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  • Fabio Scotto, La Peau de l’eau

    par Sylvie Fabre G.

    Fabio Scotto, La Peau de l’eau,
    poèmes français (1989-2019),
    éditions La Passe du vent, 2020.



    Lecture de Sylvie Fabre G.




    DANS LE TREMBLÉ DE LA VIE ET DE L’AMOUR




    La poésie n’est-elle pas la voix d’une parole qui fait scintiller des mots-étoiles dans la nuit et le vent, sur l’eau profonde et au-dessus du vide, en éclairant une vie qui donne à voir les signaux inséparables de l’amour et de la séparation, et qui, par là-même, fait entendre l’inachevé de notre condition ? Dans l’ouvrage La Peau de l’eau, publié cet automne aux éditions La Passe du vent, Fabio Scotto, poète italien, fait résonner sa voix en un recueil anthologique qui réunit des poèmes écrits en français entre 1989 et 2019. Dans quatre des parties, ceux-ci sont présentés dans une version bilingue et, fait rare, traduits par ses soins du français en italien. Cette originalité témoigne de sa relation profonde aux deux langues qu’il pratique de façon constante et qui sont mises ici en écho, devenant ainsi des passerelles mélodiques et des passerelles de sens dans la traversée poétique. La fréquentation du français, et la connaissance qu’en a Fabio Scotto de par son travail de linguiste, d’essayiste et de traducteur émérite lui permettent d’établir une véritable résonance entre les deux langues. Le recueil, qui balaie plus d’une trentaine d’années de création, met aussi en lumière l’unité de son œuvre dans la durée. Cet éclairage dans le temps souligne l’élan d’une quête existentielle et poétique où se conjuguent, sous différentes formes, apparition et disparition, autour de l’axe principal du lien à soi, à l’autre et au monde.

    L’anthologie, construite chronologiquement, débute par des poèmes aux vers courts, aux strophes brèves, qui sonnent déjà comme un avertissement. Sur ce chemin dès l’abord ouvert musicalement, le poète (nous) murmure qu’on ne traverse pas impunément le temps, même avec « un cœur » d’« enfant » ou d’amant. Dans le passage d’une époque à l’autre, d’un poème à l’autre, d’une langue à l’autre, il nous rappelle ce que nous ne pouvons ignorer : la vie est partition d’inouïe lumière autant qu’« ombre infinie ». Le désir humain et l’intensité de la langue ne sont pas suffisants pour faire que la ligne droite ne devienne aussi ligne brisée. Fabio Scotto réduit la faille par une écriture comme lui vouée à des amours finies, à des pages tournées, à un chant inachevable.

    Dans la première partie du recueil, l’image fugitive des jeunes filles surgissant « collées à la nuit » au détour d’une rue de Florence, puis, quelques vers plus loin, l’évocation du poète qui « parcourt le jour » « vêtu d’un brin de sable », en sont les premières illustrations symboliques et orientent le lecteur. Ces métaphores, comme le titre de la première partie, L’Avis de la mort, l’alertent en effet sur la tonalité générale, élégiaque, de l’ensemble du livre, que renforcent les derniers vers du Cirque au bord du lac, mélange de dérision et de nostalgie.


    « Le cirque s’en va demain
    (Ungaretti, Volodine, Moravagine)
    Vers le nord ou vers la mer
    Triste défilé

    Sa trace en nous
    Qui dansons sur le vide
    Un rire aux larmes
    Intarissable, subit
    La glace fondue dégouline, tu sais
    C’aurait pu être la vie… ».


    Cahier préalpin, écrit presque dix ans après L’Avis de la mort, introduit d’autres apparitions en égrenant toute une série de lieux qui offrent leur intitulé aux poèmes de cette sixième partie. Leur nomination précise — Gavirate, Castiglione Olona, Varèse, Luino… —, crée un voyage sonore et intérieur qui fond le paysage des Lacs italiens et de ses protagonistes dans une terre habitée et dans l’histoire singulière et collective qu’elle contient. Cette appartenance renvoie le lecteur aux proses de Sur cette rive, paru en 2011 aux éditions L’Amourier (A riva, NEM, 2009), où le poète, comme dans La Peau de l’eau, navigue entre les deux âges initiatiques — enfance-adolescence —, et l’âge adulte où se vivent la confrontation avec la réalité et la perte des illusions. On verra d’ailleurs que cette anthologie personnelle, qui couvre une temporalité large, Fabio Scotto la termine dans la dernière partie inédite, « L’À-Venir », en abordant aux rivages où désormais il se tient : ceux d’un présent vieilli où le poète se retourne sur sa vie et semble dresser un bilan, plutôt amer, de ce qui a été et surtout de ce qui est :

    « Vie, qui t’en vas

    à chaque instant perdu

    […]

    vie qui es illusion,

    sale promesse

    tristesse bleue

    comme tes yeux qui l’avalent » .

    Dans tout le recueil, le traitement du temps entremêle donc écriture du maintenant et écriture de la mémoire. Les verbes y sont le plus souvent au présent, comme si le passé, inclus, continuait à s’y vivre, comme si le futur était rendu inaccessible :

    « Demain ne viendra pas

    demain il sera trop tard »,

    confie l’un des derniers poèmes tiré « D’une Terre » (V). C’est d’ailleurs avec l’anticipation de sa propre mort que le poète clôt le recueil in « L’À-Venir » :

    « Le jour de ma mort il fera beau

    Des amis suivront le cortège funèbre » (X).

