Étiquette : Je


  • Élisabeth Chabuel | Je



    JE
    (extrait)




    Une main
    sur la poignée du portail


    Vert






    Cela est
    On est

    C’est tout



    Je dis ON
    Cela est On est
    Je suis ON
    Difficile de dire JE

    Dire

    Plutôt que j’existe

    On existe

    Car en un autre temps

    Un autre a existé
    Et puis un autre Et un autre Et un autre

    Il Existe ON

    Pour qu’existe

    JE



    Le portail
    grince

    Pour s’ouvrir




    […]



    Élisabeth Chabuel, « Je » (extrait) in Le Veilleur, Créaphis Éditions, Collection Format Passeport, 2018, pp. 7-8-9.






    Chabuel  Le Veilleur






    ÉLISABETH CHABUEL


    Chabuel-526x640.jpg 2





    ■ Élisabeth Chabuel
    sur Terres de femmes

    Veilleur (lecture d’AP)
    Et ils sont (extrait)
    Intime violence
    [on ne pense pas au présent] (extrait des Passagers)
    17 juillet 1944 | Élisabeth Chabuel, 7 44
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Le Moment




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  • Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour

    par Isabelle Lévesque

    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour,
    Cheyne éditeur, Collection grise, 2014.
    Préface d’Antoine Wauters.



    Lecture d’Isabelle Lévesque





    Mon sens se givre.





    Tout recommencer : d’un coup refonder l’alphabet.

    Je, d’un accident ou d’amour, au comble, le narrateur sujet sans verbe, contre quel nom a-t-il buté ? Un arbre, une phrase : les substantifs inondent la ligne. Le titre lui-même où se fonde « je » identité bouleversée, virgule en tête : avant la causale ? Les deux noms de l’alternative seront exposés dans le texte comme des équivalents ou le fruit conjoint de la rencontre (chamboule-tout).

    Parenthèse enchantée d’une semaine à Paris au mois d’août ou début d’un amour fort et durable, amour d’acier ou de fonte ?

    Hadrien, le narrateur, sort du travail à 17h30, fait un tour au jardin du Luxembourg et fait la rencontre d’Adèle aux yeux verts assise sur l’une des mythiques chaises vertes (en acier ou aluminium) du parc parisien. Le mythe se concentre sur un prénom, une couleur fondatrice, le vert (le thé bu ensemble l’est lui aussi). La jeune femme lit Sur la plage de Chesil, de Ian McEwan, qui leur donnera une accroche pour les mots de rencontre. La difficulté à se trouver physiquement dans l’amour pour les personnages du romancier anglais contraste avec l’entente immédiate d’Adèle et Hadrien. Amour parfait : sensuel et intellectuel. Goûts philosophiques, littéraires, gastronomiques, œnologiques… Et union physique… Tout est partage : unisson. Promenades dans Paris et discussions le jour, amour la nuit. Hadrien s’absente de son travail, se déclare malade. Mais, le cinquième jour, Adèle doit reprendre le train Gare de l’Est, pour, à 300 km de Paris, retrouver Martin… De son côté, Hadrien a rompu l’histoire routine et « déroute » avec Delphine. Envahi par la pensée d’Adèle et son départ douleur, Hadrien perd le contrôle de sa voiture et percute un arbre. Coup de foudre ou/et choc : la tête sur le volant, grand bruit dedans, son langage se trouble. Les verbes disparaissent de ses phrases.

    Adèle, partout des noms glissent et phrases autres : syntaxe troublée. Hadrien entreprend d’écrire le livre de son amour pour Adèle. Mémoire intacte d’Hadrien.

    Loïc Demey dit avoir eu cette idée en entendant Arthur H chanter le poème d’amour sensuel de Gherasim Luca, Prendre corps, dans lequel les verbes sont remplacés par des noms ou des adjectifs qualificatifs. Mais sa langue dans Je, d’accident ou d’amour invente. Ce qui pourrait n’être qu’un procédé un peu mécanique et lassant, devient, au contraire, une langue souple et sensuelle, humoristique parfois aussi (« Je m’acier »). Forme inattendue pour une rencontre unique.

    Parfois le nom sonne comme un verbe et produit un curieux effet polysémique : « Mon sens se givre », « Je me lit, je me draps et les rideaux tirés ». Les mots glissent, refondent, se substituent à d’autres. Les expressions toutes faites se reconstruisent autrement. Pas assise en tailleur : « Hier soir encore, ici-même, assise en couturier après l’amour et bouteilles de vin blanc tiède. » Tout ce que fait Adèle entre en langue nouvelle traduisant son exception. Déroge à la règle Adèle (unique !). Des mots disparaissent, simplement, établissant le nouvel ordre syntaxique et temporel de l’ère Adèle : « Elle se saphir dans le regard, paupières précieuses et clignements. / Je la lèvres. Enfin. » Un nom en remplace un autre : « Plus rien d’importance depuis cette fille sur une chaise verte du jardin du Luxembourg, voiliers miniatures et lecture de poche. » (lecture/livre) Langue bouleversée pour dire le bouleversement de la vie depuis la rencontre.

