Étiquette : Jeanne Bastide


  • Jeanne Bastide, Un déjeuner de soleil

    par Angèle Paoli

    Jeanne Bastide, Un déjeuner de soleil,
    L’Amourier éditions, Collection Thoth, 2020.



    Lecture d’Angèle Paoli


    « N’AI-JE ÉTÉ QU’UN DÉJEUNER DE SOLEIL POUR TOI ? »




    Où se situe le point de bascule ? s’interroge le « je » de Jeanne Bastide dans Un déjeuner de soleil. L’aujourd’hui des premières pages du récit est-il le même que celui qui s’écrit dans les derniers textes du même récit ? Quelque chose s’est enfin accompli entre le début et la fin, entre ces deux « aujourd’hui » qui marquent les lisières de l’« histoire » de la narratrice. Le temps s’est étiré, élastique, brouillant l’axe des jours, passé, présent et futur. Quel futur pour ce passé qui sans cesse revient avec ses motifs émotionnels, ses images têtues, inscrites dans l’infini de la mémoire ? Quel avenir pour les souvenirs ? Un éternel recommencement, une fin sans véritable fin, un renouvellement cyclique rythment le récit. Où se situe la frontière sur la ligne du temps ?

    « Les deux arbres sont là, toujours sombres et bienveillants. Ils gardent mon repos. Jamais fatigués. Frontière entre la vie du dehors et celle de mes images intérieures. Ils sont l’avenir. Celui qui est dans mon dos. »

    Les images reviennent, toujours les mêmes et toujours autres, la mémoire efface et pourtant recrée. Tout se brouille et s’inverse. Jusque dans le paysage. La chemise blanche continue de flotter autour de la silhouette. Le visage s’est estompé. Reste l’étincelle du regard et la forme d’un corps d’homme qui se meut, réduit à la métonymie de son ombre, dans son éternelle chemise blanche aux pans nonchalants qui ondoient sous le vent. Ce qui perdure par-delà l’absence, c’est cet amour, la trace têtue et entêtante qu’il a laissée. Sous la peau et dans le corps, dans le regard perçant de l’amante.

    « Je ne sais plus la matière du monde depuis que j’ai perdu ta clarté.
    J’ouvre la main et je sens. Je sens ta rudesse et la légèreté de la cotonnade blanche. La paume vers le ciel je soupèse ta présence. »

    Ce qui se dit, dans une prose poétique d’une langue admirable, c’est la déchirure. Là où l’autre était présence absolue, l’insoutenable absence. Plus encore qu’une absence, ce qui demeure est une sur-présence. Une « présence accrue ». Que s’est-il passé ? Pour que celui qui tenait toute sa place auprès de la narratrice, disparaisse un jour, laissant vacant le cœur de l’abandonnée ? Le « nous » qui emplissait le monde n’est plus. Et le « je » qui résiste à la folie est flottant. Il cherche désespérément un nouvel équilibre à trouver dans l’espace familier des jours, s’arrime à tout ce qui faisait l’éclat de l’aube et les rêves nocturnes. Qu’est ce temps-là devenu ? Le « je » vacille, perdu dans ses pensées, entre une enfance lointaine dont persistent pourtant les signes, tant de signes, et un futur aux contours incertains.

    Celle qui dit « je » s’interroge. Sur lui et sur elle. Sur cette faille dans laquelle elle s’engouffre. Sur cette déraison qui la poursuit depuis son jeune âge, qui la met au bord du « précipice ». Un abîme au-dessus duquel il faut apprendre à vivre :

    « Le trottoir, oui. Toujours au bord. L’abîme […] J’apprivoise le précipice. »

    De sorte que le trottoir, image durable et sensible, est perçu comme une unité de mesure du temps. De même, la peau, elle, joue avec l’espace. Peau, lisière, bordure, frontière. Mais aussi fenêtre. Tout se noue dans cet entre-deux obsessionnel. Presque maléfique.

    Tout se noue autour de l’attente, entre dedans et dehors, entre silence et vide laissés par la sur-présence de l’absent.

    « Je suis en panne de peau », écrit-elle. « Peut-être ai-je traversé la peau du monde ? »

    Au-delà de l’absence, ce qui alimente la folie de la narratrice, c’est de ne pas comprendre ; de ne pas savoir ; de ne pas être capable de poser des mots clairs sur ce qui est advenu. Et cette interrogation qui taraude : comment trouver sa route dans cette vie qui a perdu sa boussole ? abandonné tout son sens dans cette incompréhensible disparition ? Marcher est peut-être une réponse possible à la déroute. Mettre les pieds à l’épreuve des chemins.

    « Je marche »

    « Je me prépare à traverser le chemin de l’aujourd’hui »

    « Alors je m’élance, je marche et je mesure l’ombre devant moi. »

    Et tenter par le rythme du corps de retrouver l’unité perdue : « Je me rejoins ».

