort en 1978, Williams dit « qu’on se mettra à (le) comprendre dans une centaine d’années. » Robert Creeley apparaît en « portrait de l’artiste en assassin espagnol ». Gabardine noire et borsalino jouant de l’ombre sur le visage. Œil sombre et petite moustache, noire elle aussi. Denise Levertov, « de mère galloise, de père rabbin hassidique devenu prêtre anglican », bras croisés sur sa robe rapportée d’Oaxaca (Mexique), semble une petite fille sage. Allen Ginsberg, « Ginzy », à la barbe chenue et en salopette de travail, est un original qui chante   William Blake en s’accompagnant sur un harmonium de l’Armée du Salut ». Il y a aussi James Laughlin, en ombre chinoise avec pipe, à qui Pound avait dit : « Non, Jaz, c’est sans espoir. Tu ne feras jamais un écrivain, même avec de la volonté » ; Jaz dont on découvre, à sa mort, « qu’il avait écrit davantage de bons poèmes classiques que Catulle, Martial, Properce et Horace réunis ». Seul le gros Charles Olson, « le Big O », père de l’énorme somme poétique Les Poèmes de Maximus, a droit à quatre pages. Deux pages de portrait et deux photos. Du maître du Black Mountain College, Williams, venu étudier la photographie, apprend que « TOUT HOMME EST SON PROPRE INSTRUMENT » et qu’un écrivain a tout à gagner à éditer ses propres ouvrages. Sans compter la leçon d’énergie contenue dans les formules intempestives : « MAKE IT NEW ! DO IT YOURSELF ! BE ROMANTIC… AND NEVER BE RUSHED! »

    Chaque page de cet opus est une découverte qui invite à d’autres découvertes. Et chaque découverte réserve son moment de plaisir.

    Si certains poètes présents dans ce petit opus sont issus du Black Mountain College, la plupart ont été soutenus par la Jargon Society et publiés par la Jargon Press, maison d’édition créée par Williams. Dont la ligne éditoriale est de s’intéresser aux auteurs d’un « modernisme » sans concession ainsi qu’à des créateurs marginaux. Les poètes bon ton bon genre, « les traditionalistes de Nouvelle Angleterre, les esthètes de l’École de New York » ainsi que « les Beat de la Côte Ouest » sont exclus du programme éditorial de Williams. Mais l’on apprend aussi que Williams s’est un jour détaché du Black Mountain, de son environnement et de son réseau d’influences. Parce qu’il faut bien couper le cordon, que le Black Mountain était devenu un club et que les chemins, inévitablement, se séparent.

    Chemin faisant, on découvre que « le « milieu » de la poésie américaine est susceptible ». Qu’après la boutade de « la prose ventilée » de Richard Buckminster Fuller, survient une définition du poète : « le poète est celui qui rassemble les choses. » Que Louis Zukofsky résume sa conception de la poésie dans cette note : « Moins la poésie tient compte de la vie quotidienne et du sens rythmique d’un individu, moins elle a de chance d’être lisible. » Et que, derrière les formules d’Aaron Siskind (tout comme Harry Callahan, Siskind enseigna la photographie à Williams) : « quand je photographie un mur, je prends autre chose »/« quand je visite un nouveau pays, je trouve des vieux Siskind », c’est toujours de Siskind qu’il s’agit ; c’est toujours Siskind que l’on retrouve. Et l’on trouve aussi, formulée par la plume de Williams, toute son admiration pour Lorine Niedecker « la poétesse la plus absolue depuis Emily Dickinson… ». On est en présence, écrit-il encore, d’« un poète dont les pairs sont la Dame Ono Komachi et Sappho. Peu d’autres noms viennent à l’esprit. »

    Les Portraits d’Amérique de Jonathan Williams, sont aussi, de manière indirecte, le portrait de Jonathan Williams. Un grand éditeur et un grand photographe. « Artilleur d’un autre canon ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli







    Williams







    JONATHAN WILLIAMS


    Portrait Jonathan  Williams
    Ph.: Arnold Gassan
    Source




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Nous)
    la fiche de l’éditeur sur Portraits d’Amérique





    Retour au répertoire du numéro de décembre 2013
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index des « Lectures d’Angèle »

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Milo De Angelis, Thème de l’adieu

    Milo De Angelis, Thème de l’adieu,
    éditions NOUS, collection “now”, 2010.
    Traduit de l’italien
    par Patrizia Atzei et Benoît Casas.
    Postface de Jacques Demarcq.



