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  • Sylvie Fabre G. | Une terre commune, deux voyages

    Chroniques de femmes – EDITO

    Chronique de Sylvie Fabre G.




    UNE TERRE COMMUNE, DEUX VOYAGES
    _____________________




    En poésie avec Emmanuel Merle
    et François Rannou




    Où vont les poèmes qui nous sont donnés comme parole sans cesse commencée ? Où vont-ils ces adressés, si ce n’est au fond de nous-mêmes, dans ces rêves d’un réel qui nous hante, nous habite mais toujours nous échappe ? Nourris à la pointe de nos regards, au clair-obscur de notre mémoire, gravés dans la pierre du temps, ils nous appellent à les suivre dans l’espace résonnant des mots, vers ou prose, pour y rejoindre la vie vécue mais surtout la vie réinventée qu’offrent aux hommes les voix de l’écriture et de la lecture. Car les poèmes, s’ils comblent un instant l’immense fossé des siècles et la distance qui nous sépare les uns des autres, sont capables de nous conduire à l’orée de la contrée où se bâtissent nos destins, leurs légendes et leurs vérités.

    C’est ainsi que ces derniers mois de 2018, j’ai touché grâce à eux aux rives d’une île au nom d’Irlande, en découvrant deux livres, Tourbe d’Emmanuel Merle, publié aux éditions Alidades et La Pierre à 3 visages de François Rannou, publié aux éditions LansKine. Une terre commune, deux voyages extérieurs et intérieurs pour lesquels leurs auteurs nous orientent en mettant en exergue des citations du même grand poète irlandais, Seamus Heaney.



    Chacun de ces textes est construit en triptyque dont les volets vont l’un après l’autre nous proposer une initiation singulière.

    Dans la première partie de Tourbe, Emmanuel Merle évoque une longue marche dont le poème initial révèle le centre et la portée : « Être là. Toute une vie pleine ». Un être-au-monde vécu à travers le bouleversement que suscite en lui le paysage de l’ouest de l’Irlande, lieu de frontière où se rejoignent l’eau, la terre et « l’autre terre, la tourbe / cette pâte qui lève ». Entrer dans son temps cosmique et dans son espace peuplé d’une histoire souvent tragique, et tout devient signes pour celui qui les regarde et les interprète à la mesure d’un vécu-rêvé. L’empreinte des vies passées, les douleurs inscrites en ce sol et ses propres souvenirs du perdu font naître chez le poète le sentiment aigu de l’exil. Éprouvé tel un avant-dire, un avant-lieu, l’île devient le pays où l’enfance, « heureuse ou maudite », se rejoue. Car à défaut de nous sauver, celle-ci peut seule nous donner la force d’espérer malgré la mort : « Nous irons encore au bois vibrant », nous promet le poète. Et quand ses figures, père, mère et enfant, montagne, arbres et chien, ressurgissent dans leur gloire et dans leur poussière, nous avançons avec elles, « poussés dans le dos par la vie ».

    La marche dans le paysage ouvre la mémoire, la vision et la langue. En Irlande le poète la vit à la fois comme remontée vers le passé — les morts « qui se soulèvent » sont ces hommes et ces enfants victimes d’une des grandes famines du XIXe siècle ainsi que l’atteste l’évocation de la croix dressée au bord du lac Doo Lough — et descente dans le présent puisqu’elle le renvoie à toutes les autres victimes que charrie notre époque. Le lyrisme sobre de son écriture, les images récurrentes du sang et de « la tourbe qui l’aspire », affrontent les mystères de notre destinée, car, écrit-il, si « chaque nuit verse le sang du ciel / sur la terre », chaque jour aussi la lumière, la parole du monde, / qui prononce nos ombres passantes / et nous identifie nous est offerte.

    Dans le court poème central du recueil, il semble pourtant que la mélancolie gagne sur toute confiance. Et en même temps que le pas du poète, son souffle vital, ralentit, les vers libres se raccourcissent et se groupent en tercets sans ponctuation. L’Irlande devient une terre improbable, « désamarrée », « une île des morts » qui finit elle-même par disparaître et la traversée de sa lande « un embourbement ». Le corps du narrateur contaminé se transforme à son tour, « pourrissant » et « tourbeux ». L’île des enfances paraît s’éloigner à jamais et c’est sur l’image, saisissante, d’un homme « dos au soleil / dans un cercueil ouvert comme une barque » que se clôt cette partie à la tonalité tragique, toujours à mi-chemin entre rêve et réalité.

    La mort qui vient d’être évoquée dans la concrétude du vivant devenant cadavre est bien l’absolu réel pour Emmanuel Merle, pour qui nulle île, nul ailleurs, n’existe : à l’homme, seule « Reste la terre », intitulé de la troisième partie dont les vers libres retrouvent plus d’amplitude et une ponctuation mais sans italiques, la tonalité n’étant plus la même, presque apaisée, comme au-delà du désespoir. Le voyage reprend dans une Irlande au « ciel enroché », mais d’une lumière où les morts et les vivants dansent et pleurent, ensemble pour cette éternité humaine dont parlait Jankélévitch. Le poète établit les liens entre les âges et les cultures en mettant en relation les anciens récits, les légendes celtes et la mythologie grecque qui offrent aux hommes leurs fables et leurs sagesses. Les noms de lieux et de dieux essaiment dans les vers et font lever en nous l’imaginaire et la puissance sonore de la nomination : Aran, Inis Môr, Moher, Cliften, Burren… L’humanité est Une : « La guerre de Troie a eu lieu en Irlande aussi », nous dit le poète, et le royaume des morts d’Ulysse est une « waste land ». Si les anciens dieux partout « ont émigré », si la terre est parfois « comme le fond d’un tableau abandonné », nos mots pourtant continuent à résonner et « l’enfance reparle ». La beauté terrible, magique, du paysage réinvestit le poème. Le poète, qui avance à nouveau dans le présent de sa « plaine de tourbe », de ses montagnes sous le ciel changeant, nous en brosse un tableau primitif et vivant. En peintre lettré, il note les variations de la lumière : sans fin, comme sont sans fin les migrations des hommes et des arbres sur cette île. En ce royaume voué aux eaux, à l’air et à la pierre il nous fait croire que les mots, plus nus, y circulent mieux, et que l’écart entre soi et le monde, entre soi et l’autre s’y amenuise jusque dans l’amour et la langue. La violence du vent force à « être deux pour rester debout », nous confie-t-il. Et il remarque que là-bas, comme ici, les hommes qui se savent dans le passage dressent des cairns pour indiquer la direction à ceux qui viendront après. Tourbe, c’est autant l’aube que le crépuscule du monde.






    Emmanuel Merle  Tourbes 4
    Emmanuel Merle, Tourbe, Éditions Alidades,
    Collection Création, 2018.






    Car la tourbe, comme la langue, est matière d’origine, conservation de mémoire, embrasement de vie et de mort, tous les poètes en Irlande le sentent. Dans « La Femme de la tourbière blanche », première partie de La Pierre à 3 visages (d’Irlande) de François Rannou, livre construit autour de trois visages de femmes, le poète évoque lui aussi le sud-ouest de l’île mais dans un temps encore plus ancien. La première qui parle dans ses vers est une autre victime, non de la faim mais d’un châtiment infligé pour une faute qu’elle a oubliée : « Aurais-je volé ou bien / pire encore à leurs yeux sales ? / M’ont enfermée là… ». La tourbe qui l’a engloutie, digérée, « momi fiée », a donc conservé son corps, il est aujourd’hui arraché par des ouvriers « à forts coups de bêche », et c’est sa voix surgie des ténèbres qui révèle sa longue attente d’un « baiser » ressuscitant. Symbole d’une nouvelle naissance, aussi brutale que miraculeuse, le poète restitue son long monologue à la première personne où l’amour devient éveil du sommeil primordial, conscience brûlante. La parole poétique, chez François Rannou comme chez Emmanuel Merle, nous unit à ceux qui nous ont précédés en en prolongeant l’histoire. Mais la typographie en double colonne du poème de François Rannou, mots et phrases scindés par la gouttière qui sépare les deux colonnes, va plus loin, elle entretient l’écho d’une écriture oghamique jadis gravée sur les pierres verticales de l’Irlande ancienne. L’empathie du poète, passée dans le discours imaginé de la femme, double le point de vue interne et introduit dans son texte une oralité plus théâtralisée que purement lyrique.

