La Pierre d’Alun, 2011 (+ CD audio).
Lecture d’Angèle Paoli
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| RAPHAËLE GEORGE
→ Feu noir sur feu blanc, ou comment lire Raphaële George ? (chronique de Gisèle Berkman) → Ghislaine Amon (Raphaële George) | [Ne parle pas, ne dis rien] (extrait du Petit Vélo beige) → [Amour] → [On ne devrait jamais arrêter d’écrire, ce qui est poésie surtout] (extrait de Je suis le monde qui me blesse) → [On ne devrait jamais arrêter d’écrire, ce qui est poésie surtout] (extrait de Je suis le monde qui me blesse) → Suaires (extrait de Double intérieur) → 2 avril 1951 | Naissance de Raphaële George (+ extrait de Double intérieur) → 22 août 1978 | Raphaële George, feuilles éparses → 7 juin 1982 | Raphaële George, Journal → 30 avril 1985 | Mort de Raphaële George ■ Voir aussi ▼ → le site Raphaële George, créé par Jean-Louis Giovannoni |
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LA MAIN DE RAPHAËLE GEORGE (avril 1986) J’ai pris ton stylo-plume pour écrire ces quelques lignes ; ce stylo-plume où l’encre ne vient pas. Ne vient plus. Et j’ai eu peur d’appuyer, très peur de forcer cette faible résistance, ce peu qui conduit une main à son tracé. ** Comment rejoindre ce qui ne peut rester dans sa propre trace ? Comment rejoindre ce mouvement, venu de l’invisible des mots, que la clarté des pages efface ? ** Et pourtant, j’ai insisté ; insisté comme un aveugle cherche une main pour guider sa main afin de ne plus marcher dans le vide qu’ouvrent ses pas. ** Chaque mot inscrit sur cette page te tient éloignée, te place hors de cette forme qui te donnait lieu à mes yeux. ** Et si mes pas te portent encore un peu : ce n’est pas toi que je bouge ! Comment bouger ces gestes immobiles logés dans l’acier de la plume ? ** Comment faire pour qu’une main rejoigne une autre main, et que les mots, tracés sur la page, ne s’absentent pas ? ** On écrit parce qu’au fond des mots on nous appelle ; ces mots où notre main cherche sans cesse une autre main. Aucun mot ne prend forme si en lui rien ne sait rejoindre. ** Est-ce ta main cette impossibilité qu’à ma main de trouver son propre chemin ? ** Ce qui résiste, au fond de l’acier, est-ce ta main fermée à tout jamais sur elle-même ? ** Écris-tu, maintenant, dans ce silence où les mots se retiennent en eux-mêmes ? Avant la page. Avant l’espace. (Rue de Montreuil, avril 1986) __________________________________________________ Note d’AP : ce texte de Jean-Louis Giovannoni a été écrit pour le premier anniversaire de la mort de Raphaële George, et publié une première fois aux Éditions Brandes (Béthune, 1986). Jean-Louis Giovannoni nous l’a fait parvenir pour une republication exclusive dans Terres de femmes. |
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© Ph. Jean-Philippe Poli, Musso, in Mémoire silencieuse Source photo « Difficile de le reconnaître, mais c’est la mort de ma mère qui m’a fait naître à la poésie. Poussé par elle vers les mots. Comme un endroit possible dans l’irrespirable. » (Jean-Louis Giovannoni)
À Marie-Louise Chiabrandi (morte le 15 janvier 1974) Mère d’entre les glaises d’entre les cailloux les racines il t’est permis de continuer ton ouvrage coutumier de tricoter des prés d’herbe d’entre les dents d’entre les cuisses pour que je les enfile avant que viennent tous ces hivers ces hivers où je ne pourrai plus frayer vers ton centre ces hivers où tu te durcis S’il m’est permis de t’amener du bois pour te faire une flambée de te décercueiller dans mes gestes de te rejoindre dans le compact de l’air de t’y ovuler et de t’établir à nouveau dans l’espace pour te paroler dans le corps te refolier le regard Mère maintenant qu’il t’est permis de compter parmi le vent d’y poudroyer de t’organiser dans cet autre rythme d’apprendre cette autre musique de l’écoulement si tu pouvais venir dans ce vent avec tout ton savoir de terre de sécheresse te coller à ma gorge m’y apprendre la soif et la marche qu’il faut que je fasse pour que tu me réhydrates pour que tu me repulpes Mère apprends-moi de ta demeure de terre d’eau d’espace l’explosion condensée de tes pierres de tes bois… pour que je m’installe enfin dans l’usure. 1er février 1974, Saint-Maur des Fossés
