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  • Jacopo da Pontormo, Journal (janvier 1555) | Pierre Parlant, Ma durée Pontormo

    Éphéméride culturelle à rebours



    Pontormo  La Spezia
    Jacopo Carucci, dit Pontormo (1494-1557)
    Autoportrait, vers 1520
    La Spezia, Museo Civico di arte antica, medievale e moderna Amedeo Lia
    Source








    [JOURNAL, janvier 1555]




    mardi le premier j’ai soupé avec Bronzino 10 onces de pain.
    mercredi j’ai soupé 14 onces de pain, un filet1, une salade d’endive, du fromage et des figues sèches.
    jeudi j’ai soupé 15 onces de pain.
    vendredi 14 onces de pain.
    samedi je n’ai pas soupé.
    dimanche matin j’ai déjeuné et soupé avec Bronzino du gâteau de sang et des boulettes de foie. le porc
    lundi soir j’ai soupé 14 onces de pain, un filet, du raisin, du fromage et une salade d’endive.
    mardi soir j’ai soupé une salade d’endive, 11 onces de pain, une saucisse et des pommes cuites au jus.
    mercredi soir et jeudi soir 24 onces de pain et j’ai mangé du porc cuit et du vin.
    le 11 janvier* vendredi soir 11 onces de pain, des endives, une omelette.
    le 12 j’ai soupé une omelette, une salade d’endive, 12 onces de pain et ce même soir j’ai rempli le tonneau avec le vin de Piero dont j’avais prélevé 17 fiasques et pour le remplir il a fallu 13 fiasques ; il m’en est resté quatre et avant j’en avais eu jusqu’à ce jour 6, de sorte qu’en tout ça fait 23 fiasques et ce jour-là il a eu de moi un baril de mon vin.
    dimanche j’ai déjeuné et soupé chez Bronzino, le 13 janvier 1555.
    lundi je suis allé à San Miniato j’ai soupé une saucisse, 10 onces de pain.
    mardi un carré2, des endives, une livre de pain, de la gelée3, des figues sèches et du fromage.
    le 20 j’ai soupé chez Daniello une pintade, Ottaviano était là, c’était dimanche soir.
    le 27 janvier j’ai déjeuné et dîné chez Bronzino, Alessandra est venue après le déjeuner, elle est restée jusqu’au soir et puis elle est rentrée ; c’est ce soir-là que Bronzino et moi sommes allés à la maison voir le Pétrarque c’est-à-dire les flancs, les estomacs, etc.4 et j’ai payé ce qu’on a joué.
    […]5
    le 30 janvier 1555 j’ai commencé les reins de cette figure qui pleure l’enfant.
    le 31 j’ai fait un peu du pan du vêtement qui l’habille, il a fait mauvais temps et j’ai souffert pendant deux jours du ventre et des boyaux. La lune a fait le premier quartier.



    _____________________________
    * [NOTE d’AP]

    Calendrier julien


    _____________________________
    [NOTES de Fabien Vallos]

    1. Filet de porc
    2. Carré de porc
    3. Gelatina : il ne s’agit pas de gelée de fruits (confiture) mais d’une gelée de viande servie froide. Depuis plus d’une semaine Pontormo ne mange que de la viande de porc. Il est donc possible que cette gelatina soit de porc.
    4. Il s’agit sans doute d’un pari fait sur une citation de Pétrarque Trionfo della morte II, 43-45 :
    Silla, Mario, Neron, Gaio e Mezenzio
    Fianchi, stomachi, febbri ardenti fanno
    Parer la morte amara più ch’assenzio.

    Sylla, Marius, Néron, Caligula et Mézence,
    Les flancs, les estomacs, les fièvres ardentes font
    Paraître la mort plus amère que l’absinthe.
    5. Un ajout dans le coin gauche illisible.




    Jacopo da Pontormo, Journal, Éditions MIX., 2006-2008-2016, pp. 14-16. Traduction, notes et postface de Fabien Vallos.






    Pontormo  Journal











    [LISANT UNE PAGE, UNE AUTRE…]
    (extrait de Pierre Parlant, Ma durée Pontormo)





    Lisant une page, une autre, un autre encore ; chacune avec passion, gratitude ou stupeur à la clé ; chacune m’immergeant dans la nuit sous l’ampoule.

    Si bien que le Journal se mit à dérouler, ou plutôt à ouvrir sur un temps inédit.

    Au fil d’un jaillissement, inconséquent, souvent, correspondaient deux-trois alinéas. Les mots, silencieux et puissants, s’y accordaient. La vision de la phrase inventait le regard dès que la lettre s’écartait. Quelques espaces se découvraient, chemin faisant. Là se tenaient de petits croquis, posés alors comme pour se souvenir. La pensée cessait de calculer pour contempler la conjonction de lignes ramassées en un chiffre fulgurant. Fléché par l’attention, privé de volition, l’œil suspendait sa fixation, et les muscles leurs saccades.

    Me croirez-vous, entre les signes écrits il y avait du bruit, un bruit léger mais obstiné ; il y avait une foule et j’étais seul.

