Étiquette : La Face nord de Juliau


  • Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau, treize à seize

    par Angèle Paoli

    Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau, treize à seize,
    éditions Flammarion,
    Collection Poésie/Flammarion, 2016.



    Lecture d’Angèle Paoli


    JAUNE de Juliau, inépuisable. Jusqu’au vertige.
    Aquatinte numérique, G.AdC






    DE L’OR COMME DANS ORIGINE



    Lire la poésie de Nicolas Pesquès comme on lirait une longue suite poétique d’un genre nouveau s’inventant sous les yeux de la lecture dans la continuité d’une temporalité sans accroc. Plus encore, dans la continuité du fleuve Juliau, en passant par toutes les étapes du « jaune », depuis les origines de la création en 1988 (volumes un à dix, publiés par l’éditeur André Dimanche) jusqu’au dernier volume (treize à seize), qui vient de voir le jour, tout comme le précédent (onze, douze), dans la collection Poésie/Flammarion. Vingt-huit ans de vie partagée entre le poète et sa colline. Entre le poète et son œuvre unique. Une histoire de passion amoureuse.

    « colline ma

    vulve béante » (in « J » 11)

    L’œuvre impose par l’extériorité stable de son titre. La Face nord de Juliau jamais ne varie. Elle est là, dans sa permanence solide et fiable, qui vient à notre rencontre par le biais de « l’écre » du poète. Mais, avec l’écriture, s’immisce une variation sur le même, formes couleurs approches points de vue. Jusqu’à voir surgir des éclairages inattendus, drainant dans leur sillage d’autres méthodes d’apprentissage et d’autres réflexions, d’autres interrogations et doutes d’où naît l’« intranquillité ». Celle du lecteur et celle du poète. D’autres personnages surviennent, pense-bêtes du poète : lièvre perdrix épervier taupe ver… in « J » 11, 12 et… 13. Et d’autres « formules ». Suivre ainsi le poète dans le cheminement de sa pensée, dans son parcours poétique, dans son obstiné tête-à-tête avec la colline, dans ses tentatives douloureuses de dire Juliau, de l’appréhender en profondeur et en nudité, en crudité (ou à cru ?), de pourchasser « l’hypnotiseuse » jusque dans ses moindres retranchements, c’est se joindre au plus près à l’aventure provocatrice d’une écriture, se fondre en elle, adhérer à la démarche du poète et à son propos. Dans une constance partagée jusque dans l’épreuve que représente la lecture d’un texte aussi singulier et aussi rebelle. Avec fidélité et admiration.

    Avec le « tunnel » de Juliau onze et douze, inscrit dans le noir de la nuit, la cécité et le deuil, à quoi il faut adjoindre l’expérience de la mutité, le poète s’était confronté au travail de composition/détournement qui se joue au cœur de « la chambre noire de la langue ». Avec en permanence cette idée que retourner aux origines de Juliau est nécessaire pour que s’opère la séparation qui préside à sa reconnaissance. Paradoxe de la double hélice qui vrille sur elle-même, entraînant le mouvement de flux et de reflux de la marée. L’écriture de « J » 12 se clôt sur ces « bouts de prose comme la vie. Bouleversés à chaque instant. Jaune transitoire, rayé de j. Éclats de tendresse avec du silence. » Telle pourrait être l’une des multiples définitions de l’écriture de l’ensemble des recueils.

    Avec pour transition entre les différents volumes, cette ouverture de « J » 14 :

    « Longtemps, je n’ai pas écrit la colline. La vie aura précédé. Plus longtemps encore écrire aura déjoué l’avènement de l’écart. Il aura fallu ce jaune, cette transmissibilité.

    M’écrire au noir pour que ce soit un jaillir, pour le retour de la vraie nuit. N’écrire que si la colline devient. »

    Le désir de « j », « jaune aux joues » retrouvé, l’aventure reprend et nous voilà à l’orée de La Face nord de Juliau, 13 à 16. Le nouveau recueil s’échelonne de 2009 à 2012. En trois temps pour « J » 13 : « Prologue » (2009) / « Le Grand Pense-Bête » pour 2010 / « Les Formules, deuxième séquence » pour 2011. À la complexité temporelle de la composition — l’année 2011 s’échelonne sur plusieurs sections, débordant sur « J » 14 et « J » 15 — s’ajoute une curiosité qui attire et attise l’attention. « J » 15 est vide. Or, nous sommes toujours en 2011, comme le précise la table des matières. La mutité est-elle à nouveau à l’œuvre, dès début janvier 2012, et pour quelques semaines encore ? Une seule page et deux mots, séparés par un fort interlignage, formant une énigme. Affirmative. Un constat irréfutable, commun à tous :


    « nous



    sommes »


    Séparés, nous sommes, en effet, de manière irréversible. Seule la poésie. « L’autre écriture. » Une rencontre. « L’entreprise d’une vie. » Et pour « troisième voie », le poème.

    S’ouvre alors « J » 16. On entre en 2012. Ainsi l’indique à nouveau la table des matières. Dans cette ultime section du recueil, le poète délaisse la prose — et la forme journalistique — au profit des poèmes. Le poème d’ouverture annonce le thème de la « nudité » étroitement lié au projet de la recherche poétique et à son but :

    « Par nudités mutiques

    dédiées de longue date

    vient l’appel à revouloir

    à dévêtir

    l’extension du face à face »

    Mais la nudité est violence et pour que le combat avec « l’hypnotiseuse » soit loyal il faut en passer par l’acceptation de sa propre mise à nu et de la souffrance qui l’accompagne :

    « se sera répandue

    l’hypnotiseuse

    pour me nudifier

    et que le poème coule

    d’un seul j

    en acceptance de piqûre

    d’effroi »

    Le poète parviendra-t-il, grâce à « la force nue » qui se dégage de la concision de ses vers, mais aussi à force de volonté d’encerclement de cette nudité et de désossement, à satisfaire sa quête ? Dans sa confrontation exigeante avec le langage, réussira-t-il à « parler genêt » ? « Écrire sans accessoires ni chuchotements » est-il possible ? Jusqu’où ? Et si le langage, une fois de plus, s’absentait ? Faire face alors à l’angoisse de la mutité.

    Le poète affronte au plus près les complexités d’« écre » ; il les traverse, de ruptures en rêves, de déconstruction en re-construction. Pourtant, parfois s’imposent les images. Comme dans ces vers-aveu :

    « jamais été plus nus

    et si lointains

    de parole en parole

    abondance de pluriel

    brasero au milieu

    infini bivouac des corps »


    ou encore :


    « parfois l’image vient

    au lieu du mot

    la scène au lieu du verbe

    écrire abandonne le devenir… »


    En dépit de la « pression » qu’exerce sur le poète l’incorporation de « telles pensées », c’est sur le surgissement d’une image mystérieuse parce qu’inhabituelle chez Nicolas Pesquès — elle combine à la fois l’anaphore, la ternarité du rythme et la rime — que se ferme « J » 16 :

    « au croisement

    au firmament ».

    Mais peut-être faut-il revenir en arrière, du côté de « J » 13 ?

    La première séquence, qui se déroule comme un journal daté de juin à octobre (2009), occupe une vingtaine de pages. Plus ou moins développés, ces paragraphes ont la particularité d’être ponctués d’italiques. Parfois un seul mot attire le regard : « fabrique », « inventé », « yellow »… ; mais le plus souvent ce sont des intitulés entiers, à caractère récurrent. « Quitter la représentation sans quitter la colline. » / « S’extraire de la présentation » / « Qu’est-ce qu’on voit quand on lit ? »… Les infinitifs, souvent à valeur injonctive, sont autant de « cristaux théoriques semés ici et là. » Ce sont des « formules » qui « émaillent Juliau 13 ». Dans le prologue qui sert d’ouverture à la section, Nicolas Pesquès donne la raison de ce procédé. Il s’agit, à chaque apparition de ces marques, de revisiter l’interrogation sur le langage. Que fait le langage au paysage ? Ou inversement. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, encore et toujours. L’écriture de Juliau est une interrogation permanente sur la petite fabrique du langage. Inventer fabriquer. Chaque Juliau reprend le questionnement de l’ingénierie de l’écriture. Et le poète de jongler inlassablement avec ces multiples opérations pour poursuivre, dans un corps à corps avec l’écriture, l’aventure exigeante de Juliau. Et de s’étonner toujours des infinis rouages et mécanismes qu’elle met en place. Des déclencheurs inattendus qu’elle suscite. Où l’on retrouve JAUNE mais aussi Écre.