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Gilbert Pastor, Portrait, in Jean-Louis Giovannoni, Envisager, page 13 Huile sur papier et crayons, 13,05 x 11 cm Collection J.-L. G. Source ESSAYAGES Comme l’impossible est rassurant (Envisager, page 23) « On ne peut pas faire face à une peinture ». Tel est l’incipit du texte de quatrième de couverture dans lequel Jean-Louis Giovannoni précise le point de départ du livre Envisager : Gilbert Pastor, quelques années après leur premier livre 1, a proposé à Giovannoni d’écrire sous ses portraits. Sous : se construit un singulier mouvement d’appropriation, comme si Giovannoni « entrait » dans ces visages, les habitait et leur donnait une voix. Quels portraits ? En regard de la page de titre, un visage (huile sur papier et crayons) ; trois autres suivent dans le premier cahier et, au milieu d’eux, un buste (huile sur panneau), tous comme à peine sortis de l’ombre qui les enveloppe. Qu’est-ce que les « envisager » ? Non pas simplement les regarder. Le premier des douze ensembles du livre (plus un : deux sont titrés « X ») débute par « Aucune sortie possible. // Aucune. » (p. 11), et aussitôt la négation porte sur le visage même (« Sans visage. »), c’est-à-dire sur ce qui apparaît comme définissant l’identité ; dans la même page, le verbe est employé : « Sans envisager. / Sur le champ. / Ici ou là. », proposition qui semble reprise à la fin de cet ensemble : « Ne peux envisager. / M’envisager ainsi » (p. 34). Difficulté, impossibilité de se glisser sous ces visages ? Le verbe, toujours à l’infinitif (et alors sujet), est enfin dans une phrase qui pose la question de la sortie : « Envisager demande destination » (p. 97). Le parcours sous ces visages peut paraître énigmatique ; peu se livre d’eux tant ils sont à peine issus de leur nuit, et Giovannoni n’écrit pas à propos des dessins, ni ne les décrit. Pour lui, « envisager » (préfixe –en), c’est bien entrer dans l’espace de ces visages 2, construire un imaginaire et donner une voix à des images. Les mots surgis demeurent le plus souvent non assemblés, juxtaposés, séparés par une ponctuation forte (le point), formant parfois des groupes toujours isolés par des blancs. Mots séparés donc (comme chacun est séparé de soi), à dire / lire sans les lier pour que chacun ait son poids. Ils se partagent en deux voix, figurées par le romain et l’italique, qui se succèdent sans se confondre, échangent parfois leurs partitions — l’italique occupant toute la place dans l’ensemble X (le premier de ce nom), disparaissant ensuite. « Voix », « partitions » : sans aucun doute la tentative de faire venir de ces visages quelque chose à partir de la forme imposée par le peintre passe ici par le chant, rompu et repris sans cesse. Et ce n’est pas un chant sans sujet : le je est visible par la terminaison verbale et le pronom dans les vers déjà cités (« Ne peux envisager. / M’envisager ainsi ») d’où le sens serait absent : le lecteur suit la métaphore continuée du fil et de la couture (nœud, ourlet, habillage, etc.) jusqu’à ce que se compose un vêtement, donc une apparence, un semblant. Apparence qui se défait et se recompose, car comment arrêter ce qui s’invente sous un visage ? Dans Envisager, on passe constamment du corps à faire (« Aiguilles et fils. / Peau suturée. », p. 42) à l’unité apparente, celle de la bienséance que confère l’habit (« Enfile jambepantalonchemisechaussure. », p. 46), jusqu’au dernier ensemble où reste seulement le corps : coupure, sang, puis couture et cicatrice. Ce mouvement de destruction-réfection atteint d’une certaine manière la langue. La phrase de la communication apprise, sujet-verbe-complément, très rare, est minée et refusée quand elle vient du je ; ainsi « Tout ça qui passe veut logement. » est aussitôt suivi de « Mais loge//ment — lui répondis. » (p. 54) Les mots sont décomposés, non par le détour de l’étymologie, mais par une coupure interne, comme on vient de le voir, qui en multiplie les connotations ; « genou » (dont le pli est apprécié…) peut évoquer le sujet et la (difficile) union du sujet et de l’Autre : « Toujours ge et noux ? » (p. 42), ici dans un contexte où se succèdent d’autres éléments du corps, ou plutôt des mots les désignant (reins, cuisses, seins). Souvent, le glissement d’un mot à un autre s’opère grâce aux rapprochements phonétiques ; le lien