    Mais l’énigme demeure de cet amour perdu. La narratrice en respire encore les instants retenus. Elle poursuit avec lui le dialogue. Celui de la rencontre et de la découverte. Du coup de foudre qui passe par le regard. L’œil, miroir de l’autre et de soi en l’autre. Entre présent et passé, entre mémoire et oubli, elle chemine dans les souvenirs, vers un futur de solitude, tout en clair-obscur. Côté ombre/côté soleil, indissociables. Côté mots et côté cour. Avec le platane, l’arbre tutélaire de toujours, rassurant, et protecteur. Conciliateur :

    « L’enfance et l’avenir y sont contenus. De sa sève coule la présence. Son tronc à l’arrondi tranquille me parle sans que j’aie besoin de comprendre. J’écoute. C’est tout. »

    Entre orage et violence, entre folie qui guette et désir de renouailles avec la vie, le cheminement se poursuit. Soudain en quête d’embellie :

    « Il y a dans le paysage quelque chose qui me pousse à être. Comme un sourire qui sourirait sans objet. »

    Est-ce le début d’un renouveau, d’un silence ouvert sur l’intériorité, d’un possible élargissement vers l’autre ? Peut-être. Il semble qu’un nouvel aujourd’hui soit à l’œuvre, qui trace son sillon vers le regain et la création :

    « Aujourd’hui.
    C’est le jour où quelque chose s’accomplit.
    Il y a un chemin qui dit son cheminement, un oiseau son vol et toute la contrée est fleurie de paroles… »

    Peut-être. Même si se manifeste l’insistance du « tu n’es plus là ».

    Dans un très joli texte qui donne son titre au récit et le contient dans sa totalité, Jeanne Bastide donne de son histoire les clés essentielles. Une histoire qui puise sa matière et sa force dans le passé de l’enfance.

    « Ma grand-mère disait  » ça fera un déjeuner de soleil » pour le linge mis à sécher l’été en plein midi. Le soleil mangeait toute la couleur, les robes perdaient leur éclat. Ce qu’on appelle faner, flétrir. De quelle étoffe suis-je faite ? Et quel soleil s’est nourri de mon âme ? N’ai-je été qu’un déjeuner de soleil pour toi ? L’ombre a pâli. Tu es parti éclairer d’autres cieux. Ta chemise claire ne claque plus qu’au vent du souvenir. Je me nourris de folie ordinaire. Grignote le gris des nuages. Déchets célestes.
    J’ai perdu l’heure et son cadran.
    Et la couleur de la pluie dans tes yeux. »

    Une histoire qui déborde sur les interrogations d’aujourd’hui. Dont la plus poignante, celle qui s’étrangle dans la voix :

    « N’ai-je été qu’un déjeuner de soleil pour toi ? »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Jeanne Bastide  Un déjeuner de soleil




    JEANNE BASTIDE


    Jeanne Bastide
    Source





    ■ Jeanne Bastide
    sur Terres de femmes


    Un déjeuner de soleil (extrait)
    [comme si le temps] (poème extrait du Jour se déplie)
    Intimité de la lumière (extrait)
    La Fenêtre du vent (lecture d’AP, parue dans la revue Europe)
    La nuit déborde (lecture de Michel Diaz)
    La nuit déborde (lecture d’Alain Freixe)
    Lucarnes (lecture d’AP)
    Rouge enfance (lecture d’AP)
    [La petite fille du passé] (extrait de Rouge enfance)
    Un silence ordinaire (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions L’Amourier)
    une page consacrée à Un déjeuner de soleil de Jeanne Bastide






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  • Jeanne Bastide, Un déjeuner de soleil



    Bastide Guidu
    Ph., G.AdC







    UN DÉJEUNER DE SOLEIL
    (extrait)




    Je suis la femme qui regarde son passé, se tourne vers le futur, puis se retrouve à l’envers. Oui, à l’envers. À l’extérieur d’elle-même. Comme un gant. Mon cœur à vif, les poumons prennent l’air goulûment, mon sang ne fait pas qu’un tour. Il s’en donne à cœur joie, le sang, à circuler ailleurs que dans des chemins tout tracés.
    Et les pensées en plein air — aérées. Des idées royales — un lion, une lionne devenue. L’espace s’agrandit à la mesure de mon regard. Ne sais pas où je vais. Mais je sais que l’envers peut se mettre à l’endroit.


    […]


    Aujourd’hui.
    C’est le jour où quelque chose s’accomplit.
    Il y a un chemin qui dit son cheminement, un oiseau son vol et toute la contrée est fleurie de paroles.
    Les mots sont matière aérienne, quand ils se plantent deviennent parfois banderilles.
    Non, il ne suffit pas que les saisons se renouvellent.
    Encore faut-il savoir que la fin n’est jamais la fin. Tout se renouvelle.
    Savoir que le vent en nous, appelle.
    Que le silence est fait de petits bruits.
    Et qu’il faut s’absenter de soi pour être dans la création.
    Il faut que les morts nous accompagnent.
    Nous poussent, nous tirent, nous bousculent avec l’injonction d’aller jusqu’au bout de nous-mêmes… À la limite du vivant.
    Il faut que le soleil soit dehors et dedans.
    Que la terre tourne malgré notre désir de rester immobile. Accepter de trébucher contre trop de lumière. Inviter le rire et sa houle. Récoler les graines de la main tendue.
    Et en faire un pain à partager.



