poèmes français (1989-2019),
éditions La Passe du vent, 2020.
Lecture de Sylvie Fabre G.
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Ph., G.AdC SILENCE DU TEMPS (extrait) et si l’on se demande parfois à quoi cela sert de parler lorsqu’innommable la violence de l’Histoire s’impacte dans les corps et dans les âmes c’est là justement qu’il faut noter ce qu’on n’ose prononcer la guerre des ombres l’exode des visages 1915 Mouch jour après jour ces longues files effarées un peuple entier cherchant dans les montagnes une frêle dernière chance interminable chemin dans le désert où se grave son épitaphe 1944 Céreste Roger Bernard gisant dans l’ombre d’un mûrier tournesol du maquis fauché avant l’heure coquelicot du Luberon enlevé à sa terre ses pétales jonchant la route gouttes de sang d’un partisan tombé pour nous 1956 Budapest les chars faisant taire une révolution sans mots d’ordre sauf celui pour chacun de fourbir sa voix milliers d’antithèses ardentes à s’écrire versant l’acide de leur encre rebelle sur l’empierrante injonction des dogmes 1991 Bagdad une nation interrompue par l’inintelligence des bombes au nom du prix du pétrole civilisation hébétée d’un tel contresens dunes d’adjectifs inhumés vifs sous l’impuissance verbale de la puissance du feu 2002 Ramallah ce poids de ruines sur les paupières l’ombre arrachée aux forêts d’oliviers journalier l’héroïsme des lèvres sourdes au fracas des tanks qui rend sourd entre les barbelés perçant les tympans du ciel 2013 Lampedusa l’eau qui se noie dans l’œil des réfugiés aux rêves échoués sur la grève aux noms écorchés sur les rochers leur âme restée au large et leurs visages flottant à jamais en surface de la mémoire 2015 frontière hongroise d’heure en heure l’exil à travers champs la roue du sort voilée par les cahots des prés labourés de cohues innombrables sillons sans autres graines que les gouttes de sueur ensemençant la plaine et partout signes perceptibles des guerres la brisure des voix phrases écrasées sous les chenilles de l’Histoire les gestes nommant sans le dire la chair tuméfiée la tragédie du sang la terre enfouie obsidienne fichée dans le blanc des yeux ça et là sur la terre des chemins les pierres scintillant de rosée au soleil comme autant de larmes durcies dans l’herbe non rien de cela ne doit être passé sous silence […] Stéphane Juranics, Silence du temps, Poésie, éditions La passe du vent, 2020, pp. 23-28. Préface de Roger Dextre. |
| STÉPHANE JURANICS Ph. © Olivia Alloyan Source ■ Voir aussi ▼ → le blog personnel de Stéphane Juranics → (sur le site des éditions La passe du vent) la fiche bio-bibliographique de l’éditeur sur Stéphane Juranics → (sur le site des éditions La passe du vent) la fiche de l’éditeur sur Silence du temps de Stéphane Juranics |
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| FABIO SCOTTO
→ A riva | Sur cette rive (lecture d’AP) → Regard sombre (extrait de A riva | Sur cette rive) → Le Corps du sable (lecture d’AP) → Je t’embrasse les yeux fermés (poème issu du recueil Le Corps du sable) → Ces paroles échangées (poème issu du recueil L’intoccabile) → China sull’acqua… (traductions croisées) → Tra le vene del mondo (extrait de La Grecia è morta e altre poesie) → “Musée Thyssen Bornemisza Madrid”, Jacob Isaacksz Van Ruisdael → Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid (onze « poèmes peints » traduits par AP) ■ Voir | écouter aussi ▼ → (sur le site des éditions La passe du vent) la fiche de l’éditeur sur La Peau de l’eau → (sur Lyrikline) Fabio Scotto disant dix de ses poèmes |
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Maurice Benhamou (1929-2019) dans l’atelier de Charles Pollock. Ph. DR : Galerie ETC (28, rue Saint-Claude 75003 Paris) Source RETOURNEMENT DU CHANT (extrait) Tréfonds du temps et autres poèmes
de Maurice Benhamou [éditions Unes, 2013]
