Étiquette : la récolte du sel


  • Alessandro Brusa | [Ti ho visto cercare per ore]

    « Poésie d’un jour

    choisie par Silvia Guzzi



    [TI HO VISTO CERCARE PER ORE]




    Ti ho visto cercare per ore la

    parola perfetta,
    chiudere le stanze del tempo
    e spalancare la terra con dita nude
    alla ricerca del suono giusto

    è un lavoro chirurgico il tuo
    non ci sono scogliere a picco

    sull’oceano
    e non c’è vento a scompigliarti

    i capelli

    così ti ho visto scartare la vita
    sfiorarne il respiro migliore

    ed allontanarlo
    solo perché non adatto al tuo verso



    la mia vita invece non suona così
    i miei pensieri steccano spesso
    e le stanze del mio tempo

    le ho spalancate urlando

    parole sgradevoli
    le prime trovate sotto mano
    (non sono un chirurgo
    dio solo sa quanto ci abbia provato)

    e vomitando, ruttando, gridando ed

    insultando
    io le mie scogliere le ho trovate

    nei boschi di Big Sur
    e più a oriente, nelle Ebridi interne,
    le ho trovate in mezzo alla

    piana di Sigiriya
    ed infisse come denti bianchissimi

    sulle bocche di Bonifacio
    e non smetterò di cercarle
    ovunque le mie gambe mi porteranno
    finché mi reggerà il fiato



    il vento nei capelli invece

    manca ad entrambi
    e non ho neppure mani da passarci
    se tutto quello che mi è stato dato
    è un alfabeto diligente.



    Alessandro Brusa, La raccolta del sale, Giulio Perrone editore, collana Poiesis, Roma, 2013, pp. 102-103.







    Alessandro Brusa, La raccolta dela sale







    [JE T’AI VU CHERCHER PENDANT DES HEURES]



    Je t’ai vu chercher pendant des heures le

    mot parfait,
    verrouiller les chambres du temps
    et fouiller la terre à doigts nus
    à la recherche du juste son

    un travail de chirurgien le tien
    il n’y a ni falaises à pic

    sur l’océan
    ni vent pour t’ébouriffer

    les cheveux

    ainsi je t’ai vu écarter la vie
    en effleurer le souffle le meilleur

    et l’éloigner
    uniquement parce que non adapté à ton vers



    ma vie, elle, ne sonne pas pareil
    mes pensées jouent souvent faux
    et les chambres de mon temps

    je les ai grand ouvertes en hurlant

    des mots déplaisants
    les premiers trouvés sous la main
    (je ne suis pas chirurgien
    dieu seul sait combien j’ai essayé)

    et vomissant, rotant, criant et

    insultant
    moi mes falaises je les ai trouvées

    dans les forêts de Big Sur
    et plus à l’orient, dans les Hébrides intérieures,
    je les ai trouvées au milieu de la

    plaine de Sigiriya
    et plantées comme des dents à la blancheur parfaite

    sur les bouches de Bonifacio
    et je n’aurai de cesse de les chercher
    partout où mes jambes me mèneront
    tant que le souffle me portera



    le vent dans les cheveux en revanche

    nous manque à tous les deux
    et je n’ai pas même de mains à y passer
    si tout ce qui m’a été donné
    est un alphabet diligent.



    Traduit de l’italien par Silvia Guzzi.






    Recension de La raccolta del sale, par Fabio Michieli *
    (traduite de l’italien par Silvia Guzzi)



    Le sel pour panser le temps : le temps passé, et le temps proche; parce que le sel cicatrise, le sel condamne, mais il conserve aussi ce qu’il est bon d’emporter avec soi dans l’avenir, ou du moins dans le présent quotidien. Ainsi c’est l’expérience de vie qui est mise sous sel et projetée vers demain. Et récolter le sel est un art, comme l’est la poésie (sans rhétorique).

    La poésie d’Alessandro Brusa va droit au centre, parce que son centre c’est la vie. Sa poésie, ses mots (qui, comme il le dit, « l’habitent »), est directe mais elle demande, à juste titre, en conséquence, obligatoirement, un certain effort, une certaine attention de la part du lecteur : parce que c’est l’éthique même de son écriture qui le veut.

    Bannies les formes closes, banni le vers canonique : le discours est haché, fragmentaire et reconstruit par étapes. Le vers est en chute et plus d’une fois il prend certaines choses pour acquises et se permet de commencer par deux points. Un usage de la ponctuation qui n’a que faire des formules avant-gardistes rabâchées (celles qui donnent çà et là des coups de pied dans le vide) mais qui participe de la construction du discours et indique des pauses qui ne sont pas seulement syntaxiques : ce sont des pauses de la pensée ; elles rendent fidèlement l’idée que tout ce qui est écrit et qui se lit à l’instant est la conséquence d’une expérience qui n’entend pas voiler la rage, la douleur, la joie, l’amour, le désir, la peur. L’intention d’Alessandro Brusa n’est pas de dissimuler le corps derrière les mots mais plutôt de construire le corps avec les mots (ceux qui « l’habitent »).