    Jeanne Bastide, Un déjeuner de soleil, L’Amourier éditions, Collection Thoth, 2020, pp. 52, 58.





    Jeanne Bastide  Un déjeuner de soleil




    JEANNE BASTIDE




    Jeanne Bastide
    Source





    ■ Jeanne Bastide
    sur Terres de femmes


    Un déjeuner de soleil (lecture d’AP)
    [comme si le temps] (poème extrait du Jour se déplie)
    Intimité de la lumière (extrait)
    La Fenêtre du vent (lecture d’AP, parue dans la revue Europe)
    La nuit déborde (lecture de Michel Diaz)
    La nuit déborde (lecture d’Alain Freixe)
    Lucarnes (lecture d’AP)
    Rouge enfance (lecture d’AP)
    [La petite fille du passé] (extrait de Rouge enfance)
    Un silence ordinaire (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


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  • Jeanne Bastide, Rouge enfance

    par Angèle Paoli

    Jeanne Bastide, Rouge enfance,
    éditions Domens, Pézenas, 2019.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Objar
    Paul-Émile Objar, in Rouge enfance
    (photo de première de couverture)







    NE LÂCHE JAMAIS TA JOIE. JAMAIS.





    Vient un temps où le monde s’inverse. Le flou s’étend, qui ombre les figures, arbres et silhouettes, gagnées par l’avers des racines. La petite fille d’antan est rejointe par l’âge. Elle se confond désormais avec l’arbre de l’enfance. L’arbre et l’aïeule, écorces et feuillages, ramures anciennes. Une même personne. Qui de l’enfant ou de l’aïeule tente de rattraper l’autre ? Difficile de le dire tant les deux sont proches, complices du passé comme du présent. De l’une à l’autre, en répons, les mots de Jeanne Bastide. La poète, tisseuse inlassable, recoud passé et présent. Brouille patiemment les lignes frontières. Rouge enfance. Et les photos de Paul-Émile Objar déploient des noirs et blancs grisés de lumières, reflets tremblés par les feuilles et par les eaux. Ciels terres jardins écritures disent pourtant les choses. Tout est là, dans le froissé des branches, rassemblé en un point focal, blotti au cœur d’une image, au cœur du poème, en un centre où fusionnent l’enfant et l’aïeule. Dans un même regard. En deux mots que raboute le titre du recueil. Rouge enfance.

    Rouge, la couleur de l’arbre. Rouge, le rouge de l’arbre du dessin. Arbre/rouge/dessin composent la trilogie d’enfance où s’origine la langue de la poète. Et/ou celle de l’enfant.

    « La petite fille du passé court après l’ombre de la grand-mère qu’elle est devenue. »

    Entre l’enfant qu’elle fut et l’aïeule qu’elle est devenue, il y a tant de distance à parcourir. Il y a tant de signes qui rapprochent.

    « D’elle à toi, c’est une étendue longue à traverser… ».

    Traverser. C’est ce qu’elle désire. Qui de l’une ou de l’autre ? Peut-être est-ce la voix de la poète, la voix intérieure en qui toutes les voix se rencontrent et se retrouvent, les unes aux autres encordées. C’est à l’arbre « conteur » qu’il faut s’en remettre. À sa couleur qui met la vieille dame en émoi, réveille en elle son ardeur. Il n’y a pas que l’arbre qui parle, il y a aussi ces voix autres qui s’immiscent en elle et raniment le goût de la terre sous ses pieds. Entre les deux extrêmes, qui relient l’aïeule à l’enfant (ou l’inverse), il y a un autre temps. Celui de la grand-mère de l’enfant et avec elle – mais en son absence –, l’image d’un escalier qui ouvre sur un gouffre. Un gouffre qui ouvre sur l’attente. De ce moment étrange naît la sensation nouvelle et forte « de la démarcation ».

    « Le vertige te prend et le mystère de la distance – de la démarcation.
    C’est peut-être là, que, pour la première fois t’est venue cette sensation de limite personnelle, de peau comme frontière.
    Quand les bras attendus n’enserrent que le vide de ta substance. »

    Face à cette prise de conscience vertigineuse, face à l’expérience douloureuse de la solitude, face à cet espace à parcourir et à la présence de la mort, l’arbre rouge est cette force réconfortante à qui se confier. Et avec qui dialoguer.

    « Et tu lui parles. Sans cesse tu lui parles. À l’arbre.

    De la vieille qui prie et de toi. De la vieille qui prie en toi.

    Tu lui parles encore […]

    Te souviens-tu ? demande l’arbre. »

    Entre le temps de l’enfance et celui de la vieillesse qui vient, il y a tout un empan de vie jalonné de métamorphoses et de disparitions. Le noir de la grand-mère, lisible dans son regard de mourante.