    Ainsi peut-on lire cet aveu : « Le mystère : on écrit un geste, et du jaune est là. »

    Pourquoi « Écre » ? Parce que seul écrire. Retrouver « le noyau de toute graphie », renouer avec l’« étymologie corporelle » de l’écriture, le corps étant absent.

    « Écre pour vaincre les résistances, les sabrer, les estomaquer ; son épée s’enfonce où écrire suffoque, éperonne et jure sa force, sa crise de oui, son outrance, son coup d’archet sur la moelle, à même la moelle. »

    Une seule méthode alors. Se déposséder du corps et du corps même des images. Les désosser de la « représentation ». Toute la difficulté est là, qui réside dans ce travail qui en appelle, pour pouvoir parvenir à ses fins, à la séparation. Se séparer du paysage et des images qu’il fait naître, est-ce chimère ? Sans doute car cela signifie aussi dégager l’écriture du cadre de la temporalité. Tenir tout cela à distance. « La colline peut-elle satisfaire ce vœu, elle, milieu de l’œil et de la phrase ? »

    Quelle réponse le poète propose-t-il à la question : Qu’est-ce qu’on voit quand on lit ?

    « J’écris genêt et vous lisez sans passer par la couleur. Tous les j de l’histoire, superposés, surjaunis.
    On voit ce qu’on lit : la bouillie ou la synesthésie. »

    La question étant posée par trois fois, d’autres réponses parachèvent, qui donnent une autre tonalité. Peut-être même une autre coloration. Il y faut de la patience, un regard aiguisé, une capacité d’abstraction, une volonté de comprendre, de se saisir de, de prendre avec soi ce qui occupe le poète. L’on voudrait tout retenir, s’imprégner de chaque « formule », tant chaque phrase importe. On cherche appui sur les pense-bêtes. Mais ce n’est pas ce que souhaite le poète qui définit ces « objets » comme « des rapports d’étape… des poignées pour aller autrement, ailleurs, c’est-à-dire en tous sens dans la direction du cœur, centre désaimanté par attirance. » Les pense-bêtes émaillent le « GRAND PENSE–BÊTES » de 2010. Ils rajoutent une énigme vivante à l’énigme statique de Juliau. Un peu comme ces animaux menus que l’on trouve dans les grandes toiles de la Renaissance italienne et qui distraient un instant le regard, attirant l’œil loin du sujet essentiel que la peinture donne à voir. Cette vision des choses n’engage que moi, superposition d’images personnelles à celles que dés-invente Nicolas Pesquès. Divertissement. Peut-être suis-je en train de « papillonner » loin de l’esprit du texte, loin de la séparation essentielle et profonde dans laquelle le poète s’inscrit.

    Ainsi écrit-il le 13 novembre 2011, dans « FORMULES, deuxième séquence » :

    « Qâdash, en araméen signifie séparé, on le traduit aussi par saint

    c’est-à dire au secret, au fond des grottes, séparés vivants à main nue, animaux de nous-mêmes. »

    Comme Saint Jérôme, peut-être ? Le poème ne le dit pas. Mais c’est à lui que je pense. Autre divertissement.

    Me voici cependant ramenée à la préoccupation première de la séparation. Car « il n’y a de séparation que parce qu’il y a quelque chose qui veut être retrouvé, je veux dire inventé à nouveau pour avoir été tranché. »

    Ici j’interromps à nouveau le cours de ma lecture et je m’interroge. Nicolas Pesquès est-il un lecteur de Pascal Quignard ? À lire ces lignes, j’inclinerais à répondre oui. À penser du moins qu’il s’en rapproche. Que leurs préoccupations se rejoignent. Mais sans doute est-ce que moi qui m’éloigne à nouveau. Il me faut reprendre le chemin de lecture là où je l’avais laissé. Et retrouver le long cheminement de l’écriture de Nicolas Pesquès. Sa pérégrination inquiète dans la « lente variation des jaunes ». Définie comme « un apprentissage des sensations, des essais d’amour ». Comme un « gouffre ». Au fil des jours et des mois qui composent le recueil, je retrouve les animaux. Ils mêlent leurs traces, pointillés entre les paragraphes. Guêpe paon buse lièvre orbe pie… parsèment les pages, semis de signes qui ponctuent le propos le relancent, « encielle[nt] » la réflexion et la phrase. Et nourrissent ma jubilation. Celle-ci culmine avec la rencontre de notations comme celles-ci :

    « f de je quand la buse tourne » / « noir émotif où sont la taupe, le crapaud, à l’abri des consonnes » / « Queue de paon et la pente qui vient »…

    Et toujours revient l’obsession du commencement. Elle perdure, insiste, leitmotiv qui sous-tend la nécessité d’« écre », la contient dans la totalité de ces deux vers:

    « JAUNE, jaune de lettre, genêt intime

    ventre à colline, de l’or comme dans origine. »

    Mouvement de ressac de l’écriture sur elle-même, qui sans cesse ramène à « l’apparition première ». Liée à la disparition et au silence. JAUNE de Juliau, inépuisable. Jusqu’au vertige.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli







    Juliau 14 NICOLAS PESQUÈS


    Pesquès portrait

    Ph. © Jean-Marc de Samie




    ■ Nicolas Pesquès
    sur Terres de femmes


    Gilles Aillaud (extrait de Sans Peinture)
    après Privas. Nicolas Pesquès (I). « du geste une écriture », par Yves di Manno
    après Privas. Nicolas Pesquès (II). J9, Prémisses de lecture d’une « énigme intime », par Angèle Paoli
    Juliau//ascension face nord (lecture d’AP sur La Face nord de Juliau deux, trois quatre cinq, six)
    21 août 1995 | Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau trois, quatre (extrait)
    Comment recoller ce que la langue détache (extrait de La Face nord de Juliau, cinq)
    15 mai 1886 | Mort d’Emily Dickinson (+ extrait de La Face nord de Juliau, sept)
    La Face nord de Juliau, huit, neuf, dix (lecture d’AP)
    [Courir la pente] (extrait de La Face nord de Juliau, huit, neuf, dix)
    Intérieur nuit (Juliau 11)
    28 février | Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau (onze à seize)
    21-22-23 octobre 2013 | Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau dix-sept, dix-huit
    La caisse claire (journal d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    le site de Nicolas Pesquès
    → (sur Poezibao)
    La Face nord de Juliau, six, de Nicolas Pesquès (lecture d’Angèle Paoli)
    → (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature]) une
    fiche bio-bibliographique sur Nicolas Pesquès





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  • 28 février 2009 et 2011 | Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau (onze à seize)

    Éphéméride culturelle à rebours





    Tout est là.
    Ph., G.AdC






    [Un février de 28 poèmes machinés]


    Un février de 28 poèmes machinés. 28 revenantes et une seule colline-mère. Volcan décrassé. Cyprès lancinant et texte dans l’amandier. Il n’y a pas de tombe. Écrire chaque soir le tour du jardin pour gagner, après la pierre, après le chêne, le noir étoilé, l’étalement du livre. Tourner le commutateur. Devenir le paysage à côté du paysage. En prendre le parti, puis le sien, puis plonger. Nous ne sommes plus très nombreux à aimer aimer sans le dire. On va pouvoir ressortir avec des phrases. Tout est là.



    Nicolas Pesquès, « J12 (février-avril 2009), I », La Face nord de Juliau, onze, douze, Éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2013, page 157.






    Juliau 12







    Le 28 février [2011]


    Corps qui va au paysage comme vers son argumentation.
    Pour grandir en intensité, en animalités : coq-à-l’âne, rapacité, flair,
    Détente, pense-bête etc.

    Vol de cigale, amour de limace ; trajectoires des uns et des autres.
    Des facultés pour le corps qu’il ne soupçonnait pas, des phrases impensées.

    « Le corps est pour le corps vivant cause et principe. »

    Corps : forme au-delà de quoi il se multiplie, s’agrège, se retourne, se considère. Forme en formation : aussi bien phrase.



    Nicolas Pesquès, « Les Formules, deuxième séquence | 4. Abandon de l’âme », in La Face nord de Juliau, treize à seize, Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2016, page 136.