    Passage et entremêlement des temps, « Next Station », deuxième partie de La Pierre à trois visages, va renforcer la différence des écritures par un retour au présent inscrit dans l’incantation d’un chant jazzy où nous reconnaissons le souffle haletant de notre modernité : « Ce sont les falaises de notre âme qui / s’enfoncent dans le rythme du temps Beat Beat Beat ces lignes re- / pliées délivrées quelles en sont / les épiphanies ? », écrit François Rannou qui trouve une langue, une prose aux effets sonores pour épouser l’énigme de la vie et le foisonnement des voix qui se croisent. Moins de lyrisme, du quotidien et une tout autre rythmique, ajoutés à peu de nature et un espace urbain absent chez Emmanuel Merle. La déambulation du narrateur entre rêve et réalité se fait dans une Irlande où le voyage est d’abord saisie d’un réel familier qui surgit, file, craque, se dérobe, noie « les mots dans la tête ». Stations, trains et taxis, ponts, rues et bâtiments glissent ou se télescopent, des dialogues se doublent s’attrapent, les silhouettes des passants, les amants s’y fondent, et dans la baie de Dublin la mer au loin se perçoit « comme une lanterne magique ». La rencontre sensuelle et mélancolique de la femme et du narrateur, vécue ou imaginée, sauve-t-elle « quelque chose de l’oubli du rêve » quand les mots de chacun luttent contre la solitude et la séparation, contre le vide et la fin de l’enfance dont parle le poème en italiques de Brian Lynch ? Il fournit en tout cas quelques clefs sur les métamorphoses de l’être et les portes laissées battantes. L’entièreté du chant central s’apparente alors à la pierre dressée « sous le vent » où est gravée l’histoire de notre humaine présence.

    La dernière partie du livre (« La pierre à trois visages »), comme déjà la première, est la mise en œuvre d’une écriture avec la lecture « dans son mouvement », ce à quoi François Rannou nous a habitués dans d’autres textes. Il aère la verticalité des vers en augmentant l’interlignage, encadre celle-ci par deux proses horizontales (l’une en romain en tête de page, l’autre en italique en pied de page) pour que le poème mette en branle ensemble les différentes modalités de sa parole et la manière de les déployer dans la polyphonie. Trois visages, trois voix s’y déroulent, celle du narrateur, celle du poète qui réfléchit sur le poème en train de s’écrire — « notre bouche, dit-il, nous prononce mais notre parole est toujours de l’autre côté, dehors toujours » — et celle de la femme, la vivante, qui elle se réclame « d’une mémoire plus ancienne et plus fraîche que celle de nos gestes ». Sur l’échelle de la beauté et de l’amour en leur quête, la voix poétique et amoureuse, nous souffle le poète, se tient un instant au moins hors « des flux économiques », hors du temps circonscrit. La femme attend « la lumière » quand le poète espère la création, « les fraîches algues syntaxiques », et s’invente la « chorégraphie intérieure » où les mots seraient ses alliés, de l’autre côté du gouffre où le monde, la langue et la mort les retiennent. Et c’est comme si, en cette Irlande de tourbe et de vent, se trouvaient réunis en chacun des personnages les conditions pour « rassembler le puzzle », passer « la porte » grande ouverte cette fois, et toucher ensemble un instant « le point sublime » où il ne peut être pourtant question de demeurer toujours.

    Terre d’Irlande, dans ses lieux où se manifestent les morts, où se remémorent, aiment, souffrent et disparaissent les vivants ; dans ses paysages où les éléments se conjuguent avec les voix pour faire entendre ce qui hante, illumine ou fait créer les hommes ; au cœur de son histoire, passée présente, et de ses mythes, deux poètes : Emmanuel Merle, François Rannou. Avec leurs différences langagières et pensives, ils écrivent l’enfance de la vie et de l’écriture, nous invitant à un voyage vécu comme une initiation. Leur poésie, proche pour l’un de la peinture et pour l’autre de la musique, utilise toutes les ressources du vers et de la prose poétique, toute l’intensité de leurs images et de leur chant pour nous ramener à l’essentiel dont chacun porte les preuves et les traces : la beauté violente d’un monde mortel et la nécessité d’une parole pour le dire, l’abîme du temps, l’énigme du mal, l’amour et la douleur inaliénables.


    Sylvie Fabre G.
    D.R. Texte Sylvie Fabre G.
    pour Terres de femmes






    François Rannou  La Pierre à 3 visages (d'Irlande)
    François Rannou, La Pierre à 3 visages (d’Irlande),
    Éditions LansKine, 2018.




    EMMANUEL MERLE


    Vignette Emmanuel Merle





    ■ Emmanuel Merle
    sur Terres de femmes

    Tourbe (lecture d’AP)
    [Il n’y a plus d’arbres] (extrait de Tourbe)
    Amère Indienne
    [Cape Cod]
    Le Chien de Goya (lecture d’AP)
    Cet ancien lieu (poème extrait de Démembrements)
    Démembrements (lecture d’AP)
    [Le rouge] (extrait de Dernières paroles de Perceval)
    Dernières paroles de Perceval (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Dernières paroles de Perceval (lecture d’AP)
    Ici en exil (lecture de Sylvie Fabre G.)
    ils attendent ce qui (extraits du Grand Rassemblement)
    [Je me discerne davantage dans le miroir de la couleur](extrait des Mots du peintre)
    [Ramper sur la glace](extrait de Nord, seul point cardinal)
    [Tout est matière, sauf ma décision] (extrait d’Olan)
    Tourbe (lecture d’AP)
    [Il n’y a plus d’arbres] (extrait de Tourbe)
    [Une promesse, dis-tu]
    Emmanuel Merle & Thierry Renard | La Chance d’un autre jour, Conversation (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Emmanuel Merle & Thierry Renard | [Jour de pluie ici aussi]



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature])
    une fiche bio-bibliographique sur Emmanuel Merle






    ___________________________________

    FRANÇOIS RANNOU


    François Rannou
    Source




    ■ François Rannou
    sur Terres de femmes

    [Voix tombées derrière le mur] (extrait de La Pierre à 3 visages (d’Irlande) )



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions LansKine)
    la fiche de l’éditeur sur La Pierre à 3 visages (d’Irlande)






    ___________________________________

    SYLVIE FABRE G.


