Étiquette : Joëlle Gardes


  • Joëlle Gardes, L’Eau tremblante des saisons

    Joëlle Gardes, L’Eau tremblante des saisons,
    Éditions de L’Amandier,
    Collection Accents graves-accents aigus, 2012.



    Lecture de Françoise Donadieu


    Ocre romain  -  aller du concret à l'abstrait
    Ph., G.AdC







    « DANS LE SILENCE DES MOTS, NI LE SOLEIL, NI LA MORT »



         L’Eau tremblante des saisons, le très beau titre qui ouvre le deuxième recueil de poésie publié par Joëlle Gardes aux Éditions de l’Amandier, semble convoquer Verlaine et Apollinaire (musicalité du vers impair et de l’allitération en nasales, fluidité, mélancolie), et l’on s’attend à découvrir au fil des pages quelques « paysages intérieurs » reflétant la douleur de la « si pauvre âme ». Mais on comprend vite que cette image n’est pas l’expression d’un sentiment personnel (ou pas seulement), elle est métaphore de la vie, d’une idée de la vie. Une idée qu’il faut poursuivre à travers les poèmes, car une idée en poésie est labile ainsi que l’eau, reflets scintillants de la beauté du monde ou trompeuses illusions, des larmes peut-être, comme dans une des plus anciennes définitions du séjour d’ici-bas : celle de l’Ecclésiaste.

         Le premier poème propose le même usage de la métaphore Vie / Dentelle sale et le même rayonnement du sens (beauté, fragilité, vanité, amertume), mais développe auparavant le comparant dans une description précise et sensible : « Le rosier qui grimpe sur le mur de la citerne offre chaque jour de nouvelles roses d’un jaune tendre / Cachés dans leur cœur les cétoines rongent les pétales enroulés et filent une dentelle tachée de noir. » Il donne ainsi la clé de ce qui est pour moi l’opération poétique accomplie dans ce recueil : une opération d’abstraction. Extraire du réel la « quintessence », mais aussi aller du concret à l’abstrait, rendre l’expérience vécue impersonnelle, c’est-à-dire intelligible pour tous.

         Cette opération place Joëlle Gardes dans la grande tradition classique qui vise avant tout à dégager le général du particulier. L’emploi récurrent du nous, ou celui tout aussi fréquent de l’article générique l’enfant, l’adulte, la mère, l’aimé, y contribuent et mieux encore ces maximes, brèves ou plus longues, mais toutes ciselées par un patient travail pour rendre à la langue la force de sa saveur ancienne. Ce travail qui, d’après l’auteur, « est » véritablement le style. En ce domaine encore, elle retrouve l’esprit du Grand Siècle, celui de La Rochefoucauld ou de La Bruyère. On peut citer cet aphorisme d’une simplicité dense et parfaite, poli comme un scarabée de cœur égyptien, dans lequel l’apparent paradoxe s’éclaire si l’on retrouve l’étymologie du mot « offense » : « la bonté elle-même est une offense ».

         L’ambition d’une telle pratique poétique est bien de rendre compte de l’homme éternel, de la condition humaine abstraite des conditions historiques, dans l’entrelacement de thèmes qui furent ceux de la littérature du XVIIe siècle : la recherche de la vérité (À quelle aune mesurer la vérité ?), la dérision de la comédie humaine (« tous acteurs dans des pièces mal écrites dont ils inventent l’intrigue jour après jour ») et la présence de la mort comme rappel incessant de notre inanité : « Seule la fin leur est connue d’avance. » Le Temps est, le titre l’indique, le vrai sujet de cette méditation sur la vie : le concept du temps humain, chronologique, mécanique, implacable, fournit la structure profonde du recueil en s’opposant au motif récurrent des saisons ; c’est ainsi que la poésie de la nature prend valeur d’allégorie, dans le contexte d’une tradition qui remonte aux Psaumes, reprise par Bossuet et retrouvée dans ces poèmes au détour de certaines phrases : « Les papillons qui flottaient dans la lumière ne sont plus que des insectes épinglés prêts à s’effriter. »

         Ce recueil est donc celui des Vanités, vanités renoncées dans un exercice spirituel constant, vie comme vanité, vide, insignifiance, tableaux à l’imitation de ces vanités qui dessinaient avec une précision impeccable les beautés du monde en leur juxtaposant un crâne humain. L’esthétique et la morale s’y confondent parfaitement : pour preuve, la représentation de cette vertu si rare, la lucidité, dans l’image répétée de la lumière, celle du Midi, tranchante, cruelle parfois. Comme chez Racine, le tragique est éblouissant, et l’on peut penser que tout l’effort du poète est de regarder en face ce qui ne se peut, de réussir ce qui n’advenait pas : « Dans le silence des mots : ni le soleil ni la mort… »

         Cependant, de « cet art de pudeur et de modestie », définition du classicisme selon Gide, naît une émotion poignante, bouleversante quand surgissent les forces du désordre, le je qui ne peut plus se taire (« j’efface rageusement les coulées les taches le rouge violent de la bouche sur le visage où le temps a déposé son masque / masque de la peur / de la vie »), le réalisme cru de la souffrance subie dans la maladie (« L’esprit flotte au-dessus du corps / la goutte qui tombe dans les veines scande un temps de passivité et d’attente / un temps inhumain »), mais aussi le bonheur aigu d’être en vie, la jouissance sensuelle de la vie : « bain dans la mer glacée des lendemains de mistral / quand l’eau tiède est repoussée au large et que les sources froides affleurent à la surface / frisson délicieux indécision entre plaisir et déplaisir. » Alors le lyrisme personnel l’emporte et s’élève le chant élégiaque : une élégie sans complaisance, sans pathétique, dans la tonalité des Élégies de Duino, dans leur dimension métaphysique, panthéiste. « Dorénavant je prierai les divinités des vagues avant d’entrer dans la mer, je jetterai le sel par-dessus mon épaule gauche et verserai le lait sur le seuil de ma maison, / sans culpabilité ni crainte, / dans la sérénité de ceux qui ont renoué l’alliance avec les choses. »

         Bien que maîtrisée et retenue, l’angoisse contemporaine face à un monde sans rédemption sourd de L’Eau tremblante des saisons. Angoisse à laquelle Joëlle Gardes apporte sa réponse personnelle : celle d’une quête inlassable du dépouillement et de la disponibilité au monde, qui permet de parfois ressentir l’apaisement par l’acceptation de l’infinie patience humaine.