    Juliau 14 NICOLAS PESQUÈS


    Pesquès portrait

    Ph. © Jean-Marc de Samie




    ■ Nicolas Pesquès
    sur Terres de femmes


    Gilles Aillaud (extrait de Sans Peinture)
    après Privas. Nicolas Pesquès (I). « du geste une écriture », par Yves di Manno
    après Privas. Nicolas Pesquès (II). J9, Prémisses de lecture d’une « énigme intime », par Angèle Paoli
    Juliau//ascension face nord (lecture d’AP sur La Face nord de Juliau deux, trois quatre cinq, six)
    21 août 1995 | Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau trois, quatre (extrait)
    Comment recoller ce que la langue détache (extrait de La Face nord de Juliau, cinq)
    15 mai 1886 | Mort d’Emily Dickinson (+ extrait de La Face nord de Juliau, sept)
    La Face nord de Juliau, huit, neuf, dix (lecture d’AP)
    [Courir la pente] (extrait de La Face nord de Juliau, huit, neuf, dix)
    Intérieur nuit (Juliau 11)
    La Face nord de Juliau, treize à seize (lecture d’AP)
    21-22-23 octobre 2013 | Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau dix-sept, dix-huit
    La caisse claire (journal d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    le site de Nicolas Pesquès
    → (sur Poezibao)
    La Face nord de Juliau, six, de Nicolas Pesquès (lecture d’Angèle Paoli)
    → (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature]) une
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  • Nicolas Pesquès , La Face nord de Juliau, huit, neuf, dix |

    # Une jubilation de « joie noire »#

    Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau,
    huit, neuf, dix

    André Dimanche Éditeur, 2011.



    Lecture d’Angèle Paoli

    Du jaune initial de Juliau  . au jaune final de l'exaltation .
    Ph., G.AdC






    # UNE JUBILATION DE « JOIE NOIRE » #




          « Juliau n’est naturel que si je me tais
    ni ne le regarde
    naturel par insensibilité
     », écrit Nicolas Pesquès dans les dernières pages de J10.


    Pourtant, à lire le dernier recueil de Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau, huit, neuf, dix ― quatre livres en un volume de deux cent quatorze pages ―, il semble que la colline ― son jaune, ses genêts, son animalité ― poursuit son travail de creusement dans la sensibilité du poète. Sans épuisement de l’écriture.


    Ainsi la colline de Juliau tiendra-t-elle toujours son alter ego dans sa tenaille ; et toujours Nicolas Pesquès poursuivra son chant dans la paille jaune de Juliau. Rien jamais, ni la souffrance ni le jouir, ne pourra détourner le poète de la colline originelle. Paradoxe de la colline toujours présente au plus fort de l’absence, dans cette tension à double tranchant, double entrée prise entre nécessité de s’éloigner et appel du jouir. Paradoxe aussi de l’écriture qui tient dans la même tension à double tranchant entre le fait qu’elle ne convient pas, qu’elle est inapte à dire « J », et qu’elle est pourtant inéludable.


    « Le langage n’étant plus que ce qui creuse sans convenir », il faudrait chercher autre chose, un au-delà des mots, « quelque chose qui ne dépendrait pas du langage ? » Peut-être la couleur ? Mais que peut « la vénérable » ? La réponse est peut-être dans l’érotisation de la colline :


           « jaune de j bandé
           jus de genêt
     »


    Reprendre avec Nicolas Pesquès la « descension » de Juliau, face nord, c’est renouer avec « l’énigme intime » du poète et, avec lui, reprendre « l’essai d’écre » interrompu par le temps de la séparation dévolu à l’écriture.


    Ultime volet du Juliau de Pesquès, La Face nord de Juliau huit, neuf, dix s’étend sur deux années, de 2006 à 2007. Partie la plus importante de l’ouvrage, J10 occupe 9 chapitres, répartis en deux temps. Les quatre premiers chapitres se déroulent sur deux saisons, de novembre 2006 à août 2007. La suite de J10 ― cinq chapitres ― de septembre à décembre 2007. Quant à J8, deux mois à peine lui sont consacrés ― février-mars 2006 ― ; et un été (2006) suffit à couvrir les trente-deux pages de « l’essai d’écre » de J9.


    D’une saison à l’autre, Juliau veille, à l’affût, et tient le poète au collet. Si trop s’éloigne de la colline, Juliau le rappelle à lui. Avec « son jaune tectonique coulissant » et son « j » de jouir. Écrire Juliau comme, pour Cézanne, peindre la Sainte-Victoire. « J » de Juliau, comme jaune genêt est un chant chamanique, repris, séparé de la scission de la couleur d’avec la colline. Toujours recommencé pour « d’autres approches, d’autres contagions ». Dans quelle faille « d’écre » l’écriture s’est-elle glissée entre J10 et J8-J9 qui le précèdent ? Quel nouveau réseau d’écriture la « descension » a-t-elle suscité chez le poète ? « j’ai voulu en avoir le cœur net », conclut le poète à la fin de son ouvrage.


    C’est sur la séparation définitive que s’ouvre le premier chant de J8. Mort de Juliau, ou peut-être mort de la mère ?


           « Comme si elle était


           là, devant,


           le 2 septembre
           debout et
    morte »



    J8 commence dans le désordre du désespoir et du rejet



           « gale du chêne
           jaune émétique
           mère défaite
     »


    La douleur de la séparation se lit jusque dans la ponctuation adoptée par le poète. Les trois points de suspension qui séparent visuellement une strophe de la strophe suivante impriment le silence intérieur nécessaire entre les blocs de mots. Ils sont le témoignage sensible d’une ellipse. Une aposiopèse. Plus loin dans J8, le poète propose du silence une autre lecture qui justifierait une relecture du recueil :


           « des mots séparés par des blancs
           la place réservée à l’amour
     »


    Même morte la colline est là, qui annonce le « genêt d’outre-tombe » final, et impose au poète la nécessité têtue d’écrire, de poursuivre l’entreprise d’écriture de Juliau : « écrire bute sans cesser ».


    Dans la brièveté de J8 s’inscrit l’idéal de la colline. Sa résistance. Juliau s’insurge. De même, le poète. Sa méthode est celle du refus. Du rejet de toute forme d’assimilation :


           « ne jamais s’appuyer sur quoi que ce soit
           qui aide à confondre les mots et les choses
     ».


    Pas de comparaison possible avec. Pas d’identification.


           « identique est un adjectif disparu »


    Même si JAUNE a à voir avec la mère, et avec elle, aux origines. Pas de comparaison, partant, pas de comme. Le poète convoque plutôt la synecdoque. Figure essentielle de J8, explicitement nommée, la synecdoque, par imbrication contenant/contenu, par engendrement de l’une par l’autre, dit le fusionnement colline-mère-colline.


           Jaune, « âme tournesol
           d’où la mère en colline
     ».


    L’absorption de l’une par l’autre se vit en même temps qu’une même volonté de « dessaisissement », une même douleur coupure-séparation. Et si J8 n’était là que pour dire la mère, présence-absence, « J » « préterre »/prétexte à l’espace mère ? Et l’écriture de Juliau, un autre moyen de « lui parler comme à un autre pan de la vie » ? Omniprésence de la mère − «  à la mère et au couteau » ; « mère et grammaire défaites » ; « pente, vent, mère, nuage/des organismes éphémères » − disséminée dans les poèmes de J8.


    Paradoxalement, à la manière d’un ouvrier qui travaille son matériau à l’aide d’outils, d’un alpiniste qui s’assure de son ascension avec piolets, grappins, pitons et prises, le poète grammairien assure sa progression dans le jaune de Juliau avec les étais qui lui sont propres : ses « et » d’appui – « l’amour du et dans le vide de la langue » –, ses « biais », son « fixatif », sa « synecdoque ». Introduire une logique – jusque dans le refus de sa « légende », avec le jaune comme garant –, pour donner corps. Même si le poète s’insurge contre la sacro-sainte « divinité » sujet-verbe, c’est à la grammaire que Juliau doit de prendre corps :


           « le corps est perdu s’il quitte la grammaire ».


