Étiquette : Jacques Roubaud


  • Jacques Roubaud | L’étoile



    ENCRE DE VICTOR HUGO L’éternité sans souvenir prendra le ciel, prendra la boue, prendra l’écho
    Source







    L’ÉTOILE



    Des mondes naissaient
    sous moi
    oliveraies, vignes, bassins
    grands de neige


    Jardins amnésiques
    plantes
    troubles fruits
    de troubles arbres


    Rien sous l’ombre
    ne m’échappa
    ni l’eau où le soleil a du poids
    ni la crête où se dessèche la lune


    Le soleil lumière dans sa tête
    la lune perdue dans sa nuit s’en vont
    et je compte, moi
    le temps de l’un, le temps de tous


    L’éternité sans souvenir
    prendra le ciel, prendra la boue, prendra l’écho
    la couleur passe tout s’oublie
    les herbes comme les eaux


    Et je me suis retournée, moi
    depuis l’espace, bleue comme un point
    sur mes traces semées
    dans la neige, pour en jouir




    Jacques Roubaud, « Quatrains réduits de Qohelet » in Octogone, livre de poésie, quelquefois prose, Éditions Gallimard, Collection blanche, 2014, pp. 137-138.








    Octogone Roubaud





    JACQUES ROUBAUD


    Jacques Roubaud





    ■ Jacques Roubaud
    sur Terres de femmes

    Battement (poème extrait de Quelque chose noir)
    Dialogue (poème extrait de Quelque chose noir)
    Ongle et oncle d’Arnaut Daniel (sextine)
    5 décembre 1932 | Naissance de Jacques Roubaud



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Recours au poème)
    À propos d’Octogone de Jacques Roubaud, par Lucien Wasselin
    → (sur Terres de femmes)
    Hommage à Alix Cléo Roubaud (chronique de Marie Fabre)






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  • Olivier Larronde | Amours



    AMOURS



    Sans noms, la géographie des nuages manipule nos presqu’îles, d’une stabilité dérisoire.

    Un sage et beau pays peu imaginatif se laisse transformer par elle qui passe le temps à se déformer pour lui, comme pour d’autres.



    Olivier Larronde, « En prose », Rien voilà l’ordre, L’Arbalète, 1961, in Œuvres poétiques complètes, précédées de Villon adore rire, par Jacques Roubaud et de Brève vie d’Olivier Larronde, par Jean-Pierre Lacloche, Le Promeneur | Éditions Gallimard, 2002, page 118.








    Olivier Larronde, Œuvres poétiques complètes





    OLIVIER LARRONDE


    Olivier Larronde
    Source



    ■ Olivier Larronde
    sur Terres de femmes

    Vendange



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Les Trompettes Marines)
    Olivier Larronde ou le dernier poète maudit, par François Reibel
    → (sur La Pierre et le Sel)
    « Olivier Larronde, poète maudit » (un dossier établi par Jean Gédéon)
    → (sur écrits-vains.com)
    « Olivier Larronde ou l’archange poète » (article de Joë Ferami)




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  • Olivier Larronde | Vendange



    VENDANGE




    La fleur déclose me prive de tout comme elle s’abandonne en fruit. Mon sang charrie des glaçons, fleur de la récolte quand le cortège de ce soir m’ouvrira les veines.

    Meuniers, ramoneurs et ceux que le sel a déteints, mes démons se laissent apparaître, vêtus de soufre et plus près des papillons pour cette race légère que saura fixer une pointe dans l’aile. À des fleurs les papillons font l’amour, eux vont aux baisers des fruits.

    Délaissant ces bouches entr’ouvertes qui pendent aux branches,  d’un  galop  les  vendangeurs  passeront  fouler
    mon corps
                       une grappe de leur vigne.




    Olivier Larronde, Rien voilà l’ordre, L’Arbalète, 1961, in Œuvres poétiques complètes, précédées de Villon adore rire, par Jacques Roubaud et de Brève vie d’Olivier Larronde, par Jean-Pierre Lacloche, Le Promeneur | Éditions Gallimard, 2002, page 117.





    OLIVIER LARRONDE


    Olivier Larronde
    Source



    ■ Olivier Larronde
    sur Terres de femmes

    Amours



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur La Pierre et le Sel)
    « Olivier Larronde, poète maudit » (un dossier établi par Jean Gédéon)
    → (sur écrits-vains.com)
    « Olivier Larronde ou l’archange poète » (article de Joë Ferami)
    → (sur Les Trompettes Marines)
    Olivier Larronde ou le dernier poète maudit, par François Reibel




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  •       Dominique Buisset | Quadrature





                                  QUADRATURE



             (extraits du recueil Quadratures)



                                             8


    Les images chassent le temps le temps
    que le temps nous chasse bientôt gisant
    sur le dos comme une planche suivant
    la houle toujours en avant fuyant
    le gros le mauvais et rouleuse tant
    qu’elle vive et tourne en un ciel brillant
    de clous pour clore nos yeux clignotants
    mettant pour toujours à couvert du vent
    la sagesse enfin à tout renonçant
    autant qu’à l’image à la chasse du temps.



