Étiquette : La Table Ronde


  • Valérie Rouzeau | [Chez mes hôtes en pays gaga]


    [CHEZ MES HÔTES EN PAYS GAGA]


    (1)


    Chez mes hôtes en pays gaga
    Pas de tire-bouchon de tournevis
    Les casseroles remuent la queue
    Comme des petits chiens domestiques
    Pas de ciseaux pas de marteau mais en poche
    Ma boîte de cachous et même un stoptou
    J’ai un toit sur la tête et par-dessus ce toit
    Un ciel plein de flocons
    Ce n’est pas sur moi qu’il neige
    Ce n’est pas moi qui meurs de froid.



    (2)


    Chez mes hôtes en pays gaga
    Il n’y a pas de presse-cheveux de sèche-agrumes
    Pas de clous pas de vis pas d’enclume
    Pas de fer-à-cheval pas de cheval
    Encore moins le pingouin mécanique en fer
    Avec lequel petite jouait ma mère
    Il s’est noyé en noir et blanc dans les vécés avec sa clef
    Chez mes hôtes se bousculent sourires et souvenirs
    Il n’y a pas un seul regret.



    […]



    (6)


    Chez mes hôtes en pays gaga
    Le minuteur ne marche pas
    J’ai le temps d’oublier mes pâtes
    Compter flocon après flocon
    Macaronis et papillons
    Écouter les téléphoneurs
    Téléphoner à toutes les heures
    Sous mes fenêtres sans rideaux
    Chiper leurs paroles quelle misères
    Quel bonheur quel récipient d’air.



    Valérie Rouzeau, Éphéméride (le temps passe et fait mes rides), Poésie, éditions La Table Ronde, 2020, pp. 78, 79, 83.





    Rouzeau



    VALÉRIE ROUZEAU


    Valérie Rouzeau
    Ph. Hélène Bamberger
    Source






    ■ Valérie Rouzeau
    sur Terres de femmes


    [Anthologie du vers unique] (autre extrait d’Éphéméride)
    [J’aime aller dans la rue avec en tête un chant] (extrait de Sens averse)
    une fiche bio-bibliographique sur Valérie Rouzeau
    Oie rêve à l’azur (note de lecture sur Apothicaria)
    À me bercer (extrait de Va où)
    Nous nous serions perdus (poème de jeunesse)
    25 décembre | Valérie Rouzeau, Quand je me deux
    Quand je passerai
    Vrouz (lecture de Tristan Hordé)
    [Tout s’écaille] (extrait de Vrouz)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Dans le vent d’hiver
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le portrait de Valérie Rouzeau (+ un extrait de Va où)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le tiers livre)
    un dossier de 34 pages sur Valérie Rouzeau, réalisé par l’équipe de la médiathèque municipale Jacques-Thyraud de Romorantin-Lanthenay [texte de présentation d’Angèle Paoli] (PDF)






    Retour au répertoire du numéro d’août 2020
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • William Cliff | Au printemps



    AU PRINTEMPS




    Au printemps il est temps de rénover sa peau,
    d’aller dans la forêt se vautrer au terreau
    plein de feuilles pourries et d’entendre un oiseau
    chanter avec folie, voir un gars de la ville
    passer et repasser devant un corps débile
    pour se rincer l’œil et se réchauffer la bile.

    Au printemps il est temps de marcher sur la terre,
    regarder s’activer un vieux coléoptère
    dans le sol pour creuser de quoi faire refaire
    l’espèce et sentir venir sur la pourriture
    des germes, des bubons, des fleurs dont la guipure
    jettera des couleurs sur toute la nature.

    Au printemps il est temps de faire des allées
    et venues pour quêter de nouvelles giclées,
    sortir sur le pavé des rues mal éclairées,
    retrouver dans des bars nocturnes de quoi boire
    et imbiber encor notre improbable histoire
    d’envols, de parousies dans des ciels pleins de gloire.




    William Cliff, Le Temps suivi de Notre-Dame, poésie, La Table Ronde, 2020, page 72.