    Sylvie Fabre G.
    Source



    ■ Sylvie Fabre G.
    sur Terres de femmes


    Lettre des neiges éternelles (extrait de La Maison sans vitres)
    Piero, l’arbre (autre extrait de La Maison sans vitres)
    Le rêveur d’espace [hommage à Claude Margat] (autre extrait de La Maison sans vitres)
    [À l’orée] (poème issu du recueil L’Intouchable)
    L’Approche infinie (note de lecture d’AP)
    Sylvie Fabre G. par Sylvie Fabre G. (auto-anthologie poétique comprenant plusieurs extraits de L’Approche infinie)
    [C’est un matin doux et amer](poème issu du recueil L’Autre Lumière)
    Trouver le mot (autre poème issu du recueil L’Autre Lumière)
    Dans l’attente d’un prolongement qui se meurt (note de lecture d’AP sur Corps subtil)
    Corps subtil (poème issu du recueil Corps subtil)
    La demande profonde
    Frère humain (note de lecture d’AP)
    Frère humain (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
    [La pensée va, et vient à ce qui revient] (poème issu du recueil Frère humain)
    Celle qui n’était pas à sa fenêtre (extrait issu du recueil Le Génie des rencontres)
    L’Intouchable (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
    Quelque chose, quelqu’un (note de lecture d’AP)
    Tombées des lèvres (note de lecture d’AP)
    Tombées des lèvres (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
    [Plus forte que la forêt] (poème issu du recueil Tombées des lèvres)
    [Bien sûr le chant s’apaise dans le soir] (poème issu du recueil La Vie secrète)
    Maison en quête d’orient (poème issu du recueil Les Yeux levés)
    Jean-Pierre Chambon, Le Petit Livre amer, par Sylvie Fabre G.
    Jean-Pierre Chambon, Tout venant, par Sylvie Fabre G.
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre par Sylvie Fabre G.
    Patricia Cottron-Daubigné, Visage roman, par Sylvie Fabre G.
    Alain Freixe, Vers les riveraines, par Sylvie Fabre G.
    Emmanuel Merle, Ici en exil, par Sylvie Fabre G.
    Emmanuel Merle & Thierry Renard, La Chance d’un autre jour, Conversation (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Angèle Paoli, Lauzes
    Pierre Péju, Enfance obscure, par Sylvie Fabre G.
    Pierre Péju, L’État du ciel, par Sylvie Fabre G.
    Pierre Péju, L’Œil de la nuit, par Sylvie Fabre G.
    Fabrice Rebeyrolle, un peintre gardien du feu, par Sylvie Fabre G.
    Erwann Rougé, Passerelle, Carnet de mer, par Sylvie Fabre G.
    Fabio Scotto, La Peau de l’eau, par Sylvie Fabre G.
    Roselyne Sibille, Entre les braises, par Sylvie Fabre G.
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    L’au-dehors
    → (dans les Chroniques de femmes)
    L’Amourier | Le Jardin de l’éditeur par Sylvie Fabre G.
    → (dans les Chroniques de femmes)
    Anne Slacik par Sylvie Fabre G. : Anne, la sourcière
    → (dans les Chroniques de femmes)
    Ludovic Degroote | Retisser la trame déchirée, par Sylvie Fabre G.
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait de Sylvie Fabre G. (+ poème issu du recueil L’Approche infinie)





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  • Manuel Daull | [écrire c’est]



    [ÉCRIRE C’EST]



    écrire
    c’est, je
    crois — venir muet
    sur ce territoire-là
    attendre
    que ces voix se révèlent
    pas à moi seulement
    mais c’est moi qui viens là
    pour les entendre
    c’est moi
    qui tente
    de leur faire de la place
    de leur rendre la parole
    qui mets mon attention à leur écoute
    le reste
    n’est qu’une histoire de place
    même ici
    la mienne comme la leur
    une histoire
    d’humilité et de priorité
    de sincérité simplement

    j’aime
    cette idée de parole rendue
    l’Ager Publicus
    de la langue belle en pâture
    en friche
    la belle jachère
    dont on fait
    les plus beaux bouquets de vivaces
    parfois mieux
    que des plantations
    nées de votre main

    je
    viens là faire paître mon troupeau — je
    suis à l’écoute
    j’écris
    l’impersonnel de nos vies
    nos beaux transports de l’intime
    un intime qui n’est pas le mien

    je
    suis cet homme
    dont l’attention, ici
    se traduit juste
    par l’écoute
    et la parole rendue
    un petit homme
    qui regarde
    les choses à la hauteur
    de ses yeux
    et qui le sait



    Manuel Daull, La Vie à l’usage, éditions LansKine, 2016, pp. 58-59-60.






    Manuel Daull  La Vie à l'usage





    MANUEL DAULL


    Manuel Daull  jpg
    Source




    ■ Manuel Daull
    sur Terres de femmes

    [je connais depuis longtemps la fragilité des hommes] (extrait de Fragiles )




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site des éditions LansKine)
    la fiche de l’éditeur sur La Vie à l’usage
    le site de Manuel Daull
    → (sur YouTube)
    Manuel Daull lit quelques extraits de La Vie à l’usage





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  • Kouam Tawa | Ici Elle parle | Ici Elle chante




    Ici Elle parle (et sa parole est chant) :



    J’aurais aimé être une muse. Celle à qui l’on pense, celle dont on rêve, celle que l’on désire.

    J’aurais aimé être une muse. Celle qui donne courage, celle qui donne force, celle qui donne fierté.

    J’aurais aimé être une muse. Celle qu’on chante le jour, celle qu’on chante la nuit, celle qu’on chante partout.

    J’aurais aimé être une muse. Edith de Kotto Bass, Adj de Black So Man, Olivia de Sam Mbendé.

    J’aurais aimé être une muse. Sophia de Dina Bell, Aïcha de Khaled, Amida de JB Mpiana.

    J’aurais aimé être une muse. Cécile de Pasto, Adjatou de Pépé Kallé, Pamela de Tchico Tchicaya.

    Et bien d’autres encore, et bien d’autres encore…

    Je suis celle qu’on n’a jamais aimée pour ce qu’elle est, mais pour
    ce qu’on aurait aimé qu’elle soit.







    Ici Elle chante (et son chant est parole) :



    Comme une source elle s’est donnée. Aux nobles et aux roturiers, aux notables et aux serviteurs, aux nantis et aux pauvres. Gracieusement. Comme une source elle s’est donnée et comme les lamantins les grands et les petits l’ont bue. Chacun son jour. Chacun son tour. Avidement.

    Comme un soleil elle était dans le quartier. Brillant pour tous pareillement. Qui avait bu de sa lumière en était fier et cette fierté rejaillissait dans ses gestes, sur son chemin, dans sa maison, sur son travail. Pour beaucoup elle était la nouvelle source du bonheur, la source secrète.

    Étendue dans sa bière d’acajou elle dort, et ne coulera plus pour personne, et ne brillera plus pour personne. Triste est le quartier, tristes sont les buveurs. Jour sans soleil. Nuit sans lune. Et pleurent les nobles et les roturiers, les notables et les serviteurs, les nantis et les pauvres.

    La tristesse est dans les yeux, une tristesse non feinte. On pleure la source qui a tari en se disant que si elle est morte de ce que la rumeur soupçonne, il ne faudra pas beaucoup de temps pour que sa nuit entraîne celle du village. On pleure, on pleure, on pleure. On pleure vraiment la généreuse.



    Kouam Tawa, Elle(s), LansKine, Collection « Ailleurs est aujourd’hui », 2016, pp. 29-30.







    Elles







    KOUAM TAWA


    Kouam-tawa
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur africultures)
    une notice biographique sur Kouam Tawa
    → (sur Lumière d’août)
    une notice bio-bibliographique sur Kouam Tawa
    → (sur le site des éditions LansKine)
    la page de l’éditeur sur Elle(s)





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  • Sandrine Cnudde, Gravité/Gravedad

    par Angèle Paoli

    Sandrine Cnudde,
    Gravité/Gravedad,
    éditions Lanskine,
    Collection « l’Instantané », 2015.