    « Ce jour où rien n’a rien changé à rien – mais qui a tout bouleversé. »

    Et le rouge de l’arbre qui abrite les premiers émois de la rencontre amoureuse. Cramoisi tout entier des secrets d’un amour naissant dont celui-ci est le gardien. Ce jour-là, « celle qui avait grandi avait ainsi déplacé son arbre d’enfance. » Puis est venu le temps du platane et le désir de se « perdre dans sa ramée. »

    Le récit-poème de Jeanne Bastide se poursuit. Dans un même froissé de voix assourdies qui se cherchent par-delà les silences. La vie aussi poursuit sa trame, avec ses gestes humbles et ses prières douces, ses rêves et ses reflets. Avec ses images d’« étendue longue à traverser ». De « soc qui écorche écrase et creuse la terre » … ; d’« oiseau qui trace le vol » et de fleuve qui ouvre le sillon de la vie. Et toujours revient l’arbre rouge. L’autre. Celui du dessin de l’enfant. Qui « est de l’autre côté des mots » et qui survient à l’improviste. Celui-là ramène avec lui les joies et les jeux liés à la grand-mère. Mais aussi le souvenir de « ce jour dont il ne faut pas parler et qu’on ne peut pas oublier. » Ce jour lointain où l’enfant avait huit ans. Ce jour qui a ouvert une « brèche » dans son univers d’enfance. « Un trou dans le silence. » Puis le cri.

    « Rouge, rubis a été le cri.

    Sorti de ta gorge sans que tu le veuilles. »

    Pourtant, sous la frontière, au-delà du gouffre de la démarcation, frémit la ligne de la continuité.

    « L’enfance se glisse doucement. Il y a dès lors l’odeur du figuier, de la garrigue l’été – et cette petite musique, l’inexorable montée du souvenir. »

    Avec les souvenirs et la musique douce qui les accompagne, la vie peut à nouveau retrouver souffle dans la lumière. Les mots de la grand-mère peuvent trouver leur juste place :

    « Ne lâche pas ta joie. Jamais. Garde-la précieuse en toi. »

    Et la poète d’offrir dans les pages de Rouge enfance une belle leçon de vie :

    « Tu es au centre – emportée. Ton plaisir vif comme une plaie.

    Tu as ouvert les volets. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Jeanne Bastide  Rouge enfance





    JEANNE BASTIDE


    Jeanne Bastide
    Source





    ■ Jeanne Bastide
    sur Terres de femmes


    [La petite fille du passé] (extrait de Rouge enfance)
    [comme si le temps] (poème extrait du Jour se déplie)
    Intimité de la lumière (extrait)
    La Fenêtre du vent (lecture d’AP, parue dans la revue Europe)
    Lucarnes (lecture d’AP)
    La nuit déborde (lecture de Michel Diaz)
    La nuit déborde (lecture d’Alain Freixe)
    Rouge enfance (lecture d’AP)
    Rouge enfance (lecture d’AP)
    Un déjeuner de soleil (extrait)
    Un silence ordinaire (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Domens)
    la page de l’éditeur sur Rouge enfance
    le site de Paul-Émile Objar





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  • Jeanne Bastide | [La petite fille du passé]



    Objar
    Paul-Émile Objar, in Rouge enfance
    (photo de première de couverture)







    [LA PETITE FILLE DU PASSÉ]



    La petite fille du passé court après l’ombre de la grand-mère qu’elle est devenue.
    Une ombre douce et grise. Qui essuie le rouge.
    De loin elle la voit floue, inconsistante, mal délimitée.
    C’est que l’aïeule n’a pas de contours très nets.
    Elle a laissé sa silhouette et s’est vêtue de ramées.
    L’épaisseur des ombres qui la couvrent lui donne cet aspect. Un feuillage ancien.


    Les choses sont là. Posées.
    Tout au long de l’air, des pensées suspendues.
    Un poudroiement suit la courbe de la colline.
    Les arbres ont des branches alanguies par le poids de la beauté.
    Le désormais a pris toute la place. Toute.
    Alors que l’espace s’est rétréci à un point de la pupille, l’herbe s’y étale. Se déploie à l’infini de ce point.
    C’est un tableau sans aucun repentir. A chaque élément sa place singulière.
    On voit la peau des feuilles qui étincelle de douceur et au loin le feu d’un phare comme une coronille au sommet de sa floraison.


    Cela a un sens. Tout est relié.
    La petite fille court après l’ombre de la grand-mère qu’elle est devenue.




    Jeanne Bastide, Rouge enfance, récit, éditions Domens, Pézenas, 2019, pp. 9-10. Photographies de Paul-Émile Objar.





    Jeanne Bastide  Rouge enfance






    JEANNE BASTIDE


    Jeanne Bastide
    Source





    ■ Jeanne Bastide
    sur Terres de femmes


    Rouge enfance (lecture d’AP)
    [comme si le temps] (poème extrait du Jour se déplie)
    Intimité de la lumière (extrait)
    La Fenêtre du vent (note de lecture d’AP, parue dans la revue Europe)
    La nuit déborde (lecture de Michel Diaz)
    La nuit déborde (lecture d’Alain Freixe)
    Lucarnes (lecture d’AP)
    Un déjeuner de soleil (lecture d’AP)
    Un déjeuner de soleil (extrait)
    Un silence ordinaire (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Domens)
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    le site de Paul-Émile Objar






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  • Jeanne Bastide, La nuit déborde

    par Alain Freixe

    Jeanne Bastide, La nuit déborde,
    L’Amourier éditions, Collection Thoth, 2017.