    William Cliff  Le Temps



    WILLIAM  CLIFF



    William Cliff 3
    Ph. © Jean Jauniaux






    ■ William Cliff
    sur Terres de femmes


    Cape Cod, 7 (extrait d’America)
    Lahore, 7 (extrait d’En Orient)
    New York (extrait d’Amour perdu)
    [Réquiem pour l’enfance] (extrait de Matières fermées)
    30 mai 2003 | William Cliff, Le Pain Quotidien
    10 novembre 2003 | William Cliff, Le Pain Quotidien




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions La Table Ronde)
    la page de l’éditeur consacrée à William Cliff





    Retour au répertoire du numéro de mars 2020
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Lucien Becker | Passager de la Terre, I



    Becker des volets qui se ferment sur des rires d’enfants
    Ph., G.AdC






    PASSAGER DE LA TERRE, I



    Dans le quartier solitaire qu’on traverse en hâte
    des volets qui se ferment sur des rires d’enfants
    sur des voix très douces très proches

    La tête d’une femme dans le bocal des vitres
    aucun mouvement ne donne le sens de sa vie
    La dernière étoile tombe de la fenêtre

    comme une larme d’un œil clos
    Un enfant lance du papier au ciel
    crie dans le silence qui se fend

    Une fumée lace le ciel au toit
    le vent est si las
    qu’il se pose sur la main
    un baiser tombe de très haut
    décroche des feuilles dans les arbres
    une lampe s’éteint sans cri
    au tournant de la nuit




    Lucien Becker, Passager de la Terre (I) [revue Cahiers du Sud, H.C., Marseille, 1938 ; et Voix d’encre, Montélimar, 1993] in Rien que l’amour, Poésies complètes, La Table Ronde, Collection Vermillon, 1997, page 203. Édition établie et présentée par Guy Goffette.






    Lucien Becker  Rien que l'amour






    LUCIEN BECKER


    Lucien Becker
    Lucien Becker en 1955
    Collection particulière
    Source





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Les Hommes sans Épaules)
    une notice bio-bibliographique de Christophe Dauphin sur Lucien Becker
    → (sur le site du Matricule des anges)
    une lecture de Rien que l’amour par Thierry Guichard
    → (sur le site de la revue Texture)
    une lecture de Rien que l’amour par Michel Baglin





    Retour au répertoire du numéro d’octobre 2018
    Retour à l’ index des auteurs


    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Lucien Suel | [Le terril]




    Perret
    Auguste Perret Architecte
    Détail d’un claustra pour le Palais d’Iéna
    Paris (1939), siège du Conseil Économique et Social








    [LE TERRIL]





    le
    terril
    bruisse ça
    court ça saute
    ça rampe ça siffle

    lapin crapaud calamite
    pinson des arbres pouillot
    véloce mouette rieuse martinet
    noir le terril bruisse ça plane ça
    vole ça tape pic vert merle à plastron
    hirondelle de rivage guêpe bondée apivore
    le  terril  bruisse ça crie ça chante  lézard  des
    murailles mésange héron libellule mouche moustique
    le terril  bruisse  ça court  ça saute ça  rampe ça  siffle
    pic épeiche machaon criquet à ailes bleues traquet motteux
    tourterelle  le  terril bruisse ça plane ça vole ça tape  ça  crie
    ça vit ça chante ça vole ça roucoule ça vit ça plane ça vit sa vie





    Lucien Suel, « Les terrils », Je suis debout, Poésie, La Table Ronde, 2014, page 16.







    Lucien Suel, Je suis debout




    LUCIEN SUEL


    Lucien Suel
    Source




    ■ Lucien Suel
    sur Terres de femmes


    Sombre Ducasse
    La Justification de l’abbé Lemire (lecture d’AP)
    29 juin 1878 | Lucien Suel, La Justification de l’abbé Lemire, IV




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur remue.net)
    Lucien Suel | Ma vie avec Ivar Ch’Vavar
    Silo-ACADEMIE 23, le blog de Lucien Suel
    → (sur la revue x)
    une notice bio-bibliographique sur Lucien Suel
    → (sur le tiers livre)
    tiers livre invite : Lucien Suel
    → (sur blog littéraire)
    Rencontre avec Lucien Suel
    → (sur le blog Les Découvreurs) deux recensions de Je suis debout, par Georges Guillain (
    I) et (II)
    → (sur France-Culture)
    l’émission ça rime à quoi (Sophie Nauleau) du dimanche 22 juin 2014 entièrement consacrée à Je suis debout [fichier mp3]






    Retour au répertoire du numéro de mars 2014
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Yves Charnet, La tristesse durera toujours

    Yves Charnet, La tristesse durera toujours,
    La Table Ronde, 2013.