    Lecture d’Angèle Paoli



    Sandrine Cnudde, Gravité, ph
    « Un certain récit, échappé des ombres,
    Veut être dit : il ruisselle des entailles »

    _____________________
    Sandrine Cnudde, Gravité/Gravedad,
    éditions Lanskine, page 15.
    Ph. © Sandrine Cnudde.







    LA VOIE(X) VIVIFIANTE D’« UNE VERTICALE CHANTANTE »




    La marche est au centre. Elle va de pair avec la gravité qui donne son titre au livre singulier de Sandrine Cnudde. Gravité/Gravedad. Titre polysémique, avec ce sérieux qui accompagne la marcheuse dans la gravité solitaire de son entreprise. Marcher sur les sentes, le long des frontières et sur les seuils, ne va pas sans péril. Entre escarpements et failles, progresser de « Mar a Mar » exige une ténacité de fer. Mais rien n’arrête la poète, qui clame haut et fort : « Dehors sera ma maison ! ». Et la traversée pédestre des Pyrénées se fait de « rives à rives ». D’est en ouest. En cinq étapes qui s’échelonnent sur cinq années. Avec des ellipses temporelles plus ou moins longues.

    Que reste-t-il de tout ce temps voué à la marche, depuis la Méditerranée jusqu’à l’Atlantique ? Cet Atlantique qui ne se peut atteindre, que l’on n’atteint jamais ? De Banyuls à Hendaye, de montagnes en dénivelés, de haltes en pérégrinations marquées d’interrogations multiples et de doutes. Que reste-t-il ? Et entre temps, d’une année l’autre, que s’est-il passé ?

    Il reste des photographies. Cinq en tout. « Je photographie une forme de souvenirs », confie Sandrine Cnudde dans le cahier où elle couche ses notes. Photos de paysages en noir et blanc, montagnes pierreuses et rochers, échelonnements de crêtes, troupeaux de brebis et moutons paissant au pied des nuages. Il reste de courts poèmes annoncés par des dates. 11 juin 2005/29 juillet 2008/4 septembre 2011… Poèmes incisifs « rasés au plus près du vécu », que leur brièveté rapproche des haïkus. Il reste aussi, qui ponctuent de la même façon le recueil, cinq poèmes plus longs. Dont la forme médiévale, l’organisation régulière — trois quintils séparés par un refrain — et la structure rimée sont empruntées au virelai, poème à forme fixe connu en France dès le XIIIe siècle. On pourrait songer à Christine de Pisan ou à Guillaume de Machaut. Mais c’est au trouvère Guiot de Dijon que la poète-marcheuse emprunte le vers qui la guide et l’encourage dans sa marche et dans son travail d’écriture : « Chanterai por mon corage ».

    Les virelais qui jalonnent l’ouvrage confèrent à ce recueil original son tempo ainsi qu’une musicalité autre. Dans le même temps, ils constituent des moments de pause dense, à tonalité épique. La poète — cette « verticale chantante » — cheminant de l’un à l’autre, dialogue avec les ombres qui gîtent au creux des failles. Par le choix des images, le premier virelai évoque le récit médiéval de combats « que le tranchant d’un seul cri désencombre ». Le second poursuit la marcheuse jusque dans les « lambeaux vaporisés » de sa mémoire. Dans le troisième, celle-ci fait halte pour affronter les images qui l’assaillent. Dont celle de la licorne : « Presser mon œil contre son œil, et croire. » Opposant passé et présent, le quatrième virelai évoque les chants anciens d’« élagueurs de cols », de mâtures et de navires. Montagne et mer ici se rejoignent. Ne participaient-elles pas l’une et l’autre des mêmes rêves, des mêmes conquêtes ? Le dernier virelai chante la fin du périple. La traversée a permis à la marcheuse d’entrevoir un instant l’« enfance nue ». Mais les interrogations demeurent, qui ouvriront sans doute de nouveaux espaces.

    « J’ai pu joindre les rebords des pays,

    Où les jumeaux* retournent les cohortes ;

    Rendue, telle une voile qui faseye

    À cette interrogation que je porte

    Aux ouvertures qui bégayent.

    La chute des corps ? Un sursis sans pareil. »

    Ainsi se clôt Gravité/Gravidad.

    Mis à part le précédent refrain — « La chute des corps ? Un sursis sans pareil » —, chaque ritournelle (reprise par 3 fois) présente une variante. Parfois par léger glissement, quasi imperceptible à première lecture. Le même et le dissemblable s’épaulent et s’épousent en harmonie. Beauté et mystère de ces refrains qui scandent le poème :

    « De rives à rives, il marchait sur son ombre. » / « De rives à rives, il marche sur son ombre. » / « De rives à rives, tu marches sur ton ombre. »

    Ainsi l’ensemble des virelais rejoint-il le projet initial de la poète-marcheuse. Elle marche, elle chante, déposant ses cairns sur le blanc de la page ; comme autant de jalons qui ponctuent le temps qui ponctuent l’espace. Petits joyaux qui pépitent au cœur de l’effort.

    « Hélas, à défaut de transformer le fer en or,

    ma peine ne produit qu’un formidable

    charivari de forge. » (14 juin 2005)

    Malicieuse Sandrine Cnudde, qui s’y entend en transmutation poétique : de « fer en or » à « forge », voilà un bien joli mot-valise ! Et qui sait également jouer des fricatives. Le joli « charivari » en effet que celui que s’offre cet ébouriffement de « f ».

    Mais il est vrai qu’il en faut des efforts pour « conquérir la matière “montagne”. » Il faut grimper et puis descendre, monter encore, descendre à nouveau ; affronter cordillères et gouffres, surmonter ses peurs ses angoisses :

    « Je désapprouve la désescalade

    de la cheminée du Canigou.

    Je proteste vivement contre

    ce chaos vertical plus funeste

    qu’un rassemblement de sorcières. » (16 juin 2005).






    Moutons
    « Les troupeaux pleurent sous la lune mongole »
    ________________________
    Sandrine Cnudde, Gravité/Gravedad,
    éditions Lanskine, page 43.
    Ph. © Sandrine Cnudde.






    Il en faut aussi du chemin pour se libérer de ses propres « méfiances ». Il en faut du temps pour se délester de ce qui peu importe. Parfois même, l’oubli gagne progressivement jusqu’à effacement des mots et de soi. Parfois, au contraire, la marche réserve des rencontres. Sandrine Cnudde est ouverte à ce qui se présente. Elle cueille l’instant tel qu’il se pose devant elle. Avec simplicité et gourmandise. Et c’est bonheur que de la suivre et que de la lire, même lorsque la montagne effraie.

    « Devant l’abri sous roche,

    le réchaud frétille pour une poignée de girolles. » (2 août 2008)

    Renouer avec la montagne, c’est accepter de s’en remettre à elle, avec modestie. La montagne décape nettoie ravive libère. Remet chaque chose à sa juste place. Et la poète accueille les images que celle-ci suscite en elle ou qu’elle lui offre.

    « À mes pieds des bancs de sardines et les cétacés.

    Il y a des millions d’années.

    Je me contenterai de la vision

    sous les petites jupes jaunes. » (2 août 2008)

    Marcher est toute une entreprise. Il y faut peine et courage. Pour le plaisir de goûter, après la terreur et l’effort, au sentiment d’intense liberté que cet effort procure. Goûter à pleins poumons et mordre à pleines dents. Dans la sensualité simple des bonheurs octroyés par la vie en pleine nature.

    « Quelle chance d’aller dans le vent !

    Quel délice de dormir à la lune et ses

    museaux d’argent !

    Quelle fortune de manger à

    la grâce de l’herbe et

    aussi, à l’occasion,

    de sentir le bouc. » (17 juin 2005)

    Pour ce plaisir-là, qu’elle nous offre en partage, pour sa courageuse endurance, pour sa gaîté sans pareille, pour sa belle jeunesse, que la poète soit saluée.

    « Chaque matin j’endosse la vie

    comme une nouvelle tentative

    de soulever le ciel. », écrit-elle le 9 août 2009.