    Dans les vers suivants, télescopage imagé de son espace intérieur, lui-même se vit agonisant, puis cadavre énucléé :

    « À l’heure où moi, je meurs seul

    à l’orée du bois

    Puis les corbeaux en criant

    m’arrachent les yeux ».

    Le registre dramatique, amplifié par cette âpre vision que soulignent les allitérations en [R], éclaire le fond obscur d’une douleur qui broie l’être entier. Mais ne traversons-nous pas tous en aveugles la vie et plusieurs morts avant l’ultime ? Ne nous sentons-nous pas nous aussi parfois des morts-vivants ou des survivants ? Les ténèbres extérieures et intérieures sont des thèmes récurrents dans l’œuvre de Fabio Scotto où l’homme poursuit une chasse au bonheur qui toujours se dérobe et le laisse face au néant.

    Pris dans la spirale du temps, le poète résiste en portant son attention sur les formes, les mouvements, les sons et les couleurs d’une réalité qu’il veut saisir et explorer dans l’ici. Sa captation (nous) invite au partage d’une expérience à la fois sensorielle, mentale et émotionnelle des lieux, des choses et des êtres. On y respire une douceur du monde qui n’est pas sans violence :

    « Silence

    Paix

    Mais ce printemps venteux

    arrache les fleurs aux balcons

    gèle le sang » (« Castiglione Olona », Cahier Préalpin)

    et une beauté qui n’est pas sans laideur :

    « Le soir on va au marais

    se salir dans la cannaie

    sur des ponts tremblants

    au-dessus des décharges industrielles » (« Angera », Cahier Préalpin).

    Pas d’utopie, quelle qu’elle soit, chez Fabio Scotto, qui sait reconnaître les maux néfastes de notre société. Dans les dernières parties du recueil, l’évocation de l’eau lève encore d’autres images, plus terribles, sur la vérité du monde. Car la parole de l’écrivain n’oublie ni l’insensé atemporel ni les maux contemporains : sa lucidité regarde une immanence où règne le mal absolu qu’il dénonce dans la « Lettre à Oradour » (Les Dieux étouffés, 1946) dédiée à Jean Tardieu. Barbarie, destruction, famine, « Exode » sont autant de mots qui font de « notre peau, une plaie » et de notre voix « un cri ». Ce cri résonne dans tout le recueil, il remonte des abysses de la Méditerranée, s’élève « du fond des ruines d’un pont de Gênes » ou plane sur le théâtre des guerres. Il est celui des migrants, « frères morts / noyés parmi les vagues » et de tous les corps-cœurs meurtris par l’indifférence, le désamour ou la haine sur cette terre. Dans la voix du poète, il devient le chant humain d’une souffrance déjà inscrite sur les visages peints par Munch ou par Bacon.

    Fabio Scotto cependant n’oublie jamais les grâces accordées par la vie, ni leurs objets. Et d’abord la « grâce du vu », sa magie. Les poèmes célèbrent aussi bien le « désert aquatique / où les nuages joignent / la traînée jaune de l’horizon » que « la joie de la pierre sculptée par le vent » ou l’arbre dont « les branches deviennent ses bras ». Reflet de l’état d’âme, beauté sensuelle du vivant, tissé de présences vibrantes et d’osmose accomplie, le monde est là, avec ses bords de lacs, ses campagnes océanes ou méditerranéennes, ses « aubes simples » et ses couchants au « Miroir du soir ». Le dehors, paysage naturel ou urbain, est très prégnant dans Voix de la vue (1952) et dans toutes les autres parties du recueil à travers des descriptions fondues à l’expression des sensations et des sentiments mais aussi à une méditation. On reconnaît là le traducteur de Bernard Noël dans l’importance donnée au regard par Fabio Scotto pour qui « voir est un acte ». Tous les sens sont évidemment sollicités dans sa poésie « écrite avec son corps » et qui joue sur les sonorités, la rythmique et la ponctuation autant que sur les images. La dimension picturale de certains poèmes relie souvent la poésie à l’art. Ainsi il n’est pas étonnant que deux parties du recueil correspondent à des livres d’artistes réalisés par Fabio Scotto avec Colette Deblé et Martine Chittofrati et que bien d’autres poèmes, au fil du recueil, évoquent la musique ou des tableaux. Dans Esquisses italiennes, par exemple, ouvrage paru en 2014, une suite rêveuse mais précise accompagne toute une série d’œuvres autour des hauts-lieux de Venise et de Rome. Elle témoigne de la sensibilité de l’auteur à « un visible » dont il faut soulever le voile pour accéder à l’invisible et à ses métamorphoses.

    « Qu’est-ce que le corps pour la lumière ?

    La vie jaillit d’or des eaux troubles

    Corde tendue sur l’abîme

    Elle se penche pieds nus

    l’air caresse ses jambes

    Et toi qui l’aperçois de loin

    de la fenêtre d’en face

    tu es de quel temps,

    de quelle galaxie,

    de quel vent ? » (« Église des Scalzi » in Esquisses italiennes).

    Ces quelques vers nous ramènent au thème principal du recueil et de l’ensemble de l’œuvre de l’auteur. C’est en effet la question de l’identité et de l’amour, compris aussi comme désamour, incommunicabilité et éloignement dont il est question et qui fait question.