    Aujourd’hui, non seulement persiste en moi le contenu précis de certains passages de ce bouquin mais me revient à discrétion l’effet qu’ils produisirent sur l’insomniaque que je devins. Il était notamment question d’une joue, ailleurs du froid du vent, d’une tête d’enfant qui se penche et, sauf erreur, fait mention quelque part d’un sonnet.

    Qu’il s’agisse si souvent de nourriture m’étonna.

    Naturellement, le peintre ne manquait pas d’évoquer son travail, ses conditions pratiques et les péripéties qu’il impliquait. Mais tout s’écrivait aussi sous le regard de maux divers, de soucis, de manies et d’aliments ingurgités. Accessoirement d’argent, de temps en temps de faits météorologiques. Pour l’essentiel, à la dévolution d’une vie que le peintre suivait à vive allure s’adossait la conduite d’un chantier qu’une inquiétude n’incitait pas, à l’évidence, à tempérer, mais qu’une forme secrète organisait dans son détail le plus scabreux.

    La densité de ces moments de non-peinture m’impressionnait.

    Moments sans œuvre auxquels l’œuvre doit tout.

    Je lisais : le peintre ne taisait rien, difficultés, douleurs, incertitudes, sans que jamais un nom bien défini ne leur correspondît.

    Bien sûr, certaines des peines ou des douleurs physiques qu’il indiquait étaient imputables aux années — au moment de cette rédaction, l’homme n’était plus un jeune homme — mais aussi, c’est certain, à une sourde angoisse venue au monde le même jour que lui, au même endroit que lui.

    Je lisais.

    Des maux de ventre très souvent.



    Pierre Parlant, « samedi, dimanche et lundi, il fit froid », Ma durée Pontormo, éditions Nous, Collection Via, 2017, pp. 21-22.






    Parlant_madureepontormo





    PIERRE PARLANT


    Parlantportrait-2
    Source




    ■ Pierre Parlant
    sur Terres de femmes

    un autre extrait de Ma durée Pontormo




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Nous)
    la fiche de l’éditeur sur Ma durée Pontormo
    → (sur aparences.net)
    Pontormo





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  • 21 février 1903 | Naissance d’Anaïs Nin

    Éphéméride culturelle à rebours



    Il y a cent-dix ans, le 21 février 1903, naissait à Neuilly-sur-Seine Anaïs Nin.







    Anaïs Nin
    Image, G.AdC








    Fille du pianiste et compositeur Joaquin Nin et de Rosa Culmell, fille du Consul du Danemark à la Havane, Anaïs Nin est élevée dans un univers artiste et cosmopolite.

    Amie de Henry Miller, Anaïs Nin, auteure du poème en prose La Maison de l’inceste, publié en 1936, est surtout connue pour son Journal, tenu depuis l’âge de onze ans. Ce Journal de plus de quinze mille pages est une quête incessante d’identité.







    JOURNAL, février 1933


    Je ne veux vivre que pour l’extase. Les petites doses, les amours tempérées, tout ce qui est en demi-teintes me laisse froide. J’aime l’excès d’abondance. Les lettres que le facteur transporte en croulant sous le poids, les livres qui débordent de leur couverture, une sexualité qui fait sauter les thermomètres. Et je me rends compte aussi que je deviens June.

    Allendy me parle des recherches que je peux faire pour lui à la Bibliothèque nationale. « Vous voyez tout en poète. » Etait-ce un reproche ? « Vous me rappelez Antonin Artaud, mais lui est violent et coléreux, et je ne peux lui être d’aucun secours. »

    L’homme qui n’est qu’à demi-magicien vient jeudi soir. Comme je ne pouvais pas , ou ne voulais pas, me l’imaginer obligé de prendre un taxi, d’aller à la gare Saint-Lazare, de prendre un billet pour Louveciennes et de descendre dans la petite gare minable comme n’importe qui, je lui dis qu’une amie m’avait prêté une voiture et un chauffeur et qu’il serait transporté de façon magique de sa maison jusqu’à la mienne. Je lui dis que c’était la voiture de la comtesse Lucie, parce que la description que je lui en avais faite l’avait fasciné. Je voulais lui offrir un voyage comme celui, dans Le Grand Meaulnes, jusqu’à la maison dans la forêt où avait lieu un bal masqué. Poésie. Sur ce, presque tout mon argent du mois est passé à la location d’une voiture pour la soirée.

    Allendy est venu. Il a été enchanté par la maison, le jardin. Nous nous sommes assis en bas, dans le petit salon, près du feu.

    Au milieu de ces couleurs et de ces matières sensuelles, il paraissait déplacé. Un feu joyeux bondissait dans la cheminée que j’ai trouvée aux Arts décoratifs ; elle est en mosaïques marocaines avec un riche motif dans les bleus et quelques touches d’or. Allendy l’a admirée comme quelque chose d’exotique. Les reflets de feu jouaient dessus, sur les murs couleur pêche, sur le bois sombre, sur les bouteilles de vin espagnol.