    Lecture de Tristan Hordé



    La lumière ne passe plus
    Ph., G.AdC







    « CE REGARD RESTÉ SEUL »



    Le lecteur se réjouira de cette traduction, élégante et précise, d’un livre de Milo De Angelis, poète et essayiste, traducteur (de Baudelaire et de Blanchot, mais aussi de Lucrèce) encore peu connu en France *.

    Thème de l’adieu, publié en Italie en 2005 par Milo De Angelis, deux ans après la mort de son épouse, Giovanna Sicari (1954-2003), rend compte à la fois de la difficulté et de la nécessité des poèmes. Qu’est-il possible d’écrire à propos de la disparition de l’aimée ? Le passé est toujours là, et les mots d’amour comme si Giovanna était présente, le moment de la mort impossible à évoquer, mais le passé est cependant un autre temps et seul le « congé » permettra de continuer. C’est le mouvement entre la vie qui a précédé la maladie, le temps de l’hospitalisation et celui d’après la mort qui anime les six chants du livre, chacun comprenant une suite de courts poèmes.

    La mort, c’est la rupture définitive, c’est aussi ensuite une perception différente des choses, tout ce qui était possible auparavant avec l’autre ne peut être énuméré, aucune route à emprunter, aucun mouvement, aucun échange ne sera analogue : le monde d’avant s’est comme effondré. La perte est littéralement indicible parce qu’il faudrait faire le compte de ce qui ne sera plus, mais ce qui a été vécu dans « l’unisson des corps » n’est pas et ne peut être objet de compte. Du passé demeurent la voix enregistrée sur le répondeur qui exprime doublement l’absence, des mots qui échouent à reconstituer « le grand / hosanna obscur qui donne tout le plaisir / aux amants ».

    Rien, donc, des gestes et des regards ne sera retrouvé : « Il y a eu ». Le temps, pour celui qui vit encore, est celui du « sans », et à l’ouverture, au rassemblement, à la lumière d’autrefois répondent « les ombres », « l’ombre », le noir de l’asphalte qui s’étend partout. Reste à écrire le chant de ce qui fut. L’une des manières d’y parvenir consiste à opposer ce qui caractérisait les jours vécus ensemble et le présent, par exemple « la nuit » qui semble continue maintenant, durée étale, sans relief, et « des nuits d’amour », où les amants sans cesse inventaient chaque instant, unis et « séparés de [leurs] gestes ». 

    Avec le sentiment que l’environnement est détruit, non seulement domine la perte de toute clarté, mais les couleurs disparaissent, le chant ne peut se construire que pour dire le défait : les gestes passés sont coupés totalement du présent avec l’emploi de l’imparfait (« toi qui sortais souriante », « nous étions », etc.), et seuls des adjectifs à fort contenu négatif qualifient les objets les plus familiers : « vitres brisées », « pages séchées », « pommes mortes », la lumière ne passe plus, l’écriture se tarit, la nature entre dans l’hiver. Alors que le déroulement des jours s’inscrivait dans une durée sans limite qui donnait sens à la vie, la maladie et la mort sont « un soudain », l’imprévisible, une chute que rien ne peut expliquer :

    Je ne sais pas

    ce qui s’est passé, ce qui

    s’est passé, mon amour, ni pour

    quoi, ni pourquoi.