    Chez Fabio Scotto, la quête inquiète, mais passionnée, de soi et de l’autre est à la source même de la vie et de l’écriture. Elle se heurte toujours à l’impossible qui se confond avec la perte, mais son possible se prolonge dans « un chant de disparition » comme dans la très belle septième partie, au titre évocateur, L’Ivre mort, publié en 2007. Ce chant emporte la barque de l’écriture, de rivière heureuse en fleuve des amers, avec son passager étreint par la même soif inapaisée et inapaisable de l’Un. Comment s’amarrer aux rives toujours fuyantes de l’amour et garder vifs le transport du corps et la plénitude de l’âme un jour vécus, si ce n’est en les posant dans « l’ivre livre » qui transcende la vie en une autre vie et donne à l’amour sa vraie lumière ? Pour le poète, la poésie est peut-être une tentative de réponse à l’énigme, une voie d’accès à cette « éternité » rêvée, « mer allée/avec le soleil » qu’évoquent Rimbaud et Le Livre de Mallarmé (Variations sur un sujet, 1895) mis en dialogue. Ainsi, au cours du recueil, nous assistons à une descente amoureuse et poétique qui est aussi une remontée, à des naissances qui sont aussi morts annonciatrices de renaissances. La séparation et la solitude, thèmes essentiels, y sont montrées natives car venant de la présence elle-même et retournant toujours à la présence. Cette présence rayonnante, souveraine, que la femme aimée, en ses multiples visages, dispense puis retire, renvoie l’homme à sa dépendance et au désespoir, avant que « le seuleil » et le « cercoeil », mots-valises du désastre, ne redeviennent simples vocables, seuil d’un nouveau soleil, à coup sûr celui de la langue.

    De la rencontre amoureuse, Fabio Scotto écrit avec lyrisme l’enchantement, l’ivresse des corps et la joie d’une fusion vécue à l’origine et réinventée, comme le fait la femme des lavis de Colette Deblé à qui Fabio Scotto donne voix dans les Haïkaï (Fragments du corps rouge) de 2007. La dimension érotique occupe une grande place dans ce recueil aux vers-blasons qui célèbrent la féminité et l’emportement du désir. « Les beaux yeux », « le paradis de chair » suscitent l’extase mais révèlent aussi une face sombre. À l’instar de Baudelaire et de certains surréalistes, le poète montre la femme capable de fausseté et d’adultère, pire encore, sujet de trahison et de cruauté. De l’adolescente « blonde aux yeux noirs », entrevue « un dimanche devant la gare », à la femme mûre « qui porte un secret dans ses viscères » et dont la danse est « sous les yeux des dieux », toutes, si elles font de l’amour charnel un zénith, si elles touchent « de leurs ailes » le cœur de l’homme et « émeuvent » son âme, se révèlent en même temps les figures du manque, de l’abandon et de « la chute ». Les amants, tour à tour « ange mortel » et « ange noir », finissent en « anges déchus ». Certes ils connaissent l’acmé mais, très vite aussi, le déchirement et l’absence. Le riche lexique autour du sang montre le poète martyrisé et agonisant, une fois l’aimée en allée et devenue inaccessible. Dans la dernière partie (L’À-venir), celle qui se cache derrière le « A. » de la dédicace « s’en va/sans tourner le dos » mais le laisse exsangue, « le froid aux os » et désespéré.

    L’« à-venir » serait-il désormais une béance, un vide à épouser pour celui, proie d’amours éphémères, qui ne tient dans ses mains que « le rien » ? L’amour, écrit Fabio Scotto, se réduit à « une chanson pour personne / et le reste est la cendre / que tu éteins sur la cendre » (« La douce blessure, La dolce feria » in Le Corps du sable, L’Amourier, 2006). La parole ne serait-elle alors que « le moyen de se multiplier dans le néant », comme l’écrit Paul Valéry (« Petite lettre sur les mythes », Variété II) cité par Fabio Scotto dans Le Corps écrivant. S’il n’y a pas de salut, et nulle consolation, l’homme perdu devient « le perdant », un naufragé sans identité et sans goût de vivre. Le « je » n’existe que dans le lien au « tu », au « on » ou au « nous » vécus dans le face-à-face intime et, nous l’avons vu aussi, dans le partage d’un destin collectif qui nous lie. Si, dans la relation, l’un est exclu ou nié, l’autre est renvoyé à une sorte de non-être. Le déroulé de regards, de sentiments et de pensées qu’offre le recueil dresse en filigrane un portrait du poète. Ainsi l’apparition de la silhouette de Guido Morselli, écrivain méconnu de Varèse, « traversant la place du Marché / déjà déserte / à six heures du soir », au début du recueil (« Varèse », Cahier préalpin), est suivie de l’identification ironique au cygne de Caldé qui meurt « du plomb dans l’aile ». Ces signes d’un état intérieur mettent à nu une déréliction exprimée aussi par la finale verlainienne de « Luino » (Cahier préalpin) :

    « La vie est manque

    j’aime son absence

    J’attends la pluie ».

    Et cette dernière, à la mélancolie assumée, arrive même à « effacer » jusqu’aux mots du poète emportés par « le vent ».

    La vie, ce réel auquel chacun se confronte, nous déborde toujours, telle est la leçon du recueil. La voix qui y chante nous apprend son mystère indépassable et notre exil : dans l’amour, le plus proche est toujours déjà le plus lointain, mais sa rencontre nous constitue. Après la joie, la disparition laisse au sillage des jours l’a-joie, sa plaie jamais cicatrisée. Le temps s’acharne, c’est vrai, à nous dépouiller, multipliant les défaites et les deuils. En emportant les aimés, il laisse dans un silence où chacun se tient seul comme devant la mort. La félicité « que je croyais atteindre » reste insaisissable, écrit Chateaubriand dans ses Mémoires d’outre-tombe, et Fabio Scotto ne le démentirait pas. La séparation, comme l’adieu, est le lot de chacun, qui doit trouver en soi les ressources pour continuer. Le poète de La Peau de l’eau, ami de Tardieu, de Bonnefoy, de Noël et de tant d’autres, pose dans ce recueil les pourquoi et les comment qui nous taraudent. Au bord de l’abîme, lui-même rongé de révoltes, de chagrins et de doutes, assiégé par la désespérance, il ne livre pas de réponse. Mais il garde encore, par-delà ses morts et la mort, le geste d’écrire qui donne son tremblé à la vie. Au terme de cette traversée, le dernier poème du recueil apaise sans la nier la blessure inguérissable avec le mot de « pitié » dont a tant besoin l’humain. Et l’arbre contre lequel s’adosse celui qui prononce ce mot, debout entre terre et ciel, transfuse en sa voix la sève : le poème est bien « l’amour réalisé du désir demeuré désir » (René Char, Fureur et mystère, 1948).



