Étiquette : Joe Bousquet


  • 11 septembre 1937 | Lettre de Joë Bousquet à Poisson d’or

    Éphéméride culturelle à rebours



    Hans Bellmer,  Dialogue avec Joë Bousquet
    Hans Bellmer, Dialogue avec Joë Bousquet
    Gravure sur Arches, 65,7 x 50,6 cm
    Source







    Villalier.
    Dimanche 11 septembre 1937.



    Ma Germaine aimée,


        Chaque soir, quand les faits de la journée se sont envolés, je vous retrouve. Je reprends vos photographies. Je contemple longuement un accent de votre visage dont tout votre être est parcouru, comme votre voix, un oiseau d’air pur caché dans votre joue. Au milieu d’une conversation, je m’interromps, c’est que vous m’avez demandé une pensée : un poids énorme est sur tous les instants que leur médiocrité m’empêcherait de vous dédier. Et les heures que j’aime, c’est l’espoir de vous les faire aimer qui les approche de moi.
         …Je veux que nos pensées un jour se reconnaissent dans notre vie sans avoir à rien renverser sur leur passage. Un grand amour forge la vie à son image. Et déjà, je dois une force inattendue au bonheur de me sentir dans tous vos sentiments, imaginé et attendu, je goûte à cette confiance qui est profonde entre nous et pure comme un ciel. Je n’ai qu’à vous revoir pour me sentir sûr d’être aimé.
        Un miracle s’est produit entre nous. On dirait qu’au sein de l’Univers que notre séparation met en tiers dans notre amour, votre chair a pris la qualité spirituelle pour que mon esprit enfin puisse me donner à elle.
        Confidences, comme vous le voyez, obscures que le temps achèvera d’éclairer, de même que l’espace a commencé à les faire naître. Le rêve où je vous revois, de tout votre corps d’enfant me fait un chemin entre mon corps et moi, et cette guirlande éclatante est en vous comme la conscience du bonheur…
        Dans les rêves que je faisais autrefois, un cortège d’horizons et de couleurs accompagnait dans mes caresses l’être exquis dont le visage ne portait pas de nom. Et vous m’avez si profondément uni à vous que les lieux où je vis ont soudain pour mes sens la saveur des paysages où je vous voyais sans savoir que vous étiez vous… Il y a des pensées qui se cachent de moi pour me parler de vous …
        Joie, ma chérie, joie infinie. À travers mon amour, c’est une enfant qui est à moi et c’est vous, une jeune fille et c’est vous, et vous êtes devenue jeune fille sans cesser d’être une enfant pour mon amour, et pour voir tout cela j’ai moi-même mes yeux d’enfant.


    Joë.



    Joë Bousquet, Lettres à Poisson d’or, Éditions Gallimard, 1967 ; Collection L’Imaginaire, 1999, pp. 66-67.







    Hans Bellmer, Portrait de Joe Bousquet
    Hans Bellmer, Portrait de Joë Bousquet, 1945
    Ce portrait a figuré dans l’exposition Joë Bousquet
    de Narbonne en juillet-août 1960.
    Source






    JOË BOUSQUET


    Joë Bousquet




    ■ Joë Bousquet
    sur Terres de femmes

    Décembre 1938 | Lettre de Joë Bousquet à Poisson d’or
    Passer
    Serge Bonnery et Alain Freixe, Les Blessures de Joë Bousquet (lecture d’AP)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Dailymotion)
    une émission de France Culture sur Joë Bousquet





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  • Joë Bousquet | Passer

    «  Poésie d’un jour  »



    C’est par ton charme qu’une fille D’un corps ébauché par les cieux A formé la larme des villes
    Ph., G.AdC







    PASSER


    Enfance qui fus dans l’espace
    Un vol poursuivi jusqu’au soir
    J’appelle ton ombre à voix basse
    Avec la peur de te revoir

    Sœur en deuil de tes robes claires
    Ta fuite est l’oiseau bleu des jours
    Que de son chant fait la lumière
    Des gestes rêvés par l’amour

    C’est par ton charme qu’une fille
    D’un corps ébauché par les cieux
    A formé la larme des villes
    Qui s’illuminent dans ses yeux

    Et ce fut ton âme de rendre
    Mon doute plus que moi vivant
    Passerose aux ailes de cendre
    Qui m’ouvrais ton cœur dans le vent



    Joë Bousquet, La Connaissance du soir, Éditions Gallimard, 1947 ; Collection Poésie, 1981, page 65.






