Étiquette : Jean Tardieu


  • Jean Tardieu | Complainte du verbe être




    CAILLOU BIS
    Ph., G.AdC







    COMPLAINTE DU VERBE ÊTRE




    Je serai je ne serai plus je serai ce caillou
    toi tu seras moi je serai je ne serai plus
    quand tu ne seras plus tu seras
    ce caillou.
    Quand tu seras ce caillou c’est déjà
    comme si tu étais n’étais plus,
    j’aurai perdu tu as perdu j’ai perdu
    d’avance. Je suis déjà déjà
    cette pierre trouée qui n’entend pas
    qui ne voit pas ne bouge plus.
    Bientôt hier demain tout de suite
    déjà je suis j’étais je serai
    cet objet trouvé inerte oublié
    sous les décombres ou dans le feu ou l’herbe froide
    ou dans la flaque d’eau, pierre poreuse
    qui simule un murmure ou siffle et qui se tait.
    Par l’eau par l’ombre et par le soleil submergé
    objet sans yeux sans lèvres noir sur blanc
    (l’œil mi-clos pour faire rire
    ou une seule dent pour faire peur)
    j’étais, je serai je suis déjà
    la pierre solitaire oubliée là,
    le mot seul sans fin toujours le même ressassé.




    Jean Tardieu, Un monde ignoré, 1974, in Œuvres, éditions Gallimard, Collection Quarto, 2003, page 1059.






    Tardieu montage




    JEAN TARDIEU


    Jean Tardieu 1
    Source




    ■ Jean Tardieu
    sur Terres de femmes


    Feindre de fuir… (extrait des Figures du mouvement)
    Le voyage (extrait de Jours pétrifiés)
    1er novembre 1903 | Naissance de Jean Tardieu





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  • 1er novembre 1903 | Naissance de Jean Tardieu

    Éphéméride culturelle à rebours



    Jean Tardieu Guidu
    Image, G.AdC







    Le 1er novembre 1903 naît Jean Tardieu à Saint-Germain-de-Joux, dans l’Ain, le « pays des fleuves cachés ». Il est le fils de Victor Tardieu, artiste peintre issu d’une famille de soyeux lyonnais, et de Caroline Luigini, harpiste issue d’une famille de musiciens de Modène, élève de Saint-Saëns. Alexandre Luigini, le père de Caroline et le grand-père de Jean Tardieu, a été compositeur et chef d’orchestre à l’Opéra de Lyon avant de devenir directeur de la musique à l’Opéra-Comique.






    DISPARUUUUUUU !



    Tenez, Monsieur : regardez-moi bien. Vous me voyez encore, vous croyez que je suis Monsieur Untel ? Né à tel endroit ? Qui a tel âge ? Tel métier ? … Eh bien, regardez-moi attentivement, Monsieur : je suis en train de devenir personne, même pas un numéro, une idée, une abstraction, une petite vapeur, un pfouh, un pouh-pouh ! un pfuit ! un zzzzzzz !… J’étais un « individu », un « citoyen », je m’appelais : Monsieur… heu… heu… Ah ! … Monsieur comment ? Comment donc !… […] Vous voyez, je ne peux même plus retrouver mon nom, le nom de ce quidam ! Je, tu, il, moi, lui, vous, untel ! … Oh, oh, c’est le symptôme ! C’est ça ! Voilà la crise ! la crise finale ! Je vais disparaître, je vous le dis, je vais disparaître ! … Je vais dis-pa-raî-tre dans la foule !… Regardez-moi encore une fois : dans un instant, pfuitttt ! … j’aurai disparu dans la foule, entendez-vous ? […] Dis-pa-ru… disparuuuuuuu !…



    Jean Tardieu, Poèmes à jouer, 1960, in Œuvres, Éditions Gallimard, Collection Quarto, 2003, page 851.





        En décembre 1927, Jean Tardieu rejoignait son père au Tonkin afin d’y remplir ses obligations militaires. Jean Tardieu écrivit alors son premier texte sur la peinture, « Wang Wei* ou la disparition bienheureuse ».





    Wang_wei
    Source





    WANG WEI OU LA DISPARITION BIENHEUREUSE



    Lorsque au sud de la Chine, sur les pentes des montagnes qui bordent l’antique province du Yunnan, s’avancent les écrans de brouillard où joue et meurt tour à tour le soleil, ta pensée n’est pas loin, ô Wang Wei, voué à l’espace et aux profondeurs qui donnent le vertige.

    Près d’ici, sur la plaine des rizières inondées, au-dessus des champs où la maison d’automne laisse à nu la multitude moutonnante des tombeaux, s’érige à contre-jour, sombre et cerné d’un trait d’or, un pagodon dédié au génie du village. Gracile. Immense. Non loin de là se tasse en frissonnant un rideau de bambous.

    Toi seul saurais, ô peintre, ennemi de l’Ignorance et de l’Illusion, tracer légèrement, pour fond de cet appui solide, l’insaisissable dégradation des brumes jusqu’aux limites imaginaires de l’horizon, jusqu’aux confins des siècles sans mémoire et de l’azur infini.

    Toi seul pourrais d’un pinceau effilé, propre à la fois au dessin et à l’écriture, accompagner jusqu’au seuil bienheureux de l’Exil, l’insensible disparition de tant de lourdeur, de tant de masse et de tant de souffrance, au fond des fluidités, au fond des vapeurs de
    ce qui n’est pas.

    * Wang Wei, poète et peintre chinois du VIIIe siècle.


    Jean Tardieu, Le Fleuve caché, 1928-1933, in Œuvres, Éditions Gallimard, Collection Quarto, 2003, page 74.




    JEAN TARDIEU



    Jean tardieu 2
    Source




    ■ Jean Tardieu
    sur Terres de femmes


    Complainte du verbe être (poème extrait d’Un monde ignoré)
    Feindre de fuir…
    Le voyage





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