         L’écriture classique de Joëlle Gardes pourrait être définie par les mots que l’un des plus grands peintres contemporains appliquait à son œuvre : « le bruit caché dans le silence, le mouvement dans l’immobilité, la vie dans l’inanimé, l’infini dans le fini, des formes dans le vide et moi-même dans l’anonymat » (Joan Miró).



    Françoise Donadieu
    D.R. Texte Françoise Donadieu
    pour Terres de femmes (juillet 2012)





    JOËLLE GARDES


    Jolle_gardes_2
    Source



    ■ Joëlle Gardes
    sur Terres de femmes

    [Matinée de printemps précoce](extrait de L’Eau tremblante des saisons)
    « Les arcanes subtils d’une relation triangulaire » (La Mort dans nos poumons) [note de lecture + bibliographie]
    Dans le silence des mots, poésie (note de lecture)
    Et si la profondeur n’était que… (extrait de Dans le silence des mots)
    Jardin sous le givre (note de lecture + extrait)
    [Le regard tourné vers l’intérieur ou l’ailleurs] (extrait de La Lumière la même)
    Méditations de lieux (note de lecture)
    Ostinato e chiaroscuro (Ruines) [note de lecture + extrait]
    Jardins de toute sorte (extrait de Sous le lichen du temps)
    [Tota mulier in utero] (extrait d’Histoires de Femmes)
    31 mai 1887 | Naissance de Saint-John Perse (Joëlle Gardes, Saint John-Perse, Les rivages de l’exil, biographie)
    Trentième anniversaire de la mort de Saint-John Perse/20 septembre 1975 (chronique de Joëlle Gardes)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Hôpital



    ■ Voir aussi ▼

    le site de Joëlle Gardes






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  • Joëlle Gardes | [Matinée de printemps précoce]



    - Un banc de mouettes traverse le ciel-  dessin de Hugo Pratt
    Dessin de Hugo Pratt






    [MATINÉE DE PRINTEMPS PRÉCOCE]



    Matinée de printemps précoce
    Îles bleutées estompées dans la brume
    Sous l’aplomb du soleil déjà chaud la mer frémit
    en plis d’argent
    Un banc de mouettes traverse le ciel


    Si je ferme à demi les paupières le contour des
    îles s’atténuera encore et le bleu m’absorbera
    Je flotterai sur la transparence de l’air les angles
    vifs des êtres et des choses ne me blesseront plus
    je rejoindrai les mouettes criardes
    les plis d’argent
    les îles douces


    J’oublierai mon nom et mon visage dans le temps
    d’avant la naissance




    Joëlle Gardes, « Saisons », L’Eau tremblante des saisons, Éditions de l’Amandier, Collection Accents graves-accents aigus, 2012, page 65.






    JOËLLE GARDES


    Jolle_gardes_2
    Source



    ■ Joëlle Gardes
    sur Terres de femmes

    L’Eau tremblante des saisons (lecture de Françoise Donadieu)
    « Les arcanes subtils d’une relation triangulaire » (La Mort dans nos poumons) [note de lecture + bibliographie]
    Dans le silence des mots, poésie (note de lecture)
    Et si la profondeur n’était que… (extrait de Dans le silence des mots)
    Jardin sous le givre (note de lecture + extrait)
    [Le regard tourné vers l’intérieur ou l’ailleurs] (extrait de La Lumière la même)
    Méditations de lieux (note de lecture)
    Ostinato e chiaroscuro (Ruines) [note de lecture + extrait]
    Jardins de toute sorte (extrait de Sous le lichen du temps)
    [Tota mulier in utero] (extrait d’Histoires de Femmes)
    31 mai 1887 | Naissance de Saint-John Perse (Joëlle Gardes, Saint John-Perse, Les rivages de l’exil, biographie)[note de lecture]
    Trentième anniversaire de la mort de Saint-John Perse | 20 septembre 1975 (chronique de Joëlle Gardes)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Hôpital



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    → (sur Terres de femmes)
    7 mai 1748 | Naissance d’Olympe de Gouges (note de lecture sur Joëlle Gardes, Olympe de Gouges, Une vie comme un roman)






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  • Exposition Par-delà les murs à Aix-en-Provence




    Joëlle Gardes et Terres de femmes


    Gardes expo



    Fondation Saint-John Perse
    Cité du Livre
    du 11 juin au 23 octobre 2010

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  • Méditations de lieux. De l’art comme exercice spirituel

    Adrienne Arth, Claude Ber, Joëlle Gardes, Méditations de lieux,
    Éditions de l’Amandier, mai 2010. Photographies d’Adrienne Arth.


    Lecture d’Angèle Paoli




    DIEU ABSENT, QUE VALENT NOS ŒUVRES FACE À LA MORT ?





