Étiquette : «L’amer fait peau neuve »


  • Martin Rueff | Complaintes de Mare eorum




    Immigrati-clandestini-sbarchi
    « coule l’eau, coule le sang, coulent les esquifs des migrants sur la Mare nostrum
    rebaptisée pour l’occasion Mare eorum, et c’est très certainement la leur, puisqu’ils y meurent »
    (Santiago Artozqui, En attendant Nadeau
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    COMPLAINTES DE MARE EORUM




    I.

    L’amer
    notre mer
    si une mer peut aujourd’hui
    être dite à quelqu’un
    la voici ouverte
    béante
    jamais il n’y eut
    de mer semblablement ouverte.


    2.

    Aussi loin qu’ils regardent
    les vagues sont des loups
    aux corps barbouillés de guède
    meute innombrable qui monte et qui descend
    aux gueules grandes ouvertes
    hurlant avec le vent
    et parfois, à la crête des vagues,
    quand les bêtes viennent laper le sel
    sur la coque, et qu’elles montrent leurs crocs
    on voit briller leur bave
    sur les creux monstrueux.


    3.

    pleurez doux alcyons pleurez
    ils crient ils tombent ils sont aux seins des flots
    et nulle Thétis n’a soin de les cacher
    nulle troupe n’a cœur à les pleurer
    et la mer argentée leur sert de couverture
    et le ciel étoilé est en eux
    et la mort au-dessus d’eux
    au-dessus de leurs corps emportés seuls
    dont l’amer fait peau neuve.


    4.

    les dernières bulles seules libérées
    par les corps asphyxiés cyanosés bientôt
    du flanc enfant d’un zodiaque noyé
    et qui remontent en étoiles d’or
    émeraudes mouvantes
    bleues vertes et velues mon bonhomme
    émeraudes louves
    en vagues louvoyantes

    à la surface
    comme des cristaux méduses
    ou l’inverse
    tant d’eau
    d’espoirs fait lie
    et de mots inaudibles
    venus des Afriques profondes
    remontées sans filets autres que des voix tues
    et oripeaux



    Martin Rueff, « I. L’amer fait peau neuve », La Jonction, éditions Nous, Collection disparate, 2019, pp. 45-47.





    Martin Rueff La jonction





    MARTIN RUEFF


    Martin Rueff portrait
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    ■ Martin Rueff
    sur Terres de femmes


    Icare crie dans un ciel de craie (lecture d’AP)
    Et des coups de poing dans la poitrine (extrait d’Icare crie dans un ciel de craie + une notice bio-bibliographique)
    Le jaguar aux yeux d’eau (hommage de Martin Rueff à Claude Lévi-Strauss)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur En attendant Nadeau)
    une lecture de La Jonction par Santiago Artozqui






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