    JOË BOUSQUET


    Joë Bousquet




    ■ Joë Bousquet
    sur Terres de femmes

    11 septembre 1937 | Lettre de Joë Bousquet à Poisson d’or
    Décembre 1938 | Lettre de Joë Bousquet à Poisson d’or
    Serge Bonnery et Alain Freixe, Les Blessures de Joë Bousquet (lecture d’AP)



    ■ Voir aussi ▼

    André Rougier | Midis





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  • Décembre 1938 | Lettre de Joë Bousquet à Poisson d’or

    Éphéméride culturelle à rebours



    Portrait de Joë Bousquet par Jean Dubuffet (détail)
    Jean Dubuffet (1901-1985)
    Détail de Joë Bousquet dans son lit, janvier 1947
    Huile sur toile, 46,3 x 114 cm.
    Museum of Modern Art, New York City
    Source






    Carcassonne.
    Décembre 1938, samedi *.


    Ma chérie,

        J’ai reçu de ton amie une lettre exquise ; et j’ai été frappé de retrouver dans la façon appliquée dont elle manie le français quelque chose qui rappelle la manière de Rilke quand il écrivait dans notre langue. Si les poèmes de Rilke nous ont révélé tant de choses, c’est qu’il en a pris les mots hors de lui, dans ce monde distinct de la langue étrangère qui les lui montrait comme des objets ; et j’ai été vraiment heureux de trouver sous la plume de ton amie un jugement poétique chargé, lui aussi, de cette vertu précieuse qui est dans les mots quand ils nous parviennent dans leur fleur ; et tels qu’on les avait inventés.
        Cette lettre m’a redonné du courage : il m’en faut beaucoup en ce moment parce que le point où j’en suis de mon livre est littéralement d’une grande difficulté. Ensuite, parce que ces pages expriment directement les fatalités morales d’un état comme le mien ; et que je me sens seul jusqu’à l’angoisse dans l’effort de les rendre vivantes et, pour cela, de les prendre au vif de ma douleur. Car il y a en moi, il y a toujours en moi, celui qui ne veut pas de sa blessure, qui ignore peut-être toujours le choc qui l’a frappé, et c’est de son contact avec ma vie présente que naissent mes accents les plus vrais…
        Je voudrais t’expliquer cela : il me semble qu’en partageant avec toi mes impressions les plus secrètes, en les mettant en toi, je peux arriver à emplir ton être avec mes propres pensées et que c’est une façon, non de résoudre certains problèmes, mais de t’éveiller dans un monde où ces questions ne se posent plus. Le moment est sans doute bien choisi, car je te sens vibrante, émue par quelque chose que tu ne m’as pas dit. À travers tes lettres on te sent lourde d’un secret qui te pèse. Mon amour te sent soudain comme chargée de larmes intérieures, balancée avec un fardeau dans tes pensées que tu crains d’abandonner bien qu’il te pèse… Je ne te demande pas de confidences ; mais je tiens à avoir, à chaque instant, une tendresse prête pour une de tes peines. C’est facile, ma vie semble le berceau de la tienne ; et rien que de te parler de moi, il semble que j’agrandis ton cœur.
         Dans l’endroit difficile où je te disais que j’avais actuellement conduit mon récit, je fais revivre un instant récent qui m’a révélé tout le rayonnement de mon amour pour toi. Une confirmation poétique de la vérité entrevue dans nos paroles et la joie à intervenir dans les surprises du sens qui redit la chanson. Ma chérie, je ne savais pas que ce serait si doux. J’ai voulu l’écrire. Si j’avais le don de communiquer mes impressions nul aspect de mon amour ne t’échapperait plus. Tu verrais nos sentiments réciproques sous l’angle du sentiment et non sous l’angle de notre intérêt humain.
         Si l’amour est oubli de soi, l’idée de l’amour doit effacer plus encore ce qui concerne l’homme, ce qui concerne la femme et inaugurer le règne de la vie intérieure où les buts disparaissent devant le progrès de la conscience.
         Revenons sur nos pas : je voudrais, aussi simplement qu’un artisan exposant sa technique, te montrer un des effets de mon amour et l’incidence sur mes pensées du bonheur qu’il devait m’apporter. Écoute, c’est là ce qui me tient éveillé dans mes nuits d’étude. […]


    Joë Bousquet, Lettres à Poisson d’or, Éditions Gallimard, 1967 ; Collection L’Imaginaire, 1999, pp. 141-142.




    ________________
    * 3 ou 10 décembre, d’après mes recoupements (AP).





    Paul Klee, The Golden Fish, 1925, Oil and watercolor on paper, mounted on cardboard, 50 x 69 cm, Kunsthalle, Hamburg
    Paul Klee (1879-1940),
    Le Poisson d’or, 1925,
    Huile et aquarelle sur papier, 50 x 69 cm,
    Kunsthalle, Hambourg (Allemagne)
    Source






    JOË BOUSQUET


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    ■ Joë Bousquet
    sur Terres de femmes

    Passer
    11 septembre 1937 | Lettre de Joë Bousquet à Poisson d’or
    Serge Bonnery et Alain Freixe, Les Blessures de Joë Bousquet (lecture d’AP)



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