    Sylvie Fabre G.
    D.R. Texte Sylvie Fabre G.
    pour Terres de femmes







    Fabio Scotto  La peau de l'eau





    FABIO SCOTTO


    Fabio Scotto





    ■ Fabio Scotto
    sur Terres de femmes


    Venezia — San Giorgio-Angelo (extrait de La Peau de l’eau)
    A riva | Sur cette rive (lecture d’AP)
    Regard sombre (extrait de A riva | Sur cette rive)
    Le Corps du sable (lecture d’AP)
    Je t’embrasse les yeux fermés (poème issu du recueil Le Corps du sable)
    Ces paroles échangées (poème issu du recueil L’intoccabile)
    China sull’acqua… (traductions croisées)
    Tra le vene del mondo (extrait de La Grecia è morta e altre poesie)
    “Musée Thyssen Bornemisza Madrid”, Jacob Isaacksz Van Ruisdael
    Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid (onze « poèmes peints » traduits par AP)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site des éditions La passe du vent)
    la fiche de l’éditeur sur La Peau de l’eau
    → (sur Lyrikline)
    Fabio Scotto disant dix de ses poèmes




    ■ Autres lectures de Sylvie Fabre G.
    sur Terres de femmes


    Caroline Boidé, Les Impurs
    Jean-Pierre Chambon, Le Petit Livre amer
    Jean-Pierre Chambon, Tout venant
    Patricia Cottron-Daubigné, Visage roman
    Ludovic Degroote, Un petit viol, Un autre petit viol
    Pierre Dhainaut, Après
    Alain Freixe, Vers les riveraines
    Luce Guilbaud, Demain l’instant du large
    Emmanuel Merle, Ici en exil
    Emmanuel Merle & Thierry Renard, La Chance d’un autre jour, Conversation
    Angèle Paoli, Lauzes
    Pierre Péju, Enfance obscure
    Didier Pobel, Un beau soir l’avenir
    Erwann Rougé, Passerelle, Carnet de mer
    Roselyne Sibille, Entre les braises
    Une terre commune, deux voyages (Tourbe d’Emmanuel Merle et La Pierre à 3 visages de François Rannou)






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  • Stéphane Juranics, Silence du temps


    SILENCE DU TEMPS  guidu
    Ph., G.AdC







    SILENCE DU TEMPS
    (extrait)






    et si l’on se demande parfois
    à quoi cela sert de parler
    lorsqu’innommable
    la violence de l’Histoire
    s’impacte dans les corps
    et dans les âmes
    c’est là justement
    qu’il faut noter
    ce qu’on n’ose prononcer

    la guerre des ombres
    l’exode des visages

    1915 Mouch
    jour après jour
    ces longues files effarées
    un peuple entier
    cherchant dans les montagnes
    une frêle dernière chance
    interminable chemin
    dans le désert
    où se grave son épitaphe

    1944 Céreste
    Roger Bernard gisant
    dans l’ombre d’un mûrier
    tournesol du maquis
    fauché avant l’heure
    coquelicot du Luberon
    enlevé à sa terre
    ses pétales jonchant la route
    gouttes de sang d’un partisan
    tombé pour nous

    1956 Budapest
    les chars faisant taire
    une révolution sans mots d’ordre
    sauf celui pour chacun
    de fourbir sa voix
    milliers d’antithèses
    ardentes à s’écrire
    versant l’acide
    de leur encre rebelle
    sur l’empierrante injonction
    des dogmes

    1991 Bagdad
    une nation interrompue
    par l’inintelligence des bombes
    au nom du prix du pétrole
    civilisation hébétée
    d’un tel contresens
    dunes d’adjectifs
    inhumés vifs
    sous l’impuissance verbale
    de la puissance du feu

    2002 Ramallah
    ce poids de ruines
    sur les paupières
    l’ombre arrachée
    aux forêts d’oliviers
    journalier l’héroïsme des lèvres
    sourdes au fracas des tanks
    qui rend sourd
    entre les barbelés
    perçant les tympans du ciel

    2013 Lampedusa
    l’eau qui se noie
    dans l’œil des réfugiés
    aux rêves échoués
    sur la grève
    aux noms écorchés
    sur les rochers
    leur âme restée au large
    et leurs visages
    flottant à jamais
    en surface de la mémoire

    2015 frontière hongroise
    d’heure en heure l’exil
    à travers champs
    la roue du sort voilée
    par les cahots des prés
    labourés de cohues
    innombrables sillons
    sans autres graines
    que les gouttes de sueur
    ensemençant la plaine

    et partout
    signes perceptibles des guerres
    la brisure des voix
    phrases écrasées
    sous les chenilles de l’Histoire
    les gestes nommant
    sans le dire
    la chair tuméfiée
    la tragédie du sang
    la terre enfouie
    obsidienne fichée
    dans le blanc des yeux

    ça et là
    sur la terre des chemins
    les pierres scintillant
    de rosée au soleil
    comme autant de larmes
    durcies dans l’herbe

    non
    rien de cela
    ne doit être
    passé sous silence

    […]



    Stéphane Juranics, Silence du temps, Poésie, éditions La passe du vent, 2020, pp. 23-28. Préface de Roger Dextre.