                                    12


    Comme un bateau fuit devant la tempête
    les poètes fuient au plus près des mots :
    leur flottement les gouverne, ils écument
    de rage ou de rire et crachent leur bave,
    à grandes lames de sel, de folie.
    La forme, le fond, corps et biens, des têtes
    vont ou viennent suivant l’eau qui délave
    de son vomi ces braves matelots ;
    pourvu qu’après la mise à mal ils hument
    un peu de sens ― fût-il faux ― qui les lie.



                                    14


    Tout va de l’avant et puis à l’envers
    toujours et partout c’est notre non-lieu
    et jour après jour aucune raison
    d’être là, aucune maison, rien
    qu’une fleur du givre et de la neige,
    un simple univers qui fond dans les mains,
    une eau, pour un temps, prise au florilège
    d’un ordre figé pour une saison,
    une lumière d’écume à nos yeux,
    comme il en pleure à nos vitres l’hiver.




    Dominique Buisset, Quadrature in Quadratures, Éditions NOUS, Collection Disparate, novembre 2010, pp. 16-20-22. Postface de Jacques Roubaud.






    Dominique Buisset, Quadratures 2





    ■ Dominique Buisset
    sur Terres de femmes

    À rebours (note de lecture sur Quadratures)


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Rue des Livres)
    une fiche auteur sur Dominique Buisset
    → (sur le site du cipM)
    une autre fiche auteur sur Dominique Buisset



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  • Hommage à Alix Cléo Roubaud, par Marie Fabre

    Chroniques de femmes – EDITO

    Chronique de Marie Fabre


    Alix Cléo Roubaud
    Source





    HOMMAGE A ALIX CLÉO ROUBAUD



         « L’horreur vient le matin
                                  Elle ne vient pas du matin elle vient de la nuit et arrive
           quand elle survit à la nuit
           quand au matin le monde a gardé son visage de nuit »




         Alix Cléo Roubaud est morte le 28 janvier 1983 d’une embolie pulmonaire, à 31 ans. En octobre dernier, les éditions du Seuil ont publié une nouvelle édition de son Journal (1979-1983), augmentée de 26 photographies (qui comprennent la très belle série Si quelque chose noir) et d’une préface de Jacques Roubaud, qui fut son mari pendant les trois dernières années de sa vie.


         Faire la recension d’un journal peut sembler difficile au premier abord : pas d’histoire à raconter, ou celle, insaisissable, de ce que fut une personne, et de ses tentatives pour écrire la vie. Mais un journal n’est pas directement le récit d’une vie, il en est (ici explicitement) la duplication, et le journal d’Alix Cléo Roubaud est tout particulièrement placé sous le signe de cette duplication : duplication des langues (ACR, canadienne bilingue, écrit aussi bien en français qu’en anglais), double pratique de la photographie et de l’écriture, autoportraits, enfin duplication de la vie même, duplication de soi, à travers le contre-édifice du journal. Je parle de contre-édifice, empruntant l’expression à Paolo Volponi dans Corporel, mais c’est peut-être le mot échafaudage qui conviendrait le mieux ici : ou le journal comme échafaudage pour les jours, tentative pour renforcer l’ossature de la vie. Peut-être parce qu’ACR n’est pas ce qu’on appelle communément un écrivain, comme elle le répète elle-même plusieurs fois, ce qui apparaît dans son journal nous révèle justement la signification profonde que peut avoir pour quelqu’un cet exercice quasi quotidien : un effort pour se donner une forme, une construction de l’écriture qui n’est jamais démêlable de la construction de soi, un lieu où la langue est toujours une question de survie. ACR souligne ainsi à plusieurs reprises que le journal est pour elle un « engagement moral », une tentative de fidélité à soi-même.





    A2
    Source




         Donc : quelqu’un essaie de cerner, à travers la répétition, la duplication, la trame des jours qui inlassablement se construit puis s’effrite. Dans le journal est immédiatement visible une double tension : tension vers la construction, vers l’unité d’un style, inséparable du genre même du journal, et d’autre part une tension vers l’inachevable du quotidien, vers le fragment et même, parfois, vers la dissolution. C’est sous le signe de cette double tension qu’apparaît la multiplicité des formes adoptées, les distances qu’on met entre soi et soi (tour à tour je, tu, elle), les adresses à l’être aimé, seul interlocuteur direct du journal, les aphorismes, les poèmes, les tentatives de désarticulations syntaxiques et temporelles. Outre les réflexions sur la photographie, l’une des choses les plus intéressantes du journal est la interpénétration ou la coexistence de l’anglais et du français, dans un bilinguisme parfait qui semble avoir été pour ACR une souffrance, et qui est sûrement l’une des raisons pour lesquelles l’effort pour se forger une langue semble être pour elle de l’ordre de la nécessité personnelle. Le français et l’anglais s’alternent par blocs ou donnent lieu à des tentatives d’auto-traduction, où la vérité git toujours dans l’entre-deux langues, dans la correction perpétuelle de l’une par l’autre. Il existe pourtant une logique dans la manière dont les deux langues s’alternent : on a en effet souvent l’impression que pour ACR l’anglais est la langue de l’inavouable, le journal étant justement le lieu de l’inavouable : « avouer l’inavouable : abolir l’inavouable : le journal ». Elle utilise ainsi l’anglais pour parler de la dépendance, de l’impuissance, de la maladie qui la dévore, pour rompre la syntaxe, enfin pour ce que cette langue offre de possibilités de désarticulations. La langue de l’inavouable est aussi langue de la confession, de l’adresse pour ce qu’on ne saurait dire à l’être aimé dans sa propre langue (qui est de plus sa langue d’écrivain) :

