Étiquette : Jean Giono


  • 9 octobre 1970 | Mort de Jean Giono

    Éphéméride culturelle à rebours



         Dans la nuit du 8 au 9 octobre 1970 meurt Jean Giono. Il est enterré dans le cimetière de Manosque.






    C'était un petit clocher. Les abat-son de bois rongés de vents et de pluies permettaient de se glisser facilement dans l'habitacle des cloches.
    Ph. angèlepaoli







    EXTRAIT DU HUSSARD SUR LE TOIT



    VII



         Il était encore nuit quand Angelo passa à travers la lucarne. Tournée vers l’est, elle découpait cependant du côté des étoiles éteintes un petit rectangle gris clair. Angelo attendit le lever du jour, accroupi contre le petit mur.
         Toujours la même aurore blanche.
         Au-delà des longues toitures du couvent s’élevait une tour carrée surmontée d’une pique qui devait être une sorte de paratonnerre ou une ancienne hampe de drapeau. Angelo n’avait pas encore poussé jusque-là. Il le fit aux premiers rayons du soleil.
         C’était un petit clocher. Les abat-son de bois rongés de vents et de pluies permettaient de se glisser facilement dans l’habitacle des cloches. De là, une échelle descendait jusqu’à des escaliers en spirale qui finalement aboutissaient à une porte ; qui s’ouvrit. Elle donnait sur les bas-côtés d’une église.
         Le soleil levant qui frappait dans les vitraux du haut de la voûte éclairait tous les signes d’un déménagement hâtif. Le maître-autel avait été dépouillé de tous ses candélabres et de toutes ses lingeries ; la porte même du tabernacle était ouverte. Dans la nef, les bancs étaient entassés contre un pilier. De la paille, des chiffons qui avaient dû servir à des emballages, des planches hérissées de clous, et même un marteau et un rouleau de fil de fer traînaient sur le parquet.
         La sacristie était vide. De là, un portillon donnait sur un cloître. Il encadrait le jardin de buis et de laurier où, le jour d’avant, Angelo avait vu s’agiter la confrérie. Tout était paisible. La hauteur des murs entretenait là une fraîcheur propice aux parfums des verdures.
         En arrivant au coin de la galerie qui faisait le tour du jardin, Angelo aperçut à l’autre bout un corps étendu sur les dalles. Il avait tellement l’habitude des cadavres qu’il s’approchait nonchalamment quand le corps se redressa, s’assit, puis se mit debout. C’était une vieille nonne. Elle était ronde comme une barrique. Deux griffes de petites moustaches noires agrafaient sa bouche de chaque côté.
         « Qu’est-ce que tu veux ? dit-elle.
         ― Rien, dit Angelo.



    Jean Giono, Le Hussard sur le toit, in Œuvres romanesques complètes, IV, Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1977, pp. 380-381.





    JEAN GIONO

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    Voir aussi :

    – (sur Terres de femmes)
    22 mars | Jean Giono, Le Grand Troupeau
    – (sur Terres de femmes)
    24 février 1925 | Jean Giono, Naissance de l’Odyssée
    – le très beau site
    Jean Giono, le Voyageur immobile


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  • 22 mars | Jean Giono, Le Grand Troupeau

    Éphéméride culturelle à rebours



    DEUXIÈME PARTIE

    LE PRINTEMPS SUR LE PLATEAU


        « On a une lettre, dit le père, lis fort, Madeleine. »
         Il s’appuie sur sa canne et tend la bonne oreille. Julia regarde cet au-delà des vitres, où il y a le printemps, la montagne et les amandiers fleuris.

              Chère femme, cher père,

    « Ca date de quand ?
    — Le 22 de mars. »

            Chère femme, cher père,
        Je viens vous donner un peu de mes nouvelles qui, pour le moment, sont très bonnes. Quand j’ai reçu le paquet, on faisait des marches, et vous savez que moi, je ne profite guère en cours de route pour mes pieds. Alors, j’ai attendu. Je te remercie de l’andouillette. Il faudra me mettre un morceau de saindoux pour me graisser les pieds que c’est toujours pareil, comme à la maison. Je peux pas marcher une heure sans m’entamer. Encore, depuis que j’ai ces souliers de repos ; je me les mets en arrivant. Seulement, ça prend l’eau. Ces jours-ci j’ai reçu une carte de la cousine Maria qu’elle m’a bien fait plaisir, surtout de voir qu’elle prend bien la vie du bon côté. Je voudrais lui faire réponse, mais elle a tellement mal mis l’adresse qu’on ne peut pas comprendre, le nom est tout gribouillé. Si elle a changé de ferme elle viendra aux Chauranes pour sûr. Je la connais. Faites bien attention à pas lui prêter mon brabant double. C’est ça qu’elle guette. Et vous savez que elle, pour rendre…