    ARTH 1 QUA





    Paradoxe de notre temps, le monastère de Saorge continue d’inciter au recueillement et à la méditation. Mais les pratiques qui conduisaient jadis à Dieu mènent aujourd’hui à d’autres chemins. Les chemins de la création et de l’art. Dans un lieu pareillement chargé d’histoire et de spiritualité, il est assez aisé d’imaginer comment se livrer, chacun pour soi, chacun à son rythme, dans le silence, aux « exercices spirituels » qui président à la création. Réfléchir, sur sa propre vie et sur l’inéluctable bornage de la mort, sur les choix qui jalonnent notre existence, s’interroger, prendre le temps de mesurer l’incessant dialogue entre le dedans et le dehors, celui de regarder, d’ouvrir les yeux. Marcher et noter. Patiemment. Au jour le jour. Ainsi procédait jadis Ignace de Loyola dont les Exercices spirituels demeurent à la fois un modèle et un guide. Ainsi procèdent aujourd’hui les artistes, invités en résidence au monastère de Saorge.


    Elles sont trois, cet été-là, à travailler, à méditer, à réfléchir. De ce temps passé à écouter sourdre les voix intérieures, à les laisser monter à la rencontre de voix autres, plus anciennes, de ce temps passé à composer, à écrire et à créer dans la solitude de la cellule, est né le temps de l’échange et du partage. Un partage à trois voix. Qui s’harmonise dans l’ouvrage Méditations de lieux. À travers mots et photographies, trois voix de femmes se rejoignent pour dire l’expérience méditative de Saorge. Joëlle Gardes, Claude Ber, Adrienne Arth. Une comédienne-photographe, deux écrivains et poètes.


    Dans Sentes et clôture, Joëlle Gardes pose d’emblée la question qui la taraude : « Est-ce cela la vie ? » Question qui vaut pour l’écrivain comme autrefois, pour le « dernier prieur ». Communauté d’élan. Communauté de doute ? « Écrire à désir perdu ? Prier Dieu à genoux sur la dalle ? »

    Joëlle Gardes choisit d’écrire, « même si les voix qui débordent sont un torrent effrayant ». Écrire dans le silence de la cellule. Accrocher l’écriture au « spectacle incongru » de Saorge. Noter la vie qui continue apparemment identique ― mais peut-être figée ― dans les vieilles pierres du village, dans le chant clair de la fontaine ou derrière les façades austères. Noter ce qui subsiste, dont l’essentiel n’est plus, qui donnait sens autrefois à la vie.

    « La vie comme le lavoir désormais sans emploi ». Et au-delà encore, au-delà des violences infligées aux hommes par d’autres hommes, au-delà des souffrances qui perdurent face à la mort qui guette chacun de nous, de retour au monde clos de la cellule, dialoguer avec le « Poverello » d’Assise, dont les fresques racontent la véritable richesse de la pauvreté. De ce dialogue intemporel avec saint François naît ce début de compassion de l’écrivain pour elle-même et sa joie à s’adonner enfin ― sans résistance et sans reproche ― à l’écriture.

    Interrogation sur le cheminement intérieur, ce très beau texte de Joëlle Gardes, texte d’une extrême douceur, a inspiré à Adrienne Arth les photos du lavoir et de la fontaine, arrondis caressants de la pierre, murs délavés par le temps, tremblé des eaux et des couleurs.

    « Un lavoir ocre jaune à l’eau vert tendre. Une eau plate aux reflets fixes. À peine quelques ondulations à la surface. Un miroir étrange où les couleurs des pierres se transforment jusqu’à l’irréalité » écrit la photographe dans « Déambulation » in Déambulation, stations, chemin.


    D’une tout autre essence est la grande prose poétique de Claude Ber. Pareil pour tous. Illimitée et intarissable. La contemplation du vol de l’épervier lève « la résistance à explorer » les « épreuves » et le filet lancé à la pêche des mots remonte, abondante moisson, poissonneuse moisson. Que faire, pourtant, de toute cette « limaille » qui s’aimante et « houle » aux pentes de Saorge ? Peut-être rien. Tout juste des « fagots de mots ». Mais « les fagots de mots » organisent leur résistance. Dûment classés, répertoriés, numérotés dans un carnet, ils font soudain lever le monde du passé. Et se dire et crier la révolte intacte d’aujourd’hui. « Tout en moi récuse et refuse ». Seul le vol d’un papillon noir vient distraire l’esprit de « son emballement ».

    Un souffle puissant de poésie et de violence anime Pareil pour tous, vaste fresque personnelle qui livre la part belle à l’enfant et aux figures tutélaires qui ont présidé à son bonheur. Car l’enfance fut heureuse ― et seulement l’enfance ― de celle qui tressait déjà entre elles les images de la mer aux images des montagnes :

    « Les deux lieux fusionnaient dans un paysage mental fait de montagnes moutonnant en vagues, de vagues hérissant leurs falaises, de mer déferlant en houles d’herbe et de crêtes rocheuses surgissant des ressacs. Entre les deux, comme un tissu invisible qui les rassemblait, soufflait ce même vent qui, à l’instant où je le nomme, emporte mon papier et penche les feuilles du figuier en mains ouvertes vers la fenêtre. »

    L’abondance métaphorique et sensuelle des mots redonne vie, ici, momentanément, à toutes les morts qui peuplent la mémoire du vivant, les recompose dans le damier des jours, les relève dans leur histoire. Le temps d’une écriture qui déferle hors les murs de la claustration monastique.

