Étiquette : Joël Bastard


  • Joël Bastard, Une cuisine en Bretagne

    par Angèle Paoli

    Joël Bastard, Une cuisine en Bretagne,
    éditions LansKine, 2016.



    Lecture d’Angèle Paoli




    « LES GRANDES ÉOLIENNES »



    « Agrandir les fenêtres », agrandir l’espace. Agrandir. À l’étroit dans son enfance et dans ses souvenirs, à l’étroit dans la mort du père qui le ramène dans la langue étrangère de sa Bretagne originelle, à l’étroit entre les murs grisaille de la routine, Joël Bastard ne se sent vraiment bien qu’en compagnie de son stylo de ses carnets et des mots. C’est sur les pages de ses carnets qu’il déambule, entre des phrases incertaines, des paysages insaisissables, avec pour tout ancrage le décor tanguant et déteint d’un bar de village breton. Et une cuisine. Qui s’agrandit d’autres cuisines. Le temps d’écrire et de composer avec la nature morte un peu particulière d’Une cuisine en Bretagne. C’est donc là, au cœur de paysages blêmes de « biefs obscurs » et sans relief autre que celui de la difficulté à faire vivre une famille, au milieu de landes désertes habitées par les chicots des chalutiers, que prend souffle l’écriture de Joël Bastard. Une écriture qui draine par fragments la prose poétique de ce dernier recueil.

    Prose poétique et non poésie car, écrit Joël Bastard : « Il n’est pas question que la poésie frappe à ma porte, ni qu’elle m’inonde de lumière. Il n’est pas question que la poésie me réveille à l’aube ou me berce le soir. Avec elle, il n’est pas question. » Position paradoxale et inhabituelle sans doute qui ne peut s’expliquer que parce que Joël Bastard met la poésie très haut et se refuse à obéir à une forme d’imposture qui ferait de sa cuisine bretonne un lieu rêvé propice à l’embellissement et à l’exaltation. Sans doute aussi parce que la poésie, celle dont il rêve depuis toujours, demeure inaccessible. « La poésie est toujours devant », écrit-il, stylo en main. Sans doute encore parce que, pour Joël Bastard, la poésie est dans l’ordinaire des choses ou des hommes croisés au café du village. Nul besoin de fioritures. Nul besoin de convoquer des « canopées bruyantes d’oiseaux inconnus ». Seul compte le « tapis sans intérêt » sur lequel il pose les yeux. Et de confier quelques lignes plus bas : « Ce tapis m’adoucit, ne traversant que le silence. » Seuls comptent les hommes, les femmes et les chiens qu’il croise dans la rue et au comptoir. Ils sont pour lui un sujet d’étonnement discret, et le regard qu’il pose sur chacun est tendre et bienveillant, même si la misère se lit dans les gestes insipides et dans l’obscénité qui ronge le théâtre ordinaire du bistrot. Et puis, au milieu de ce grand vide, il y a la tourmente de Gaza : « trop d’innocents, véritablement innocents dans la bande de Gaza. La bande, comme si ce n’était pas un pays où grandissent des enfants… » Ailleurs, dans un autre fragment, le poète écrit : « Une seule détonation dans la chair humaine et la moindre fourmi a des allures de soldat dans un dessin d’enfant. »

    Le poète vagabond éprouve le besoin permanent de rassembler le peu qui affleure d’une vie faite de disparitions d’écueils de mésententes de malentendus et de presque misère. Le père est mort. Un père breton issu de ces terres gastes qui mènent la vie dure à leurs habitants. Avec la mort du père reviennent d’autres morts, celle de la mère notamment : « Aujourd’hui, c’est l’anniversaire du dernier souffle de ma mère ». Et, en filigrane, celle de l’auteur lui-même : « J’ai l’âge de la disparition de mon père et je marche vers le lieu de sa naissance. » Remontent aussi « les oripeaux d’enfance » et, avec eux, le souvenir des deux grands-mères, si différentes l’une de l’autre, la bretonne et la corse. À chacune son monde ses us ses façons d’accueillir l’enfant. « Avec ces deux manières d’être grand-mère, toutes les grands-mères de l’humanité ». Il y a aussi « l’oncle bienveillant » qui offre un stylo plume Waterman à l’enfant désireux d’écrire. À quoi donc cela tient-il, l’écriture ?