    Cette voie(x)-là est vivifiante. Que son « corage » la porte toujours plus loin toujours plus avant, là où la conduisent ses pas, « jeune chien/défroissant l’horizon » dans la jubilation ludique de son écriture.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli




    _________________________________
    * Les jumeaux : nom donné aux deux rochers qui forment l’anse d’Hendaye.






    Sandrine Cnudde, Gravité.jpg 2




    SANDRINE CNUDDE


    Sandrine_Cnudde
    Source



    ■ Sandrine Cnudde
    sur Terres de femmes

    Habiter l’aube (lecture d’AP)
    [Je sais que parfois la flamme vacille](extrait d’Habiter l’aube)
    11 avril 2015 — Printemps | Sandrine Cnudde, Patience des fauves



    ■ Voir aussi ▼

    le blog de Sandrine Cnudde
    → (sur Chemins d’étoiles)
    une fiche bio-bibliographique sur Sandrine Cnudde
    → (sur le site des éditions Lanskine)
    la fiche de l’éditeur sur Gravité/Gravedad de Sandrine Cnudde






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  • Emmanuèle Jawad, Faire le mur

    par Angèle Paoli

    Emmanuèle Jawad, Faire le mur,
    Editions LansKine, 2015.



    Lecture d’Angèle Paoli



    Wall
    Installation de photos de Kai Wiedenhoefer sur le mur de Berlin
    © PAUL ZINKEN / DPA / DPA PICTURE-ALLIANCE/AFP
    Source







    « UN CADRE ENSERRE, RESTES EN LUMIÈRE »




    Tenue pour familière, l’expression « faire le mur » prend, dans l’ouvrage d’Emmanuèle Jawad, Faire le mur (récemment paru aux éditions Lanskine), une tonalité tout à fait différente. Consacrés aux murs qui emmurent le monde, les poèmes à la langue heurtée d’Emmanuèle Jawad s’appuient sur l’écart. Le titre en est le premier exemple et l’exemple premier.

    Mur porteur du recueil Faire le mur, « Berlin » en occupe le centre. Non pas tout Berlin mais le Berlin de la RDA et son point focal : l’Alexanderplatz. Quatre autres sections se répartissent deux à deux, de part et d’autre de la ville emblématique de la chute du mur. Captures, Caméras / Faire le mur // Huit plans / Borne-Ligne. C’est pourtant à la seconde section de ce recueil que l’on doit le titre choisi par Emmanuèle Jawad : Faire le mur. Et dans le second poème que l’on en trouve la signification :

    « Les murs du monde sur le mur de Berlin »

    « Les murs du monde » sont innombrables. Leurs noms s’égrènent à travers le recueil. Sonora Melilla Sebta Nicosie Vaalserberg Belfast Gaza Méditerranée — Sicile Tunisie Malte. Déclinaisons de murs et de leurs variantes qui s’accompagnent de l’appareillage multiple que les caractérise. Clôtures / barrières / frontières / grillages et grilles / rideaux / barbelés / treillis / barrages / barricades / ceintures / borne-ligne / remblais / tranchées… Partout, sur l’ensemble de ces territoires, veillent les miradors. Caméras infrarouge / contrôles / œil satellitaire. L’univers qu’il nous est donné de traverser ici, bouclé du Nord au Sud et d’Est en Ouest dans ses armatures de ciment de béton et d’acier a tout d’un univers concentrationnaire, brutal, bardé de griffes militaires. Tout est mis en place pour dissuader les migrants de « faire le mur ».

    « radars l’éclairage arrache aux abords hagards

    migrants au mur d’où les caméras hissées

    filment l’acier longs cylindres de béton fossés

    en plein champ plans de capture gris fronce… »

    « Faire le mur » ? C’est pourtant ce que la poète invite le lecteur à faire. Avec elle. Avec les mots. Avec les poèmes de ce recueil dont la forme varie, tout comme varient les murs qui emprisonnent les hommes.

    « La poésie doit faire le mur… pour mieux voir — dans la mesure et la démesure », peut-on lire en exergue du montage poétique présenté par Libr’critique à partir d’extraits de Faire le mur.

    Qui d’autre qu’un réalisateur ou un caméraman, voire un photographe (professionnel comme Kai Wiedenhöfer) ou amateur est plus à même que quiconque de mieux voir ? Dès la première section « Captures / Caméras », Emmanuèle Jawad fait intervenir un « il » qui « caméra sur l’épaule » ou « caméra minuscule sortie d’une main » — « appareil miniature tient dans la paume » — revisite les murs du monde, les capte et les capture. Il cadre / segmente / rectifie / collecte / articule les images. Pas de mur pourtant dans cette série de poèmes si ce n’est par dissémination des phonèmes [u] et [r], amorce sans doute de ce qui va suivre. Césure / rupture/ couture / usure / mesure / Capture / surface / allures / fur / clôture… La première salve de poèmes s’appuie sur une terminologie précise, technique. Celle de la caméra. Pas de description, pas de pathos, pas d’expression des sentiments. Seulement des gestes pour accompagner le cheminement du « il ». Juste des notations rapides pour rendre compte de ce que l’œil caché derrière l’objectif parvient à capter. Cadrage / Césure filmique / Champ optique / angle de vue / plan large…

    La seule fantaisie « hors-champ » de cet ensemble est la « figure » d’Anna, référence probable à l’Anna Karina de Godard.

    « il l’eut prise pour Anna d’un film

    Nouvelle Vague il tourne rond

    une éclosion féconde bullée

    épuise le lieu »

    Emmanuèle Jawad resserre l’écriture au maximum à la manière dont procède le « il » :

    « il emprunte un tracé resserre le mouvement ».

    De même dans le poème qui clôt cet ensemble :

    « il filme

    un resserrement

    clôture un champ

    dans la fraction d’une focale

    frottis d’images claires

    il recule au fur que s’étire

    une suite lignée de photographies

    repousse les angles »

    Tout l’émotionnel est évacué. Au profit d’un travail très accentué sur les proximités phoniques. Allitérations en [r] comme dans ce vers :

    « une tranchée rapporte rares trouées d’air »

    ou assonances nasales en [ã] comme dans ce poème :

    « descente

    d’éléments

    lent courant

    de langue

    bande-sons

    flux d’irrégularité

    la voix d’Anna contient une foule

    hors-champ rentre s’étend

    s’entend plus large se rue… »

    Composée de poèmes brefs regroupés par strophes de deux ou trois vers, la seconde section « Faire le mur » évoque avec une grande précision les murs qui enserrent le monde cloisonnent les déserts segmentent les terres érigent leurs fortifications barrent la libre circulation des hommes tranchent ceinturent montent la garde « balisent les quartiers » que l’on soit à Belfast ou à Ceuta, à Gaza aujourd’hui, ou en 1915 dans les Flandres. L’écriture pour décrire ces territoires est heurtée, elliptique, sans déterminants, dépourvue d’adjectifs ; les mots sont autant de murs dressés les uns contre les autres ; les poèmes sont des textes durs qui s’érigent comme des herses dans l’univers extrêmement acéré des zones quadrillées.