    « Il y en a trop de tous ces morts anonymes d’ici, attendant que je déterre leur histoire, poussières qu’ils sont dans les cimetières perchés des villages de l’arrière-pays comme pharaons dans la vallée des rois. Et ils me veulent ce dire tenace. Entêtés à exister avec une obstination, que je tiens d’eux, de tous ces enterrés. »

    Mais toujours demeure la conscience aigüe de l’impuissance à déjouer la cruauté des hommes ; et toujours demeure l’obstination de l’artiste ― en quête d’éternité ― à poursuivre en aveugle son chemin têtu de création :

    « Nous pouvons à peine sur nous-mêmes et si peu pour quiconque que nos savoirs et nos œuvres semblent parfois une ironie cruelle, une parodie d’éternité inaccessible, une miette d’aumône à des infirmes. Et pourtant vont les doigts aux cordes de l’instrument, s’ouvre la bouche sous la poussée du souffle, court le crayon jusqu’à la crampe sur la feuille. »

    Et toujours ressurgit la question justement obsédante :

    « N’y aurait-il d’autres raisons de survivre qu’une aveugle volonté d’exister ? »





    Méditations de lieux, page 46





    À la quête de vérité de Claude Ber, Adrienne Arth répond par des lunules de lumière, voûtes inversées qui se mirent dans le vert des fontaines et dans des eaux intemporelles, eaux auréolées de mauves où gisent, disséminées, d’étranges pierres.

    Les vagabondages à travers les ruelles de Saorge ou au contraire, les moments passés à contempler les œuvres monastiques inspirent à Adrienne Arth un texte en trois temps : Déambulation, stations, chemin.

    Tout en observant les villageois à la dérobée ― « l’œil caché par l’objectif » ―, la photographe s’interroge sur elle-même : « Photographier est la manière dont je vois et par où je me vois. Là, je me suis visible sans me heurter à moi-même. Je peux m’éviter et, m’évitant, voir. » Dans le même temps, renouant avec la « masse informe et noire qui vivait » en elle, l’artiste libère « la violence enfermée là, dans l’enfance, prise dans l’étau d’une mémoire vidée de tout souvenir ».

    Du regard focal porté sur les objets ― formes, couleurs, lumière ― qui composent l’univers monastique de Saorge, la photographe rapporte des « stations ». Douze fragments jalonnent ce parcours où se tisse entre profane et sacré tout un réseau de réflexions. Qui ouvre sur le dernier texte, intitulé « chemin ».

    Du chemin qui grimpe vers la montagne au chemin de la mort et à celui, intermédiaire, de la vie, il n’y a que quelques pas. La vie et la mort de nos semblables ne ramènent-elles pas chacun d’entre nous à sa juste mesure et à sa propre disparition ?


    Des frères franciscains qui ont mis à Saorge leur vie dans la vie de saint François, il ne reste que quelques dalles bordées de noir. Anonymes. Signes de leur immense modestie et de leur effacement. De leur passage au monastère de Saorge, les trois artistes ont rapporté un livre à trois voix. Méditations de lieux. D’où émerge, comme feutrée, la question de Saorge : Dieu absent, que valent nos œuvres face à la mort ?


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    ■ Claude Ber
    sur Terres de femmes

    le miel à la bouche (anthologie poétique Terres de femmes)
    une note critique sur La mort n’est jamais comme de Claude Ber
    Je dis mer (extrait de La mort n’est jamais comme)
    Sinon la transparence (extrait du recueil Sinon la transparence)
    Vues de vaches (note de lecture)
    Claude Ber, Pierre Dubrunquez, L’Inachevé de soi (note de lecture)



    ■ Joëlle Gardes
    sur Terres de femmes

    « Les arcanes subtils d’une relation triangulaire » (La Mort dans nos poumons) [note de lecture d’AP + bibliographie]
    Dans le silence des mots, poésie (note de lecture)
    Et si la profondeur n’était que… (extrait de Dans le silence des mots)
    Jardin sous le givre (note de lecture d’AP + extrait)
    [Matinée de printemps précoce](extrait de L’Eau tremblante des saisons)
    [Le regard tourné vers l’intérieur ou l’ailleurs] (extrait de La Lumière la même)
    Louise Colet Du sang, de la bile, de l’encre et du malheur (note de lecture d’AP)
    Ostinato e chiaroscuro (Ruines) [note de lecture d’AP + extrait]
    31 mai 1887 | Naissance de Saint-John Perse (Joëlle Gardes, Saint John-Perse, Les rivages de l’exil, biographie)[note de lecture d’AP]
    Trentième anniversaire de la mort de Saint-John Perse | 20 septembre 1975 (chronique de Joëlle Gardes)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Hôpital




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  • Giorgio Cittadini | Il silenzio

    Cittadini
    Ph. angèlepaoli





    IL SILENZIO


    V’è nel silenzio oggi, Dibì,
    l’eco di antichi palpiti
    terso come il vibrare di siringi.
    Il cuore ne è toccato e già sussulta
    nei labirinti del sogno.
    La tua saggezza m’è presente
    ed io ne ho sigillato ogni parola.
    Ma nel silenzio dolcemente franto
    si stagliano i tuoi occhi,
    il tuo volto s’accende
    d’una fiamma tagliente,
    s’apre e chiude all’istante ogni tua fibra.
    Sale imperiosa la speranza:
    possa tu saldamente un giorno
    cogliere nell’incavo della fronte
    quel punto che dà luce, luce, e ancora luce.


    Giorgio Cittadini, Lettere a Dibì. Texte inédit.