Les mots bien sûr ne peuvent suffire au corps, à l’âme errant entre l’impermanence des choses, la fragilité des êtres et la constance des horreurs. Folie, détresse sont les épines affilées de la poésie, il y a une lacération muette dans la langue. La voix qui dans la douleur s’intériorise trouve l’extension, et sa parole palpite jusque dans le sel et le sable. Elle n’habite pas seulement l’arbre nu. Dispersée aux quatre vents de l’ici et de l’ailleurs, du passé et de l’avenir, elle forge un commun espace pour le présent. Le désert a mille lieux d’espoir et de désespoir, ses pistes sont entées de voix. Celle de l’aimée y laisse des traces, lettres calcinées, éclats de consonnes filantes, voyelles ardentes qui du poème abreuvent ou assèchent les puits. Vos mots en sa quête ont des trouées, des échappées qui vous débordent et parfois l’éclairent, apaisant le cœur de son tremblement. Ses pas aussi, s’appuyant sur ce qui ne s’appuie pas, s’en raffermissent. Liés à la vivante promesse, ils affrontent son obscurité. N’avez-vous pas ainsi tenté de psalmodier l’alphabet de l’aleph jusqu’au tav, essayé de déchiffrer le vol émouvant des oiseaux quand leurs ailes creusent le vide mais enterrent le néant ? Au commencement et à la fin, n’avez-vous pas demandé si c’est l’essor de mourir ? Du tréfonds du temps vous arrive la voix antique capable d’attirer les ombres, et tel un Orphée égaré vous vous tenez sur la rive, cherchant parmi elles Eurydice effacée, et l’enfant, et les intimes de jadis, tous emportés par le vent vers les étoiles muettes. […] Sylvie Fabre G., La Maison sans vitres, La Passe du vent, 2018, pp. 123- 124. Postface d’Angèle Paoli. ___________________________ NOTE d’AP : l’historien de l’art et poète Maurice Benhamou (né le 15 janvier 1929 à Casablanca) est décédé le 11 décembre 2019 à l’âge de 90 ans. |
| SYLVIE FABRE G. Source ■ Voir aussi ▼ → Le rêveur d’espace [hommage à Claude Margat] (autre extrait de La Maison sans vitres) → Lettre des neiges éternelles (autre extrait de La Maison sans vitres) → Piero, l’arbre (autre extrait de La Maison sans vitres) ■ Maurice Benhamou sur Terres de femmes ▼ → [Des déserts engourdis] (extrait de Tréfonds du temps) ■ Voir encore ▼ → (sur le site de France Culture) deux émissions (« L’art en partage ») consacrées à Maurice Benhamou (Les Passagers de la nuit, 25/26 avril 2011) |
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Après Indovina (« Devine »), chez le même éditeur — La Passe du vent —, le nouveau recueil de la romancière et poète Paola Pigani nous entraîne dans une exploration sensible de l’agglomération lyonnaise en regard des remarquables photographies en noir et blanc de Gilles Vugliano. Entre Rhône et Saône, sur les quais et les ponts, le long des rails des tramways, au déroulé du ballast des voies ferrées, dans les recoins obscurs, le photographe, sans artifice, capte la croisée des perspectives, fixe ce qui dans l’enchevêtrement des architectures est mouvement, énergie en chantier, façades à l’abandon. Il redonne visibilité aux flâneurs et aux sinistrés de l’exclusion urbaine… En exergue de ce bel ouvrage, Paola Pigani retient deux vers de Baudelaire à laquelle son titre se réfère : « La forme d’une ville / Change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel » (in « Le cygne », « Tableaux parisiens », Les Fleurs du Mal). Et, par le poème, l’auteure retrouve l’humanité sous la dureté de la pierre, l’émotion derrière la froideur du fer et du béton, tandis que, invitation au voyage, les ponts et les rails nous poussent à grandes enjambées, tel Cendrars, vers de lointains Orénoque — sans barrage —, aux carrefours de tous les imaginaires… L’encre du poème se fond dans les marges, en contrepoint ou au dos des images, avec une économie exemplaire. Il ne s’agit pour Paola Pigani ni de décrire ni de commenter. La chair des mots pénètre là où l’objectif du photographe n’a pu aller, là où l’émotion se dénoue. La langue irrigue la page, donne à voir au-delà du visible : « Tu suis le cours du fleuve
Des murs montent
Des ombres glissent S’écoule le sang épais de nos rêves ». L’alchimie du noir et blanc ne s’arrête pas à l’œil, c’est tout le corps qui absorbe, tous sens en éveil : « Dans le mouvement des nuages
Tu partiras
Téter la lumière ». Le gigantisme des architectures isole les êtres en les empilant et en les cloisonnant : « Entre le souvenir de l’arbre
Et le rêve d’une tour de quinze étages
Un gros cœur bat déjà dans le plein midi translucide Demain il y aura trop de fenêtres où se pencher ». Et quand l’urbanisme tentaculaire déborde à l’infini : « Il y a
Des fraternités au bord du vide
[…]
La ville n’a plus de rives
À corps perdus
Nous sommes
En elle ». Par le poème, le questionnement existentiel de l’auteure transcende l’asphalte, repousse l’horizon : « Contre le vent
Contre le froid
Y a-t-il une géométrie de la joie ?