    La présence de nombreuses synesthésies doit donc être appréciée du double point de vue linguistique et psychologique : les audacieuses associations de mots habituellement étrangers l’un à l’autre – du moins dans le langage courant – sont l’expression d’une perception très personnelle de son vécu et de sa façon à lui de l’analyser.

    C’est ainsi que se manifeste un moi poétique que l’on retrouve dans presque tous les poèmes de La raccolta del sale mais que l’on se gardera bien de qualifier d’omnipotent dans la narration : car le moi ne domine pas la scène, pas plus qu’il ne la contrôle. Le moi est acteur d’une évolution, d’un parcours rythmé en cinq parties qui dialoguent entre elles, à deux doigts du roman de formation (Alessandro Brusa, rappelons-le, a débuté avec un roman) sans toutefois se prendre au piège d’une narration indésirable. Rien de tout cela.

    La manière dont il se dévoile nous renvoie davantage au passé, voire aux poètes romantiques anglais, à un Percy Bisshe Shelley qui, tel un involontaire Virgile, illustre le premier volet du recueil Nel silenzio del suo sangue. Et le voilà, le sang, la première humeur du corps que l’on croise dans ces poèmes. Un corps à la fois observé du dehors et ausculté du dedans. Encore une fois, c’est ce déchiquètement net et précis qui le distingue d’une grande partie de la poésie de ces dernières années qui a placé le corps au centre de son propos.

    Un corps démembré et reconstruit sur lequel se lisent clairement toutes les cicatrices que le sel de la vie a séchées et soignées. Exposées et non pas cachées. Aucune opération de reconstruction plastique et, dès lors, faut-il encore le répéter, aucun recours à des formes closes ni à aucun mètre rassurant et reconnaissable.

    La raccolta del sale est le premier chapitre d’une poétique du corps qui commence à s’écrire vraiment aujourd’hui.


    Fabio Michieli
    D.R. Fabio Michieli
    pour Terres de femmes




    ___________________________

    Fabio Michieli est né à Venise en 1971. Licencié es-lettres (lettres modernes), il a soutenu une thèse sur Niccolò Tommaseo et son récit historique Il duca d’Atene, dont il a publié en 2003 une édition critique et commentée (éd. Antenore, Padoue). Il est l’auteur de nombreux textes critiques sur Niccolò Tommaseo, notamment parus dans les Quaderni Veneti et dans le Giornale storico della letteratura italiana. Son recueil poesieDire a été publié en 2008 par “L’arcolaio”, maison d’édition dont il dirige la collection « Fuori collana ». Les recensions de ce grand lecteur de poésie et de romans sont reproduites sur le site www.alleo.it et dans divers ouvrages et revues (“l’immaginazione”, Italian Poetry Review). Il assure aussi, aux côtés de Gianni Montieri et d’Anna Maria Curci, la rédaction en chef du blog littéraire Poetarum Silva.







    ALESSANDRO BRUSA


    Alessandro Brusa
    Source




    Alessandro Brusa est né à Imola en 1972 et vit à Bologne depuis 1976. Il a fait son entrée en littérature avec le roman Il Cobra e la Farfalla (Pendragon, 2004 ; Prix Incizine). Son premier recueil de poèmes La raccolta del sale a paru en 2013 (Perrone Editore) et a reçu en 2013 le Prix Orlando. Ses travaux ont été publiés dans des revues telles que Sagarana, Poetarum Silva, Illustrati, Versante Ripido et Words Social Forum, et dans plusieurs anthologies de poésie (notamment 100mila poeti per il cambiamento – Bologna primo movimento, QuDu Libri, 2013) et de prose.

    Il fait partie, depuis la toute première édition, du comité organisateur du festival de poésie « Bologna in Lettere ». Dans le domaine de la poésie toujours, il collabore avec le Words Social Forum et d’autres sites de poésie, d’information et de culture comme Malacopia, Gaiaitalia et Just Humanity.



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Traductions.it, le site de Silvia Guzzi) six autres poèmes extraits de La raccolta del sale d’Alessandro Brusa, traduits en français par Silvia Guzzi
    (1) (2) (3) (5) (6) (7)
    → (sur Poesia, le blog de Luigia Sorrentino)
    un autre extrait (en italien) de La raccolta del sale
    le site personnel d’Alessandro Brusa
    → (sur le site Poetarum Silva)
    un article de Cristiano Poletti sur La raccolta del sale
    → (sur le site La Raccolta del Sale)
    un article de Guido Selvatici sur La raccolta del sale
    → (sur le site Poetarum Silva)
    quelques poèmes (en italien) extraits de La raccolta del sale





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