    Lecture d’Alain Freixe



    Aller vers soi… Écrire non sur soi mais « dans l’angle d’inclinaison de son existence » disait Paul Celan : roman familial, solitude, vieillissement et donc aussi choses du monde extérieur et intérieur (ce pêle-mêle d’émotions, de souvenirs, de sensations…).

    Aller vers soi… à partir de ses souvenirs. On sent bien dans ce livre de Jeanne Bastide combien ils semblent antérieurs à l’écriture et en même temps combien ils sont suscités et enrichis par elle. Celle qui écrit est bien celle qui sent et vit : sujet entre Je et Moi(s). Ce sujet-là est bien sujet au sens de l’ancien mot latin sub-jectum, ce qui est jeté dessous et qu’il s’agit de porter au jour depuis la nuit où il se tient —  sens dessous dessus ! — jeté sous celui qui a des opinions et émet des jugements sur ceci ou cela : Dieu ou la vieillesse, le visible et l’invisible, les apparences — Ah ! cette maison de retraite ! toutes choses d’hier et d’aujourd’hui que l’on rencontre de ci, de là dans ce livre.

    C’est qu’en effet, il s’agit de cela et il ne s’agit pas de cela. Ici, l’écriture tente de réveiller celle qui sent et vit. Elle appelle à l’extérieur l’intime qui n’existe qu’à être ainsi tiré hors du magma de la vie sensorielle. Cette main qui écrit est pauvre car elle tourne autour et essaie de saisir ce qui ne peut que lui échapper surtout quand par touches elle lui met la main dessus. Caresses d’une main qui ne se sait pas forcément heureuse alors qu’elle l’est car il y a bonheur à a être cette main tâtonnante dans l’obscur, toujours déportée car toujours portée à d’impossibles saisies en impossibles saisies au-devant d’elle-même.

    L’écriture tremblée de Jeanne Bastide, faite de syncopes, de retours, de reprises, ces souvenirs en avant… tente non de reconstituer des souvenirs mais invente des lieux, des moments, des choses pour qu’apparaisse ici ce qui n’existe pas ailleurs. Et ce sont les belles pages sur l’arbre, le cri, la main, le magasin, l’enfant qui court, la vigne, la balançoire, l’ombre…

    Ce livre est un mixte de mémoire et d’oubli où dans la main qui écrit, c’est la mémoire qui travaille avec l’oubli pour faire advenir une présence à partir d’un égarement premier : « je ne comprends pas. Je ressens » ou « ça se passe hors de ma compréhension dans la sphère où je n’accède pas » écrit Jeanne Bastide, et c’est cela qui émeut, c’est qu’on ne se contente pas de convertir en mots, de traduire un vécu mais qu’on tente de faire parler de ce qui est senti. Il s’agit moins ici de rapporter des histoires, de revisiter le passé, mais plutôt de fouiller sous les histoires et d’aller jusqu’à ces terres d’oubli où il en va de ce que Joël Clerget nomme « notre voix de mains » qui puise à même cette intimité dont l’écriture n’arrache jamais que quelques lueurs. C’est cela qui « déborde » et fait le jour dans ce livre de Jeanne Bastide, cela qui l’éclaire. Oui, la nuit parfois éclaire !

    Si la poésie est « prose en action » et non « en récit » comme le disait Boris Pasternak, alors La nuit déborde est poésie car jamais le texte ne se referme sur lui-même comme il en va quand c’est d’un langage tout fait dont on se sert. Au contraire, ici il se creuse, bifurque, se risque, avance — on le voit frayer son chemin, pousser portes, ouvrir fenêtres comme autant de pas vers plus de clarté, plus de réel, ce débord. C’est par là qu’il nous laisse ce sentiment d’un plus de vie, sentiment paradoxal si on le rapporte aux apparences : vieillesse, solitude, enfermement… mais qui s’explique par cette intensité du senti rendu ici, sa chaleur débordant ce que les mots peuvent avoir de froid pour retendre ces fils où notre cœur s’assure de lui-même.

    Débordant, la nuit laisse ses alluvions. Riches terres pour les semailles de demain !



    Alain Freixe
    D.R. Texte Alain Freixe
    pour Terres de femmes







    Jeanne Bastide  La nuit déborde





    JEANNE BASTIDE


    Jeanne Bastide
    Source




    ■ Jeanne Bastide
    sur Terres de femmes


    [comme si le temps] (poème extrait du Jour se déplie)
    La Fenêtre du vent (lecture d’AP, parue dans la revue Europe)
    Intimité de la lumière (extrait)
    Lucarnes (lecture d’AP)
    La nuit déborde (lecture de Michel Diaz)
    Rouge enfance (lecture d’AP)
    [La petite fille du passé] (extrait de Rouge enfance)
    Un déjeuner de soleil (lecture d’AP)
    Un déjeuner de soleil (extrait)
    Un silence ordinaire (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions L’Amourier)
    une page consacrée à La nuit déborde de Jeanne Bastide