    Jours heureux dans Paris. L’éditeur nous apprend que l’auteur vit en Lorraine, à Hagondange, qui pourrait bien être aussi la ville où habite Adèle. Région de la sidérurgie, le métal est le matériau du texte : ainsi les amoureux en bateau-mouche admirent le Pont-au-Double, constitué d’une arche en fonte avec des entretoises d’acier, couvert de cadenas, comme la passerelle du Pont des Arts, mêlant les signes anonymes des amoureux qui passent là et veulent laisser une trace. Autrement nommé Pont des amoureux, pour Adèle et Hadrien… Le moment de la séparation est particulièrement sidérurgique : « Un enlacement, un dernier contact. Un ultime baiser. Elle se fauteuil, je m’acier. Elle se fusion, s’effusion. Je me sidérurgie, me sidération. On se laminoir et anéantissement. » Volcanique assise, ébullition syntaxique mimétique de la fusion organique et du coup de foudre.

    Initier les lettres. Adèle. Point zéro, voyelle origine. Or Adrien a dérapé : -h- incidemment vient débuter le nom. Patronyme, non. Adam et Eve, on est là. Tout commence : on va dire comment ? 1. Chaque fragment numéroté, de 1 à 16, enclenche. Un acte, une page du scénario, une scène ou le pitch. Adèle a envahi la trame : pratique, le –a– amorce et son nom prolifère en tête, en livre :

    « Elle m’obsession. »

    Le lexique dénote sa présence par son nom (appel, rechute, envahissement). Tout semble actualisé : « [h]ier soir encore, ici même », simultanément, partout, toujours Adèle. L’éternité dans le présent des pensées rassemblées. Dit l’excès, la redondance « depuis cette fille sur une chaise verte du jardin du Luxembourg ». Point zéro passé par. Met Delphine au placard et les mots derrière où se bousculent les idées. Verbes absents (décimés) restés dans pensée logique — or Adèle. Un autre temps. Conjugaisons devenues encombrantes. Ralentisseurs. Les verbes ont vécu :

    « Mon langage se confusion ».

    Les pronoms, excès, sujet-objet, les deux. La mesure, c’est elle. Où ? Si loin. Repart d’où elle vient (300 kilomètres) et le narrateur en désordre loupe un virage, la syntaxe, se cogne et rien de possible.

    Or cet ébranlement, hébétude d’un nom totem sur les lèvres, trouble la diction qui se calque sur le ressenti limité à elle (Adèle), soumis à une incapacité prédictive. Des noms seuls, juxtaposés, phrases courtes et aléatoire passionnel : « désordre », « confusion », « amour », « au revoir », « cadeau d’un baiser ». En lieu et place du verbe, des noms entiers sans la dispersion passé/présent/futur des temps de conjugaison. En apnée, la syntaxe :

    « Je dérapage. Un arbre. Ma tête se coup dans le volant […]. Depuis ma pensée se confusion et mon langage se désordre. »

    Au dérapage de perdre, l’oiseau s’envole, Adèle sur le quai repart et boum ! La langue de stupeur avale les verbes incapables. Tout se substantive — verbes de l’ordre de la vie rangée disparus. Alchimie, Adèle est passée :

    « Mégot dans le cendrier lorsque sonnerie du téléphone. Cinquième appel, patiemment et nerveux. Nouveau, long temps du message. Delphine se colère et se plaintes.

    Mais Adèle, rien qu’Adèle. »

    Et Delphine ? Stop.

    Horizon sémantique et seul horizon d’un nom qui occupe l’espace, le nouvel espace (le cœur). Autour, rien : une périphérie ordonnée et vide, « [e]n cause d’Adèle ? ». Monde soumis à la rencontre : lettres de l’alphabet de son nom d’où tout dater. « Jour premier » sans elle, temps caduc. Comme un enfant revenu à une pulsion immédiate et accaparante : c’est pourquoi cela gagne la langue. Rien n’échappe, la grammaire subit l’accident d’Adèle (l’enchantement).

    Son apparition déclenche les mots-lumière :

    « Elle me soleil et m’étoiles, je me des astres à venir. »

    Dialogue limité, centré sur l’essentiel à dire :

    « Hadrien.

    — Adèle. »

    Pas plus. Jour premier encore, ils se retrouvent et corps :

    « Mais nous, ici et uniquement. »

    Le passé dit brièvement n’a pas la force :

    « Je l’affection aussi Delphine. Mais, depuis quelques mensualités, nos sentiments se pâles et se fades. Le rouge se rose et le blanc se boue. »

    Pas debout, le passé se range derrière. Quand Adèle prend le pas, des groupes nominaux (classiques) étayent le texte – ou le sapent :

    « Une déclaration, une dernière phrase. Un ultime mot. »

    Avant le départ d’Adèle : la syntaxe classique existait mais depuis que le wagon s’est éloigné, tout se nominalise. Le nom, au cœur de la phrase, semble un verbe absolu, non modalisé, non conjugué. Noyau absolu du sens. Comme si deux époques, l’avant / l’après Adèle, avaient été culbutées en fossé. Mort du conjugué qui borne et limite. Éternité de maintenant gagnée. Mythe fondé.

    Pour finir, les verbes d’Adèle dans une lettre, restitués à l’infinitif absolu des promesses. Et là, miracle, la structuration syntaxique du dernier fragment, le 16 (« J’ai reçu, ce matin, d’Adèle une lettre. »), de nouveau vacille :

    « Car je, d’un accident et d’amour. »



    Isabelle Lévesque
    D.R. Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes





    __________________________________
    1. L’épigraphe du livre dit : « Au commencement était le Verbe (…)». / Évangile selon Jean.





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    LOÏC DEMEY




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur lasemaine.fr)
    une page sur Loïc Demey




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