    LE SILENCE


    Aujourd’hui, Dibi, le silence bruit
    d’un écho de frémissements antiques
    clair comme la vibration des syrinx.
    Le cœur en est ému et tressaille déjà
    dans les labyrinthes du songe.
    Ta sagesse est présente en moi
    j’en ai scellé chaque parole.
    Mais dans le silence doucement rompu
    se détachent tes yeux
    ton visage s’illumine
    d’une flamme vive
    et en un instant s’ouvre et se ferme chacune des fibres de ton être.
    Impérieuse surgit l’espérance :
    le jour puisse-t-il venir où tu retiendras
    au creux de ton front
    ce point qui donne la lumière, la lumière, et encore la lumière.


    Giorgio Cittadini, Lettere a Dibì. Traduction inédite de Joëlle Gardes.





    NOTICE BIO-BIBLIOGRAPHIQUE (établie par Joëlle Gardes)



    Cittadini 2
    Ph. D.R.



        Giorgio Cittadini est né à Palerme. Après des études de médecine et de chirurgie, il s’est spécialisé en radiologie et a occupé jusqu’à une date récente la chaire de radiologie à l’université de Gênes. Il a publié de nombreux articles et ouvrages dans le domaine de l’imagerie médicale.
        C’est en 1985 qu’il publie son premier recueil de poèmes La gioia di cercare (ECIG, Genova), suivi en 1988 de Il pensiero del coccio (ECIG, Genova). En 1988, il publie également La morte di Mirsilo (Sellerio Editore, Palermo), qui obtient en 1989 le prix Rhegium Julii, un des prix de poésie les plus importants d’Italie. Le monde antique, comme dans Il pensiero di Ulisse (suite dont la traduction par Joëlle Gardes a été publiée en janvier 2009 par La Revue des Archers), est très présent dans son œuvre. C’est à partir du passé et de la mémoire qu’il affronte le monde contemporain. Il travaille actuellement à un recueil, Residui di tuono, dont l’inspiration est liée à la musique, art auquel il est très sensible (il pratique d’ailleurs assidûment la clarinette).
         Sa poésie se nourrit aussi de poètes modernes et contemporains, parmi lesquels Saint-John Perse, dont il a traduit plusieurs poèmes, en particulier Anabase (ECIG, Genova, 2000). Il est également l’auteur d’un roman, Ariele e dopo (ECIG, 1999), où est sensible l’influence d’Ulysse de James Joyce.
         Le Lettere a Dibì sont inédites.

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  • Joëlle Gardes | Hôpital



    Une parenth-se s-est ouverte dans la vie ordinaire
    Ph., G.AdC






    HÔPITAL



    Il flotte une odeur de désinfectant de tristesse et d’espoir meurtri
    des voix s’élèvent dans les couloirs sans briser le silence
    un tunnel de lumière blafarde aspire celui qui est couché sur le lit aux montants métalliques

    Une parenthèse s’est ouverte dans la vie ordinaire dont on ne sait quand elle se refermera
    si elle se refermera

    L’esprit flotte au-dessus du corps
    la goutte qui tombe dans les veines scande un temps de passivité et d’attente
    un temps inhumain

    Et puis il y a la nuit
    la pensée s’affole tourne et retourne sur une même note d’angoisse
    des lumières tremblent au loin derrière la vitre sale
    des phares traversent un espace auquel on n’a pas droit auquel on s’interdit superstitieusement de penser qu’on aura droit à nouveau
    parce qu’on est nu
    qu’on a déposé les armes du maquillage et du vêtement de ville
    parce qu’on se confond avec un numéro de chambre ou le nom d’une maladie

    Et puis il y a la nuit fangeuse à traverser et l’on atteint épuisé la rive
    bruits de chariots
    odeur de café insipide
    ersatz de vie

    Ni les êtres qui lui sont le plus chers
    ni les projets auxquels il croyait tenir ne rattachent le malade au monde
    Il dérive au rythme lent du liquide qui s’écoule dans les tuyaux
    Demain ne sera plus jamais un autre jour mais le même encore moins lumineux et plus vacillant

    Et soudain elle pense au bain matinal l’été quand les tourterelles roucoulent dans les pins et que les mouettes tournent en piaillant au-dessus du bateau de pêche qui rentre au port
    elle pense à la chaleur des galets aux cris des enfants qui s’éclaboussent
    au goût de sel sur la peau
    et demain lui paraît lointain mais autre et elle sent le fil qui la rattache au monde.



    Joëlle Gardes
    D.R. Texte inédit
    Joëlle Gardes/Terres de femmes






    JOËLLE GARDES

    Jolle_gardes_2
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    ■ Joëlle Gardes
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    L’Eau tremblante des saisons (lecture de Françoise Donadieu)
    Louise Colet Du sang, de la bile, de l’encre et du malheur (note de lecture d’AP)
    [Matinée de printemps précoce](extrait de L’Eau tremblante des saisons)
    Méditations de lieux (note de lecture d’AP)
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    [Tota mulier in utero] (extrait d’Histoires de Femmes)
    31 mai 1887 | Naissance de Saint-John Perse (Joëlle Gardes, Saint John-Perse, Les rivages de l’exil, biographie)
    Trentième anniversaire de la mort de Saint-John Perse/20 septembre 1975 (chronique de Joëlle Gardes)



    ■ Voir aussi ▼

    le site de Joëlle Gardes
    → (sur Terres de femmes)
    7 mai 1748 | Naissance d’Olympe de Gouges (note de lecture sur Joëlle Gardes, Olympe de Gouges, Une vie comme un roman)



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  • Joëlle Gardes | Et si la profondeur n’était que…

    «  Poésie d’un jour  »



    Lcorce_de_larbre
    Ph., G.AdC







    ET SI LA PROFONDEUR N’ÉTAIT QUE…


    Et si la profondeur n’était que la surface au bout des doigts et de la langue
    dans le contact de la main avec l’écorce de l’arbre et la peau qui se réchauffe contre le mur ?