    Tout cela est bel et bien mort et il en reste si peu de choses. Seuls les carnets, alors, pour conjurer le vide qui partout encercle et gagne. Croquer ici et là les portraits de ceux et celles que l’on rencontre, noter les « pensées aléatoires » terrifiantes qui embrument le cerveau ; consigner les citations rencontrées au cours des lectures. Les mots, toujours les mots. Ceux des autres et les siens propres. Et, au-delà, renouer avec « l’origine du silence avant les mots ». Mais en attendant de retrouver cette origine, il faut accepter les mots, les écouter les aligner à la queue leu leu, tels qu’ils se présentent, ou les agencer les uns aux autres. Parfois en une phrase unique qui rappelle l’aphorisme, parfois en paragraphes construits sur ces répétitions qui encadrent le paragraphe et l’enclosent dans un tout :

    « Pas d’arbres pour calmer mon inquiétude »

    « J’ai si peu de choses à donner »

    « Les yeux dans le pourrissement des épluchures »

    « Tant de villages et de villes se disputent en moi la durée d’une fenêtre ou d’un lit… »

    Répéter. Cela fait partie du travail de Joël Bastard. « J’écoute ma voix qui répète ce que je viens d’écrire. Celui qui écoute s’étonne de celui qui vient d’écrire et s’attendrit d’une certaine solitude. Il demande à l’autre de ne pas le laisser seul. Continuons donc à écrire. »

    Écrire est nécessité vitale. Pour combattre la solitude pour combattre l’attente. « J’attends. Je ne sais trop quoi. Pétri d’absence, j’attends. Un mot pour me délivrer de ce sens interdit. »

    Si méthode il y a, prendre des notes en constitue le socle. Mais cela demande aussi d’assumer les contradictions d’une semblable activité. Le met en évidence cet aveu :

    « Il y a quelque chose de réjouissant à prendre des notes. De terrifiant aussi de ne pas savoir où nous porteront ces notes. Pourtant nous savons bien que le monde se construit ainsi, au regard des pages précédentes. »

    Écrire alors et creuser. Revient sous la plume la métaphore de l’arbre. Qui plonge ses racines dans l’enfance. « J’avais planté un arbre comme celui-ci, il y a bien longtemps en Provence. Mal planté il n’a pas vécu. Il faut creuser profond en terre pour qu’une phrase s’élève, tienne debout et dure le temps de son paysage. »

    Les phrases sont là, certaines très belles, qui confirment le poète dans son travail.

    Écrire Une cuisine en Bretagne.

    Il faut attendre la fin d’un préambule (trente pages exactement), où se disent déjà tant de choses de ce qui compose le recueil, pour entrer dans la cuisine. Pour s’y installer. Aux côtés de Joël Bastard. C’est là, dans cette pièce, que se nouent, à mon sens, les plus belles pages de l’ouvrage, les plus fortes les plus denses. C’est là que l’écriture prend son envol. Envol ? Souffle plutôt. Ou Vagues. C’est là, « à la proue d’un navire figé dans le noir », qu’elle puise son énergie créatrice. Le poète choisit le navire. Et la proue. Il choisit aussi sa position – « assis de côté » (plusieurs fois répété). Le poète ? Celui qui écrit joue sur les pronoms personnels pour changer de perspective changer de point de vue ; pour faire jouer la distanciation. Pour « regarder au-delà de soi ». « J’écris, comme de loin… » ; « il écrit de côté… » ; « L’homme aux seins nus écrit de côté… ».

    La cuisine est le lit-clos de l’écriture. Clos sur la nuit clos sur le monde. Un ventre donc, puisque c’est un navire. Un antre qui protège. Avec vue sur cour malgré tout. Vue sur les toits, vue sur un jardin, eucalyptus et corneilles. Tout cela se saisit d’un seul coup d’œil, de l’autre côté de « la fenêtre fermée ». Le lecteur tourne la tête ; pour voir le jardin. Puis revient s’asseoir aux côtés de celui qui écrit. Il est cet ami silencieux qui suit des yeux les mouvements de la plume sur le papier. S’imprègne de son allant et de ses crissements. « Le bruit du stylo plume », semblable au « froissement unique d’une existence. »