    Ce qui s’est passé, la maladie, c’était « la blessure », « la chair blessée », par où la vie s’en va, et à l’écart de la lumière (« il faisait noir / toute la lumière était close ») l’enfermement dans la chambre de l’hôpital, c’est-à-dire dans un lieu immobile, totalement différent des lieux où vivait le couple, Milan et ses quartiers, de tous les autres lieux, « géographie d’unions inespérées, temps qui ne se perd pas, / toutes les routes, tous les amours immergés en un seul / et rejaillis […] ». La chambre des soins est impossible à décrire comme ne peut être écrit le moment où est connue l’issue de la maladie : « Ils ont raté l’opération » ; la chambre — « c’était là que tu étais en train de mourir » — n’a rien de commun avec celle de l’hôtel, chambre d’amour d’avant le cancer du sein, évoqué dans un présent comme arrêté, « Nous nous sommes pris, visages essoufflés et circonspects, / sur le carrelage, mesurant le souffle, / vérifiant les empreintes digitales, embrassant / la gorge qui abandonne […] ». Dans la chambre où la mort viendra, départ vers nulle part, la séparation déjà s’accomplit, « et pourtant j’étais avec toi / et tu n’étais plus avec moi ».

    On rappellerait volontiers la tradition du « thème de l’adieu », avec ces dernières décennies les textes de Jacques Roubaud, Michel Deguy, Claude Esteban, Françoise Clédat, Jude Stéfan. Ce serait pour souligner le caractère unique de chacun, l’expérience de la mort de l’autre aboutissant chaque fois à une œuvre singulière, sans aucun doute, comme l’écrit Jacques Demarcq à la fin de sa postface, parce que « L’art, la littérature, à leur plus haut degré de risque, n’ont au fond que deux sujets : l’amour et la mort. La perte d’un être aimé les combine violemment. La poésie, qui joint le rythme à la parole, l’art à la littérature, donne à ce qui dépasse les capacités du discours, étant en partie au-delà du sens, une forme active et signifiante. Tel est l’enjeu que peu affrontent. Milo De Angelis, oui. »



    Tristan Hordé
    D.R. Texte Tristan Hordé
    pour Terres de femmes




    _______________
    * Ont été traduits de Milo De Angelis Terre du visage (trad. J.-B. Para, Chopard, Paris, 1988), Ce que je raconte aux chaises (trad. A. Pilia et J. Demarcq, Cahiers de Royaumont, 1989), L’Océan autour de Milan (trad. J.-B. Para, Meet, Saint-Nazaire, 1993) et Thème de l’adieu, éd. NOUS, 2010 (supra). On lira dans Terres de femmes une traduction inédite d’Angèle Paoli (février 2009) de quatre poèmes extraits de Thème de l’adieu, d’un poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili (2010), d’un poème extrait d’Incontri e agguati (2015), extraits accompagnés du texte original.






    Thème de l'adieu





    MILO DE ANGELIS


    Milo De Angelis et Giovanna Sicari




    ■ Milo De Angelis
    sur Terres de femmes


    6 juin 1951 | Naissance de Milo De Angelis
    Thème de l’adieu (traduction d’extraits par Angèle Paoli ― février 2009 + notice de Martin Rueff)
    Tutto era già in cammino (extraits du Thème de l’adieu, éditions Nous)
    Mercoledì (poème extrait de Linea intera, linea spezzata)
    Il morso che ti spezza (autre poème extrait de Linea intera, linea spezzata)
    Sala Venezia (autre poème extrait de Linea intera, linea spezzata)
    [Inquadratura](poème extrait d’Incontri e agguati + traduction inédite d’AP)
    Milano lì davanti (poème extrait de « L’oceano intorno a Milano » in Biografia sommaria, 1999)
    L’oceano lì davanti (poème extrait de L’Océan autour de Milan)
    A volte, sull’orlo della notte (poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP)
    Era buio (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite de Sylvie Fabre G.)
    [Nessuno riposa] (autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 1]
    [Mi attendono nascosti] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP)[Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 2]
    [È qui] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 3]
    [Ecco l’acrobata della notte] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 4]
    [Ho saputo, amica mia…] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 5]
    “T.S.”, II (extrait de Somiglianze)




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Lyrikline)
    Milo De Angelis disant plusieurs de ses poèmes
    → (sur Les Carnets d’Eucharis de Nathalie Riera)
    d’autres poèmes de Milo De Angelis (extraits de L’ocean intorno a Milano traduits par Jean-Baptiste Para) et une courte notice bio-bibliographique
    → (sur YouTube)
    un portrait video de Milo De Angelis par Viviana Nicodemo





    Retour au répertoire du numéro de janvier 2011
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index de la catégorie Péninsule (littérature et poésie italiennes)