    Dans ce monde déshumanisé, l’émotion n’a pas sa place ; elle est ici exclue éjectée. Mais sans cesse la poète, sensible au travail de résonance des mots entre eux, travaille sur les sons leurs échos et répercussions d’un vers à l’autre, reprises et redondances. Ainsi de ces vers :

    « proche infrarouge irradie poche de roches

    que rapproche Cadix îlot Persil fenouil de mer »

    ou de ce poème :

    « barrière de clôtures coiffées de métal

    captures sous terre de bruits et de mouvements

    mur où s’ouvre la mer reprend lent les corps

    rupture de front à l’endroit d’un mur la frontière

    haute barrière frontale la partition ligne

    où se prolonge le territoire s’interrompent

    les circulations libres »

    Le regard du « il » photographe poursuit sa traque des trouées trames tranchées ouvertes par l’histoire. Se saisit à Berlin Est de vues|séquences tirées du roman d’Alfred Döblin, Berlin Alexanderplatz (1929), ou du film de Fassbinder adapté de ce même roman. Suivent les pavés de textes réguliers de la quatrième section. Les « Huit plans » de quatorze ou de seize vers présentent une composition murale serrée, organisée autour de la caméra miniature, juxtaposition de prises de vues et de plans d’où émergent, dans un même souffle, « chutes de câbles », « gaines métalliques », « route-parking », « ligne-mur ». Tout un « fracas dans la déroute ». Enfreignant les interdictions de photographier, la caméra adopte les cassures, « fêlures des focales brutales. »

    La poésie d’Emmanuèle Jawad atteint son floruit dans l’avant-dernier poème de cette section qui mêle à la dureté enserrante du mur (mur / peinture / pelures / murale / armure / diurne / mur) la liquidité de l’eau (copeaux / peau / chaussée / eau / fossile / oraison) pour obtenir un ensemble en décomposition (compose / compost / décompose / composante) qui s’effrite se délite « de flétri à défait » d’écailles en copeaux, amorçant avec le phonème [u] la spirale longue d’un enroulement (ourlée / retour / rouge / sourd / lourd / mou / tourbe / s’enroule) qui lui-même se rétracte. « Un cadre enserre, restes en lumière ».

    Un très beau poème, que j’aimerais vraiment entendre lire à haute voix par la poète. Cette réflexion vaut sans doute pour l’ensemble des textes qui composent ce recueil. Y compris pour les poèmes de la dernière section : « Borne-ligne ». Il me semble en effet que les poèmes de Faire le mur doivent se prêter plus avantageusement à l’oralité de la performance qu’à la lecture solitaire. Qui, mieux que la poète, peut mettre sa voix à la disposition de textes dont les sonorités rythment le phrasé et martèlent l’élan pour donner à voir d’un seul tenant d’un seul bloc l’ensemble des territoires morcelés ? Qui mieux que la poète peut donner à entendre cette cartographie de cadavres construite sur la démultiplication des emmurements ?

    « épouvante danse d’éboulis long tracé des États

    borne-ligne sur la longueur myriades de miradors »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Emmanuèle Jawad, Faire le mur, Lanskine, 2015




    EMMANUÈLE JAWAD


    Emmanuèle Jawad 3
    Ph. d’après Laurence Prat
    Source




    Née en 1967 à Vernon, Emmanuèle Jawad vit à Paris. Faire le mur est son troisième livre. Elle a publié précédemment deux ouvrages (Les Faits durables, éditions ixe, 2012, et Plans d’ensemble, propos 2 éditions, 2015 ). Elle a écrit de nombreux textes en revues (boXon, ouste, N47, Sarrazine…) et sur la Toile (remue.net, La vie manifeste, Sitaudis, libr-critique, RoToR). Emmanuèle Jawad rédige également des chroniques et notes de lectures pour les Cahiers critiques de poésie du cipM ainsi que pour les sites Diacritik, libr-critique, Sitaudis et Poezibao.



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur libr-critique)
    [Création] Emmanuèle Jawad, Faire le mur (un montage)
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bibliographique sur Emmanuèle Jawad






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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Ewa Lipska | La mémoire [Pamięć]



    Liska Droga







    PAMIĘĆ



    Droga pani Schubert, nie wiem, dlaczego nie rozpoznła mnie pani we śnie. Musiałem się przedstawiać i wręczałem pani zaszyfrowane wizytówki. Powoływałem się na blizny na produszce i na miasta, przez które biegły nasze telegraficzne struny głosowe. Zdawałem relacje z naszych aromatycznych koncertów. Cynamon. Imbir. Opisywałem znaki szczególne chwil: wszystkich naraz i każdej z osobna. A pani patrzyła na mnie pod światło, które ode mnie uciekało, gasło… I wtedy właśnie obudził mnie kaszel.






    LA MÉMOIRE



    Chère madame Schubert, je ne sais pas pourquoi vous ne m’avez pas reconnu en rêve. J’ai dû me présenter et je vous ai remis des cartes de visite codées. J’en ai appelé à mes cicatrices mon oreiller et aux villes à travers lesquelles passaient les fils télégraphiques de nos cordes vocales. J’ai relaté nos concerts aromatiques. Cannelle. Gingembre. J’ai décrit les signes particuliers des instants : pris tous ensemble et chacun à part. Vous me regardiez dans le contrejour qui me fuyait, s’éteignait… Et c’est alors qu’une toux m’a réveillé.



    Ewa Lipska, L’Amour, chère Madame Schubert… [Miłość, droga pani Schubert…, Wydawnictwo Literackie, Cracovie, 2013], Lanskine, “Collection Ailleurs est Aujourd’hui” — Domaine polonais, 2015, pp. 42-43. Édition bilingue. Traduction d’Isabelle Macor.





    Lipska 1





    EWA LIPSKA


    Ewa Lipska Portrait




    ■ Ewa Lipska
    sur Terres de femmes

    Nature morte [Martwa Natura] (extrait de Rumeur [Pogłos])
    Vertige amoureux [Zakochanie] (extrait de Lecteur d’empreintes digitales [Czytnik Linii Papilarnych])



    ■ Voir aussi ▼

    le site personnel d’Ewa Lipska
    → (sur le site des éditions LansKine)
    la fiche de l’éditeur sur L’Amour, chère Madame Schubert… d’Ewa Lipska
    → (sur Recours au Poème)
    une page sur Ewa Lipska
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Isabelle Macor-Filarska
    le site personnel d’Isabelle Macor-Filarska





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre

    par Isabelle Lévesque

    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre,
    Éditions Lanskine, 2013.



    Lecture d’Isabelle Lévesque



    Qui pourra accuser
    ce qui n’a laissé
    aucune trace visible




    C’est un mot d’ordre qui ouvre le livre ou ferme la vie : Qui s’oppose à L’Angkar1 est un cadavre. Terrain proverbial qui énonce au présent d’éternité une atteinte condamnant toute opposition, formule imparable à l’allure d’un axiome. Paul de Brancion choisit en énonçant de dénoncer : poète, contre la réduction à l’uniformité.

    C’est aussi une vérité tautologique qui s’établit, la proposition suggère, avant la lecture des poèmes, une équivalence entre l’opposition et la mort, allant jusqu’à présenter le cadavre comme le résultat incontournable et terrible de l’expression d’une idée contraire. Condamnation avant la lettre : il suffit de… pour… .

    L’ancrage est clair. Rouge – sang. Terre du Cambodge charriée longtemps ailleurs qu’en son fleuve, le Mékong, dans sa mémoire : vie des êtres réduits au silence. Alors se dresse en armes (en vers) le poète, non pour brandir la vengeance mais pour restituer, par la parole, la mémoire. Agir par le flux des poèmes que l’on tend, que l’on offre contre l’oubli. Longtemps l’Angkar a agi impunément « tuant / torturant les enfants / empalant décapitant / affamant les hommes » 2. Au participe présent, l’accumulation qui juxtapose les actes barbares en ce premier texte du livre, écrit en italiques, pour situer l’action : réplique de ce qui fut, scandale du silence du monde face au génocide. Théâtre rouge des Khmers : inversion fatale des fonctions vitales, jusqu’en 1979 le crible et l’horreur.