    À l’intérieur donc, il y a la cuisine, il y a la table. Et, d’un fragment à l’autre, tout un travail sur la variation, répétitions et variantes. Tout un canevas de croquis, d’esquisses, conformes à l’esprit du carnet. Carnet de notes/carnet de croquis. « Sur la table de la cuisine encombrée de vaisselle et de papiers froissés ». Premier fragment. « Sur une table encombrée de farine, de verres vides, de moutarde et de pommes de terre […] Des feuilles griffonnées s’étalent sur sa droite… ». Second fragment. « Sur une table encombrée de papiers et de tasses, d’une poivrière, d’une pomme … ». Troisième fragment. D’autres variations se glissent à l’intérieur de chacune des natures mortes, qui jouent sur le passage du concret à l’abstrait.

    « J’aime voir l’encrier lourd de tous les possibles et que je sollicite avec humilité. Du moins j’essaie. »

    « Vers la fenêtre qui donne sur les toits d’autres feuilles griffonnées de présences fugitives. »

    « ce sera la première fois de sa vie qu’il utilisera la beauté indécise d’un point-virgule avec le désir d’un titre de livre aussi long que son contenu… »

    Le tressage se poursuit avec l’ensemble des motifs choisis par l’écrivain : fenêtre, eucalyptus, corneilles. L’écriture, elle, pousse : toujours devant. À la manière d’un Jack Kerouac tapant à la machine Sur la route… Et « sans regarder en arrière les feuilles qui s’accumulent sur la table de la cuisine ». D’autres métaphores viennent compléter les précédentes, qui tissent leurs liens avec forêts et oiseaux, page blanche et nid. Pour donner ce fragment magnifique de la cuisine qui, avec la tombée de la nuit, « s’assombrit », assombrissant dans le même temps « les objets utilitaires » de la nature morte en gros plan : « le bol, le couteau, le sachet de papier dans lequel le pain. » Et toujours ce regard bienveillant sur les choses :

    « Les couleurs sombres facilitent l’accueil de ce qui vient lentement s’engouffrer. Les derniers blancs tiennent encore un peu dans les yeux. »

    Ainsi, de cuisine en cuisine, se vit et se dit la nécessité impérieuse de l’écriture, celle qui détermine l’objet du livre et en donne la définition :

    « Donnez-moi du papier et un peu de lumière. Mes genoux feront l’affaire pour écrire dessus. Un morceau de ciel soufflera l’entier. Un seul souffle suffira pour dire l’humanité. »

    Le livre tire à sa fin. Le voyage de l’errant se délite en un fragment singulier qui nie tout ce qui précède. La Cuisine en Bretagne s’éloigne. Sans doute n’a-t-elle été qu’un rêve, le rêve nécessaire à l’écriture d’un passé dont il ne reste que le silence :

    « J’ai seulement regardé les grandes éoliennes tourner avec élégance sur les collines d’hier. »

    Telle est la phrase de conclusion de ce livre magnifique et bouleversant.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Une cuisine en Bretagne






    Joelbastard




    ■ Joël Bastard
    sur Terres de femmes

    [Assis à côté, à la proue d’un navire] (extrait d’Une cuisine en Bretagne)
    Bakofé
    Casaluna
    Chasseur de primes (lecture de Paul de Brancion)
    Le visage de Mah



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    le blog de Joël Bastard
    → (sur le site des éditions LansKine)
    la page de l’éditeur sur Une cuisine en Bretagne
    → (sur YouTube)
    une lecture musicale d’Une cuisine en Bretagne par Joël Bastard



    D.R. Texte angèlepaoli



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  • Joël Bastard | [Assis à côté, à la proue d’un navire]



    Kerouac-by-origa
    « Sur la route, nous écrivons tous en regardant devant »
    Jack Kerouac by Origa
    pen & ink + pantone, 15 × 15, 2008.
    Source








    [ASSIS À CÔTÉ, À LA PROUE D’UN NAVIRE…]




    Assis à côté, à la proue d’un navire figé dans le noir, j’écris, comme de loin, sur une table de cuisine encombrée de vaisselle et de papiers froissés. J’aime voir l’encrier lourd de tous les possibles et que je sollicite avec humilité. Du moins j’essaie.



