Étiquette : Jean Carrière


  • Frédéric Jacques Temple | L’Oregon Trail



    Oregon trail 2
    Source







    L’OREGON TRAIL*


    à Jean Carrière**        



    Et moi aussi j’ai pris la diligence
    qui passe au large de Chimney Rock
    dans l’herbe jaune du souvenir

    J’ai vu les sauges grises
    de la rivière Platte
    et les yuccas témoins du Poney Express
    dans le soleil cheyenne

    Les coyotes fuyaient devant nos montures
    furtifs
    comme les femmes des tribus sans retour

    Au loin montait la poussière des troupeaux
    mugissant vers les vieilles odeurs
    nocturnes
    de l’aventure morte

    Et le long fouet sec
    claquait dans le vent
    sur les collines infinies
    de Scriven’s Ranch

    Et j’entendais gémir les lents chariots mormons
    dans les ornières
    sous le regard fantôme des Indiens
    morts.




    Frédéric Jacques Temple, Foghorn in La Chasse infinie et autres poèmes, Éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard n° 548, 2020, page 43.



    _______________
    * La piste de l’Oregon, longue de 3 200 kilomètres, permettait aux voyageurs du XIXe siècle de franchir les montagnes Rocheuses.
    ** Jean Carrière (1928-2005) a obtenu le prix Goncourt pour L’Épervier de Maheux. Le poème fait écho à leur expédition dans la Drailhe des Cévennes. Pour Temple qui l’admirait, Carrière a moins été victime de son succès et des milieux littéraires que d’une spirale de l’échec (Frédéric Jacques Temple, « Une œuvre dans la tourmente », Divagabondages, Actes Sud, Collection « un endroit où aller », 2018, pp. 252-256).







    Frédéric Jacques Temple  La Chasse infinie





    FRÉDÉRIC JACQUES TEMPLE (1921-2020)


    Frederic Jacques Temple Ph. ©Pierre Bolszak
    Ph. © Pierre Bolszak
    Source





    ■ Frédéric Jacques Temple
    sur Terres de femmes


    Mai 2011 | Frédéric Jacques Temple, De la musique avant toute chose (extrait de Divagabondages)
    Un clou pour voyager (extrait de Par le sextant du soleil)
    Méditerranée (poème extrait de Phares, balises et feux brefs)
    Été (poème extrait de Profonds pays)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur La Chasse infinie
    → (sur ActuaLitté)
    Temple, la poésie partie en infinie chasse de rencontres
    → (sur Terres de femmes)
    9 novembre 1972 | Prix Goncourt pour L’Épervier de Maheux de Jean Carrière







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  • Serge Velay, Le Palais d’été (extrait)

    Serge Velay, Le Palais d’été,
    précédé de J’ai oublié ma phrase,
    éditions Domens, 34120 Pézenas, 2015.



    Le Palais d’été de Serge Velay réunit deux suites de fragments composés à dix ans d’intervalle (2005 et 2015), en mémoire de l’écrivain Jean Carrière (1928-2005). « Cet album est, tout à la fois, la chronique pudique d’un deuil, un portrait amoureux de l’artiste et un éloge fervent de la littérature et de la musique. »

    Image







    EXTRAIT DU PALAIS D’ÉTÉ



    Dans le salon de musique, tout pétris de la pâleur docile des cierges, trois spectres font des confidences.

    « Pour son galop d’essai, dit le premier, on attendait un prélude, et il nous a donné un épilogue. Ce Retour à Ithaque était un pari risqué… » Puis, rajustant sa voix flûtée : « Combien de fois lui ai-je répété : Ignore donc la mort et tu te feras ignorer d’elle ! » Il a l’assurance tranquille d’un homme immunisé contre la nostalgie et qui se soutient au-dessus du vide grâce à un goût effronté, total, de l’existence. Ce professeur de bonheur parle de toi comme on parle d’un fils.

    « Grâce à l’écriture, s’interroge le second, a-t-il triomphé de ses accès d’ennui ? A-t-il échappé à l’exil intérieur ? Qui sait ? En tout cas, il sourd de ses romans autobiographiques une sorte de staccato, une petite musique personnelle qui fait danser la vie. » Et pour enfoncer le clou : « Outre le sentiment du Haut-Pays, qui m’est cher, j’ai trouvé dans son œuvre l’expression directe, authentique, d’une vie de plein vent. » C’est le plaidoyer d’un géographe, d’un amateur d’herbes folles et de sentiers improbables, instruit dans l’art de franchir les défenses et de triompher des pesanteurs.

    Le troisième, qui n’a rien dit, s’est assis au piano. D’abord, ce sont des pépiements, des trilles d’oiseaux tristes, puis une aubade capricieuse dans le goût espagnol, puis un choral de cloches, ondoyant et crépusculaire. Un imagier feuillette un vieil album de vignettes sonores. À chaque nouvelle alerte pour l’oreille, comme un coup frappé au carré fait surgir l’inconnu, un miroir fascinant ranime et réfléchit des fantasmagories ; alors l’œil qui voyage, s’étonne du volètement gracieux d’un papillon, du roulis d’une barque sur l’océan ou des feux rutilants d’une salle de bal. Des saisissements enfantins, des parenthèses enchantées qui dilatent l’âme. Des tableautins au trait ferme et net. Une allusive beauté, dix fois mystérieuse, piégée dans les appeaux tendus par un fou de perfection.

