Étiquette : la figue


  • 10 avril 1958 | Francis Ponge, La figue

    Éphéméride culturelle à rebours


    Topique : Le figuier



    Figues
    Ph. angèlepaoli






    Les Fleurys, le 10 avril 1958.



    La figue




        Voici l’exemple d’une de nos savoureuses difficultés d’ici-bas.
        La figue sèche est (un) l’exemple de nos savoureuses difficultés d’ici-bas.
        Les gouttes. Comme une grosse goutte, une grosse larme.
        (La façon dont se comporte sous la dent de l’homme la figue sèche…)
        Ne disons pas un doigt de gant mais plutôt un doigt de compte-gouttes, un petit doigt, un petit doigt de compte-gouttes, en caoutchouc.
        Ce n’est qu’une pauvre gourde, d’apparence pierreuse mais molle, un pauvre couillon flétri, fripé, d’un tissu épais mais élastique, sous une sorte poudreuse de lichen sucré (ou de salpêtre).
        Presque informe, comme certaines petites églises ou chapelles rustiques (perdues isolées dans la campagne) bâties sans beaucoup de façons, et que le temps et l’érosion ont rendu extérieurement presque informes.

        Pourtant, ce n’est qu’une pauvre gourde molle. Revenons à la figue. Fossa mariana.*
        Parfois l’on se rencontre(nt) dans la campagne au creux d’une région bocagère (dans les bocages), comme un fruit tombé, une pauvre église ou chapelle romane, très ancienne, de forme romane érodée, un peu enterrée, enfouie dans l’herbe.
        Le portail ouvert,
    il se laisse voir au fond luire un autel scintillant, l’or des pépins comme une flamme de bougie (cierge) dans la pourpre de la pulpe. Oh la confiture sucrée.
        Ou plutôt ce n’est qu’une confiture de lumière faible mais scintillante (confiteor, confite en dévotion) qui craque et pétille et ne résiste pas trop sous la dent.
        La poésie est certes le résultat d’une maladresse, d’une confusion de mots, d’un rapprochement de racines (plein de goût) et je ne me priverai pas de cela.
        La figue est molle et rare : telle est la phrase, aussitôt jugée peu satisfaisante, qui me fut donnée automatiquement.
        La figue est une pauvre gourde, comme une pauvre église de campagne (de la campagne espagnole) à l’intérieur de laquelle lui un autel scintillant.
        Notons tout de suite que nous parlons de la figue sèche.
        Nos l’aimons comme notre tétine ; comme une tétine par chance, qui serait devenue comestible. Couleur de pierre sèche, et comportant une sorte de pâte ou de confiture réduite, sablée de pépins.
        La figue, cette pauvre gourde, est un grenier à tracasseries pour les dents. Un fruit naturellement confit, d’apparence modeste, mais à l’intérieur duquel lui un autel scintillant.
        Une grosse perle de caoutchouc, une petite poire baroque.
        Un pauvre petit argument massue.




    Francis Ponge, Comment une figue de paroles et pourquoi (1977), GF Flammarion, 1997, pp. 70-71. Présentation par Jean-Marie Gleize.




    * Fossa mariana. Les Romains désignaient les canaux (fossae) de l’empire du nom des princes ou généraux qui les avaient fait creuser : Fossa mariana avait été creusé par Marius entre le Rhône et la Méditerranée. La figue et l’auteur de la figue inscrivent ainsi leur appartenance à la civilisation de cette « province » romaine.

    NOTE d’AP : la typographie (alternance de caractères gras et de caractères maigres) du poème de Francis Ponge ci-dessus respecte celle de l’édition d’origine.







    Francis Ponge, Comment une figue





    FRANCIS PONGE


    Francis_ponge_by_silesius22-d3cteek1
    Source



    ■ Francis Ponge
    sur Terres de femmes


    27 mars 1899 | Naissance de Francis Ponge (+ extraits du Verre d’eau)
    9 août 1940 | Francis Ponge, Le Carnet du Bois de pins
    6 février 1948 | Francis Ponge, Pochades en prose
    29 mars **** | Le Verre d’eau
    Les hirondelles
    Philippe Jaccottet, Ponge, Pâturages, Prairies (note de lecture d’AP)





    Retour au répertoire du numéro d’avril 2012
    Retour à l’ index de l’éphéméride culturelle
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index de mes Topiques

    » Retour Incipit de Terres de femmes