    Il avance, son regard de côté. Immobile, il écrit de côté. Sur une table encombrée de farine, de verres vides, de moutarde et de pommes de terre. Là-dedans les outils de sa présence. Des feuilles griffonnées s’étalent sur sa droite. Vers la fenêtre fermée qui donne sur les toits d’autres feuilles griffonnées de présences fugitives.



    L’homme aux seins nus écrit de côté, dans une cuisine en Bretagne, sur une table encombrée de papiers et de tasses, d’une poivrière, d’une pomme ; ce sera la première fois de sa vie qu’il utilisera la beauté indécise d’un point-virgule avec le désir d’un titre de livre aussi long que son contenu. Un eucalyptus tremble par-delà la fenêtre dans un jardin, et des corneilles claquent leurs ailes sur les ardoises glissantes. Elles aiment aussi la bâche verte qui gonfle sur la prison où se croisent sans cesse des charpentiers courbés sur une scie qui brille.



    J’écoute ma voix qui répète ce que je viens d’écrire. Celui qui écoute s’étonne de celui qui vient d’écrire et s’attendrit d’une certaine solitude. Il demande à l’autre de ne pas le laisser seul. Continuons donc d’écrire.



    J’ai si peu de choses à donner. Un morceau de fer dans l’allée d’un parc. Une tâche de rouille sur un portail cadenassé. Une jetée qui plonge comme un chemin en forêt. Un vol d’étourneaux qui rabat le ciel entier dans la fourrure d’un arbre. Si peu de choses à donner. La gaieté d’un homme qui vient de perdre un ami. Si peu de choses à donner. L’espérance d’une femme. La neige qui tombe en ce moment dans tous nos jardins et l’eau inéluctable.



    J’écris vite, sans regarder en arrière les feuilles qui s’accumulent sur la table de la cuisine. J’écris en descendant la feuille, comme tout le monde. En réalité, lorsque nous écrivons, l’écriture est devant ! C’est ce qu’avait bien compris Jack Kerouac en tapant à la machine Sur la route, sur un unique rouleau de papier qui se déroulait, sur le sol, au-devant de son bureau. Sur la route, nous écrivons tous en regardant devant.



    Aussi cette peur de perdre le plus important d’aujourd’hui. Tant d’efforts pour ne pas perdre aujourd’hui.



    Joël Bastard, Une cuisine en Bretagne, Éditions LansKine, 2016, pp. 31-32.






    Une cuisine en Bretagne






    Joelbastard




    ■ Joël Bastard
    sur Terres de femmes

    Une cuisine en Bretagne (lecture d’AP)
    Bakofé
    Casaluna
    Chasseur de primes (lecture de Paul de Brancion)
    Le visage de Mah



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  • Joël Bastard, Chasseur de primes

    par Paul de Brancion

    Joël Bastard, Chasseur de primes, récit,
    Éditions La Passe du Vent, 2014.



    Lecture de Paul de Brancion






    Quelque chose de désabusé dans ce Chasseur de primes de Joël Bastard ! Récit sans concession, mais à cœur ouvert.

    Le poète, homme de lettres, passe une grande partie de sa vie à rechercher des engagements littéraires, résidences, ateliers d’écriture et autres interventions rémunérées pour vivre, puisqu’il a décidé de « faire métier des lettres ».

    « Au bout de la énième résidence […], on finit par se poser la question, mais qu’attend-t-on exactement d’un écrivain ? »

    Et Joël Bastard de se poser la question de ce que lui-même attend de sa propre écriture, puisqu’il est écrivain. La réponse ne vient pas d’elle-même. Elle se fait par le livre qui, lui, ne s’éteint pas comme un ordinateur, mais contient « le bruit, la ville, le travail des jours. » Il y a pour Joël Bastard une évidence du livre qui efface les autres priorités.