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  • Jeanne Bastide | [comme si le temps]




    Bastide le jour
    Encre de Nadège Lepot
    (Première de couverture du Jour se déplie de Jeanne Bastide)
    Source







    [COMME SI LE TEMPS]




    comme si le temps une fois encore se retirait
    arrive la lumière de toute part

    tu aurais voulu dire quelque chose de simple
    une évidence
    l’évidence ne s’impose que dans le bleu du ciel
    dans le grain de sable
    tu voudrais que ton regard s’écoule — fleuve tranquille — le
    long de l’horizon
    l’horizon recule — toujours
    le vide l’absorbe

    l’avenir durera longtemps
    tout le temps que le silence aura la tête penchée sur le passé

    ne reste que le point d’interrogation




    Jeanne Bastide, Le jour se déplie, poèmes, Éditions Domens, Collection « Littérature », 2016, page 23.






    JEANNE BASTIDE


    Jeanne Bastide
    Source




    ■ Jeanne Bastide
    sur Terres de femmes


    Intimité de la lumière (extrait)
    La Fenêtre du vent (lecture d’AP, parue dans la revue Europe)
    Lucarnes (lecture d’AP)
    La nuit déborde (lecture de Michel Diaz)
    La nuit déborde (lecture d’Alain Freixe)
    Rouge enfance (lecture d’AP)
    [La petite fille du passé] (extrait de Rouge enfance)
    Un déjeuner de soleil (lecture d’AP)
    Un déjeuner de soleil (extrait)
    Un silence ordinaire (lecture d’AP)





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  • Jeanne Bastide, La Fenêtre du vent

    par Angèle Paoli

    Jeanne Bastide, La Fenêtre du vent,
    L’Amourier éditions, 2013.



    Lecture d’Angèle Paoli




    Joseph tresse le sang de la vigne avec le rouge qui l'obsède.
    Ph., G.AdC







    « LE SILENCE BRUISSANT DE LA VIGNE »




    D’apparence simple et transparente, le dernier récit de Jeanne Bastide, La Fenêtre du vent, semble promesse d’un univers à la fois poétique et familier. Pourtant, le titre-frontière – qui pose la pensée sur l’émouture de la lame – ouvre sur un monde autre. Un monde de vent de lumière de silence et de sang. Un monde absurde, tissé de contradictions, de cruauté et d’intolérables souffrances.

    Dès l’incipit, la vie du narrateur bascule, d’une paisible vie de petit vigneron du midi à celle de conscrit appelé à se battre de l’autre côté de la Méditerranée pour sauver l’Algérie et apporter la civilisation sur des terres arasées par la « verticalité de la lumière » et par le vent. Ce temps-là est le temps de la guerre, le temps des violences subies par un pays mis à feu et à sac par les colonisateurs français. La voix de La Fenêtre du vent est celle du jeune Joseph, vigneron « pas assez riche qui n’a pas pu payer son remplacement ». La trame du récit est simple. Joseph arrive dans un pays d’exil, à la fois étrange et étranger. Il en repart, touché à mort par ce qu’il y a vécu :

    « La guerre ne m’a pas tué. L’amour m’a mis à mort », déclare Joseph avant d’aller retrouver le monde qui était jadis le sien et dont il n’est pas sûr qu’il le soit encore à son retour.

    Entre ces deux extrêmes, il y a le vide, il y a l’attente. Il y a la quête d’un « point d’appui » dans le ciel pour échapper à la disparition et à la mort. Il y a l’attente d’un miracle. « C’est hier que le miracle est arrivé. Je dis miracle, je n’ai pas d’autre mot », confie Joseph. Le miracle s’incarne en Leila. Mais, avant l’apparition de l’« ange bleu », avant « le ravissement et la félicité », avant l’expérience de l’infinie caresse de la lumière, avant le désastre ouvert par la béance de l’absence, il y a la vie ordinaire dans un camp militaire, rivée à celle du casernement, au rythme des opérations menées, « expéditions dans les collines », pillages et tueries, à l’expérience irréversible du sang versé pour une cause dont le sens échappe et qui ne trouve en rien sa raison d’être dans les convictions hurlées par le capitaine : « On doit tenir son rang face aux indigènes. Que diable ! » Il y a la peur, omniprésente et tenace ; et la découverte que la jouissance existe dans l’acte de tuer.

    « Ce n’est pas que cette guerre me plaise, mais je suis surpris à jouir de ma propre violence. Une énergie m’a porté dans le massacre. Je me suis surpassé. La bataille est une rencontre au-delà de la peur. Émulation et détermination dit le capitaine ».

    Un homme double, ce capitaine, « spirituel et affable dans le privé », mais qui fait trancher les têtes sans jugement, acte nécessaire pour l’assise de son autorité.