    « Où séparer si séparer commence ? » Séparer, scinder, découper, trancher. Tel est le leitmotiv qui court legato d’un livre à l’autre de Juliau. Tailler, jusqu’à réduire Juliau et son jaune à l’extrême minceur d’une seule consonne. « J ». Mais, du jaune initial de Juliau ― dans sa révélation de genêt ― au jaune final de l’exaltation/exultation du jouir de Juliau, il y a une évolution qui passe par la répétition du même dans ses différences et dans ses variations, voire dans ses contradictions : ― « Juliau : sa fraîcheur, son usure » ―, jusqu’au retour à l’origine, à la scission et à la perte qui en résulte :


           « perdre pour ressentir

           la séparation de tout ce qui nous touche
     »


    « Mais séparer n’est pas détruire », confie aussi le poète. Séparer est indissociable de l’écriture et des contradictions qui l’accompagnent. Écre. Se soumettre à la « dure dent de dire », poursuivre la quête entre « outrage du cul-de-sac d’écrire » et sidération que cela puisse être, encore, « un quart de siècle et plus » ; mettre la couleur au centre, aller d’une rive à l’autre du séparé. Sans perdre de vue la préoccupation première : la concentration, la concision, le coupant. Car favoriser le « genêt à la pointe sèche », c’est résister à la tentation du fusionnel, résister à la féminité de la colline, à ses forces séductrices et trompeuses. La seule possibilité d’« écre » se vit dans la distance et, au-delà, dans l’écart, dans la faille creusée par l’entaille, dans cette « déchirure du langage » qui n’appartient qu’au poète. C’est dans cette faille que se trouve le gisement des mots susceptibles de faire lever Juliau jusqu’à la brûlure.

    L’éclat de son cri gagne la langue du poète et sans doute le poète lui-même.

    Une jubilation de « joie noire » frissonne dans le souffle de l’écriture.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau, huit, neuf, dix




    NICOLAS PESQUÈS


    Pesquès portrait
    Ph. © Jean-Marc de Samie




    ■ Nicolas Pesquès
    sur Terres de femmes


    Gilles Aillaud (extrait de Sans Peinture)
    après Privas. Nicolas Pesquès (I). « du geste une écriture », par Yves di Manno
    après Privas. Nicolas Pesquès (II). J9, Prémisses de lecture d’une « énigme intime », par Angèle Paoli
    Juliau//ascension face nord (lecture d’AP sur La Face nord de Juliau deux, trois quatre cinq, six)
    21 août 1995 | Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau trois, quatre (extrait)
    Comment recoller ce que la langue détache (extrait de La Face nord de Juliau, cinq)
    15 mai 1886 | Mort d’Emily Dickinson (+ extrait de La Face nord de Juliau, sept)
    [Courir la pente] (extrait de La Face nord de Juliau, huit, neuf, dix)
    Intérieur nuit (Juliau 11)
    La Face nord de Juliau, treize à seize (lecture d’AP)
    28 février | Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau (onze à seize)
    21-22-23 octobre 2013 | Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau dix-sept, dix-huit
    La caisse claire (journal d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    le site de Nicolas Pesquès
    → (sur Poezibao)
    La Face nord de Juliau, six, de Nicolas Pesquès (lecture d’Angèle Paoli)
    → (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature]) une
    fiche bio-bibliographique sur Nicolas Pesquès





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  • après Privas…

    Nicolas Pesquès (II). J9, Prémisses de lecture d’une « énigme intime », par Angèle Paoli

    Parcours singuliers,
    Privas, 19-20 mars 2010

    Nicolas Pesquès




    J 9, PRÉMISSES DE LECTURE D’UNE « ÉNIGME INTIME »



         Entrer dans le monde de Juliau et dans l’écriture de Nicolas Pesquès (quel que soit le recueil auquel le lecteur s’attache) demande un travail de dé-lecture de soi. Dès lors que l’on risque une traversée de l’œuvre écrite de La Face Nord de Juliau et de l’écriture qui travaille à la dire « transitivement », il faut accepter de se dé-prendre des modes de lecture qui sont les nôtres pour tenter d’appréhender ce qui se joue dans/avec la déclinaison polymorphe et plurielle des Juliau. Et au-delà du « monolithe » Juliau, interroger l’écriture énigmatique de Nicolas Pesquès, jusque dans les résistances qu’elle oppose à la lecture.

         « La face nord de Juliau. Une colline rude et rugueuse au-delà des prairies. Qui ne se livre qu’à celui qui attend, qui se morfond dans l’écriture, qui questionne, qui s’éprend », écrit Jacques Dupin dans les pages qu’il consacre à Nicolas Pesquès dans M’introduire dans ton histoire (P.O.L, 2007).

          D’un recueil à l’autre de La Face Nord de Juliau (pour moi de Juliau 2 à J6) le « monolithe » bifrons, colline/écriture, offre, dans le ressassement du même, des variations qui sans cesse échappent, sans cesse entraînent, à partir du même socle, vers un ailleurs imprévisible qu’aucune lecture n’épuise jamais.

         Après le Poème Land Art de Juliau Six/Surjaune — qui pousse l’écriture jusque dans l’expérience des limites en installant Juliau dans le motif de la peinture et de la couleur [Surjaune, Installation/ Surjaune, Œuvre/ Surjaune, Dissolution] — attendant patiemment la sortie de Juliau 7 (Rehauts 22 ), je découvre avec les Parcours singuliers de faire part que nous en sommes arrivés à J9.






    en installant Juliau dans le motif de la peinture et de la couleur
    Ph., G.AdC






    Essai d’Ecre


         C’est donc à partir des extraits de ce Juliau neuf — tout neuf — que je suis partie pour renouer, de manière fragmentaire/fragmentée, avec l’univers inépuisable des Juliau. Pour m’arrimer à cette « énigme intime » qui se lit dans l’écriture de J9.

         Je ne sais ce qui s’est passé entre J6 et J9. Mais je ne peux m’empêcher de me demander par quels ressorts d’écriture, par quelles nouvelles épreuves de « sécrétions* bifurquantes » (J4, page 131), par quels dessaisissements successifs (stratégies méthodologiques) Nicolas Pesquès en est arrivé à cette suite de poèmes qu’il a intitulée Essai d’Ecre. Peut-être la lecture de cet Essai d’Ecre m’apportera-t-elle quelque embryon de réponse sur cette nouvelle Ascension de Juliau/Sensation de Juliau. Car

         « la colline revient avec ses masques neufs
         durcis par la visibilité » (écrit le poète en J4, page 95)

    * Etymologiquement : séparations


         Le titre ouvre sur une énigme. Essai d’Ecre. Je pense au col de l’Ecre, bien connu des cyclistes, dans l’arrière-pays niçois. Mais cette piste me paraît improbable. Je n’ai pas rencontré ce nom propre au cours de mes lectures des Juliau.
         Le verbe Ecre existe-t-il ? S’agit-il d’un archaïsme, d’un infinitif ardéchois dont l’existence m’est inconnue ? Je tâtonne d’« écre » à être, d’« écre » à ocre, mais l’« ocre cadenassée sous le ventre de la perdrix » (« Les mois jaunes » de J5, page 33) est absent de l’Essai d’Ecre. En revanche, je déterre « aigre » qui oriente ma prononciation vers « ècre » et non « écre » et « crème » qui confirme le È et me conforte dans mon essai d’écumage de cette petite suite en J9.

         J’interroge le texte. Ecre ponctue la « suite » de poèmes présentés ici, dans ces Parcours singuliers. Le mot apparaît dans des unités grammaticales diverses, à l’intérieur de syntagmes variables et dans des contextes différents. Celui du paysage dans lequel s’inscrit la colline — « l’écre élémentaire » de Juliau, celui de sa féminité qui se lit dans sa « gorge d’écre », celui également du langage qui – pareil aux « étais osseux » soutenant la colline —… tente de retenir « l’écre sans retour ».

         La relecture de J4 me met sur une autre voie.

         Je trouve dans Descro (décrire) un J4 chargé d’imprécations :

         « J4 exècre     communique    exècre » (page 98).

         Peut-être J9 ne conserve-t-il du latin classique « ex/secrari », que le radical. La seule marque du consacré amputé de l’exécration.

         Difficile de déterminer l’identité précise de l’« écre ». Soumis à l’essai, « Ecre », à l’image de Juliau, varie, ne libère qu’en partie son énigme et ne se livre que progressivement, en cours de lecture. « Opus incertum est la forme intrinsèque » de l’aventure de ma lecture.

         Tailler un Juliau neuf, c’est inévitablement chercher une langue au « cœur d’écre ».