    La voix intime n’est qu’un écho la phrase qui naît sur la page a pris sa source au loin et se gonfle de toutes les paroles du monde

    Ni souffle venu des abîmes du songe ou du divin
    ni envol sur les ailes du sublime
    mais le contact de la main avec le tronc rugueux et la chaleur de la pierre au soleil
    les livres appris par cœur les mots chuchotés

    La main attrape un papillon et se couvre de sa poussière dorée


    Joëlle Gardes, Dans le silence des mots, Éditions de l’Amandier, 2008, page 36.






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    Ph., G.AdC






    JOËLLE GARDES


    Jolle_gardes_2
    Source



    ■ Joëlle Gardes
    sur Terres de femmes

    « Les arcanes subtils d’une relation triangulaire » (La Mort dans nos poumons) [note de lecture d’AP + bibliographie]
    Dans le silence des mots, poésie (note de lecture d’AP)
    Jardin sous le givre (note de lecture + extrait)
    L’Eau tremblante des saisons (lecture de Françoise Donadieu)
    Louise Colet Du sang, de la bile, de l’encre et du malheur (note de lecture d’AP)
    [Matinée de printemps précoce](extrait de L’Eau tremblante des saisons)
    [Le regard tourné vers l’intérieur ou l’ailleurs] (extrait de La Lumière la même)
    Méditations de lieux (note de lecture d’AP)
    Ostinato e chiaroscuro (Ruines) [note de lecture d’AP + extrait]
    Jardins de toute sorte (extrait de Sous le lichen du temps)
    [Tota mulier in utero] (extrait d’Histoires de Femmes)
    31 mai 1887 | Naissance de Saint-John Perse (Joëlle Gardes, Saint John-Perse, Les rivages de l’exil, biographie)
    Trentième anniversaire de la mort de Saint-John Perse/20 septembre 1975 (chronique de Joëlle Gardes)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Hôpital



    ■ Voir aussi ▼

    le site de Joëlle Gardes
    → (sur Terres de femmes)
    7 mai 1748 | Naissance d’Olympe de Gouges (note de lecture sur Joëlle Gardes, Olympe de Gouges, Une vie comme un roman)





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  • Joëlle Gardes, Dans le silence des mots

    Joëlle Gardes, Dans le silence des mots, Poésie,
    Collection Accents graves/Accents aigus,
    Éditions de l’Amandier, 2008.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Deux_volets_latraux_
    Ph., G.AdC






    TOUT RESTE À DIRE


        C’est sans doute dans la scansion du recueil, au plus secret de son rythme intérieur, que se lit la beauté sobre de la poésie de Joëlle Gardes. Triptyque, Dans le silence des mots combine sans rupture, poétique de la prose et poésie dans une même tonalité, une même unité de langage et de sens. Mélancolique et chaude, une même voix scande les affleurements de la souffrance, sur la crête des vagues et du temps.

        Au centre du recueil, Paysages intimes ― errances / vagabondages en « des scènes désertes où nous n’avons pas de rôle à jouer » ― cède « au vent qui rend fou » le soin « de dire la fureur cachée /de réveiller ceux qui se défont dans la tendresse des choses ». La voix qui parle, voix lucide et triste, s’attache à faire surgir « sous le sourire la pluie des larmes ». Et à dire, derrière les décors de pierre rose et d’oliviers ― « éclats de vie » et de couleurs ―, la vacuité d’un présent sans attache.

        De part et d’autre du panneau central, deux volets latéraux : Dans le silence des mots et Le soleil ni la mort. C’est dans le premier volet que se dit le plus explicitement l’importance accordée au rythme. Et à la scansion. La scansion « classique » du vers sert d’assise architectonique à l’organisation du recueil. Sept textes intitulés « scansion » jalonnent Dans le silence des mots et alternent avec les poèmes numérotés ― de 1 à 5 / de 1 à 3 / de 1 à 4. Et l’on progresse, sans tension ni rupture, du désir exprimé d’effacement de toute émotion (« dans le silence des mots ») à la peur du « silence éternel », du bonheur passé dans l’insouciance et dans le rire au « désespoir inconsolable » d’une femme meurtrie, livrée à l’abandon. Et l’on progresse jusqu’au « tout reste à dire » qui scelle l’agonie.

        Pourtant, tout au long des poèmes, quelque chose filtre de cette émotion qui résiste à se dire. Une émotion gémelle, celle de la lectrice que je suis, gagne en force le silence des mots qui résistent ou se trompent. Disparaissent sous le poids des clichés qui figent ou celui de l’oubli qui efface. « L’écriture est sans empreinte », dit la voix. Elle est pourtant la seule issue. « Jour après jour l’écriture dessine la seule continuité/la seule nécessité. »

        Le deuxième volet du triptyque, Le soleil ni la mort, est construit selon le même principe (informulé) de scansion. Une scansion, silencieuse, soumise à la bienheureuse fusion des contraires. Scansion en creux, intériorisée. Un diminuando qui tend à l’effacement. Soleil et mort mêlent uniment leur voix. L’inconsolable, celle que jadis l’odeur du pin ou le claquement du volet suffisaient à apaiser, s’étonne un matin du « grand vide que le monde ne demande qu’à remplir ».

        « Le temps est entré en elle et c’est déjà celui de la mort ».