    Lecture d’Angèle Paoli



    Je commence un nouveau carnet. Un carnet noir
    Ph., G.AdC






    « chacun sa messe » | « chacun sa plaie ouverte » | « chacun ses chansons » | « chacun ses cartes » | « chacun sa chute » | « chacun sa course contre la vie » | « chacun son carnet » | « chacun sa médecine » | « chacun sa façon de marcher » | « chacun son ruban volé » | « chacun sa maladie d’amour » | « chacun ses fidélités » | « chacun son Arlésienne » | « chacun son innommable » | «chacun sa diagonale du fou » | « chacun sa cérémonie des adieux » | « chacun ses hantises » | « chacun son madrigal triste ». À chacun ses souvenirs. Ceux d’Yves Charnet sont solidement ancrés dans le XXe siècle. La vie défile avec ses chansons inoubliables et ses titres de films. Ses émissions télévisées du dimanche soir. Avec les noms de ceux qui ont façonné une histoire, une sensibilité, une personnalité, une culture. Auteurs, acteurs, chanteurs, metteurs en scène et critiques de cinéma. Ainsi s’écrit le « presque » livre, avec ses « phrases fétiches », ses « citations-totems » qui ponctuent l’écriture, arriment les souvenirs et les situations à quelques rengaines qui demeurent à jamais inscrites dans la mémoire. Manu-Manuréva, la chanson de Gainsbourg pour Alain Colas. Il en est ainsi du titre-totem choisi par Yves Charnet pour décliner les pages de sa vie.

    Tout droit tiré du film À nos amours (1983), « La tristesse durera toujours » est une réplique que Maurice Pialat (qui incarne le rôle du père de Suzanne/ Sandrine Bonnaire) emprunte à Van Gogh : « Derniers mots » d’un grand peintre, « sur son lit de survie ». Cette réplique, qui habite l’auteur et s’infiltre sous les mots de manière obsessionnelle, donne son titre au récit. « J’écris un livre sur la tristesse », écrit-il encore ailleurs. Et, citant Michel Deguy, Yves Charnet ajoute : « L’incurable et générale tristesse », « Une tristesse abyssale par-dessus tout ça ». La tristesse de l’auteur et celle de son narrateur, celles de Vincent, de Benoît-Paul (le géniteur suicidé) et des autres. Notre tristesse aussi. Celles de Roland Barthes et de son Journal de deuil. La tristesse creuse son sillon à travers peau & poème, poursuit sa « diagonale du fou » d’un carnet rouge ― écho au classeur rouge de Thérèse Charnet, la mère d’Yves ― à un carnet noir. Récit autobiographique d’un « endeuillé définitif », La tristesse durera toujours trouve son origine dans l’enfance, dans l’histoire de la mère et de son amour unique, dans la relation d’exclusive qui unit Thérèse Charnet à son fils, dans la bâtardise du fils. Seule la passion lumineuse de Madame G. pour Yves et d’Yves pour l’ange de La Charité-sur-Loire sauve l’enfant de Nevers de l’« enfermaman ». C’est le temps « des extases », du rituel savoureux des dimanches à La Charité-sur-Loire ; le temps des glycines et des gourmandises, petits fours et griottes, des menus cadeaux furtivement offerts au jeune garçon. C’est le temps éternel de la « Promesse de l’aube », ses parfums et ce goût de soie de la peau de Madame G.


    « J’aimais tant la peau de Madame G.

    D’un si puissant amour ».

    Madame G., la Madame Ginoux d’Y. C.

    De la perte de ces bonheurs d’enfance, le narrateur ne se remettra jamais. Pas davantage de celle de sa jeunesse, marquée par le rêve lié aux années Mitterrand. Il ne se remettra pas non plus des drames de la vie courante, ― l’échec de son mariage avec Marie-Pierre suivi d’un divorce [en 2009] ― la disparition des êtres aimés : celle d’Alain Colas de Nevers, celle du « Fou chantant », celle de Maurice Pialat. Qui, à défaut de donner son titre à l’ouvrage, le donne à la seconde partie de l’ouvrage : « Maurice Pialat est mort » [en 2003].

    « Je commence un nouveau carnet. Un carnet noir. Trenet Charles est mort. Fin février 2001… Charles Trenet est mort. “Douce France”. L’enfance a fait boule. Dans mon ventre. Le chagrin m’est remonté. Coup de poing dans la gorge », confie l’auteur dans la première partie du livre : « Un type seul, en terrasse ».

    D’autres morts encore. Celle de Madame G. surtout.