    Poursuivi par l’horreur du sang et par la « jouissance noire » d’une ivresse qu’il ne supporte pas, Joseph tresse le sang de la vigne avec le rouge qui l’obsède. Les images s’entrelacent qui mêlent formes et rouges :

    « Le raisin tombe, la tête tombe – le rouge coule. Et on continue à avancer – que diable ! »

    La métaphore se file tout au long de la marche des hommes sous le soleil, dans la violence qui les conduit sur la voie de la mort :

    « Lourd, le soleil, longue la marche. Le jus de raisin coule sur mes tempes – dans mon dos. »

    Ou encore :

    « Au bout de la vigne attend le cheval avec le tombereau sur la charrette. Une distance démesurée. J’avance pas à pas dans la chaleur rouge. »

    Le chapitre se clôt sur le couperet du constat :

    « Le sang de la vigne n’a pas de fin ».

    La vigne a imprimé son graphisme dans la mémoire vacillante de Joseph. Elle a incrusté ses écritures dans les souvenirs du narrateur. Le sang de la guerre charrie avec lui les images du passé. Il ramène le « silence bruissant » de la Pierrotte, dont le « nom caillouteux » sied si bien à la vigne, la rose trémière qui « dodeline son pourpre », « les mains de Marie qui engendrent » le « miracle » du pain, les mots de la mère et son âme. « Petites résurgences » que le « poète-paysan » croyait enfuies.

    La vigne pervertit de « giclées de rouge » le monde qui l’entoure. À moins qu’il ne s’agisse de ses rêves :

    « Le sang bat jusque dans mes oreilles. Des lauriers roses sanglants défilent dans ma tête, soldats grotesques. »

    Tenaillé par le doute, Joseph l’est aussi par la confusion qui l’habite et par la folie qui le guette :

    « J’ai tué – et dans l’odeur débraillée du carnage – je me sentais à la fois puissant et misérable. Je ne sais pas bien quoi faire de tout ça. Je crois que le rouge du sang s’est infiltré dans ma tête goutte à goutte. Je le crois, car souvent je vois rouge et n’ai plus alors de discernement. Je me débats comme pris dans un filet que je ne comprends pas. »

    Il fallait que quelque chose survienne. Qu’un miracle se produise, qui fasse reculer l’offensive du rouge. C’est par le « bleu » que ce miracle arrive. Celui de la silhouette entrevue « d’une jeune femme accroupie dans l’ombre ». « Une femme bleue et silencieuse », qui « a ondoyé » Joseph « de sa parole » en le nommant Youssef.

    « Depuis que je suis Youssef, quelque chose en moi s’est agrandi. De la lumière est entrée. Je suis autre. Je deviens… Je deviens celui que tu nommes. Leila me recrée pour que je rentre dans son paysage. »

    Sous la trame cruelle des événements, Jeanne Bastide tisse une toile de haute lice, toute de sensibilité, de finesse et de poésie.



    Angèle Paoli in Europe, revue littéraire mensuelle, juin–juillet 2013, n° 1010-1011, pp. 358-359.







    Jeanne Bastide, La Fenêtre du vent





    JEANNE BASTIDE


    Jeanne Bastide
    Source




    ■ Jeanne Bastide
    sur Terres de femmes


    [comme si le temps] (poème extrait du Jour se déplie)
    Intimité de la lumière (extrait)
    Lucarnes (lecture d’AP)
    La nuit déborde (lecture de Michel Diaz)
    La nuit déborde (lecture d’Alain Freixe)
    Rouge enfance (lecture d’AP)
    [La petite fille du passé] (extrait de Rouge enfance)
    Un déjeuner de soleil (lecture d’AP)
    Un déjeuner de soleil (extrait)
    Un silence ordinaire (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions L’Amourier)
    une page consacrée à La Fenêtre du vent de Jeanne Bastide





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  • Jeanne Bastide, Un silence ordinaire

    par Angèle Paoli

    Jeanne Bastide, Un silence ordinaire,
    L’Amourier éditions,
    Collection Thoth, 2009.



    Lecture d’Angèle Paoli



    Rivé à la garrigue de l'été
    Ph., G.AdC







    SOUS « LE BRUISSEMENT DE LA LANGUE »



         Traversées de pensées étirant leurs ombres insaisissables au long des jours, les complaintes d’Un silence ordinaire composent un récit envoûtant. Fluide, impalpable, musical, le dernier récit de Jeanne Bastide est un texte-pastel bouleversant. Assise sous un figuier, à même l’herbe sèche, je laisse monter en moi les images d’un « présent intérieur » qui s’arrime à un paysage d’enfance, rivé à la garrigue de l’été et au bleu de la mer. Une musique des mots, teintée d’une mélancolique tendresse, court entre les pages, d’un chapitre à l’autre. Une douceur lumineuse gagne en profondeur en même temps que se précisent les contours de l’histoire de Lucie. Une histoire de l’abandon et de la perte, tissée, autour de « la part manquante », dans le silence d’un temps identique. Ou dans le retour régulier de son ressac. Pourtant, le « silence ordinaire » qui ronge l’âme de Lucie est aussi un silence « où bruissent la lumière et les insectes de l’été. »







    Dans son fauteuil Voltaire
    Ph., G.AdC







         Au commencement, il y a cette femme assise dans son fauteuil Voltaire, face au vide que soulignent les objets abandonnés là dans leur forme éternelle. Une partition posée sur le piano fermé, un autre fauteuil, l’armoire qui imprime sa rigidité dans le dos de celle qui écoute. Qu’écoute-t-elle au juste, sinon le silence ? Ou encore ce bruit de mots qui monte en elle, ce bruissement de la langue qui surgit d’elle, d’elle ne sait où ? Sous la peau. À même la peau. Cette femme, c’est Lucie la bien nommée, sensible aux reflets du soleil sur la pierre et à la lumière apportée par le vent. Lucie qui continue d’habiter la part lumineuse du monde au cœur même du « voyage immobile » qui la consume toute dans l’absence de l’autre. Et jusque dans l’attente « qui se nourrit d’elle », « la grignote ». Jusqu’à ce que « le temps la soulage ». « La soulage d’elle-même ». Et l’appelle sur la route, à hauteur des nuages et du vent.