    Silence du temps




    STÉPHANE JURANICS


    S. Juranics © O. Alloyan
    Ph. © Olivia Alloyan
    Source





    ■ Voir aussi ▼


    le blog personnel de Stéphane Juranics
    → (sur le site des éditions La passe du vent)
    la fiche bio-bibliographique de l’éditeur sur Stéphane Juranics
    → (sur le site des éditions La passe du vent)
    la fiche de l’éditeur sur Silence du temps de Stéphane Juranics





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  • Fabio Scotto | Venezia — San Giorgio-Angelo


    VENEZIA — SAN GIORGIO-ANGELO




    Si dice che siano « custodi »
    che ascoltino i nostri pianti
    Innàlzati pure
    Vola via da me
    Tuo il cielo
    Le sue grandi nubi
    Mia la terra
    il suo nero fango che fuggi
    che prosciughi
    Ora che sento l’odore del prato
    dopo la pioggia
    E sono in piedi nella mia vita
    Esisto e resisto







    VENISE — SAN GIORGIO-ANGE




    On les dit « gardiens »
    à l’écoute de nos pleurs
    Alors lève-toi
    Envole-toi loin de moi
    À toi le ciel
    Ses grands nuages
    À moi la terre
    sa boue noire que tu fuis
    que tu assèches
    Maintenant je sens le parfum du pré
    après la pluie
    Et je suis debout dans ma vie
    J’existe et résiste





    Fabio Scotto, La Peau de l’eau, poèmes français (1989-2019), éditions La Passe du vent, 2020, pp. 128-129. Poème traduit de l’italien par l’auteur en collaboration avec Sylvie Fabre G.






    Fabio Scotto  La peau de l'eau





    FABIO SCOTTO


    Fabio Scotto





    ■ Fabio Scotto
    sur Terres de femmes


    La Peau de l’eau (lecture de Sylvie Fabre G.)
    A riva | Sur cette rive (lecture d’AP)
    Regard sombre (extrait de A riva | Sur cette rive)
    Le Corps du sable (lecture d’AP)
    Je t’embrasse les yeux fermés (poème issu du recueil Le Corps du sable)
    Ces paroles échangées (poème issu du recueil L’intoccabile)
    China sull’acqua… (traductions croisées)
    Tra le vene del mondo (extrait de La Grecia è morta e altre poesie)
    “Musée Thyssen Bornemisza Madrid”, Jacob Isaacksz Van Ruisdael
    Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid (onze « poèmes peints » traduits par AP)




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    Fabio Scotto disant dix de ses poèmes





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  • Sylvie Fabre G. | Retournement du chant [hommage à Maurice Benhamou]



    Maurice Benhamou
    Maurice Benhamou (1929-2019) dans l’atelier de Charles Pollock.
    Ph. DR : Galerie ETC (28, rue Saint-Claude 75003 Paris)
    Source








    RETOURNEMENT DU CHANT
    (extrait)




    Tréfonds du temps et autres poèmes

    de Maurice Benhamou [éditions Unes, 2013]



    Les mots bien sûr ne peuvent suffire au corps,
    à l’âme errant entre l’impermanence des choses,
    la fragilité des êtres et la constance des horreurs.
    Folie, détresse sont les épines affilées de la poésie,
    il y a une lacération muette dans la langue.

    La voix qui dans la douleur s’intériorise trouve
    l’extension, et sa parole palpite jusque dans le sel
    et le sable. Elle n’habite pas seulement l’arbre nu.
    Dispersée aux quatre vents de l’ici et de l’ailleurs,
    du passé et de l’avenir, elle forge un commun espace
    pour le présent. Le désert a mille lieux d’espoir et
    de désespoir, ses pistes sont entées de voix.
    Celle de l’aimée y laisse des traces, lettres calcinées,
    éclats de consonnes filantes, voyelles ardentes
    qui du poème abreuvent ou assèchent les puits.

    Vos mots en sa quête ont des trouées, des échappées
    qui vous débordent et parfois l’éclairent, apaisant
    le cœur de son tremblement. Ses pas aussi, s’appuyant
    sur ce qui ne s’appuie pas,
    s’en raffermissent.
    Liés à la vivante promesse, ils affrontent son obscurité.

    N’avez-vous pas ainsi tenté de psalmodier l’alphabet
    de l’aleph jusqu’au tav,
    essayé de déchiffrer le vol
    émouvant des oiseaux quand leurs ailes creusent le vide
    mais enterrent le néant ? Au commencement et à la fin,
    n’avez-vous pas demandé si c’est l’essor de mourir ?

    Du tréfonds du temps vous arrive la voix antique
    capable d’attirer les ombres, et tel un Orphée égaré
    vous vous tenez sur la rive, cherchant parmi elles
    Eurydice effacée, et l’enfant, et les intimes de jadis,
    tous emportés par le vent vers les étoiles muettes.


    […]




    Sylvie Fabre G., La Maison sans vitres, La Passe du vent, 2018, pp. 123- 124. Postface d’Angèle Paoli.




    ___________________________
    NOTE d’AP : l’historien de l’art et poète Maurice Benhamou (né le 15 janvier 1929 à Casablanca) est décédé le 11 décembre 2019 à l’âge de 90 ans.