    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Milo De Angelis | Tutto era già in cammino



    Le ombre di Lambrate chiusero la porta.
    Ph., G.AdC






    TUTTO ERA GIÀ IN CAMMINO



    Tutto era già in cammino. Da allora a qui. Tutto
    il tempo, luminoso, sfiorava le labbra. Tutti
    i respiri si riunivano nella collana. Le ombre
    di Lambrate chiusero la porta. Tutta la stanza,
    assorta, diventò il primo battito. Il nero
    dei tuoi capelli contro il giallo dell’ultimo raggio.
    Da allora a qui. Era il primo giorno dell’estate.
    Il silenzio ci riempiva la fronte. Tutto era
    già in cammino, da allora, tutto era qui, unico
    e perduto, nostro e remoto. Tutto chiedeva
    di essere atteso, di tornare nel suo vero nome.




    Milo De Angelis, 1. Vedremo domenica, Tema dell’addio, in Poesie, Oscar Mondadori, Oscar poesia del Novecento, 2008, pag. 242.







    Tout -tait ici- unique et perdu- n-tre et enfoui
    Ph., G.AdC






    TOUT ÉTAIT DÉJÀ EN CHEMIN



    Tout était déjà en chemin. D’alors à ici. Le temps
    tout entier, lumineux, effleurait les lèvres. Tous
    les souffles se rassemblaient dans le collier. Les ombres
    de Lambrate fermèrent la porte. Toute la pièce,
    absorbée, devint le premier battement. Le noir
    de tes cheveux contre le jaune du dernier rayon.
    D’alors à ici. C’était le premier jour d’été.
    Le silence nous remplissait le front. Tout était
    déjà en chemin, d’alors, tout était ici, unique
    et perdu, nôtre et enfoui. Tout demandait
    d’être attendu, de revenir à son vrai nom.




    Milo De Angelis, 1. On verra dimanche, Thème de l’adieu, Éditions Nous, juin 2010, page 12. Traduit de l’italien par Patrizia Atzei et Benoît Casas. Postface de Jacques Demarcq.






    Thème de l'adieu





    MILO DE ANGELIS


    Milo De Angelis et Giovanna Sicari




    ■ Milo De Angelis
    sur Terres de femmes


    6 juin 1951 | Naissance de Milo De Angelis
    Mercoledì (poème extrait de Linea intera, linea spezzata)
    Il morso che ti spezza (autre poème extrait de Linea intera, linea spezzata)
    Sala Venezia (autre poème extrait de Linea intera, linea spezzata)
    Milano lì davanti (poème extrait de « L’oceano intorno a Milano » in Biografia sommaria, 1999)
    L’oceano lì davanti (poème extrait de L’Océan autour de Milan)
    [A volte, sull’orlo della notte] (extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction d’Angèle Paoli)
    [Era buio] (autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite de Sylvie Fabre G.)
    [Nessuno riposa] (autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 1]
    [Mi attendono nascosti] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP)[Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 2]
    [È qui] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 3]
    [Ecco l’acrobata della notte] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 4]
    [Ho saputo, amica mia…] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 5]
    [Inquadratura](poème extrait d’Incontri e agguati)
    “T.S.”, II (extrait de Somiglianze)
    Thème de l’adieu (traduction d’extraits par Angèle Paoli ― février 2009 + notice de Martin Rueff)
    Thème de l’adieu (lecture de Tristan Hordé)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Lyrikline)
    Milo De Angelis disant le poème ci-dessus et d’autres poèmes extraits de Tema dell’addio
    → (sur Sitaudis.fr)
    Thème de l’adieu de Milo De Angelis, par Françoise Clédat (note de lecture)
    → (sur Les Carnets d’Eucharis de Nathalie Riera)
    d’autres poèmes de Milo De Angelis (extraits de L’ocean intorno a Milano traduits par Jean-Baptiste Para) et une courte notice bio-bibliographique
    → (sur YouTube)
    un portrait video de Milo De Angelis par Viviana Nicodemo





    Retour au répertoire du numéro de décembre 2010
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index de la catégorie Péninsule (littérature et poésie italiennes)



    » Retour Incipit de Terres de femmes