         « O my love listen here: if I don’t write everyday, in absolute and uttermost privacy, I hear voices and go quite crazy at rather short notice. O my sweet love please listen carefully: I am not a writer in any conceivable sense, which somehow doesn’t make it easier to explain to someone who is: I do not possess any language of my own to write in; I own no single language enough to write in it; however that may be I HAVE to write, as often as possible, everyday if I can; an exercise both vital and horrible because none of its products can ever be shown to anyone as long as I am alive. Not really. No. Not really. No. O darling it doesn’t matter if you do not understand as long as you know ».

         La répétition, qui est le terreau du journal (chronique des soirées, rencontres, bonnes résolutions répétées, avancées et reculs de la maladie, réflexions sur le travail…), serait donc le lieu de l’anti-récit :

         « Ne pas croire à l’histoire : se confiner dans la chronologie, l’éternelle répétition du même, comme le journal, s’accomplissant en un axe horizontal qui est le temps, sans autre retour que la relecture, mémoire qui ne bouge rien, et le peut (puisque je n’y touche pas, ne change aucun mot), s’abolir dans « l’autre axe », l’événement ».

         Pourtant tout journal, placé sous le signe de l’absolument intime et illisible du vivant de son auteur, devient « histoire » au moment où l’événement-mort intervient. À travers les fragments, les éboulements, la multiplicité des « moi », se met en forme par petites touches le récit le plus essentiel qui soit : les raisons de la vie, et les raisons de l’amour, contre les raisons de la mort. Ce qui frappe le plus ici, c’est la coexistence du plus pur bonheur (« Curieuse adéquation, pour une fois adéquation exacte de l’amour même, l’amour rêvé, l’amour vécu, l’amour même même. Identique à lui-même même. ») et de sa destruction – deux mondes qui semblent à peine se toucher, qui ne s’entament pas l’un l’autre, qui, comme le dit ACR, ne se rencontrent pas. Le journal, pourtant, est bien le lieu de rencontre de ces deux termes inconciliables – car la présence de l’autre et l’expérience du bonheur y sont aussi éclatantes que les nuits sont opaques dans leur noirceur. De là aussi la signification morale : à travers l’écriture, ACR ne lutte pas seulement contre la disparition, qui s’impose physiquement dans le journal à travers ses blancs et ses silences, mais aussi contre la tentation du suicide qu’elle ressent profondément comme un péché, et avant tout un péché d’orgueil :

         « Narcisse, dit Hammarskjöld, n’est pas victime de sa vanité ; son sort est celui de qui répond au sentiment de son peu de valeur par un défi.
         Il faut cesser de relever ce gant ; il faut que Dieu soit célébré en toute chose. »


         Ou encore :

         « Position, je crois, thomiste, et c’est aussi ceci : Dieu est quelqu’un avec qui on ne joue pas; ce n’est pas un adversaire dans une stratégie, ni un partenaire de jeu.
         ― Pour Thomas : l’orgueil, ce péché qui n’implique pas la chair, c’est jouer avec Dieu.
         ― à jouer avec Dieu, on perd à tous les coups. »






    A3
    Source




         La mort qu’elle dit porter en elle, lui est finalement administrée par la maladie, d’où les dernières lignes du journal : « Il me fallut une maladie mortelle, ou répertoriée comme telle, pour guérir de l’envie de mourir. De la manière la plus oblique, organique, lente, j’ai inventé, en quelque sorte, ma maladie ».


    Marie Fabre
    D.R. Texte Marie Fabre









    ■ Alix Cléo Roubaud
    sur Terres de femmes

    21 août 1981 | Alix Cléo Roubaud, Journal



    ■ Jacques Roubaud
    sur Terres de femmes

    5 décembre 1932 | Naissance de Jacques Roubaud
    Battement (poème extrait de Quelque chose noir)
    Dialogue (poème extrait de Quelque chose noir)
    L’étoile (poème extrait d’Octogone)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur YouTube)
    Jacques Roubaud présentant le Journal 1979-1983 d’Alix Cléo Roubaud



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