         Écrire Juliau c’est, selon le poète, être à l’état d’essai. Essai d’encre. Essai d’Ecre.
         Ainsi peut-on lire :
         « Écre c’est écrire au jaune de J ». Écrire passerait-il par une double amputation ? Celle de Juliau réduit à sa seule initiale ? Celle du verbe écrire, amputé de son suffixe verbal ? « Expérience d’écrire sans ».
         « Ecre », est-ce écrire amputé de son « ire », délesté de la colère implicite contenue dans l’infinitif ?
         « Amputation » provisoire puisque le verbe écrire se reconstitue et se déplie à travers la définition qu’en donne le poète:

         « Ecre c’est écrire au jaune de J ». Jaune de Juliau. Revoilà posée, en quelques mots, resserrés dans cette définition, toute «  l’énigme intime » de Juliau. Juliau/Jaune/Écrire. Qui dit Juliau dit Jaune. Jaune des blés et des genêts ou jaune du « regain sec ». Qui dit Juliau et jaune dit écrire. « Ecrire est inclus dans la couleur ». Depuis toujours. Seule la couleur a changé. Le vert des premiers Juliau a laissé la place au jaune. « Jaune organique, au même titre que le genêt » (J6, page 22). De ce mystère qui lie Nicolas Pesquès à sa colline, l’artiste à sa stèle naît l’étonnement attendri du poète qui écrit en J2 :

         « Je m’étonne de la longévité du charme qui nous lie » (11) et un peu plus loin : « Ecrire est la marque de cet étonnement ». Et qui dit jaune dit « réjouir ». Par assimilation harmonique, graphique, et en amont, par écho sensoriel.
         « jaune conjugué
         présent au chiffon
         synonyme de réjouir » (page 129)

          La question posée par et dans les précédents recueils, revient, obsédant leitmotiv qui parcourt l’œuvre de bout en bout : comment écrire Juliau ? Ou le des-écrire ! Jaune permet-il de dire Juliau ? Ou au contraire de le désenclaver du langage, de l’en séparer ? Ces questions récurrentes ramènent Juliau 6/Surjaune en filigrane sous les chiffons de J9. Comment transformer le poème en paysage et le paysage en poème ? Comment se défaire de l’écriture et de la colline, comment vivre la séparation sans que cette séparation soit vécue comme la mort ?

          Mais ici dans J9, un nouveau questionnement survient. Qui s’impose avec force :

         Faut-il, pour parvenir au cœur de Juliau amputer le verbe écrire ? Pour parvenir au cœur du mot, pour retrouver son énigme primipare, son « écre élémentaire », faut-il l’amputer d’une part de lui-même ? L’Ecre hésite, au bord du bégaiement, quasi onomatopéïque « et que ça que ça ». Il ramène le projet d’écrire J9 à une remontée vers l’écriture d’origine, une écriture « sans », capable de livrer Juliau « sans équilibre ni couleur ». C’est une fois encore tenter la dessiccation extrême, celle qui va rendre Juliau à l’intime de son énigme. « Ecre » conserve en son resserrement « des sons happés par composition de terre »
         Juliau, réduite à la seule lettre J, ramenée à la seule consonne de son initiale, qui constitue à elle seule un tout, un tout énigmatique rejoint la couleur qui est sienne.
         Dans son intimité première, dans son énigme originelle, d’avant la terre :

         « jaune préterre
          jaune avant l’article »

         « L’écre élémentaire » et la colline, images en miroir, participent d’une même autonomie, d’une même réduction à l’essentiel d’« un seul jaune peint ». Juliau contient en son « radieux carré » un « monde entier », pris « entre buis et genêts ». Et rassemble, dans cette miniaturisation de l’univers, les extrêmes — « masse d’astre »/ « toute une vie » —, concentre « le dense et le détail, avec une espèce d’énigme intime comme chose et mot exactement ». Expérience d’écriture de la précision d’où naît le vertige. Et au final, une forme de bonheur.

         « Bonheur est le nom de la plus grande distance aimée »

         C’est ce que je retiens pour le moment de ma « lecture d’écre » de J9.


    Angèle Paoli
    Privas, mars 2010
    D.R. Texte Angèle Paoli




    NICOLAS PESQUÈS


    Pesquès portrait
    Ph. © Jean-Marc de Samie




    ■ Nicolas Pesquès
    sur Terres de femmes


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    le site de Nicolas Pesquès
    → (sur Poezibao)
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  • après Privas…

    Nicolas Pesquès (I). « du geste une écriture », par Yves di Manno

    Parcours singuliers,
    Privas, 19-20 mars 2010

    Nicolas Pesquès





    Après Privas, échos de « Parcours singuliers »



    C’était avant le début du printemps et nous voilà déjà aux abords de l’été. Mais la poésie traverse toutes les saisons et l’écho que j’ai gardé des voix de Privas, voix croisées, voix plurielles, vibre encore dans ma mémoire. Résonances.

    Les Parcours singuliers du 19 et du 20 mars 2010 ont permis la rencontre de poètes et auteurs de la revue faire part rassemblés par Alain Chanéac et Alain Coste dans le théâtre de la ville de Privas. Quatre poètes ont prêté leurs voix à leurs textes : Jean-Marc Baillieu, Patrick Beurard-Valdoye, Caroline Sagot-Duvauroux et Nicolas Pesquès.

    Pour accompagner Nicolas Pesquès dans l’aventure de l’écriture de La Face nord de Juliau, deux contributeurs invités : Yves di Manno et moi-même.

    Terres de femmes met aujourd’hui en ligne les deux contributions de Privas autour des Juliau de Nicolas Pesquès :

    ― celle d’Yves di Manno, « du geste une écriture »

    ― (dans la note suivante) ma propre contribution : « J9. Prémisses de lecture d’une « énigme intime » ».


    Angèle Paoli







    Privas







    « du geste une écriture »




    Il y a, dans le projet poursuivi par Nicolas Pesquès depuis trois décennies, une forme d’obstination, d’insistance à tout le moins dans la posture qui mérite qu’on s’y arrête, même si ce projet a connu en cours de route plusieurs inflexions notables. L’angle d’attaque s’est en effet déplacé, au fil des ans, notamment par le basculement de la prose vers le vers, à partir d’un certain seuil. Il n’en reste pas moins que La Face nord de Juliau pose une question assez singulière, dans le cadre de la poésie contemporaine – a priori peu loquace devant un tel « sujet » – et qui pourrait abruptement se formuler ainsi : qu’est-ce qui se passe, dans le monde et sur la page, lorsqu’on se met à regarder avec des mots ?

    Il faut croire que regarder n’est pas si fréquent, en poésie… Ou du moins, que le regard s’y confond rarement avec le geste d’écrire. Or, c’est bien ce à quoi Nicolas Pesquès s’était à l’origine acharné : à faire tomber le paysage dans le langage, à force de contemplation – mais une contemplation qui serait pour le coup tournée vers le dehors : quelque chose qui ressemblerait, pour renverser les termes (et les idées qu’ils soutiennent) à une forme d’expérience extérieure.

    Chaque fois que je l’ai entendu présenter son ouvrage, Nicolas se référait à Cézanne. (La référence est d’ailleurs explicite dans le premier volume, sous-titré « Tombeau de Cézanne ».) La Face nord de Juliau relèverait donc d’une écriture « sur le motif » – et la colline ardéchoise serait en quelque sorte l’équivalent de la Sainte-Victoire : au moins quant à l’obstination de l’auteur à reprendre indéfiniment son étude, sous des angles divers, sans parvenir à l’épuiser – bien au contraire – sauf à tendre peut-être vers son érosion verbale : au profit alors de quoi ?

    Nicolas Pesquès est mieux placé que moi pour savoir que peindre et écrire, ce n’est pas tout à fait la même chose. Et que l’effort vers le visible – je n’ose même pas parler de figuration – passe pour l’écrivain par un autre canal, quand bien même nous serions d’accord pour dire qu’il y a une matière du langage (dans la palette du vocabulaire, les nuances de la syntaxe) qui empêchera toujours l’écriture de verser dans l’abstraction.

    Du moins pour qui sait de quoi il retourne, dans cette affaire d’écrire.