entre « fil-aiguille » entraîne « père-fils », puis « De fils en aiguille. » (p. 56), et l’on relèvera au gré de la lecture maints arrangements de ce genre, toujours porteurs de sens, comme « Patrie. Pas trier. Pas crier. » (p. 57), « Poussée à pisser. » (p. 62), « Beauté ôtée. » (p. 96), etc. Ailleurs, la confusion possible entre deux phonèmes (t et d) dit la limite — la peau — entre le dedans et le dehors : « Au derme. Au derme du voyage. » (p. 29). Le mouvement dérègle l’ensemble de la langue et donc aussi le lexique ; on lira des mots tronqués comme (dé)chirant, (en)gouffrés, des néologismes (frachée) ou des mots qui semblent tels : Voiche me semble être une soudure de l’italien Voi che, allusion à l’air de Chérubin (Voi che sapete, che cosa è amore) dans l’opéra de Mozart (Les Noces de Figaro) — Voi est suivi de « Veau », dont la prononciation est proche… L’amour est en effet un des motifs de Envisager. Dès le second ensemble intervient un autre regard que celui des visages de Pastor, avec une couleur des yeux et une étreinte rêvée. Le corps féminin est présent, y compris par son sexe (« Abricot / Et fente ourlée », p. 37), mais non vu (« dans le noir », p. 36), appréhendé autrement — avec doigts, lèvres, morsure, sang, salive. Suit une métaphorisation de l’union sexuelle par le biais du jardin et de la fécondation des fleurs, et la métaphore est reprise à la fin du livre, avec à nouveau des bourdons qui « fringants / Fouillent / Fouillent. » (p. 126). D’autres images de la femme émaillent le texte, celles d’un magazine, toujours au corps fragmenté (hanches, seins, pli du genou), sans que soit évoquée une quelconque union, tout comme la lecture dans l’enfance, sous les draps, n’aboutissait qu’à la fausse possession — à la masturbation — du « Papier troué. » (p. 44) Du trou, il est souvent question : c’est une sortie. À côté de l’image de la copulation est aussi développée celle de l’accouchement. Pour la première, elle est présentée, par exemple, à partir d’une définition du Petit Larousse, celle de « Reine des prés » ou « Reine marguerite » ; le nom de la fleur équivaut à « femme » et, de la désignation savante, « spirée », découlent aspirant, puis viennent queue, bourses, tige, enfin copule (construit sur capitule), fourrer, etc. Pour la seconde, est choisi sans équivoque le moment de l’expulsion : « Respirez. / Poussez. / Respirez. / Poussez. […] Lâchez ! […] Ça glisse… » (p. 78), et auparavant avec moins de précautions : « Chiassant chair de ta chair » (p. 57) La récurrence de la figure de la sortie est remarquable ; l’une d’elles, ambiguë, concerne aussi bien l’abandon des rêveries que la sortie du corps maternel, la diction devant ici mimer l’effort (p. 47) : Au bout /// Porte // Ouverte // Et // dehors /// VERTIGE À la hantise de la sortie (« Impossible de sortir. », p. 100) se noue celle du retour : « Pour nous remonter. Au trou. Premier » (p. 57), comme si les voix d’ailleurs, nées en étant « sous les visages », ne pouvaient que redire la filiation, « Mères. Enfants. » (p. 103), que rien ne pouvait changer l’ordre, « Ressemblance. D’aucun. De tous. » (p. 117) Le dernier ensemble, qui débute par « (Ne sais plus…) » (p. 122), répète l’image de l’expulsion (« Perte des eaux. Tête jetée hors du trou… [etc.] » et, immédiatement après, celle du retour au ventre maternel qui s’achève par « Amande régurgitée / Source aussi / Recollées au trou. » (p. 133) — dehors / dedans : « Un / Partout. » (p. 134), les derniers mots du livre. Le lecteur habituel des livres de Giovannoni ne sera pas déconcerté par cette écriture pleine de retours, d’avancées minuscules, à l’organisation complexe. Il sait qu’il est nécessaire de lire plusieurs fois ces « essayages » (mot qu’affectionne l’auteur) pour entendre les voix imaginées nées des visages de Pastor et comprendre que, tous, nous « Sommes ventriloques. » (p. 95) Tristan Hordé D.R. Texte Tristan Hordé pour Terres de femmes 1. Chambre intérieure, Éditions Unes, 1996. 2. Jean-Louis Giovannoni connaît bien ces dessins puisque quatre d’entre eux lui appartiennent. |
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[IL FAUT SI PEU DE CHOSE]
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Ph., G.AdC
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