Pour décoller nos yeux des pavés ». Quant aux isoloirs miniaturisés de la communication désincarnée, nos caresses se perdent, s’encrassent à fleur d’ego poisseux : « Sur l’écran gras de nos Smartphones
La buée de nos bouches
Nos traces de doigts
Des messages inachevés
Des baisers comme des verres sales ». À travers les images de Gilles Vugliano, le regard de Paola Pigani sur la ville s’obscurcit des structures noires qui cisaillent l’espace tout en aspirant à la lumière des nuances de blanc. Comme ce territoire du cœur des mortels incite à se réapproprier un monde à visage humain : |
PAOLA PIGANI Ph. Gilles Vugliano Source ■ Paola Pigani sur Terres de femmes ▼ → La Renouée aux oiseaux (lecture d’AP) → [L’hiver n’aura pas ma peau] (poème extrait de La Renouée aux oiseaux) → La voix des migrants (poème extrait d’Indovina) ■ Voir aussi ▼ → La renouée aux oiseaux (blog de Paola Pigani) → (sur le site des éditions La Passe du vent) la fiche de l’éditeur sur Le Cœur des mortels → (sur Lecthot) un entretien avec Paola Pigani ■ Autres lectures de Michel Ménaché sur Terres de femmes ▼ → Anne-Lise Blanchard, Les jours suffisent à son émerveillement → Mireille Fargier-Caruso, Comme une promesse abandonnée → Maram al-Masri, Métropoèmes → Florentine Rey, Le bûcher sera doux |
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| JOËL BASTARD
→ Une cuisine en Bretagne (lecture d’AP) → Bakofé → Casaluna → Le visage de Mah ■ Voir aussi ▼ → le blog de Joël Bastard |
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Ph., G.AdC LA VOIX DES MIGRANTS Autour d’Ellis Island Le Columbus traverse les flots Les voix des migrants Sont retournées à l’eau Le pont de Brooklyn Enjambe le matin calme Ici New York Ici New York L’écume aux lèvres Un quatre-mâts sans voile Stagne devant les grues De la Freedom Tower en construction Le Ground Zero n’est plus un trou Au passage du zodiac de la NY Policy Des pilotis tremblent dans l’eau brune Les nounous noires de Battery Park Poussent des enfants blonds et muets Assise au bord de l’Hudson River Une jeune femme penchée Sur un écriteau de carton I’m looking for kindness Je cherche la bonté Paola Pigani, Indovina, in Indovina suivi de Ailleurs naît si vite, La Passe du vent, Collection Poésie, 2014, pp. 14-15. |
| PAOLA PIGANI Source ■ Paola Pigani sur Terres de femmes ▼ → Le Cœur des mortels (lecture de Michel Ménaché) → La Renouée aux oiseaux (lecture d’AP) → [L’hiver n’aura pas ma peau] (poème extrait de La Renouée aux oiseaux) ■ Voir aussi ▼ → La renouée aux oiseaux (blog de Paola Pigani) |
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[JOUR DE PLUIE ICI AUSSI] Ph., G.AdC 106. Jour de pluie ici aussi, le printemps ne viendra plus. J’ai trop souvent manqué d’audace et de temps. J’ai mis tout mon corps dans l’écriture. Ph., G.AdC 107.
Mots, objets sonores,
fragments détachés
de soi, sécrétions invisibles.
Le corps passe ou meurt,
mais certains mots s’accrochent encore.
Ph., G.AdC 109.
Réveillé à l’aube.
Point numéro un : cette journée
t’appartient. Encore raté :
il y a ça à faire, et ça.
Cette journée, tu lui appartiens.
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TERRES DE L’ENFUIE, VIII, IX, X
VIII
Le ciel de ce pays est tout d’un bloc
la nuit s’y effondre donc dans le silence de la tentation du monde
sans préalable
elle s’échappe sans effet d’annonce et sans bruit
l’étalement des soubresauts du monde
c’est la
nuit c’est le jour
tout simplement et leur douloureuse expansion
le pédoncule tendu d’une fleur de sorbier
IX
Quand les eaux et les terres de ce pays se réunissent
les porteuses d’eau de terre et de pain
se dirigent lentement vers la rivière
le ciel n’est alors jamais trop loin avec ses airs de femme
leur tête se dresse
et frémit d’émoi sous le poids des vases de cuivre et des sacs
de toile
on dit aussi qu’au fond des puits sont conservés
de grands secrets et mille oiseaux soudain s’affolent
autour des pistils de la valériane
X
Il y a dans ce pays des voies déroutées et des canaux sans but
écoute les coups redoublés des eaux sur mes rives
le réseau en est si dense cependant
que l’on se trouve toujours où l’on veut se rendre
dans l’odeur musquée de la phalliphore
Raphaël Monticelli, Terre de l’enfuie in Mer intérieure, Éditions La passe du vent, Collection Poésie, 2013, pp. 23-24-25.
RAPHAËL MONTICELLI Source ■ Voir aussi ▼ → (sur Terres de femmes) Alain Freixe & Raphaël Monticelli | Chère → (sur le site des éditions L’Amourier) une fiche bio-bibliographique sur Raphaël Monticelli → (sur remue.net) L’écriture en Bribes de Raphaël Monticelli (Jean-Marie Barnaud – 28 février 2011) |
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