    Les deux cents ans de la maison lui donnent l’air de s’être confortablement enfoncée dans le sol. Ce n’était pas une illusion. Elle s’était tassée et les angles du plafond et des murs étaient de guingois. Dans la chambre, en particulier, le plafond est tellement en pente que, parfois, lorsque l’on regarde par la fenêtre on a la sensation d’être en bateau, à cause de l’inclinaison.

    Allendy a tout admiré. Il était ébahi de la solidité du cadre que j’ai créé : à l’extérieur, je donnais l’impression d’être une créature éphémère, fragile, dépaysée dans le monde et prête à s’évaporer.

    Du coup, il me voyait comme un être humain.

    « À dix-huit ans, dit-il, j’ai voulu me suicider. Ma mère me donnait de la femme une idée fausse. »

    Tout comme mon père me donnait à penser que tous les hommes étaient égoïstes, incapables d’aimer, volages.

    Après quoi, afin de prouver la véracité de l’image, on cherche des gens qui correspondent à cette image, qui corroborent cette supposition, cette généralisation.

    Que c’est merveilleux d’acquérir une connaissance objective des autres.

    Lorsque Allendy déclare : « Je suis vieux et froid », je devine l’homme obscur, enseveli, noyé, éclipsé qui a été étouffé par sa mère.

    Nul n’est jamais né sans cette lumière, cette flamme de vie. Un événement ou une personne peut l’étouffer ou la détruire pour toujours. J’ai toujours éprouvé le désir de ressusciter de tels hommes grâce à ma joie, ou ma propre lumière.

    Lorsque je brise des verres dans une boîte de nuit, à la manière des Russes, lorsque mon inconscient explose en une révolte sauvage, c’est contre la vie qui a mutilé ces hommes romantiques, idéalistes. Je les respecte, eux qui sont froids, purs, fidèles, dévoués, moraux, délicats, sensibles, désarmés devant la vie, plus que ceux qui ont l’esprit endurci, ceux qui rendent trois coups pour un qu’ils ont reçu, qui tuent ceux qui les ont blessés.

    J’aurais aimé D.H. Lawrence plutôt que l’intellectuel Huxley.



    Anaïs Nin, Journal, tome 1 (1931-1934), Éditions Stock, 1969, Le Livre de Poche n° 3901, pp. 253-254-255.







    Nin, Journal






    ■ Anaïs Nin
    sur Terres de femmes

    27 novembre 1932 | Journal d’Anaïs Nin
    18 juin 1933 | Lettre d’Anaïs Nin à Antonin Artaud
    14 janvier 1934 | Journal d’Anaïs Nin
    1er juin 1934 | Journal d’Anaïs Nin
    14 janvier 1977 | Mort d’Anaïs Nin



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Dailymotion) un entretien d’Anaïs Nin avec Pierre Lhoste (France Culture, 1969) : un document d’archives exceptionnel ▼









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  • 7 juin 1982 | Raphaële George, Journal

    Éphéméride culturelle à rebours



    Prophète Jérémie
    Le prophète Jérémie
    Portail de l’abbaye Saint-Pierre de Moissac (Tarn-et-Garonne)
    Face interne du trumeau
    Source







    PAGE DE JOURNAL


    Le 7 juin 1982



    Et le matin cette peur à repousser. J’écoute Orlando de Lassus et me parle à moi-même, essayant d’imaginer que l’échec n’existe pas dans l’art ; ce n’est qu’une question de travail.


    Il suffirait de refaire. Mes questions n’avancent guère. Je me piège à travers elles, les répétant sans cesse. Elles filtrent la mauvaise crainte, celle qui s’installe, qui fait siège autour de moi, me permettant l’état de recul, me laissant gratuitement l’attente.


    Jamais, autant que dans ces états, je ne ressens aussi bien la fatigue. Si je me nourris pour fuir l’épuisement, c’est mon corps lui-même qui se fatigue, s’alourdit comme s’il refusait d’être nourri. Toujours Orlando de Lassus me sauvera. Toujours ses Psaumes* m’élèvent et me font trouver la paix, le calme, la patience et précisément l’amour vrai. À travers lui, eux, cette musique, J.-L. me suit en ombre douce. Il est présent […]


    Écriture plus petite qu’hier, mais lisible. J’essaie de préserver cette apparence du lisible dans le but de pouvoir me relire. S. tape tous ses textes au fur et à mesure. Cela devrait m’être une leçon de travail et d’acceptation. Écrire a toujours été pour moi une façon de me clarifier, de me restituer une voix. […]



    Raphaële George, Page de Journal, in Revue Recueil N°4-5, Éditions Champ Vallon, été 1986.