    Ce serait donc une autre matière que le langage convoquerait, par l’entremise du regard… Mais quel regard au juste ? Et orienté de quelle manière dans le travail ? J’essaie de me représenter Nicolas Pesquès face à Juliau, fixant avec concentration ou abandon ce paysage dont il doit connaître à la longue les moindres inflexions – et le laissant travailler en lui jusqu’à, jusqu’à… jusqu’à ce que les mots surviennent, justement, s’incarnant quelque part entre l’œil et la main. Mais pour les inscrire le regard de l’auteur est dès lors bien contraint, j’imagine, de quitter le motif pour se poser sur cette toile en réduction qu’est la page du carnet (je suppose un carnet, mais n’importe quel feuillet ferait l’affaire).

    Ce n’est pourtant pas une description qui s’y dépose, à peine un croquis par endroits, une notation de couleur (où les mots qui les désignent, ces couleurs, me semblent d’ailleurs plus tangibles qu’elles). Et c’est peut-être même pour ne pas y céder – à la tentation de la description – que La Face nord de Juliau s’est écrite, à l’origine, et continue de s’ériger : pour résister à l’émergence d’une Image (mettons-lui un I majuscule) où le regard et le poème s’aboliraient enfin… Et pour contredire une idée ancienne de la poésie dans laquelle Nicolas Pesquès ne voulait pas se complaire, à supposer qu’il ait jamais entendu ses sirènes.

    Cette écriture – dans La Face nord de Juliau comme dans ses autres ouvrages – est pourtant tout sauf abstraite. Je dirai même que c’est sa matérialité qui frappe au premier chef, comparée à nombre d’entreprises contemporaines – son épaisseur, sa façon de rendre au langage sa dimension charnelle : les mots y ont un « volume » inhabituel – y compris, et peut-être surtout les plus ordinaires.

    (Un peu comme chez Jean Tortel, dont on pourrait la rapprocher, au moins pour la fascination dont elle témoigne devant la matière du monde, sa surface, son absence réitérée de « profondeur »).

    En quoi cela se relie-t-il au regard, je l’ignore ; et puis à peine le concevoir, travaillant pour ma part d’une tout autre manière, et presque à l’opposé : c’est-à-dire dans l’attente des images que la réalité ne montre pas – ou qu’elle nous cache. (Mais en écrivant cette phrase je me demande au fond si les deux démarches diffèrent tant que ça… N’y a-t-il pas, dans les deux cas, recherche d’un effacement de la conscience ordinaire – par saturation du regard dans le cas de Pesquès, par son renversement dans le mien ?)

    N’empêche qu’il y a dans La Face nord de Juliau un effort au réel qui s’appuie sur le fil invisible reliant le regard au langage.

    Au poème ? Peut-être bien, mais « poème » désigne ici l’expression la plus exacerbée – la plus intense, et donc la plus réelle – du langage.

    Pourtant, j’ai le sentiment (Nicolas nous dira si je me trompe) que La Face nord de Juliau a été édifiée, au départ, comme une sorte de digue destinée à réfréner, à canaliser, si ce n’est à interdire l’expansion irréfléchie du poème.

    Cela relevait sans doute d’une volonté… disons-la matérialiste, réfutant en tout cas toute dérive métaphysique : la recherche d’une poésie terrestre, donc terrienne – dont la colline de Juliau (sans en être, loin s’en faut ! la métaphore) pouvait autoriser l’émergence. Et sa contemplation allait donc (devait ?) interdire toute rêverie éthérée, toute méditation dans les limbes, par sa seule présence obstinée.

    Je cite un fragment de Juliau deux :

    « Comment éviter le grandiose et ses clichés, l’excès d’effusion, l’afflux de

    métaphores qui (…) nous touche encore profondément sans lassitude ?

    Douceur et extrémisme. Terreur et tendresse.

    Mêlée sentimentale et de surcroît naturelle.

    Je n’aime pas avoir affaire à cette démesure. »

    De fait, les deux premiers livres de Juliau ressemblent plus, au final, à un journal d’écriture, à un carnet de travail (certes lui-même très « travaillé ») qu’à une œuvre achevée – les poèmes continuant de s’écrire, de leur côté (ce seront Un carré de 25 poèmes d’herbe, L’Intégrale des chemins, puis les 3 poèmes).

    Le basculement s’opère, à mon sens, dans le volume trois, le dernier à se présenter de bout en bout comme un journal – et surtout à être intégralement en prose, du moins parmi ceux qui ont été publiés. Le fait que ce troisième volume contienne, en son centre, une longue réflexion sur l’art rupestre et les hommes du Magdalénien n’est pas un hasard à mes yeux (je vais y revenir).

    Mais le fait est qu’ensuite, le projet de Juliau change de nature – à moins qu’il n’ait tout simplement atteint son but : c’est-à-dire rendu possible l’écriture d’un poème que quelque chose jusqu’alors entravait.

    C’est écrit presque noir sur blanc dans ce volume trois, où l’auteur contemple les 3 poèmes qui venaient alors de paraître et se rend compte – je cite – qu’ils « pourraient avoir versé dans la Face Nord mais c’est plutôt Juliau qui, par débordement, a aussi généré ces poèmes ».

    Ajoutant aussitôt :

    « Aujourd’hui je souhaite qu’il n’y ait plus deux poids et deux mesures, mais que

    la colline soit un poème continu, éventré (…)

    Narratif et spéculatif.

    Spéculatif et descriptif. »

    Les trois adjectifs sont ici capitaux, d’être aussi dialectiquement associés.

    C’était donc cela qui couvait, sous la végétation de la colline… Et c’était apparemment le regard (la contemplation) qui seul pouvait autoriser le jaillissement dans le langage de ce poème résistant, malaisément concevable, au sein duquel narration, spéculation et description, fondues en une seule matière, remplaceraient enfin l’ancien lyrisme.

    Je le pose comme hypothèse, sans me lancer ici dans une démonstration dont je n’ai peut-être pas les moyens, au-delà de l’intuition qui la fonde.
    Comme il est écrit dans Juliau quatre (et c’est désormais en vers) :

    « de quelque côté que je me porte

    j’éclaire               je fais de l’ombre »

    Sauf que, sauf que… cette victoire (si c’en est une) est suivie d’assez près par l’effondrement rapporté en ouverture de Juliau cinq – c’est-à-dire, d’une certaine façon, par l’abandon du premier projet (ou son dépassement) et le début d’une autre aventure, dont Juliau cinq marque la charnière et dont nous ne savons pas encore grand-chose, les volumes suivants tardant hélas à paraître – sinon qu’ils semblent devoir accepter désormais l’hypothèse d’un poème où le regard se déporterait enfin et traverserait le monde autrement.

    Mais je voudrais revenir un instant, pour conclure, sur les hommes du Magdalénien.

    Leur présence « négative » (comme celle de leurs mains et de leurs empreintes énigmatiques) surgit dans le massif de Juliau à la fois comme un archaïsme (la fascination des origines) et comme un modèle insistant, reliant l’écriture contemporaine aux gestes les plus lointains dont l’homme ait laissé la trace sur des pierres, dans le ventre de la terre, pour témoigner d’une conscience, et d’un mystère.

    Cette persistance dans la poésie d’aujourd’hui de l’ombre portée des premiers signes – ce que Paul Louis Rossi a joliment nommé un jour la « nostalgie de l’idéogramme » – fonde aussi le travail de Nicolas Pesquès, de manière plus secrète, même s’il notait dès Juliau deux que « notre écriture (…) rêve toujours de pictogrammes, d’idéogrammes, [et] voudrait entretenir cette veine, si mince chez nous, qui fait du geste une écriture et de toute écriture la manifestation d’une présence corporelle ».

    Il me semble que la résurgence de cette « origine » – de l’art pariétal et des animaux primordiaux qui traversent le livre dans ces années-là – aura à tout le moins hâté le basculement vers le poème et le retour au vers qui caractérisent depuis La Face nord de Juliau.

    J’espère ne pas trop tirer « dans mon sens » le projet de Nicolas Pesquès en vous disant que cette manière d’inscription toujours archaïque qu’est de nos jours l’écriture du poème, c’est bien évidemment par ce travail obstiné du regard (de la colline à la main) qu’elle se sera d’abord imposée à lui – mais peut-être aussi par la possibilité enfin retrouvée (ou admise) de prolonger ce geste d’inscrire – dans une forme versifiée.



    Yves di Manno
    Privas, mars 2010
    D.R. Texte Yves di Manno





    ____________________________________________________
    NOTE d’AP : depuis cette mise en ligne (mars 2010), l’article ci-dessus a été inséré dans l’ouvrage Terre ni ciel (pp. 217-224) d’Yves di Manno, publié en février 2014 dans la collection « en lisant en écrivant » des éditions Corti.