    « J’aimais Madame G. corps & âme. Désir censuré, chagrin interminable. Je ne savais pas encore que c’est avec ça qu’on fait les livres. Le désir, le chagrin ; le manque, la perte. »

    C’est tout juste s’il se remet de son « année blanche », une année passée dans le refus d’être et d’agir. De travailler, de parler et d’écrire. Une année pour rien. « Ma vie sans moi ». Octobre 2007, septembre 2008. Puis, Rachida de l’Estaque est arrivée.

    De carnet en carnet où les souvenirs s’érigent en barricades se construit un parapet de mots, sorte de garde-fou sur lequel prendre appui au plus fort du désespoir et du chagrin. L’écriture comme refuge. Avec ses inventions : mots-valises forgés par le « mélancolyrique », néologismes ― « dénaître », « dérêvé » ―, jeux sur les mots par contamination ― « momie / emmaillotée / mourrisson » ou par inversions ― envers/Nevers/revers ― sont autant de points d’appui sur lesquels poser les pierres d’une « automythologie ». Avec un goût prononcé pour ce qui pourrait s’apparenter à des doublets : langage / tangage ; vestige / vertige ; magique / tragique ; Blanqui/ blanquette ; défauts / défailles ; lâchage / lynchage ; père / repaire ; postiche / pastiches ; palpable / palpitante ; tours / détours ; génocides / géocide… Sans oublier les forgeries que le nom de Charnet fait surgir sous la langue et que l’auteur décline, infatigablement : Charnet / chanter / acharnement / charmée…

    C’est avec ce matériau-là, cet à-vif qui traverse le temps ― 1998 à 2012 ― et l’espace ― de Nevers à Toulouse, entre Paris & Nevers, entre Nevers & Tulle, de Toulouse à La Charité-sur-Loire, de La Charité-sur-Loire à La Vieille Charité de Marseille  ―, avec des trous, des absences et des blancs, que le livre se fait. Une autofiction en « gris mineur », qui tient tout l’homme entre les lignes, sous la pâte des mots. Un récit de l’intime parce qu’« il n’y a ―  comme le dit Blaise Cendrars ― qu’une littérature » : « celle de cet homme qui écrit, de cet Autre qui écrit ». Davantage auto que fiction, même si Charnet se définit comme « un autobiographe du dimanche ». Et que, face à Michel Leiris, « le Patron, le Boss de l’autoportrait », il n’est qu’un « petit toucheur ».

    Avec l’écriture chevillée au corps et à l’âme s’écrit La tristesse durera toujours. Constituée de phrases brèves (selon Rachida), l’écriture est vive et charnelle, qui draine le « presque livre » d’un bout à l’autre, emportant le lecteur dans un rythme et une émotion qui submergent. Jusque dans les « limites du lyrisme ».

    « Depuis la détresse originaire. Je reste ce nourrisson. Perdu dans un corps d’homme obèse. Je reste ce bébé qui cherche. Quoi. Je reste ce bébé perdu. Ce bébé merdu. C’est comme ça. Un homme. »

    Reprenant le Journal de deuil de Roland Barthes, Yves Charnet interroge : « Qui sait ? Peut-être un peu d’or dans ces mots ? » Assurément. De l’or coule dans ces pages. Un or qui vogue entre les larmes. Bouleversante beauté convulsive de La tristesse durera toujours. Magnifique.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Yves Charnet





    ■ Yves Charnet
    sur Terres de femmes

    10 juin 2012 | Yves Charnet, La tristesse durera toujours (extrait)
    Difficile séjour
    14 juillet 1997 | Yves Charnet, Notes fantômes (inédit)
    4 mars 2004 | Mort de Claude Nougaro (extrait de Quatre boules de jazz | Nougasongs
    Quatre boules de jazz | Nougasongs (lecture de Michèle Finck)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur remue.net)
    Yves Charnet, La tristesse durera toujours, une lecture de Sébastien Rongier
    → (sur La Cause Littéraire)
    Yves Charnet, La tristesse durera toujours, une lecture de Matthieu Gosztola
    → (sur le site de France Culture)
    Alain Veinstein reçoit Yves Charnet pour La tristesse durera toujours (2 février 2013)
    → (sur le site des Éditions de La Table Ronde)
    la fiche de l’éditeur sur La tristesse durera toujours (+ extraits)





    Retour au répertoire du numéro de juin 2013
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index des « Lectures d’Angèle »

    » Retour Incipit de Terres de femmes