    ________________
    * Psaumes de Pénitence [Psalmi Davidis pœnitentiales] de Roland de Lassus [Orlando di Lasso] (à cinq voix)





    RAPHAËLE GEORGE


    Raphaële George




    ■ Raphaële George
    sur Terres de femmes

    Double intérieur (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Feu noir sur feu blanc, ou comment lire Raphaële George ? (chronique de Gisèle Berkman)
    Ghislaine Amon (Raphaële George) | [Ne parle pas, ne dis rien] (extrait du Petit Vélo beige)
    [Amour]
    [On ne devrait jamais arrêter d’écrire, ce qui est poésie surtout] (extrait de Je suis le monde qui me blesse)
    Suaires (extrait de Double intérieur)
    2 avril 1951 | Naissance de Raphaële George (+ extrait de Double intérieur)
    22 août 1978 | Raphaële George, feuilles éparses
    3 février 1984 | Lettre de Raphaële George à Jean-Louis Giovannoni (+ La Main de Raphaële George, par Jean-Louis Giovannoni)
    30 avril 1985 | Mort de Raphaële George (+ notice bio-bibliographique)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    le site Raphaële George, créé par Jean-Louis Giovannoni
    → (sur YouTube)
    l’intégralité des Sept Psaumes de Pénitence de Roland de Lassus interprétées par le Kammerchor Josquin des Prez sous la direction de Steffen Kammler





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  • 30 avril 1985 | Mort de Raphaële George

    Éphéméride culturelle à rebours



           Le 30 avril 1985 meurt à l’Hôpital Saint-Louis, à Paris, des suites d’un cancer généralisé, Raphaële George, née à Paris le 2 avril 1951.



          Peintre et poète, elle avait publié en 1977, sous son vrai nom (Ghislaine Amon), son premier livre : Le Petit Vélo beige dans la Collection Jean-Luc Maxence des éditions de l’Athanor (rééd. Éditions Lettres Vives, 1993). 1977 fut aussi l’année où elle fonda, avec Mireille Andrès, Patrick Rousseau et Jean-Louis Giovannoni, les Cahiers du Double (Marseille, éditions de l’Athanor), qu’elle dirigea ensuite, avec Jean-Louis Giovannoni, jusqu’en 1981.

          Ont été publiés aux Éditions Lettres Vives (dans la Collection Terre de poésie, créée par Michel Camus [1929-2003] et Claire Tiévant), sous le pseudonyme de Raphaële George (Ghislaine Amon quitta son nom d’état-civil pour le pseudonyme de Raphaële George aux fins de « n’être que sa propre naissance », comme il lui arrivait souvent de le dire) : Éloge de la Fatigue, précédé de Les Nuits échangées (1985. Préface de Pierre Bettencourt ; 2e édition, 1986) et Psaume de silence suivi de Journal (posth., 1986. Présentation de Jean-Louis Giovannoni). En 1980, Raphaële George a co-écrit avec Jean-Louis Giovannoni L’Absence réelle, « correspondance posthume-imaginaire de Joë Bousquet à un jeune écrivain » (Éditions Unes, avril 1986).

          Deux de ses livres ont été traduits en allemand et publiés, en édition bilingue, aux Éditions Jutta Legueil : Les Nuits échangées suivi de Éloge de la fatigue (Nächte im Tausch et Lob der Müdigkeit, Stuttgart, 1990) et Psaume de silence (Psalm des Schweigens, Stuttgart, 2003). En avril 2014, un inédit de Raphaële George, Double intérieur, a paru chez Lettres Vives, précédé de la réédition de L’Absence réelle.



    JOURNAL (extrait)




    Écriture comme une escale.


    Ôtons les articles : le corps se perd, se fond. S’agit-il du nôtre, hors du temps et de l’espace, cette figure si totale ? Un vieux rappel de la mer…


    Fermer les yeux pour rejoindre une autre lumière, une source qui se dissimule et qui refuse de se lever dans mon corps aujourd’hui.


    Comme j’ai souffert jusque là, et maintenant que je souffre vraiment : je sais que je ne souffre déjà plus, car la lumière vient.


    Bien-être étrange qui nous fait être le monde dans son mouvement et naître de ce monde par la grâce de l’abandon.





    Raphaële George, Journal in Psaume de silence suivi de Journal, Éditions Lettres Vives, Collection Terre de poésie, 1986, page 33.





    RAPHAËLE GEORGE


    Raphaële George




    ■ Raphaële George
    sur Terres de femmes

    Double intérieur (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Feu noir sur feu blanc, ou comment lire Raphaële George ? (chronique de Gisèle Berkman)
    Ghislaine Amon (Raphaële George) | [Ne parle pas, ne dis rien] (extrait du Petit Vélo beige)
    [Amour] (extrait des Nuits échangées in Éloge de la fatigue)
    [On ne devrait jamais arrêter d’écrire, ce qui est poésie surtout] (extrait de Je suis le monde qui me blesse)
    Suaires (extrait de Double intérieur)
    2 avril 1951 | Naissance de Raphaële George (+ extrait de Double intérieur)
    22 août 1978 | Raphaële George, feuilles éparses
    7 juin 1982 | Raphaële George, Journal
    3 février 1984 | Lettre de Raphaële George à Jean-Louis Giovannoni (+ La Main de Raphaële George, par Jean-Louis Giovannoni)



    ■ Voir aussi ▼

    le site Raphaële George, créé par Jean-Louis Giovannoni





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  • 1er mars 1847 | Journal d’Eugène Delacroix

    Éphéméride culturelle à rebours



    Eugène Delacroix, Le Christ au tombeau, 1848

    Eugène Delacroix, Le Christ au tombeau, 1847-1848

    Huile sur toile, 162,6 x 132,1 cm

    Boston, Museum of Fine Arts

    Source








        1er mars 1847 | Journal d’Eugène Delacroix



         1er
    mars.― Faire pour l’escalier du Luxembourg des scènes de la Révolution et de l’Empire avec personnages allégoriques : La Patrie guidant les Volontaires, la Gloire couronnant Napoléon, etc. L’Afrique vaincue, nos soldats se jetant à la mer pour en prendre possession.