    Des images vives s’opposent, celles d’une terre avenante que l’on retourne : paradis avant l’ « [a]utomutilation ». Sourire khmer changé en plomb. Toute saison, celle des pluies, avalées par les rizières, et la couleur gris vert d’une photographie pour qu’un jour cette « nonchalance » soit « ponctuée de sang ».

    Juxtaposition du noir aux couleurs mêlées, le vert, le blanc contre « l’eau noire du puits ». Que garde-t-elle, cette eau putride ? Quel cadavre vidé de son sang a remplacé le son clair d’eau puisée, remontée pour irriguer les rizières ? La terre rouge (naturellement rouge) du Cambodge, sur laquelle glisse la saison des pluies, porte des « immondices », fruits de quelle « délation », langue qui a dénoncé ? Le coupable est-il celui dont la langue fourche les noms ? Face au bourreau sans visage, l’effacement de son nom prend un autre sens, celui de l’animalité révélée :


    « les adversaires sont là

    déposés deux à deux

    macaques

    qui furent un jour libérés de leurs cages ».


    Aucun silence pour taire : le Cambodge immuable laisse les moines psalmodier, parallèles au chant du coq, dans les rites, rien ne bouge des innocents mutilés :


    « Regardé les arbres

    fraîchement coupés

    dans la forêt

    après tous les désastres


    ils sont étendus comme des morts ».


    Nature lue dans le sens de l’Histoire et seul debout le désespoir. Un poème centré (page 18) comme un monument aux morts sur la page puis :


    « quelques oiseaux

    pierre de latérite noire

    érigée sculptée ».


    Vers aériens, libérés de la ponctuation. Monument invisible, éphémère, vol déchiffré dans le ciel pour lire. Le nom ? Celui du bourreau du centre de détention S21 3, habile bourreau, Douch4, qui cache dans son nom ses victimes – elles résonnent pourtant, anonymes et vivantes, dans les vers du poète. Elles se voient, soulevant ce qui nous anime d’humanité pour rejoindre le cri du poète. Or le chant s’élève non dans l’immédiateté de l’action (en 1979, la barbarie khmer rouge cesse), mais des années après, dans le voyage du poète, sans doute devenu pèlerinage pour un peuple martyr qui n’est pas relevé.

    Le poème consacré à Douch pose la question de notre humanité. L’homme devient-il si facilement inhumain ? Douch, ancien professeur de mathématiques. Pol Pot, professeur de littérature française à Phnom Penh, Ieng Sary, professeur d’histoire-géographie… Des personnes cultivées (ayant lu des poètes…) ont voulu détruire la culture en tuant les personnes qui la portent. « Être humain » a-t-il un sens ? 5



    Du passé, le Cambodge n’en est pas coupé, contrairement aux silhouettes qui hantent les poèmes, mutilées, arbres sans noms (ou « dalle rêche simple mot/ souvenir des morts »), visages au destin brisé. Le silence les entoure d’oubli consciencieusement. Travail du poète qui déterre les mots, racines, comme la main tenant pour écrire une plume dérisoire et nécessaire :


    « une fissure

    lente

    aigüe

    pénétrante ».


    En marches d’escalier, les vers : descente en enfer d’un peuple condamné dont les traces se dissolvent dans les pluies diluviennes qui ne lavent qu’apparemment le sang. Des mots pauvres ponctuent le texte, répétés en psalmodie :


    « mon pauvre petit

    mon pauvre petit »,


    est-ce que les moines répètent dans leurs chants les adresses du peuple disparu ?

    Après les poèmes, le livre continue avec un livret d’opéra mettant en scène une mère, Kim Hourn (qui donne son nom à l’ouvrage), ancienne danseuse royale, son fils, Sarang, et le chef Khmer rouge du village, Soar.

    L’histoire contée montre comment l’Angkar efface l’amour filial, déshumanise l’enfant, réprime les désirs humains et fait disparaître tout ce qui pourrait contrarier la machine dans son avancée qui semble inarrêtable. Le livret qui suit les poèmes ne nous offre pas de partition musicale : opéra sans musique, n’entendre que le silence. Pas sans voix – l’indicible de la langue.

    L’enracinement est constant dans les gestes ou les objets qu’évoque Paul de Brancion : « nous referons le toit de palme », les pluies, les rizières, les moines, le bétel que « mâchent les femmes », le fleuve et la vie précaire des familles qui pêchent en barque, les temples, Angkor ou d’autres, « ces monuments admirables » étouffés par « les grands arbres étrangleurs », ou encore le spectacle des passagers sur les mobylettes :


    « Ils sont cinq sur une moto japonaise

    concentrés vers l’avant

    un seul porte le casque »


    Projection métaphorique d’un pays vers le futur, le Cambodge évoqué assez précisément pour qu’il soit reconnu, apparaît dans son identité, celle perdue des massacrés « basculant l’envers de la nuit ». Image encore de l’action des arbres pour « mettre à bas les temples ».

    Alternent en tête de vers deux types d’amorce ; certaines, elliptiques, laissent en suspens ce qui s’est passé avant, avant le retour au calme, lors des violences :


    « Pas aimé

    attendu l’heure

    du repentir pardon

    du geste caressé


    toujours pas venu ».


    D’autres poèmes, au contraire, se fondent sur une syntaxe déployée à l’attaque du texte, raisonnement sans faille, démantèlement d’une logique du massacre :


    « Des cerbères dérangés

    jusqu’à l’écœurement

    érigent des interprétations

    fallacieuses

    et sans fondement

    comme vérité d’évangile ».


    Entre le participe passé coupé de son référent (« aimé », « attendu » renvoyant sans doute à ce « je », poète-narrateur présent et retiré du texte, et à l’auxiliaire « avoir » qui n’apparaît pas) et le flux d’une parole qui décrit (décrypte) la réalité cambodgienne présente et passée, le lecteur se trouve soumis à deux types de progression dont la cassure et la section ne sont pas absentes. La douleur qu’un peuple ensevelit entre la mémoire et l’oubli apparaît dans le morcellement des mots lancés sur la page : difficulté à énoncer pleinement, mémoire faillible dans la volonté d’oubli. Deux syntaxes coexistent de ce fait : mitraille ou psalmodie. Le participe passé passif d’ailleurs n’occulte pas la soumission à l’ordre rouge et imparable (« dégagé de cette souffrance », « engoncé dans cette fatigue »).

    Le poète renverse une fatalité. Chantre de mémoire, il fait entrer dans son texte un épisode crucial et terrible de l’histoire du peuple khmer, essayant de percevoir dans la douceur d’aujourd’hui la douleur d’hier. Voix double : le présent porte le passé dans des séquences de langue meurtrie dont le chant s’empare en sauvegardant sa mémoire.



    Isabelle Lévesque
    D.R. Texte Isabelle Lévesque





    _________________________________________
    1. L’Angkar : L’Organisation.
    La machine dépersonnalisée. Dirigée par des numéros : Frère Numéro Un (Saloth Sar, alias Pol Pot), Frère Numéro Deux (Nuon Shea)…
    Machine dépersonnalisante. Chaque personne est un simple rouage de la machine. Si le rouage se grippe, on le détruit. Son ultime utilité : enrichir le sol pour augmenter la production de riz.
    2. En quatre ans, deux millions de Cambodgiens (un sur quatre) ont disparu.
    3. S21 était le principal centre de détention à l’époque du Kampuchea Démocratique. C’est un ancien lycée de Phnom Penh. Près de 17 000 prisonniers y ont été torturés, interrogés puis exécutés entre 1975 et 1979. Sept seulement ont survécu.