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Dans_le_silence_des_mots_bis






    JOËLLE GARDES


    Jolle_gardes_2
    Source



    ■ Joëlle Gardes
    sur Terres de femmes

    « Les arcanes subtils d’une relation triangulaire » (La Mort dans nos poumons) [note de lecture d’AP + bibliographie]
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    [Le regard tourné vers l’intérieur ou l’ailleurs] (extrait de La Lumière la même)
    Méditations de lieux (note de lecture)
    Ostinato e chiaroscuro (Ruines) [note de lecture d’AP + extrait]
    [Tota mulier in utero] (extrait d’Histoires de Femmes)
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    7 mai 1748 | Naissance d’Olympe de Gouges (note de lecture sur Joëlle Gardes, Olympe de Gouges, Une vie comme un roman)






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  • 7 mai 1748 | Naissance d’Olympe de Gouges

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 7 mai 1748 naît à Montauban Olympe de Gouges, de son vrai nom Marie Gouze.







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    Source






    COMME UN HOMME , ELLE MEURT SUR L’ÉCHAFAUD !



         Fille adultérine d’Anne-Olympe Mouisset — épouse de Pierre Gouze, boucher de son état — et de Jean-Jacques Lefranc de Caix, marquis de Pompignan, avocat général et homme de lettres, Olympe de Gouges est dramaturge. Auteur de nombreuses pièces d’un théâtre que l’on pourrait dire « engagé », elle est également l’auteur de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, rédigée en 1791. Olympe de Gouges y « clame haut et fort que les hommes et les femmes, les petits et les grands, elle-même et ses frères et sœurs sont égaux. Audacieusement, elle fait remarquer à la reine à qui elle dédie sa déclaration que c’est « le hasard » qui l’ »a élevée à une place éminente » ». Quant à l’article VI de la Déclaration, il « déclare que les seules distinctions administratives entre les citoyennes et les citoyens sont « celles de leurs vertus et de leurs talents » ».
        Accusée par le tribunal révolutionnaire d’avoir défendu Louis XVI et d’avoir rédigé des écrits « attentatoires à la souveraineté du peuple », Olympe de Gouges est traînée en justice puis de là en prison. Elle meurt sur l’échafaud le 3 novembre 1793, quelques semaines après Marie-Antoinette (16 octobre) et quelques jours à peine avant Madame Roland (8 novembre). Un grand exemple pour les femmes que cette triple exécution. Ainsi s’enorgueillit le tribunal révolutionnaire !





    LE PLAIDOYER FERVENT DE JOËLLE GARDES


        La biographie romancée écrite par Joëlle Gardes sur Olympe de Gouges s’apparente aussi au roman de formation. Elle porte en sous-titre la mention : Une vie comme un roman. C’est dire la dimension romanesque de la destinée d’Olympe de Gouges. Une vie de femme, difficile, mouvementée, impétueuse, marginale. Pour tout dire, en avance sur son temps. Une vie commencée dans le calme apparent d’une ville de province ensoleillée et riche, aux côtés d’une mère aimante et d’un père présent-absent qui rêve d’offrir à sa bâtarde une éducation soignée. Suit pour la jeune Olympe âgée de seize ans un mariage arrangé « qui lui laisse dans la bouche le même goût d’amertume que l’abandon du marquis ». La jeune femme se venge des infortunes de sa naissance et de sa condition en se lançant dans l’écriture de pièces de théâtre et en créant des personnages à son image. Dans le même temps, Olympe fait la rencontre de Jacques Biétrix de Rozières dont elle tombe amoureuse. Le statut de jeune veuve (elle a épousé très jeune Louis-Yves Aubry) autorise Olympe à s’arroger une liberté qu’elle n’entend nullement aliéner par un second mariage. Néanmoins, elle décide de quitter Montauban pour Paris où Jacques s’apprête à prendre ses « nouvelles charges de haut fonctionnaire au ministère de la marine ». Elle emmène avec elle son fils Pierre Aubry et s’installe provisoirement chez sa sœur. Dès lors, Olympe se lance dans le tumulte et les égarements mondains de la capitale et se bat corps et âme pour gagner sa vie et imposer ses pièces.

        Mais le monde du théâtre est un monde de pouvoir tenu/détenu par les hommes. Il est bien difficile à une femme de faire reconnaître son talent, surtout s’il ne peut être contesté. Et Beaumarchais en personne s’ingénie à mettre les bâtons dans les roues à la dramaturge lorsque qu’Olympe se met en tête de donner une suite au Mariage de Figaro. Les Amours de Chérubin, publiés en 1786, lui attirent les foudres du maître et Olympe de se lamenter : « Ah ! Caron de Beaumarchais… permettez-moi de vous dire que vous nous trompez, rien n’est plus faux que vous en faveur de mon sexe. » Seule la première de ses pièces, dénonciation fervente de l’esclavage, connaîtra la faveur d’être jouée. Écrite en 1784, la pièce Zamore et Mirza ou l’Heureux naufrage, sera donnée à la Comédie Française en 1789.

        Plaidoyer enlevé, impartial et passionnant en faveur de la réhabilitation d’Olympe de Gouges — présentée par l’histoire comme une « virago » —, le roman de Joëlle Gardes est un roman d’une belle richesse, très documenté. Soucieuse de restituer à son héroïne un visage plus approchant de la vérité, Joëlle Gardes a poussé ses recherches historiques et littéraires avec une grande méticulosité. Rien n’échappe à son souci d’exactitude, ni les dates, ni les circonstances qui conduisent Olympe de Gouges à écrire telle ou telle de ses œuvres, ni les événements qui entourent leur publication ou leur échec. Pas davantage les péripéties de sa vie que l’on pourrait presque qualifier de picaresques, tant elles sont enlevées, foisonnantes d’imprévus ! Il y a loin de la « virago » à la femme d’exception.