    L’envoûteur a rabattu doucement le couvercle sur le clavier. Un ange passe. Celui qui fut ton maître a parlé.


    Note de Serge Velay : (par ordre d’apparition : Jean Giono, Julien Gracq et Maurice Ravel)


    Serge Velay, Le Palais d’été, XXXVII, précédé de J’ai oublié ma phrase, Album, éditions Domens, 34120 Pézenas, 2015, pp. 90-91.






    Serge Velay, Le Palais d'été






    JEAN CARRIÈRE


    JEAN  CARRIERE
    Image, G.AdC



    ■ Jean Carrière
    sur Terres de femmes

    9 novembre 1972 | Prix Goncourt pour L’Épervier de Maheux
    18 novembre 1975 | Lettre de Jean-Jacques Pauvert à Jean Carrière (Cahiers Jean Carrière, 1)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site Languedoc-Roussillon livre et lecture)
    une notice bio-bibliographique sur Serge Velay
    → (sur BibliObs)
    une note de lecture de Jérôme Garcin sur Le Palais d’été de Serge Velay
    → (sur le site de l’INA)
    Jean Carrière le sourcier





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  • 18 novembre 1975 |

    Lettre de Jean-Jacques Pauvert à Jean Carrière

    Éphéméride culturelle à rebours


    JEAN  CARRIERE
    Image, G.AdC







    18 novembre 1975



    Cher Jean,

    Il ne m’est pas très facile de t’écrire aussi souvent que je le voudrais. À vrai dire, comme tu as pu le voir, je ne t’écris presque jamais, et c’est certainement une des choses que je regrette le plus de n’avoir pas le temps de faire. Il faudrait se donner le temps. Disons aussi qu’il n’y a pas que le temps. Ce n’est pas si simple. Il faudrait en parler.

    Tu ne t’en rends peut-être pas bien compte, mais je pense souvent à toi. Je finis par vivre un peu avec tes problèmes. Et ces problèmes, je les sens très lourds en ce moment. Mais de la même manière, je sens très fortement que tu vas en sortir. Ce n’est pas exactement ce que je voulais dire en commençant.

    De quoi s’agit-il en fait ? C’est énorme et ce n’est rien. Il s’agit d’un livre à faire. Et voilà au fond ce qu’exactement je voulais te dire : c’est qu’un livre ne se fait pas tout seul. Je crois qu’un écrivain, surtout, très précisément, un écrivain qui est où tu en es, troisième livre, Goncourt au deuxième, etc., ne peut, tout seul, qu’essayer de mettre dans son livre de plus en plus de choses, jusqu’à ce qu’à la fin il en arrive à vouloir y faire rentrer l’univers et qu’à la fin, tout éclate, comme la tête du roi qui, quand il se la fait sauter avec un cigare de dynamite, a pris enfin la dimension de l’univers. Il ne s’agit que d’un livre. Il ne s’agit que du troisième. Il y en aura un quatrième, puis bien d’autres, et ce n’est que dans bien longtemps qu’on commencera à y voir un peu plus clair.

    Plus simplement, je suis tout à fait et très résolument sûr que tu ne peux pas aboutir sans montrer de temps en temps ce que tu fais à quelqu’un (suis mon regard). Tu sais aussi bien que moi qu’il y a un moment où il faut se poser très banalement les questions de technique, de mécanique. Où il faut en revenir à la pendule de La Bruyère. Et dans ces moments-là, l’œil d’un compagnon n’est pas à négliger, même si son idée de la pendule n’est pas la tienne. C’est trop long, c’est trop court, là le fil se casse, etc. De la mécanique. De la boutique. La boutique se fait à plusieurs.

    Tu vas me dire peut-être qu’avant de se demander comment faire la pendule, il faut peut-être se demander s’il faut vraiment faire une pendule. Alors là, et surtout dans ton cas, j’ai un avis absolument catégorique : je pense que le moment de se poser la question est tout à fait dépassé. La réponse est sans contestation possible: il faut faire la pendule et la faire vite, et où en sommes-nous ? Il y a à cela toutes les raisons du monde, et tu penses bien que je ne parle pas uniquement de commerce.

    C’est au fond très bien que tu viennes à Paris. Il faudra bien qu’un jour nous abordions donc ces questions autour desquelles nous n’avons fait que tourner jusqu’ici. C’est peut-être pour cette année.

    Je t’attends et je t’embrasse.


    J.J.


    Jean-jacques_pauvert
    Source



    Jean-Jacques Pauvert, Lettre à Jean Carrière, Cahiers Jean Carrière, numéro 1, novembre 2007, Domens, 2007, pp. 190-191-192.





    JEAN CARRIÈRE



    ■ Jean Carrière
    sur Terres de femmes

    9 novembre 1972 | Prix Goncourt pour L’Épervier de Maheux



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de l’INA)
    Jean Carrière le sourcier
    → (sur Terres de femmes)
    Serge Velay, Le Palais d’été (extrait)



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