    D’abord être un « ouvrier de la langue ». L’écriture mène parfois au roman, le temps d’un ouvrage, mais « la poésie est l’écriture première, celle de l’évidence que l’on ne choisit pas. »

    Le poète est conduit par une sorte de fil d’acier inoxydable qui le pousse sans répit à continuer sa conversation « avec l’esprit du doute ». Clairement, chez Joël Bastard, douter n’est pas baisser les bras. Et même si, certains soirs de découragement, il se lasse ou bien s’agace d’être ce « résident nomade » qui campe dans des lieux au fond indifférents, il reprend sa cuisine instable, son métier sans fin de traversier qui pratique sans répit la « mise à prix de l’immatériel. »

    Cette réflexion est douloureuse en ce qu’elle nous rappelle la dure réalité du monde que beaucoup d’entre nous ont choisi de régler une bonne fois pour toutes en devenant doubles, en travaillant et en écrivant. Regardant de ce fait, avec des yeux envieux, agacés, duplices, les très rares d’entre ceux qui ne font qu’écrire, devenant « chasseurs de primes ».

    Ils ont tout à la fois notre respect envieux, voire jaloux, et notre mépris. Car ils se sont éloignés délibérément du monde du péché originel dans lequel nous nous débattons en argumentant qu’ainsi nous sommes reliés au monde. Nous participons de la vie réelle et autres balivernes. Alors que cela prouve seulement que nous ne réussissons pas à vivre de notre plume, et que nous ne le désirons pas, car ce serait aussi tomber dans cette déchéance que décrit avec courage Joël Bastard : la quête incessante du contrat de résidence. Quête qui porte aussi sur la qualité des disponibilités nécessaires à l’écriture.

    Il n’y a pas de bonne solution. Travailler parallèlement à l’écriture fatigue, perturbe, harasse, fait souffrir, même si cela peut aussi enrichir, dans tous les sens du terme. Ne pas travailler conduit inexorablement à courir le cachet ou à devenir apparatchik salarié de telle ou telle officine littéraire qui finira par vous bouffer le cœur et les neurones.

    Au fond, les seuls à qui la littérature ― de fait ― apporte statut social, pouvoir et salaire, ce sont les organisateurs, les directeurs des officines officielles des lettres, de divers organismes poétiques et des grands festivals, qui finissent par parvenir à se nourrir de nos errances.

    D’aucuns, évidemment, demeurent de véritables serviteurs de la poésie, d’autres finissent par considérer qu’ils ont des droits sur elle, qu’ils peuvent décréter, en leur haute sagacité, ce qui est et ce qui n’est pas valable. Oubliant l’infinie nécessité d’ouverture et de liberté qu’exige le fait poétique, qui ne se suffit jamais à lui-même, et qui ne saurait s’instaurer.

    La poésie est toujours insuffisante. C’est avec un zest de nostalgie et de remords pour les moments perdus à traquer la résidence ou la sollicitation poétique que Joël Bastard met les pieds dans la soupe. Sa façon est juste et lucide. Il continue sa conversation avec l’esprit du doute. Qu’il en soit remercié.



    Paul de Brancion
    D.R. Paul de Brancion
    pour Terres de femmes







    Joël Bastard, Chasseur de primes.jpg 2






    JOËL BASTARD


    Joelbastard





    ■ Joël Bastard
    sur Terres de femmes


    [Assis à côté, à la proue d’un navire] (extrait d’Une cuisine en Bretagne)
    Une cuisine en Bretagne (lecture d’AP)
    Bakofé
    Casaluna
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  • Joël Bastard, Bakofè

    «  Poésie d’un jour  »



    Bakofè 1





    Nous donnerons des pains de semoule au maître du fleuve. Au lamantin. Femme marine. À Ba Faro qui glisse dans les eaux profondes de Saman. Nous chanterons ses louanges Voici ta part et que chaque année tu nous donnes longévité… Mais moi, ce soir, je regarde le fleuve et j’espère cette sirène aux yeux indigo, femme marine l’indolente. J’espère toujours ces animaux qui existent à peine et qui dans le soir traînent leur mélancolie au beau milieu de nulle part comme un chant de kora, d’une corde tendue entre la lune et la terre et que l’on pince des doigts. Ba Faro i ni toye, san osan i k’an kènè to. Mère Faro voici ta part de repas garde-nous en bonne santé chaque année.


    Joël Bastard, Bakofè, Al Manar, Collection Poésie, 2009, page 16.