         Mais le meilleur de ce roman réside dans cet art qu’a Joëlle Gardes d’entremêler son récit de détails ayant trait à son propre vécu de provençale. De sorte que, sous la vie d’Olympe, affleurent des modes de vie, des expériences anciennes, toute une mémoire ayant appartenu à l’auteur. Et jusqu’à des façons de penser et de sentir en contrepoint de la vie d’Olympe. Un beau travail de canevas ou d’orfèvrerie qui donne à lire l’intime proximité de Joëlle Gardes avec son héroïne. Une proximité qui lui fait dire : « Entre ma jeunesse et celle d’Olympe, il me semble que la distance est moindre que celle qui me sépare des jeunes gens d’aujourd’hui. »


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Olympe_de_gouges_2






    EXTRAIT


        C’est à Montauban, la ville de briques, la ville aux pigeonniers, de part et d’autre du Tarn et de son affluent le Tescou, que naît Marie Gouze, le 7 mai 1748.
         La petite cité, Mont blanc, par opposition au Mont d’or qui donna son nom au faubourg Montauriol, ou Mont couvert de saules, selon une autre étymologie adoptée dans son blason, s’est régulièrement développée en dépit des incendies et des guerres de religion. Devenue capitale régionale au XVII e siècle avec l’installation d’une intendance et d’une Cour des Aides, elle s’est régulièrement étendue. De beaux hôtels particuliers ont été construits jusque dans les faubourgs. La brique a succédé au bois, et Montauban a ainsi pris l’aspect qu’elle a encore aujourd’hui. Au XVIII e siècle, c’est une ville calme et prospère, grâce à la minoterie et à la fabrication des draps, les canis.
         Comme le dit son acte de baptême, célébré le lendemain de sa naissance dans l’église Saint-Jacques, tout juste restaurée après les lourdes dégradations que les protestants lui avaient infligées au siècle précédent, Marie est la fille d’Anne-Olympe Mouisset et de Pierre Gouze. Elle a un frère aîné et deux sœurs. Pierre Gouze n’est pas là lors de sa naissance et ne signe pas l’acte de baptême. Anne-Olympe accouche sans doute chez elle, aidée par la matrone, qui accueille les nouveaux arrivants dans ce bas monde et accompagne ceux qui s’en vont […]

         J’imagine Anne-Olympe. Ce n’est pas son premier né, mais peut-être est-elle justement d’autant plus effrayée. Elle sait qu’on accouche dans la douleur, et que celle-ci pourrait bien être encore plus violente que les précédentes puisque le bébé qui s’annonce est l’enfant d’un amour adultérin. Elle est doublement coupable, comme fille d’Ève et comme épouse infidèle. Elle redoute que le prix à payer ne soient les instruments de la matrone, ses forceps, ou pire, le crochet de balance ou de pelle à feu. Elle pense à toutes celles qui meurent en couches dans la fleur de leur âge et craint d’avoir à laisser ses aînés sous la garde de son mari, qui ignore la tendresse. Mais Marie glisse tout doucement dans la vie, la pénitence n’a pas été trop cruelle. Anne-Olympe savoure les cuillerées d’huile d’amande douce mélangées à du sucre candi qu’une voisine lui apporte pour qu’elle reprenne des forces. Le mari boucher n’est pas là, elle peut penser à l’autre, à son amant, qui n’a pas sur lui l’odeur du sang mais celle de la poudre de riz. Elle le connaît depuis toujours, elle ne peut imaginer la vie sans lui […]

        Marie porte le fardeau d’une enfance qui ne correspond pas à la hauteur de ses talents. C’est sans doute pourtant à son père le marquis qu’elle doit d’avoir eu une éducation meilleure que celle que recevaient les petites filles de son milieu, généralement élevées chez elles, ou chez une parente ou voisine. Marie, elle, suit les leçons des Ursulines, dans leur couvent à l’extrémité de la promenade des Cordeliers, les actuelles allées de Mortarieu, au début du faubourg de Campagne, qui commence juste derrière la toute récente cathédrale, qui n’est terminée que depuis 1739 […]

         Je me pose souvent la question de savoir si nous dirigeons notre vie à partir de buts que nous nous fixons consciemment ou si nous n’obéissons pas plutôt à des orientations qui nous demeurent inconnues jusqu’à l’heure du bilan tardif. Marie avait-elle déjà envisagé d’écrire, pour rivaliser avec son père, pour venger sa mère, ou bien le goût de l’écriture était-il encore en gestation, nourri superficiellement de passion et de haine, et profondément des raisons graves et mystérieuses sur lesquelles ne se fait jamais la lumière ?
        La route est longue de Montauban à Paris, encore plus longue, celle qui va conduire la jeune provinciale vers la femme de lettres, engagée dans la Révolution. Mais ce n’est pas Marie Gouze, veuve Aubry, qui va quitter sa ville natale, c’est la fière Olympe de Gouges. Par ce nom qu’elle se donne dorénavant, elle affirme haut et clair qu’elle n’a de compte à rendre qu’à elle-même et qu’elle est, selon ses termes, son propre « ouvrage ».


    Joëlle Gardes, Olympe de Gouges, Une vie comme un roman, Éditions de l’Amandier, 2008, pp. 11-12,13-14, 23-24, 49-50.





    ■ Olympe de Gouges
    sur Terres de femmes

    Eli Flory, La Barbe d’Olympe de Gouges (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Quercy.net)
    Olympe de Gouges, une Quercynoise en route vers le Panthéon, de René Viénet
    → (sur fr.Wikipedia) un
    bel article sur Olympe de Gouges
    → (sur Terres de femmes)
    une bibliographie de Joëlle Gardes





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