        ― La bataille d’Isly, traitée poétiquement.

        ― L’Égypte soumise au génie de Bonaparte, etc.

        ― Je me suis mis, après mon déjeuner, à reprendre le Christ au tombeau : c’est la troisième séance d’ébauche ; et, dans ma journée, malgré un peu de malaise, je l’ai remonté vigoureusement et mis en état d’attendre une quatrième reprise. Je suis satisfait de cette ébauche, mais comment conserver, en ajoutant des détails, cette impression d’ensemble qui résulte de masses très simples ? La plupart des peintres, et j’ai fait ainsi autrefois, commencent par les détails et donnent l’effet à la fin. Quel que soit le chagrin que l’on éprouve à voir l’impression de simplicité d’une belle ébauche disparaître au fur et à mesure qu’on y ajoute des détails, il reste encore beaucoup plus de cette impression que vous ne parviendriez à en mettre quand vous avez procédé d’une façon inverse.

        ― Projeté toute la journée d’aller m’enterrer dans une loge en haut, au Mariage secret.* Après dîner, le courage m’a manqué, et je suis resté lisant Monte-Cristo, qui ne m’a pas préservé du sommeil.



    * Opéra-bouffe de Cimarosa, dont Delacroix raffolait.



    Eugène Delacroix, Journal 1822-1863, Librairie Plon, 1996, page 137.





    ■ Eugène Delacroix
    sur Terres de femmes

    26 avril 1798 | Naissance d’Eugène Delacroix
    6 octobre 1849 | Journal d’Eugène Delacroix
    1er mai 1850 | Journal d’Eugène Delacroix
    1er juillet 1854 | Journal d’Eugène Delacroix





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  • 12 février 1883 | Cosima Wagner, Journal

    Éphéméride culturelle à rebours


    Cosima Wagner
    Franz von Lenbach (1836-1904), Cosima Wagner (1837-1930)
    [la fille de Franz Liszt et de Marie d’Agoult], esquisse, 1870
    Bayreuth, Richard-Wagner-Museum, Villa Wahnfried
    Source






    [Venezia, Ca’ Vendramin Calergi], lundi 12 février.


        R. [Richard Wagner] s’est levé une fois cette nuit et il a cherché son chéquier parmi ses papiers sans le trouver, ce qui l’inquiète un peu. Il me raconte gaiement au petit déjeuner que son barbier lui a fait compliments sur ses progrès en italien, R. lui avait dit au sujet de la pluie : Piova fruttuosa. En réalité, le sirocco souffle ; nous disons adieu au pauvre maitre de chapelle qui est encore très fatigué. R. a travaillé à son essai, à table les enfants et Joukowski racontent toutes sortes de choses très drôles au sujet de la soirée d’hier, ce qui amuse R. et l’encourage à faire les plaisanteries les plus vives et à raconter des anecdotes. L’après-midi, il sort avec Eva, car j’attends la princesse Hatzfeld, et il me raconte à son retour qu’il a offert un chocolat à Eva. Avant le dîner, il m’apporte une lettre de mon père reproduite par un journal, dans laquelle il justifie presque son attitude dans la question juive ; la lettre est fort bien écrite mais nous regrettons qu’il ait ressenti le besoin de l’écrire. Il pense que c’est la princesse qui l’a entraîné dans toute cette misère et me dit : « Toute cette cavalerie précipite ton père à sa perte ! » Au dîner nous parlons avec les enfants de la mer et de ses créatures ; auparavant, nous avons parlé des prisons, des peines (the tread-mill), tout cela pour protéger la propriété. (Hier, R. m’avait lu des déclarations charmantes et sincères de Bismarck qui y exprime son désir de quitter les affaires.) Il lit Undine dont il préfère la première partie. Il plaisante beaucoup sur cet exemplaire qui a servi à la traduction du père de Joukowski et qui est couvert de taches d’encre ; il me cite une plaisanterie qu’il a lue dans les Fliegende Blätter : un petit garçon voulait excuser les taches d’encre sur son cahier en disant que son voisin de classe, un More, avait eu des saignements de nez. — Comme je suis déjà au lit, je l’entends parler, longuement et très fort, je me lève et vais dans son cabinet : « Je parlais avec toi », me dit-il, il m’embrasse longuement, tendrement : « Il n’y a de telles réussites que tous les 5 000 ans ! » Je parle de la nature des ondines qui aspirent à trouver une âme. Il se met au piano, joue le thème de Rheingold, Rheingold et ajoute : falsch und feig ist, was oben sich freut. « Et dire que j’ai su cela autrefois de manière aussi juste ! »– Il est au lit et je l’entends dire encore : « Je les aime bien, ces êtres soumis, ces êtres des profondeurs, si nostalgiques. »*


    Cosima Wagner, Journal, IV, 1881-1883, Éditions Gallimard, 1979, pp. 503-504. Traduit de l’allemand par Michel-Francois Demet.