         Broderie sur les mots, — absence et vide dont ils sont porteurs —, Un silence ordinaire tient à la fois de la partition musicale et de l’œuvre picturale. Derrière les natures mortes qui habitent le monde familier de Lucie surgissent les portraits de Lucie. Lucie en femme aimée qui fut un jour créée par les mots de l’autre — ses caresses —, Lucie abandonnée à son silence — femme dans son intérieur ; femme assise sur une chaise ou sur la grève ; femme avec ses carnets, ses encres et ses mots… Des pastels où s’imprime la poussière. Et la tristesse qui l’endeuille. Partition musicale — le titre et les didascalies qui l’accompagnent donnent à chaque chapitre sa tonalité et sa teneur — qui mêle poésie et prose, Un silence ordinaire allie sans rupture les rumeurs du monde extérieur — étrangères et intrusives — et le bruissement intérieur des paroles en ébullition dans le puits, sous la peau. De ce bruissement naît l’écriture. Une émergence qui se lit dans le creuset des rêveries en italiques. Pour Lucie ou pour la voix qui parle en elle, l’écriture est constat d’un décalage, d’une séparation.

         « Écrire.
    Les mots nous séparent des êtres — je te nomme et tu existes — tu es toi et je suis plus loin.
    Dis seulement une parole et je serai séparée.
    Non, ne dis rien.
    Laisse-moi dans mon silence évidé.
    Tu es toi et je suis à courir derrière moi. »


         L’écriture est aussi le fil qui relie les mots et le temps. Le seul susceptible de renouer avec la parole perdue.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    JEANNE BASTIDE


    Jeanne Bastide
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    ■ Jeanne Bastide
    sur Terres de femmes


    [comme si le temps] (poème extrait du Jour se déplie)
    Intimité de la lumière (extrait)
    La Fenêtre du vent (note de lecture d’AP, parue dans la revue Europe)
    Lucarnes (lecture d’AP)
    La nuit déborde (lecture de Michel Diaz)
    La nuit déborde (lecture d’Alain Freixe)
    Rouge enfance (lecture d’AP)
    [La petite fille du passé] (extrait de Rouge enfance)
    Un déjeuner de soleil (lecture d’AP)
    Un déjeuner de soleil (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions L’Amourier)
    une page consacrée à Un silence ordinaire de Jeanne Bastide






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  • Jeanne Bastide, Intimité de la lumière

    «  Poésie d’un jour  »



    Intimit_de_la_lumire
    D.R. Ph.







    ESSAI IV


    la lumière arrive frontale et pose une grande chape de silence amer / l’amertume c’est ce goût de silence quand la parole s’est terrée au fond de la bouche
    la lumière arrive / elle plie le jour à une mesure sans mesure / la lumière n’a pas de bord / ne borde pas / elle remplit ce qui n’a pas de forme et on la reconnaît à sa texture dans la gorge ou sur la peau / il y a des jours où on ne supporte plus son poids ni son regard trop profond / on va alors dans un intérieur et on rêve d’hirondelles sans envol / on plonge dans une ombre apaisante pour la parole et seul l’évitement a lieu / il ne reste que l’ivresse du ciel extérieur et la ligne d’horizon de la porte fermée / le jour grince et la mémoire s’affole / ne peut plus voyager / trop lourde/ la monnaie d’étincelles n’est plus qu’argent sans éclat / il faudrait un peu de silence gratuit / de la simple présence pour que le jour se lève et que ce soit l’aurore / il faudrait / il faudrait / on ne sait pas tous les désormais qui sommeillent en nous / comme nous ne verrons jamais la lumière en face sans peur de disparaître dans sa violence



    Jeanne Bastide, Intimité de la lumière, sérigraphies de Yves Picquet, Édition Double Cloche, 2007.






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    ■ Jeanne Bastide
    sur Terres de femmes


    [comme si le temps] (poème extrait du Jour se déplie)
    La Fenêtre du vent (lecture d’AP, parue dans la revue Europe)
    Lucarnes (lecture d’AP)
    La nuit déborde (lecture de Michel Diaz)
    La nuit déborde (lecture d’Alain Freixe)
    Rouge enfance (lecture d’AP)
    [La petite fille du passé] (extrait de Rouge enfance)
    Un déjeuner de soleil (lecture d’AP)
    Un déjeuner de soleil (extrait)
    Un silence ordinaire (lecture d’AP)





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