         « Attends, dit le père ; il se tourne vers Julia : « En parlant de ça, tu as pensé au brabant ?
         — Il est pendu, elle dit, par le crochet et par les mancherons ; je l’ai regardé, le bois est en ligne, ça a pas bougé ; et ça a fait déjà presque un mois que j’y verse les fonds de la burette sur le fer.
         — Bon ! Parce qu’il faudra penser à s’en servir. C’est à Saint-Firmin qu’elle est, Maria ?
         — Oui, les Chauvinières par Saint-Firmin.
         — Va !… »

         Ici, ça n’est pas trop gai, mais il n’y a rien à faire ! Enfin, qu’on retourne, c’est tout ce qui nous faut… Tout à l’heure il tombait une petite neige. Maintenant il pleut. N’oubliez pas le saindoux. Chère femme, où j’étais avant, c’était dans une ferme et ils ont trouvé un moyen pour le fumier de cochon. Je voyais qu’ils le mettaient aux petites plantes. Alors, j’ai dit ça brûle. Ils m’ont dit non, parce que c’est le pissat qui brûle et qu’ils ont fait une rigole, alors ça coule dessous le fumier et on peut mieux s’en servir. Le secteur est pas mauvais. C’est des territoriaux qu’on a remplacés. On n’a qu’à pas faire les imbéciles et on est tranquille. Celui que je vous avais dit qui est de Perpignan, vous savez qu’il était dans une fabrique de sandalettes, il a été tué hier, mais ça a été par sa faute. Moi je suis pas de ceux-là. Maintenant on m’a dit que peut-être nous irions à la grande bataille. Je peux pas vous dire le nom, vous devez comprendre ce que je veux dire d’après les journaux. Il ne faut pas s’en faire. Ça des fois, c’est pas sûr. Enfin, on est bien obligé. Ah ! j’ai encore une chose à vous dire : j’ai su par un de Valensole qui est de liaison au colon, que le fils Bonnet avait été tué. Vous direz à sa mère que je prends bien part. Aussi je veux vous dire que vous êtes de gros couillons d’avoir laissé échapper l’occasion de la ferme Casimir; puisque c’était à vendre, il fallait l’acheter, quitte à la laisser en herbe. Moi, au retour, ça irait. Qu’est-ce qu’il devient celui-là, le Casimir? Comme vous me dites que le fils Olivier va monter au front, ne laissez pas échapper l’occasion cette fois. Ces jeunes, ils veulent toujours faire les imbéciles; il peut être tué ou, sans ça, comme il ne reste que le grand-père et la mère ils pourraient vouloir vendre leur pièce du bas des côtes, ça nous arrangerait. Nous, là, nous avons une pointe que c’est de la terre perdue, qu’au lieu ça s’arrondirait. Père, fais-y attention à ça, et surveille-le. Dès qu’il part, va voir la terre, tu verras. Je ne vois plus rien à vous dire. J’embrasse ma sœur Madeleine et souviens-toi bien de ce que je t’ai dit, j’y pense.
         Je t’embrasse, ma chère femme et père.

    JOSEPH.     


         Julia soupire. Madeleine lui donne la lettre. Elle la plie encore une fois, puis elle la met dans la poche de son tablier.
        « Il a raison, dit le père. On n’a pas été fins. Faudra surveiller ça des Gardettes. L’Olivier est là aujourd’hui pour son dernier jour. Sur le tard, j’irai voir la terre. »


    Jean Giono, Le Grand Troupeau, Œuvres romanesques complètes, I, Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1971, pp. 583-584-585.





    JEAN GIONO


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    ■ Jean Giono
    sur Terres de femmes

    24 février 1925 | Jean Giono, Naissance de l’Odyssée
    9 octobre 1970 | Mort de Jean Giono



    ■ Voir aussi ▼

    le très beau site Jean Giono, le Voyageur immobile



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