    * Le Journal de Cosima Wagner s’interrompt la veille de la mort de Richard Wagner. Le 13 février, Richard Wagner se fit excuser à la table familiale du déjeuner. Il travaillait dans la pièce contiguë à son essai sur le Masculin et le Féminin. Il mourut à 15h30 dans les bras de Cosima [au palazzo Vendramin, à Venise].





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    15 janvier 1882 | Wagner peint par Renoir

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  • 11 novembre 1908 | Paul Klee, Journal

    Éphéméride culturelle à rebours



    Klee 1909
    Paul Klee, Der Zeichner am Fenster
    [L’Artiste à sa fenêtre], 1909
    Aquarelle, 30,48 cm x 24,38 cm
    Collection Felix Klee
    Source








    Novembre. Le 11, envoyé six dessins à la Sécession de Berlin.

    La peinture naturaliste, que je ne cesse de cultiver en vue d’une orientation et d’un apprentissage rigoureux, présente surtout ce désavantage de n’offrir aucun débouché à ma capacité de production linéaire. Il n’y a là, pour ainsi dire, point de lignes en tant que telles, les lignes n’y apparaissent que pour délimiter différentes taches de couleur ou de tonalité. Au moyen de taches chromatiques ou tonales la moindre impression de la nature se peut fixer de la façon la plus simple, la plus fraîche, la plus immédiate.

    La ligne en tant que telle ne pourrait intervenir dans cette peinture naturaliste d’une rigueur scientifique que si l’on faisait abstraction de la couleur : par conséquent dans une peinture tonale, notamment pour remplacer la délimitation de la couleur entre deux plans d’égale valeur tonale et de différente valeur chromatique dans la nature.

    Une œuvre d’art dépassera le naturalisme dans laquelle la ligne apparait comme élément pictural autonome tel qu’on le voit dans les dessins et les tableaux de Van Gogh ou dans l’œuvre graphique d’Ensor.

    Chez ce dernier la juxtaposition des lignes est remarquable dans ses formations graphiques.

    D’une manière générale, c’est ici que s’ouvre la voie vers un domaine propre à ma ligne. J’arrive enfin à me sortir de l’impasse de l’ornemental dans lequel je m’étais fourvoyé un jour en 1907 !

    Nouvellement fortifié par mes études naturalistes, il m’est permis de passer de nouveau sur le terrain originel de l’improvisation psychique qui m’est propre. Là où je ne suis lié que de façon tout indirecte à une impression de la nature, je puis me risquer de nouveau à figurer ce qui obsède l’âme. À noter des expériences vécues susceptibles, dans l’aveugle nuit, de se convertir elles-mêmes en lignes. Là, se trouve depuis longtemps en réserve une possibilité créatrice nouvelle devant laquelle seule l’anxiété de l’isolement m’avait fait reculer en son temps. Ainsi, ma pure personnalité pourra se prononcer et se libérer avec une liberté plus grande.


    Paul Klee, Journal, Éditions Bernard Grasset [1959], Les Cahiers Rouges, 2004, rééd. 2010, pp. 253-254. Traduit de l’allemand par Pierre Klossowski.





    PAUL KLEE


    Paul Klee
    Ph. Walter Henggeler
    Source




    ■ Paul Klee
    sur Terres de femmes

    18 décembre 1879 | Naissance du peintre Paul Klee
    29 juin 1940 | Mort du peintre Paul Klee
    → (dans les Chroniques de femmes)
    20 juin 2005 | Ouverture du Centre Paul Klee à Berne



    ■ Voir aussi ▼

    le site du Centre Paul Klee de Berne





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  • 22 octobre 1942 | Klaus Mann, Journal

    Éphéméride culturelle à rebours





    [COMPLÈTEMENT FAUCHÉ]



    22 octobre.― Je pense à nouveau au suicide.

        Les soucis financiers, si accablants soient-ils, sont-ils une raison suffisamment impérative pour justifier ce geste définitif ? Je pense… que oui, dans un certain sens. Pas seulement comme « symptôme » (mettant radicalement et irréfutablement en lumière une impuissance et une solitude extrêmes), mais avant tout à cause des lourdes conséquences directes que cela entraîne. Je considère que c’est une humiliation insupportable de devoir courir les rues comme un Parnassien, simplement parce que je n’ai pas d’argent pour me faire couper les cheveux. Demain, ce sera un jour supplémentaire sans véritable repas ; avec de longues réflexions pour savoir si je peux me permettre le métro et un journal… Je serais mort de faim, hier et aujourd’hui si Johnny n’avait porté mon costume marron au mont-de-piété (d’où Tomski était allé me le rechercher quelques jours plus tôt : poussé à cet acte magnanime par ma lettre « de chantage »…).