    Sylvie Fabre G.  La Maison sans vitres 2





    SYLVIE FABRE G.




    Sylvie Fabre G.
    Source




    ■ Voir aussi ▼


    Le rêveur d’espace [hommage à Claude Margat] (autre extrait de La Maison sans vitres)
    Lettre des neiges éternelles (autre extrait de La Maison sans vitres)
    Piero, l’arbre (autre extrait de La Maison sans vitres)




    ■ Maurice Benhamou
    sur Terres de femmes

    [Des déserts engourdis] (extrait de Tréfonds du temps)




    ■ Voir encore ▼

    → (sur le site de France Culture)
    deux émissions (« L’art en partage ») consacrées à Maurice Benhamou (Les Passagers de la nuit, 25/26 avril 2011)





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  • Paola Pigani, Le Cœur des mortels

    par Michel Ménaché

    Paola Pigani, Le Cœur des mortels,
    éditions La Passe du vent, 2019.
    Photographies de Gilles Vugliano.



    Lecture de Michel Ménaché



    Après Indovina (« Devine »), chez le même éditeur — La Passe du vent —, le nouveau recueil de la romancière et poète Paola Pigani nous entraîne dans une exploration sensible de l’agglomération lyonnaise en regard des remarquables photographies en noir et blanc de Gilles Vugliano. Entre Rhône et Saône, sur les quais et les ponts, le long des rails des tramways, au déroulé du ballast des voies ferrées, dans les recoins obscurs, le photographe, sans artifice, capte la croisée des perspectives, fixe ce qui dans l’enchevêtrement des architectures est mouvement, énergie en chantier, façades à l’abandon. Il redonne visibilité aux flâneurs et aux sinistrés de l’exclusion urbaine… En exergue de ce bel ouvrage, Paola Pigani retient deux vers de Baudelaire à laquelle son titre se réfère : « La forme d’une ville / Change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel » (in « Le cygne », « Tableaux parisiens », Les Fleurs du Mal). Et, par le poème, l’auteure retrouve l’humanité sous la dureté de la pierre, l’émotion derrière la froideur du fer et du béton, tandis que, invitation au voyage, les ponts et les rails nous poussent à grandes enjambées, tel Cendrars, vers de lointains Orénoque — sans barrage —, aux carrefours de tous les imaginaires…

    L’encre du poème se fond dans les marges, en contrepoint ou au dos des images, avec une économie exemplaire. Il ne s’agit pour Paola Pigani ni de décrire ni de commenter. La chair des mots pénètre là où l’objectif du photographe n’a pu aller, là où l’émotion se dénoue. La langue irrigue la page, donne à voir au-delà du visible :

    « Tu suis le cours du fleuve

    Des murs montent

    Des ombres glissent

    S’écoule le sang épais de nos rêves ».


    L’alchimie du noir et blanc ne s’arrête pas à l’œil, c’est tout le corps qui absorbe, tous sens en éveil :

    « Dans le mouvement des nuages

    Tu partiras

    Téter la lumière ».

    Le gigantisme des architectures isole les êtres en les empilant et en les cloisonnant :

    « Entre le souvenir de l’arbre

    Et le rêve d’une tour de quinze étages

    Un gros cœur bat déjà dans le plein midi translucide

    Demain il y aura trop de fenêtres où se pencher ».


    Et quand l’urbanisme tentaculaire déborde à l’infini :


    « Il y a

    Des fraternités au bord du vide

    […]

    La ville n’a plus de rives

    À corps perdus

    Nous sommes

    En elle ».

    Par le poème, le questionnement existentiel de l’auteure transcende l’asphalte, repousse l’horizon :

    « Contre le vent

    Contre le froid

    Y a-t-il une géométrie de la joie ?

    Pour décoller nos yeux des pavés ».

    Quant aux isoloirs miniaturisés de la communication désincarnée, nos caresses se perdent, s’encrassent à fleur d’ego poisseux :

    « Sur l’écran gras de nos Smartphones

    La buée de nos bouches

    Nos traces de doigts

    Des messages inachevés

    Des baisers comme des verres sales ».

    À travers les images de Gilles Vugliano, le regard de Paola Pigani sur la ville s’obscurcit des structures noires qui cisaillent l’espace tout en aspirant à la lumière des nuances de blanc. Comme ce territoire du cœur des mortels incite à se réapproprier un monde à visage humain :

    « Dans les herbes hautes

    Penser aux vivants

    Ils vont et viennent

    Ignorent le ciel

    Qui chavire

    Sur la banlieue

    Terre à partir ».



    Michel Ménaché
    pour Terres de femmes
    D.R. Texte Michel Ménaché






    Paola Pigani  Le Coeur des mortels 2






    PAOLA PIGANI


    Paola Pigani 3
    Ph. Gilles Vugliano
    Source





    ■ Paola Pigani
    sur Terres de femmes


    La Renouée aux oiseaux (lecture d’AP)
    [L’hiver n’aura pas ma peau] (poème extrait de La Renouée aux oiseaux)
    La voix des migrants (poème extrait d’Indovina)




    ■ Voir aussi ▼


    La renouée aux oiseaux (blog de Paola Pigani)
    (sur le site des éditions La Passe du vent)
    la fiche de l’éditeur sur Le Cœur des mortels
    (sur Lecthot)
    un entretien avec Paola Pigani




    ■ Autres lectures de Michel Ménaché
    sur Terres de femmes


    Anne-Lise Blanchard, Les jours suffisent à son émerveillement
    Mireille Fargier-Caruso, Comme une promesse abandonnée
    Maram al-Masri, Métropoèmes
    Florentine Rey, Le bûcher sera doux





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Joël Bastard, Chasseur de primes

    par Paul de Brancion

    Joël Bastard, Chasseur de primes, récit,
    Éditions La Passe du Vent, 2014.