    NICOLAS PESQUÈS


    Pesquès portrait
    Ph. © Jean-Marc de Samie




    ■ Nicolas Pesquès
    sur Terres de femmes


    Gilles Aillaud (extrait de Sans Peinture)
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    Juliau//ascension face nord (lecture d’AP sur La Face nord de Juliau deux, trois quatre cinq, six)
    21 août 1995 | Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau trois, quatre (extrait)
    Comment recoller ce que la langue détache (extrait de La Face nord de Juliau, cinq)
    15 mai 1886 | Mort d’Emily Dickinson (+ extrait de La Face nord de Juliau, sept)
    La Face nord de Juliau, huit, neuf, dix (lecture d’AP)
    [Courir la pente] (extrait de La Face nord de Juliau, huit, neuf, dix)
    Intérieur nuit (Juliau 11)
    La Face nord de Juliau, treize à seize (lecture d’AP)
    28 février | Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau (onze à seize)
    21-22-23 octobre 2013 | Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau dix-sept, dix-huit
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    ■ Voir aussi ▼


    le site de Nicolas Pesquès
    → (sur Poezibao)
    La Face nord de Juliau, six, de Nicolas Pesquès (lecture d’Angèle Paoli)
    → (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature]) une
    fiche bio-bibliographique sur Nicolas Pesquès




    ■ Yves di Manno
    sur Terres de femmes


    Objets d’Amérique (lecture d’AP)
    [pour rejoindre en lisière de la page] (extrait de Terre sienne)
    Yves di Manno | Anne Calas | [par transparence d’une vitre] (extrait d’Une, traversée)



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  • 21 août 1995 | Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau

    «  Poésie d’un jour  »

    L-araign-e du beau temps a -tendu sa toile
    Ph., G.AdC






    Le 21 août 1995


    L’été piétine et frappe la pente. Il sème un jaune blanc de litière, de jonchées de paille. Un foin rare, écrasé dans sa couleur, recuit sous le bétail. Des jetées d’épis concassés mettent au jour, à fleur de peau, la fibre battue de la colline. Un été de tannerie et sa vannée de soleil se répandent en épluchures sous le blanc pâle-sec d’un ciel couvert à force de chaleur.

    Les bêtes font le nécessaire, le font à la perfection.
    Et nous, qui tentons d’oublier le moins possible, altérons l’énigme par nos œuvres circulaires, douloureuses, mal réminiscentes.

    Nous partageons sans doute avec elles l’ineffaçable incrustation des moments puissants qui laissent leur empreinte dans nos mémoires. Souvenirs décisifs, repères comprimés, embolies indécorticables : ils balisent nos existences.

    L’écrasante saison, les oiseaux rares, l’amandier en papillotes vert-jaune vif avec ses clochettes de couleurs fraîches, la prairie bottelée.

    L’araignée du beau temps a étendu sa toile comme si rien que de l’imprévisible devait venir.

    Semblable au poème travaillant à tendre la main à sa famine, au butin cruel de son renouvellement, à la toupie de son complot.
    À la préparation de l’orage.


    Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau, trois, quatre, André Dimanche Éditeur, 2000, page 84.




    NICOLAS PESQUÈS


    Pesquès portrait
    Ph. © Jean-Marc de Samie




    ■ Nicolas Pesquès
    sur Terres de femmes


    Gilles Aillaud (extrait de Sans Peinture)
    après Privas. Nicolas Pesquès (I). « du geste une écriture », par Yves di Manno
    après Privas. Nicolas Pesquès (II). J9, Prémisses de lecture d’une « énigme intime », par Angèle Paoli
    Juliau//ascension face nord (lecture d’AP sur La Face nord de Juliau deux, trois quatre cinq, six)
    Comment recoller ce que la langue détache (extrait de La Face nord de Juliau, cinq)
    15 mai 1886 | Mort d’Emily Dickinson (+ extrait de La Face nord de Juliau, sept)
    La Face nord de Juliau, huit, neuf, dix (lecture d’AP)
    [Courir la pente] (extrait de La Face nord de Juliau, huit, neuf, dix)
    Intérieur nuit (Juliau 11)
    La Face nord de Juliau, treize à seize (lecture d’AP)
    28 février | Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau (onze à seize)
    21-22-23 octobre 2013 | Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau dix-sept, dix-huit
    La caisse claire (journal d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    le site de Nicolas Pesquès
    → (sur Poezibao)
    La Face nord de Juliau, six, de Nicolas Pesquès (lecture d’Angèle Paoli)
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  • Nicolas Pesquès | Juliau//ascension face nord

    Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau,
    deux // trois // quatre // cinq // six

    André Dimanche, Editeur, 1997-2008



    Penser le dépassement, tenter la surimpression, oser le Surjaune.
    Aquatinte numérique, G.AdC






    JULIAU//ASCENSION FACE NORD



        Déclinaison de couleurs, d’odeurs et de formes jusqu’à l’ultime disparition du nom même de la colline, le monde millénaire (« millionnaire ») dans lequel s’inscrit la face nord de Juliau s’impose dans l’éventail de ses multiples variations. Et dans le jeu inépuisable qui se noue entre le « monolithe » Juliau et les incessantes interrogations qu’il suscite. Jusqu’à l’extrême dépassement de la face nord de Juliau, six. Surjaune. De Nicolas Pesquès.

        Comment, dès lors, au cœur de cette multiplicité même, cerner Juliau dans la continuité du temps qui passe, comment rendre compte des saisons qui impriment leur marque sur la face quasi exclusive de Juliau nord, comment dire « l’histoire d’amour d’écriture pour une colline tenant lieu de monde » ? Comment dire Juliau sans se dire soi-même ? Comment mettre en mots le motif de Juliau ? Comment dire « la colline et son poème » ? Comment écrire ? Et comment ne pas écrire ?

        SAME PLAYER WRITE AGAIN, trouve-t-on à la page 94 de J3-J4. L’obsession du poète se découvre au fil de l’œuvre. L’œuvre poétique d’un seul et même joueur confronté à la tyrannie de l’écriture. Une œuvre en six volumes, dense et ardue, exigeante et rude. Mais belle et contraignante, comme l’écriture elle-même. Derrière le titre unique (La Face nord de Juliau) dont seul change le n° du recueil (de un à six), ce qui se dit, c’est l’obsession incessante de l’écriture. L’étonnement que cette obsession suscite.


    « J’écris dans le luxe d’une invention vaine, sans autre trace que celle des mots que je ne parviens pas à effacer. Je m’étonne de poursuivre. Écrire est la marque de cet étonnement ; ça ne s’éteint qu’avec la revenue d’un vert impossible, étalé comme le songe d’un regard passé au peigne de la langue. » (J2, p. 25)


        De J2 à J5, l’écriture, qui s’organise à partir de dates-balises ― du 31 décembre 1985 au 20 octobre 2000 ― pourrait laisser croire à l’élaboration d’un journal, davantage encore à celle de carnets dont Juliau serait la borne d’amarrage, le point nodal où s’ancre l’écriture. Or, de journal il ne peut être question et Nicolas Pesquès s’y refuse : « Juliau ne sera jamais un journal » (J4, p. 13). Et de fait, les dates disparaissent peu à peu des recueils inclus dans chaque livre et J6 s’en sépare définitivement.

        Quant à la question de l’ancrage, rien n’est moins sûr puisque Nicolas Pesquès affirme dès J2 : « Au reste, je souhaite que le poème m’expulse ». Même si cette expulsion doit conduire à la « désaffection » ; puis à « l’abandon ». Car « écrire conduit à une effusion dont on ne revient pas ».

        Oublier la tyrannie du « je » ― « et tous ces je ne seront supportables/que rejetés et clignotants/ une fois la terre remise en place » (J4, p. 169) ― oublier les dates, donc, et s’en référer aux tables des matières qui livrent la composition du recueil à partir de J4.

        Des intertitres apparaissent, chargés de leur part de mystère. Descro, Logiciennes, Way out, pour ne citer que ces trois intertitres de J4. Ou encore : Physiciennes, Juliologie. Pour J5. Des contours et des territoires s’ébauchent, qui livrent davantage à la lecture. Descro pose le problème de la description, « sorte d’irrépressible/chenille commençante ». Logiciennes pose des analogies inattendues, récurrentes chez le poète :



    « brisable comme toute chose                          la terre
    exactement comme les idées

    même matière
                                       même appétit
                                                                           mêmes sauts de carpe » (J4, p. 159)


    ou encore


    « comment la transparence et comment
    la nuit de l’instant s’unissent-elles ?

    immiscées tel un troglodyte dans le roncier » (J4, p. 165).