        Je n’aurais jamais cru que des soucis aussi mesquins puissent jamais m’achever. (Ou n’est-ce qu’un prétexte pour rationnaliser une tristesse dont l’origine est plus profonde et plus irrationnelle ?)…… J’essaie malgré tout de travailler et suis en effet parvenu à achever l’article pour Tomorrow sur la « Germany’s Education » (un sujet assez sombre pour inciter les plus joyeux de mes semblables à penser au suicide…).

        Ce soir, j’essaie aussi d’apprécier le concert (de Bruno Walter au Carnegie Hall. Je suis ému par la grandeur familière de l’ouverture de Léonore ― le morceau préféré d’Erika… ; il y a de beaux moments dans la première symphonie de Mahler, particulièrement dans le deuxième mouvement).

        Voilà, et Carson McCullers m’a appelé pour me dire quelque chose de gentil sur mon style et j’ai essayé d’être gentil également. Mais quand je parle aux gens, je me fais l’effet d’un acteur qui joue un rôle. Je suis dévoré par la tristesse et la solitude. Et pourquoi ne devrais-je pas profiter de cette monstrueuse isolation ? Puisque manifestement personne ne semble prêt à m’aider ou capable de le faire, personne n’a le droit de s’immiscer dans mes désirs de mort.

        (Mais tout en écrivant cela, je sens que je ne le ferai pas. Pas cette nuit. Probablement pas. Mais pourquoi pas ? Je sais que Dieu me le pardonnerait. Aucun de ceux qui m’aiment ne le désapprouverait, si je le faisais…)

        (Je continue à écrire parce que j’ai peur de la décision que je devrai prendre dès que j’aurai arrêté. Je hais la pensée de devoir vivre encore un jour, ou encore une semaine, ou encore un an. Mais je n’aime pas non plus la pensée de mourir ainsi dans la misère. Je n’ai pas même les moyens de me donner la mort d’une manière agréable. Ainsi, c’est peut-être la pauvreté qui me retient finalement de le faire ?)



    Klaus Mann, Journal, Les années d’exil 1937-1949, Éditions Grasset, Le Livre de Poche, Collection biblio, 1998, pp. 338-339. Choix et traduction de l’allemand par Pierre-François Kaempf et Frédéric Weinman.







    Klaus Mann, Journal Les années d'exil 1937-1949





    KLAUS  MANN


    Klaus Mann
    Source



    ■ Klaus Mann
    sur Terres de femmes


    31 décembre 1927 | Klaus Mann, « Rhapsody in Blue »
    14 septembre 1940 | Klaus Mann, Le Tournant, Histoire d’une vie
    22 mai 1949 | Mort de Klaus Mann



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Dailymotion)
    une présentation video de Klaus Mann





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  • 26 juillet 1804 | Stendhal, Journal

    Éphéméride culturelle à rebours



    PORTRAIT DE STENDHAL
    Image, G.AdC






    7 thermidor [26 juillet]




         Nous sortons, Tencin et moi, de Rodogune, suivie de Florentin. Nous sommes sortis après Rodogune pour ne pas affaiblir l’impression que nous avions reçue. T[encin] a failli se trouver [mal] au moment où Mlle Fleury a dit :

                                                                Voyez ses yeux
                      Déjà tout égarés, troubles et furieux.


        Talma a été sublime; je ne l’avais pas vu si bien jouer depuis Andromaque, le 5 prairial XII [25 mai 1804]. Il a supérieurement rendu tout le suave de l’amitié. Il a débuté avec un naturel parfait et n’en est pas sorti dans les quatre premiers actes ; quelques cris dans le cinquième, mais bien excusables, sur la situation affreuse d’Antiochus. Du reste superbe, il ressemble parfaitement dans toutes ses positions aux belles figures de Raphaël. Il était en blanc dans les quatre premiers actes, en rouge et en diadème au dernier. Il a rendu supérieurement l’anéantissement de la douleur. Il manque à ce grand acteur quelquefois des idées et quelquefois du naturel. Les Geoffroy et Cie lui reprochent presque d’en trop avoir ; ils disent qu’il a un naturel sauvage ; cela me ferait présumer que la manière de Lekain n’était pas très naturelle. Mlle Raucourt, Fleury et Damas ont été d’une bonne médiocrité. Mlle Raucourt était très bien mise, avec un grand manteau noir.
        Jamais Rodogune ne m’a fait autant d’impression. Dans la peinture des caractères il y a des beautés de l’ordre le plus élevé possible (valent-elles les plus belles scènes de Shakespeare?), mais il y a de grands défauts de scenegiatura. Ceux-là étaient bien aisés à éviter. Je crois que l’étude d’Alfieri me rendra ferme de ce côté-là.
        Dans la peinture des caractères, je remarque deux défauts : le premier, c’est que Cléopâtre parlant à Laonice a l’air de faire leçon de politique. Cette politique est superbe mais hors de sa place ; elle refroidit la pièce. Il fallait appliquer les maximes aux faits sans les citer.
        Le deuxième défaut vient, je crois, des Espagnols. C’est une fausse délicatesse qui empêche les personnages d’entrer dans les détails, ce qui fait que nous ne sommes jamais serrés de terreur comme dans les pièces de Shakespeare. Ils n’osent pas nommer leur chambre, ils ne parlent pas assez de ce qui les entoure.
        Séleucus n’est pas assez tendre pour son frère dans le couplet : etc., acte II, scène IV ; il est dur pour sa mère, acte IV, scène VI. En général, tous les personnages sont bavards ; il y a d’ailleurs de grandes fautes de scenegiatura, mais que ne rachèterait le cinquième acte? Shakespeare n’a rien de plus beau. Rodogune, le triomphe de la manière ferme du grand Corneille, vient, ce me semble en cet instant après le Cid, en rangeant ses pièces de cette manière : Cinna, le Cid, Rodogune, les Horaces, Polyeucte, etc. Je la mettrais immédiatement après Andromaque et Phèdre, de manière que c’est dans le rang de beauté la quatrième ou cinquième pièce française.
        Talma a très bien exprimé l’amour. […]