    Lecture de Paul de Brancion






    Quelque chose de désabusé dans ce Chasseur de primes de Joël Bastard ! Récit sans concession, mais à cœur ouvert.

    Le poète, homme de lettres, passe une grande partie de sa vie à rechercher des engagements littéraires, résidences, ateliers d’écriture et autres interventions rémunérées pour vivre, puisqu’il a décidé de « faire métier des lettres ».

    « Au bout de la énième résidence […], on finit par se poser la question, mais qu’attend-t-on exactement d’un écrivain ? »

    Et Joël Bastard de se poser la question de ce que lui-même attend de sa propre écriture, puisqu’il est écrivain. La réponse ne vient pas d’elle-même. Elle se fait par le livre qui, lui, ne s’éteint pas comme un ordinateur, mais contient « le bruit, la ville, le travail des jours. » Il y a pour Joël Bastard une évidence du livre qui efface les autres priorités.

    D’abord être un « ouvrier de la langue ». L’écriture mène parfois au roman, le temps d’un ouvrage, mais « la poésie est l’écriture première, celle de l’évidence que l’on ne choisit pas. »

    Le poète est conduit par une sorte de fil d’acier inoxydable qui le pousse sans répit à continuer sa conversation « avec l’esprit du doute ». Clairement, chez Joël Bastard, douter n’est pas baisser les bras. Et même si, certains soirs de découragement, il se lasse ou bien s’agace d’être ce « résident nomade » qui campe dans des lieux au fond indifférents, il reprend sa cuisine instable, son métier sans fin de traversier qui pratique sans répit la « mise à prix de l’immatériel. »

    Cette réflexion est douloureuse en ce qu’elle nous rappelle la dure réalité du monde que beaucoup d’entre nous ont choisi de régler une bonne fois pour toutes en devenant doubles, en travaillant et en écrivant. Regardant de ce fait, avec des yeux envieux, agacés, duplices, les très rares d’entre ceux qui ne font qu’écrire, devenant « chasseurs de primes ».

    Ils ont tout à la fois notre respect envieux, voire jaloux, et notre mépris. Car ils se sont éloignés délibérément du monde du péché originel dans lequel nous nous débattons en argumentant qu’ainsi nous sommes reliés au monde. Nous participons de la vie réelle et autres balivernes. Alors que cela prouve seulement que nous ne réussissons pas à vivre de notre plume, et que nous ne le désirons pas, car ce serait aussi tomber dans cette déchéance que décrit avec courage Joël Bastard : la quête incessante du contrat de résidence. Quête qui porte aussi sur la qualité des disponibilités nécessaires à l’écriture.

    Il n’y a pas de bonne solution. Travailler parallèlement à l’écriture fatigue, perturbe, harasse, fait souffrir, même si cela peut aussi enrichir, dans tous les sens du terme. Ne pas travailler conduit inexorablement à courir le cachet ou à devenir apparatchik salarié de telle ou telle officine littéraire qui finira par vous bouffer le cœur et les neurones.

    Au fond, les seuls à qui la littérature ― de fait ― apporte statut social, pouvoir et salaire, ce sont les organisateurs, les directeurs des officines officielles des lettres, de divers organismes poétiques et des grands festivals, qui finissent par parvenir à se nourrir de nos errances.

    D’aucuns, évidemment, demeurent de véritables serviteurs de la poésie, d’autres finissent par considérer qu’ils ont des droits sur elle, qu’ils peuvent décréter, en leur haute sagacité, ce qui est et ce qui n’est pas valable. Oubliant l’infinie nécessité d’ouverture et de liberté qu’exige le fait poétique, qui ne se suffit jamais à lui-même, et qui ne saurait s’instaurer.

    La poésie est toujours insuffisante. C’est avec un zest de nostalgie et de remords pour les moments perdus à traquer la résidence ou la sollicitation poétique que Joël Bastard met les pieds dans la soupe. Sa façon est juste et lucide. Il continue sa conversation avec l’esprit du doute. Qu’il en soit remercié.



    Paul de Brancion
    D.R. Paul de Brancion
    pour Terres de femmes







    Joël Bastard, Chasseur de primes.jpg 2






    JOËL BASTARD


    Joelbastard





    ■ Joël Bastard
    sur Terres de femmes


    [Assis à côté, à la proue d’un navire] (extrait d’Une cuisine en Bretagne)
    Une cuisine en Bretagne (lecture d’AP)
    Bakofé
    Casaluna
    Le visage de Mah



    ■ Voir aussi ▼

    le blog de Joël Bastard






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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Paola Pigani | La voix des migrants




    Le pont de Brooklyn Enjambe le matin calme
    Ph., G.AdC







    LA VOIX DES MIGRANTS



    Autour d’Ellis Island
    Le Columbus traverse les flots
    Les voix des migrants
    Sont retournées à l’eau
    Le pont de Brooklyn
    Enjambe le matin calme
    Ici New York
    Ici New York
    L’écume aux lèvres


    Un quatre-mâts sans voile
    Stagne devant les grues
    De la Freedom Tower en construction
    Le Ground Zero n’est plus un trou
    Au passage du zodiac de la NY Policy
    Des pilotis tremblent dans l’eau brune
    Les nounous noires de Battery Park
    Poussent des enfants blonds et muets


    Assise au bord de l’Hudson River
    Une jeune femme penchée
    Sur un écriteau de carton
    I’m looking for kindness
    Je cherche la bonté



    Paola Pigani, Indovina, in Indovina suivi de Ailleurs naît si vite, La Passe du vent, Collection Poésie, 2014, pp. 14-15.