    Bakofè : « derrière le fleuve » en bambara. Ce poème a été écrit durant l’hivernage de 2005 à Ségou Koura au Mali (près de Ségou).
    Ba Faro : Esprit du Fleuve
    Saman : Territoire du Ba Faro






    Joelbastard




    ■ Joël Bastard
    sur Terres de femmes

    [Assis à côté, à la proue d’un navire] (extrait d’Une cuisine en Bretagne)
    Une cuisine en Bretagne (lecture d’AP)
    Casaluna
    Chasseur de primes (lecture de Paul de Brancion)
    Le visage de Mah



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Francopolis)
    Joël Bastard : Bakofè Poèmes, par Xavier Bordes (+ bibliographie)
    le blog de Joël Bastard



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  • Joël Bastard | Le visage de Mah

    «  Poésie d’un jour  »


    Derri-re nous s--teint le monde.
    Source






    Derrière nous s’éteint le monde. À la pointe du pied se fait le nouveau. À nouveau l’étincelle. La disparition est en marche, chargée d’images inertes. Algazelles et autres espérances animalières portées à bout de bras comme des linges abandonnés, tombants, nuques lâches ! À la pointe du verbe se fait la phrase qui s’avance. À la pointe du corps pour l’au-delà du corps. Derrière nous s’éteint le monde. S’éteint le verbe et s’éteignent les corps.



    À la pointe de l’encre,  du papier.  Une disparition chargée d’images inertes. Écrire encore. À la pointe. Être au temps de la pointe. Dans sa durée.




    Joël Bastard, Le visage de Mah in Bakofè, Al Manar, Collection Poésie, 2009, page 41.





    Joelbastard




    ■ Joël Bastard
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    Bakofé
    Casaluna
    Chasseur de primes (lecture de Paul de Brancion)



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  • Corse_3 Joël Bastard, Casaluna

    «  Poésie d’un jour  »



    La_riviere_3
    Ph., G.AdC





    Se tenir là. Sur cette rive. Pieds nus dans le silence des éboulis. Le long du lit mobile. La pente se tenant elle aussi sur la rivière. Se dressant dans le bleu excédé. Se retenant dans la chute  à  sa  propre disparition. Elle finira par se  laver de sa verticalité légendaire. Dans le mélange des chemins. Le retournement des fon-
    dations confidentielles. Les portes désolées. Elle finira dans le ventre éviscéré des truites noires. Dans l’accourse de cette langue glacée.


    Joël Bastard, Casaluna, poème, Éditions Gallimard, Collection blanche, 2007, page 18.







    Casaluna


    CASALUNA


    La rivière Casaluna prend naissance dans le flanc ouest du San Petrone en Corse et se jette vingt-sept kilomètres plus loin dans le Golo pour y rejoindre la mer.

    « J’ai longtemps cru que cette rivière était la mienne. J’aurais pu m’arrêter d’écrire là » (Joël Bastard).

    Pendant les deux mois qu’il a passé au Mali, au bord du fleuve, le poète Joël Bastard n’a cessé de penser à la Corse, à l’eau de la rivière et à l’eau du lavoir. Des images anciennes refluent, durablement inscrites dans la mémoire. Et qui jaillissent dans le poème comme des instantanés, à la manière des Chjami è rispondi de l’enfance. Seul le rythme change, qui est celui de l’alexandrin. La rivière, fil rouge qui conduit le poète, le guide, pendant deux années, dans une écriture chronologique et physiologique :

    « J’évolue avec ce que je suis en train d’écrire, j’avance, je marche avec mon écriture », déclare modestement Joël Bastard.

    A Ségou, les bibliothèques n’existent pas. Le poète écrit en marchant, page blanche et encre noire très concentrée. Il faut que le mot soit épais. Le livre s’écrit dans le flux de la lumière. Et la marche induit des manières différentes de penser et d’écrire. Poème creusé par l’absence, Casaluna est le « tombeau de la mère ». Mais au-delà de la part autobiographique, par son langage, Casaluna rejoint l’universel.





    Joel_bastard




    _____________________________
    [Notes prises le 14 décembre 2007, à la Bibliothèque Patrimoniale de Bastia, où Joël Bastard était venu présenter Casaluna. Invité par Jean-François Agostini, Joël Bastard avait retracé pour nous, en présence de Jacques Fusina, l’histoire de Casaluna. Une lecture dédiée à sa mère, Madeleine Emmanuelli, à la Castagniccia, au village de Corsoli, à la Corse. Et à Casaluna, la rivière de son enfance. A.P.]






    Joelbastard




    ■ Joël Bastard
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