    Stendhal, Journal, Éditions Gallimard, Collection folio classique, 2010, pp. 126-127. Préface de Dominique Fernandez. Édition d’Henri Martineau revue par Xavier Bourdenet.





    ■ Stendhal
    sur Terres de femmes

    23 janvier 1783 | Naissance de Stendhal
    15 mai 1796 | Stendhal, Incipit de La Chartreuse de Parme
    7 janvier 1817 | Stendhal, Rome, Naples et Florence
    2 juillet 1817 | Stendhal, Rome, Naples et Florence
    23 mars 1842 | Mort de Stendhal



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  • 13 novembre 1956 | Jean-René Huguenin, Journal

    Éphéméride culturelle à rebours



    Mon -me est malade.
    Ph., G.AdC




    Mardi 13 novembre




         Où en suis-je ? Très loin, très bas. Fascination de la chute, du gouffre, l’ivresse de la descente aux enfers. Sans me jouer la comédie, vraiment très sincèrement, j’ai cru que je m’étais damné. Mais on n’est jamais damné ! L’espérance, la grâce… Ah, le rétrécissement, l’étiolement triste, le dessèchement de l’âme !
        Mon âme est malade. Peut-être, maintenant, convalescente ? Je l’espère. L’adage latin est faux. C’est « un corps sain dans une âme saine » et non le contraire. Résisterai-je à cette alternance effroyable de victoires et de défaites, à ces chutes livides où je me précipite, au moment même où je suis en pleine montée ? À ces froids qui me reprennent, me font trembler, avant même que la chaleur ne m’ait envahi tout entier, protégé, armé. Je suis comme ces matelots des caravelles, que l’on punissait en les laissant tomber, accrochés à une corde, dans l’eau, sur le flanc du navire. Puis l’on tirait sur la corde et ils remontaient à la surface, aspiraient de toutes leurs forces une gorgée d’air ; à peine avaient-ils le temps d’emplir leurs poumons qu’ils redescendaient dans l’eau froide, submergés, asphyxiés, criant grâce dans le silence liquide, inexorable, de la mer refermée sur eux.
        Dieu me permettra-t-il de remonter sur le pont, une bonne fois pour toutes, à jamais en plein air, en plein ciel ?


        ― Je ramasse mes troupes en déroute, affamées, dispersées, blessées, je fais signe à chaque soldat que je vois de venir rejoindre ceux de ses camarades que je suis parvenu à regrouper.
        Là, au pied du mur craquelé, dans le village fumant, près d’une maison qui brûle encore et dont les cendres vous grattent la gorge comme le duvet des marronniers, au printemps, doux printemps de lait qui est si loin, tellement enseveli sous les décombres de mon âme. Les visages de ces soldats sont tout gras de sueur et de barbe, et leurs gestes sont gauches comme ceux des hommes trop las, ils titubent en marchant, prêts à la contre-attaque grâce à quelque ultime réserve d’énergie, de courage, un dernier, un merveilleux, un incassable ressort. Je n’ai plus de troupes fraîches. Je dois lutter avec mes derniers survivants, avec mes blessés, avec mes morts. Si je suis vainqueur, ce sera le miracle de Dieu.
        S’il y a ivresse de la déchéance, c’est que la déchéance est encore une aventure spirituelle, et que toutes les aventures spirituelles enivrent.
        Mais la déchéance est la dernière ivresse de l’âme.


    Jean-René Huguenin, Journal [1964, 1993], Éditions du Seuil, Collection Points, 1997, pp. 107-108.





    ■ Jean-René Huguenin
    sur Terres de femmes


    22 septembre 1962 | Mort de Jean-René Huguenin (extraits du Bloc-notes de François Mauriac et de La Côte sauvage de Jean-René Huguenin)




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