Étiquette : Jean Malaurie


  • 13 février 1951 |
    Jean Malaurie, Les Derniers Rois de Thulé



    Les_derniers_rois_de_thul
    Phtocollage, G.AdC






    HAINANG SUNAI SEQINEQ | SALUT À TOI, SOLEIL !


        C’est donc le 13 février seulement que nous escaladons l’inlandsis. Le jour, lentement, se lève. Au sud, très loin au sud, une lueur paraît monter comme de derrière un décor. Au-dessus d’une terre d’ombres, un froid et large horizon se dégage de la grisaille hivernale. Une dominante de bleu et de gris qui se nuance dans la matinée de jaune, de carmin et de vert donnant aux nuages un reflet glauque d’aquarium. La glace opaline se teinte dans l’air mouillé de couleurs sous-marines. Des tons et des lignes pour une sensibilité aiguë, frémissante comme l’eau, avec une intuition de l’instant. Paysage à la limite du réel pour un Nicolas de Staël.
        Cependant que nous poussons à grand-peine nos traîneaux sur la pente, un énorme soleil, pourpre mais comme mort, surgit enfin pour la première fois au-dessus de la crête. Le disque est d’une parfaite rondeur. Du groupe s’élève aussitôt une immense clameur.
        « Hainang sunai seqineq ! Salut à toi, soleil ! Seqinniak ! Le soleil apparaît. »
        Selon l’antique tradition, nous nous découvrons et, malgré le froid, jetons nos gants en l’air en criant de nouveau. Amaroq-Wulff, explorateur suédois, se serait moqué de ces croyances : en février 1917, il aurait négligé ces rites : et, comme le craignaient les Esquimaux, il est mort dans l’année, en septembre, lors de la seconde expédition de Thulé, qui s’est, nous le verrons, tragiquement achevée dans le nord de la Terre d’Inglefield.
        Nos clameurs se perdent dans le vent et la neige ; nous grelottons. La tempête menace de nouveau. Qu’importe, puisque la nuit et ses lunes pâles s’éloignent ; à la clarté nébuleuse et glacée va succéder la nouvelle et triomphante saison. Mais patience ! L’Arctique n’est que paradoxe et ce retour du soleil se traduira par une offensive de froid encore plus aigu ; quelques jours et la température atteindra, lorsque le vent soufflera, son point le plus bas de l’année : ― 55 °C, ― 60 °C.
        ― Tu devrais, comme les Inuit jadis, tenir entre tes lèvres deux-trois brins d’herbe, me conseille Kutsikitsoq. Cela éviterait que la peau gèle autour de ta bouche.
        Et, de fait, le procédé est efficace.


    Jean Malaurie, Les Derniers Rois de Thulé, Plon, Collection Terre Humaine *, 1955 (1re édition) ; 1989, pp. 299-300.



    * C’est par cet ouvrage qu’a été lancée, en 1955, la collection Terre Humaine.





    D
    ans les Archives pour tous de l’INA, écouter un extrait de l’émission Radioscopie de Jacques Chancel, consacrée à Jean Malaurie (ORTF – 20/02/1974)



    ■ Voir aussi (sur Terres de femmes) ▼

    27 octobre 1900 | Isabelle Eberhardt, Écrits sur le sable
    14 avril 1912 | Lettre d’Alexandra David-Néel à Philippe Néel
    8 novembre 1930 | Michel Vieuchange, Smara
    3 décembre 1933 | Annemarie Schwarzenbach, Konya
    25 mars 1934 | Odette du Puigaudeau
    22-23 juillet 1935 | Oasis interdites d’Ella Maillart



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