        Physiciennes offre un décryptage plus scientifique du monde :



    « le verbe, acheminé jusqu’aux clôtures
    ronge la mort
    géométrise les chairs… » (J5, p. 86)


    ou


    « physiciennes

    comme le sont les virgules, les amours, la logique des pierres » (J5, p. 89).



        Des suites apparaissent. Animales, dans Faons Hyènes Bousiers etc. de J4, où se disent les « appeaux du monde » et de la langue. Juliologie annonce la Suite juliologique de J5 et forme avec elle d’étranges petits traités analogiques sur la colline, la couleur, l’écriture, l’être au monde :


    « Écrire ne s’appuie que sur ce qui cède

    flancher d’écrire comme jaunir, ouvrir le cœur
    une main dans l’artifice, une autre dans le noir
    et l’oreille absolue seule dans la grammaire  » (J5, p. 138).


    « JAUNE
    comme la perte de tout objet
    ma planche de vie »


    ou


    « jaune sans arrière monde
    clair et vif telle une scission »


    ou


    « de genêt à JAUNE
    il y va de la vitesse entre deux mêmes

    de cette avance que les mots peuvent prendre

    JAUNE plein visage lecteur

    comme si le corps était parti de l’autre côté
    n’offrant plus de résistance à l’écriture… » (J5, pp. 177, 178, 187).



        D’un Juliau l’autre, l’écriture se resserre, se densifie. Le poème s’aère. La phrase s’allège, s’abrège, se condense. Les mots se raréfient au profit de la « blancheur » ― et de la couleur paille claire du papier de J3-J4 ― choisie pour accueillir le « brandon des syllabes », « le tombeau du poème infini », ― qui submerge la page. « Un nouveau blanc d’équilibre pour le livre ». Le texte se saisit d’un seul tenant. Les mots giclent, pépites desserties qui cherchent l’ESPACE hors de leur gangue grammaticale puis s’en échappent, porteuses de leurs propres rythmes et de leurs images-fossiles, comme dans cet extrait de J4, p. 131 :



    « choses excursionnées
                                                                            graphie circulatoire
    ce sont des sécrétions

                                                                            bifurquantes

    comme le singe de l’humain

    sapant l’identité


    ESCAPE      ESCAPE »



        D’un recueil à l’autre, Nicolas Pesquès poursuit sa quête obsédante de Juliau. « Comment voit-on les couleurs qui s’écrivent ? » interroge le poète dans J2. « Dans quelle couleur vit-on après les yeux ? » reprend-il en écho dans J6. Et toujours, au cœur de ce « ressassement » obsessionnel douloureux, l’accompagne ce désir exigeant de condenser encore davantage l’univers de Juliau. De procéder à « une compression de semence, de colline, de peinture ». Dire Juliau se resserre à hauteur de la nécessité de dire le jaune. Mais comment dire le jaune sans figer le poème ? Comment combiner la phrase et la couleur ? Comment faire exprimer visuellement la phrase : « Je voudrais qu’on puisse voir la phrase sortir du mur, exporter son gouffre, lire le bois », écrit le poète en J6, p. 14.

        Mettre « Jaune » en mot relève de l’impensable et conduit à l’impasse. J6 rend compte de cette expérience des limites qui pousse le poète à vouloir percer au plus près le mystère de la langue. Penser le dépassement, tenter la surimpression, oser le Surjaune. Soumettre à nouveau « jaune » à un autre angle d’approche, à une autre méthodologie. Mais après, au-delà de cette expérience des limites, une fois épuisés le jaune et ses nuances, quelle autre écriture possible après la tentative/tentation du surplus qui, paradoxalement, conduit aux limites de l’abstraction ?

        Au-delà, il y a J7. La Face nord de Juliau, sept (en gestation dans le n° 22 de la revue Rehauts) :


    « jaune revenant en force
    que sa perfection pulvérise

    ou comment la couleur s’absente pour déborder
    pour entrer en possession

    je nomme cela amour de la terre

    phrase si intime que l’œil ne la suit plus ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    La Face nord de Juliau, six




    Note d’AP : une de mes notes de lecture sur La Face nord de Juliau, six, a paru dans le n° 960 (avril 2009) de la revue Europe (pp. 353-354-355), et une autre note dans la revue Faire-Part (mai 2009).




    NICOLAS PESQUÈS


    Pesquès portrait
    Ph. © Jean-Marc de Samie




    ■ Nicolas Pesquès
    sur Terres de femmes


    Gilles Aillaud (extrait de Sans Peinture)
    après Privas. Nicolas Pesquès (I). « du geste une écriture », par Yves di Manno
    après Privas. Nicolas Pesquès (II). J9, Prémisses de lecture d’une « énigme intime », par Angèle Paoli
    21 août 1995 | Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau trois, quatre (extrait)
    Comment recoller ce que la langue détache (extrait de La Face nord de Juliau, cinq)
    15 mai 1886 | Mort d’Emily Dickinson (+ extrait de La Face nord de Juliau, sept)
    La Face nord de Juliau, huit, neuf, dix (lecture d’AP)
    [Courir la pente] (extrait de La Face nord de Juliau, huit, neuf, dix)
    Intérieur nuit (Juliau 11)
    La Face nord de Juliau, treize à seize (lecture d’AP)
    28 février | Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau (onze à seize)
    21-22-23 octobre 2013 | Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau dix-sept, dix-huit
    La caisse claire (journal d’AP)




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    La Face nord de Juliau, six, de Nicolas Pesquès (lecture d’Angèle Paoli)
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  • Nicolas Pesquès | Comment recoller ce que la langue détache

    «  Poésie d’un jour  »



    Tout_ce_quon_enlve_passe_grande_vit
    Ph., G.AdC






    COMMENT RECOLLER CE QUE LA LANGUE DÉTACHE



    comment recoller ce que la langue détache
    extraire le chaud et la blessure

    mais pas que du côté où se mélangent les choses
    dans seulement les mots

    jaune de rêve
    et jaune dont je rêve de sortir

    peau accaparée
    où s’écrase la lumière

    jaune inexpugnable
    le seul qui puisse en découdre sérieusement avec p
    lui sucer le ciel
    c’est

    le vers

    l’inouï tranché
    le chanteur en porcelaine



    tout ce qu’on enlève passe à grande vitesse

    on se retrouve hébété
    avec ce jaune de l’autre côté

    l’image est une image perdue

    les écarteurs de la foudre
    cette façon de louer et d’avoir mal

    rien ne se tait et voilà la colline
    dynamitée de partout
    la hanche lourde



    les mots voient autre chose
    en plus
    en plus ils dénudent

    flambeurs de nuages fous
    obstructeurs de baisers

    se pourrait-il que soit sans corps ce qu’ils visent,

    le prunelier, le gratte-cul
    il n’y a que de l’expérimental dans les genêts
    un jaune invaincu
    des anges





    Nicolas Pesquès, « Juliologie » in La Face nord de Juliau, cinq, André Dimanche Éditeur, 2008, pp. 159-160-161-162.




    NICOLAS PESQUÈS


    Pesquès portrait
    Ph. © Jean-Marc de Samie




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    sur Terres de femmes


    Gilles Aillaud (extrait de Sans Peinture)
    après Privas. Nicolas Pesquès (I). « du geste une écriture », par Yves di Manno
    après Privas. Nicolas Pesquès (II). J9, Prémisses de lecture d’une « énigme intime », par Angèle Paoli
    Juliau//ascension face nord (lecture d’AP sur La Face nord de Juliau deux, trois quatre cinq, six)
    21 août 1995 | Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau trois, quatre (extrait)
    15 mai 1886 | Mort d’Emily Dickinson (+ extrait de La Face nord de Juliau, sept)
    La Face nord de Juliau, huit, neuf, dix (lecture d’AP)
    [Courir la pente] (extrait de La Face nord de Juliau, huit, neuf, dix)
    Intérieur nuit (Juliau 11)
    La Face nord de Juliau, treize à seize (lecture d’AP)
    28 février | Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau (onze à seize)
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    La caisse claire (journal d’AP)




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