    PAOLA PIGANI


    Paola Pigani 3
    Source




    ■ Paola Pigani
    sur Terres de femmes


    Le Cœur des mortels (lecture de Michel Ménaché)
    La Renouée aux oiseaux (lecture d’AP)
    [L’hiver n’aura pas ma peau] (poème extrait de La Renouée aux oiseaux)




    ■ Voir aussi ▼


    La renouée aux oiseaux (blog de Paola Pigani)





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Emmanuel Merle & Thierry Renard | [Jour de pluie ici aussi]



    [JOUR DE PLUIE ICI AUSSI]






    106 ecriture
    Ph., G.AdC




    106.
    Jour de pluie ici aussi,
    le printemps ne viendra plus.
    J’ai trop souvent
    manqué d’audace et de temps.
    J’ai mis tout mon corps dans l’écriture.






    107 mots

    Ph., G.AdC




    107.

    Mots, objets sonores,

    fragments détachés

    de soi, sécrétions invisibles.

    Le corps passe ou meurt,

    mais certains mots s’accrochent encore.







    108 tu
    Ph., G.AdC




    108.
    Mémoires intactes,
    nostalgie affirmée, âmes affamées,
    toutes sauvées des eaux
    et du désastre.
    L’avenir maintenant nous rappelle.







    109 un

    Ph., G.AdC




    109.

    Réveillé à l’aube.

    Point numéro un : cette journée

    t’appartient. Encore raté :

    il y a ça à faire, et ça.

    Cette journée, tu lui appartiens.







    110 lucidite
    Ph., G.AdC




    110.
    La lucidité est un éclair
    qui nous transperce le cerveau.
    L’éclat de la mort, lui,
    nous submerge à tout instant.
    Tout a déjà été dit.






    111 ames

    Ph., G.AdC




    111.

    Reste l’indicible. Entre les notes,

    au milieu des regards,

    à la diagonale du fou

    et à l’aplomb du désir.

    Reste la poésie.




    Emmanuel Merle & Thierry Renard, La Chance d’un autre jour, Conversation, La passe du vent, 2013, pp. 104-105. Préface de Claude Burgelin. Collages de Sonia Viel.







    Emmanuel Merle & Thierry Renard






    ■ Emmanuel Merle & Thierry Renard
    sur Terres de femmes


    La Chance d’un autre jour, Conversation (lecture de Sylvie Fabre G.)




    ■ Emmanuel Merle
    sur Terres de femmes


    Amère Indienne
    [Cape Cod]
    Le Chien de Goya (lecture d’AP)
    Cet ancien lieu (poème extrait de Démembrements)
    Démembrements (lecture d’AP)
    Ici en exil (lecture de Sylvie Fabre G.)
    [Le rouge] (extrait de Dernières paroles de Perceval)
    Dernières paroles de Perceval (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Dernières paroles de Perceval (lecture d’AP)
    ils attendent ce qui (extraits du Grand Rassemblement)
    Migrant (extrait d’Habiter l’arbre)
    [Je me discerne davantage dans le miroir de la couleur](extrait des Mots du peintre)
    [Tout est matière, sauf ma décision] (extrait d’Olan)
    Tourbe (lecture d’AP)
    [Il n’y a plus d’arbres] (extrait de Tourbe)
    [Une promesse, dis-tu]




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Terres de femmes)
    Jean-Michel Platier & Thierry Renard | [Nous nous exposons aux regards moqueurs et aux pies inquiètes] (extrait de Crever la route)
    → (sur le site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Thierry Renard





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Raphaël Monticelli, Terres de l’enfuie






    TERRES DE L’ENFUIE, VIII, IX, X




    VIII


    Le ciel de ce pays est tout d’un bloc
    la nuit s’y effondre donc dans le silence de la tentation du monde
    sans préalable
    elle s’échappe sans effet d’annonce et sans bruit
    l’étalement des soubresauts du monde
    c’est la
    nuit c’est le jour
    tout simplement et leur douloureuse expansion
    le pédoncule tendu d’une fleur de sorbier





    IX


    Quand les eaux et les terres de ce pays se réunissent
    les porteuses d’eau de terre et de pain
    se dirigent lentement vers la rivière
    le ciel n’est alors jamais trop loin avec ses airs de femme
    leur tête se dresse
    et frémit d’émoi sous le poids des vases de cuivre et des sacs
    de toile
    on dit aussi qu’au fond des puits sont conservés
    de grands secrets et mille oiseaux soudain s’affolent
    autour des pistils de la valériane





    X


    Il y a dans ce pays des voies déroutées et des canaux sans but
    écoute les coups redoublés des eaux sur mes rives
    le réseau en est si dense cependant
    que l’on se trouve toujours où l’on veut se rendre
    dans l’odeur musquée de la phalliphore



    Raphaël Monticelli, Terre de l’enfuie in Mer intérieure, Éditions La passe du vent, Collection Poésie, 2013, pp. 23-24-25.






    Raphaël Monticelli, Mer intérieure







    RAPHAËL MONTICELLI


    Raphaël Monticelli par Marc Monticelli
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    Alain Freixe & Raphaël Monticelli | Chère
    → (sur le site des éditions L’Amourier)
    une fiche bio-bibliographique sur Raphaël Monticelli
    → (sur remue.net)
    L’écriture en Bribes de Raphaël Monticelli (Jean-Marie Barnaud – 28 février 2011)





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