    Dans un terrible documentaire, S21, la machine de mort Khmère rouge (2003), Rithy Panh, qui a tant œuvré pour le souvenir par ses livres, ses films et son enseignement, fait témoigner les trois seuls survivants qu’il confronte à leurs bourreaux.
    4. Le Monde / 03-02-2012

    « Douch, directeur de la prison de Phnom Penh sous le régime cambodgien des Khmers rouges, où 15 000 personnes ont été torturées et exécutées, a été condamné en appel à la perpétuité vendredi 3 février par le tribunal parrainé par les Nations unies dans ce qui est le premier verdict définitif de la juridiction.

    L’ex-chef de Tuol Sleng ou S21, la prison centrale de la capitale entre 1975 et 1979, avait été condamné en première instance à trente ans de prison en juillet 2010 pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Mais la chambre de la cour suprême du tribunal a porté cette peine à « la prison à vie » estimant que le premier jugement n’était pas à la hauteur des crimes du tortionnaire, de son vrai nom Kaing Guek Eav, chef d’un établissement dans lequel quelque 15 000 personnes sont mortes. « Les crimes de Kaing Guek Eav ont compté indubitablement parmi les pires jamais enregistrés dans l’histoire. Ils méritent la peine la plus élevée possible« , a déclaré Kong Srim, président de la cour. La peine de mort était exclue par le règlement du tribunal.

    Douch, 69 ans, vêtu d’une chemise blanche et d’un blouson crème, n’a prononcé aucune parole ni montré aucune émotion à l’énoncé de la sentence. Il s’est levé, a salué la cour dans la tradition cambodgienne, les deux mains jointes devant le visage. Puis a été emmené dans la cellule attenante à la cour, en banlieue de Phnom Penh, où ses juges ont décidé qu’il devrait finir ses jours. […] »
    5. Le poème consacré à Douch (pp. 18-19), nous le citons entièrement. Ironique écho d’une logique tortionnaire et fatale. Humanité défaillante et crimes aboutis :

    « Pas de remords donc pas de pardon

    Douch
    tortionnaire de talent
    grand manipulateur
    monade intelligente
    fermée sur elle-même
    absorbée sur une logique implacable
    jusqu’aux crimes perpétués

    la question
    celle de notre humanité
    dont on peut craindre
    qu’elle ne soit affublée
    d’oripeaux
    puants

    opprobre

    s’accepter
    prédateur, tortionnaire,
    assassin indifférent à la souffrance de l’autre
    préoccupé de
    pousser jusqu’au bout un projet coûte que coûte
    suivre une ligne de force
    jusqu’à la dévastation du monde

    cette question est bien la nôtre »







    Paul de Brancion, Qui s'oppose a l'Angkar est un cadavre








    PAUL DE BRANCION


    Paul de Brancion
    Source



    ■ Paul de Brancion
    sur Terres de femmes

    [Il y a cette pluie] (extrait de Concessions chinoises)
    Ma Mor est morte | lecture d’Evelyne Morin
    Ma Mor est morte | lecture d’AP
    Sur un bateau léger | Nant’a u ligeru battellu (extrait du Marcheur de l’oubli)
    [Tristesse du soir] (extrait de Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre)
    Cheval aquacole (extrait de Rupture d’équilibre)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    le site de Paul de Brancion



    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





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  • Michaël Glück, Tournant le dos à

    par Angèle Paoli


    Michaël Glück, Tournant le dos à,
    LansKine, 2013.




    Lecture d’Angèle Paoli




    Une parole impersonnelle, en apparence délestée d’affects
    Image, G.AdC








    POUR UN « USAGE INDOCILE » DE LA POÉSIE




    Cela commence par un titre tronqué qu’on lit sur le dos du livre et qui s’arrête net devant le vide : Tournant le dos à. Tronqué du côté de son sujet, tronqué aussi du côté de l’action. Pas d’avantage que le titre, les poèmes de ce nouveau recueil de Michaël Glück ne précisent l’identité de la personne dont l’action est annoncée par la forme verbale. À l’intérieur du recueil, des poèmes brefs, de même structure et de même calibrage. Et cinq dates. Qui inscrivent un ensemble de poèmes dans cinq journées d’été. Du 20 août au 24 août. Jours de colère imagine-t-on, même si la voix qui parle dément cette supposition :


    ni clameur ni émeute […] / ni révolte ni colère.


    Journées tristes. Incolores et insipides. Vides, en apparence. Qui se teintent progressivement, au cours des pages, de refus et d’un rejet virulent. Ainsi, tout au long de ces courtes pièces, exaspéré par le monde tel qu’il est et comme il va, le poète prête sa voix à. À l’« impersonnage* » qui tourne « le dos à ».


    14.

    ( […] tourne le dos à

    tout ce ressac d’images

    ce fatras d’illusions

    qu’attendre de ces berceuses […])


    ou encore


    19.

    (tourne le dos à la

    philosophie s’exile

    dit que le vieux Platon […]

    fait choix de l’inutile […])


    Numérotés de 1 à 52, les poèmes, des douzains, font entendre une voix privée de sujet. Une parole impersonnelle, en apparence délestée d’affects, court de page en page. Parole blanche d’un sujet absent à lui-même. Un automate. Étranger aux autres et aux choses.


    1.

    dit renonce

    et pourtant recommence

    salue le matin

    salue le soir […]


    ou plus loin, comme en écho :


    23.

    dit renonce

    et pourtant

    quelque chose

    résiste […]


    Dépossédée d’elle-même, la voix énonce, en des vers brefs, ce qui revient à tout un chacun. Lieux communs sur le temps qu’il fait ou sur le temps qui passe, sur la monotonie des jours voués à la répétition, à l’effritement des sensations, à la vacuité du dire. À quoi s’oppose la parole du poète, qui va son chemin d’un bout à l’autre du recueil et poursuit son propos.

    Quant à faire parler une voix neutre, sans qu’aucun pronom personnel — en dehors du « on » — n’intervienne, cela semble relever du tour de force. Une seule fois, dans un vers interrogatif qui ouvre sur une injonction, apparaît la première personne, dans le premier poème entre parenthèses et en italiques [il y en a deux dans tout le recueil qui s’éclipsent et tournent le dos à la romanité martiale de la police de caractères] :


    14.

    (que m’est-il permis d’espérer

    renonce à la philosophie

    à cause de cette question

    tourne le dos […])


    Parfois, c’est au pronom indéfini « chaque » que revient l’action ou la non-action, la pensée ou la non-pensée :


    4.

    bien sûr chaque aura cru

    qu’il y eut échange

    conversation ou deal

    marchandises les mots

    chaque aura pensé

    une adresse ou bien

    mots jetés dans le vide […]


    D’autres fois, ce sont les tournures impersonnelles qui prennent en charge le récit dans ce qu’il présente d’anecdotique, d’insaisissable ou d’insipide. Quelque chose s’insinue pourtant qui relève du doute. Rien n’est jamais sûr. Les mots de la « langue commune » sont des leurres et la parole est vacance, qui parle pour ne rien dire :


    6.

    […] on sourit on dit ce fut

    une belle journée

    on dit ce fut

    on ne sait ce qui fut


    ou encore :


    5.

    […] on dira que ce fut

    une belle journée

    que tout s’est bien passé

    on ne sait rien du tout


    Peu à peu, en cours d’écriture, la parole inexistante est relayée par la violence. « Lèvres scellées / paupières aussi », sang et bâillon, douleur qui « noue dans le ventre ». Parler « pour offenser obliger ou soumettre au silence ». La censure menace. Surviennent les coups en lieu et place de la parole. La colère, jusqu’alors sous-jacente, prend de la vigueur et s’enfle. Dénonce « l’assujettissement » à la norme et à la « soumission cathodique ». Pour reconnaître, finalement, que « chacun est libre de se soumettre ». De se soumettre à l’empire de qui bat la monnaie et fournit les armes. De qui se glorifie de mener la danse de la relance. De qui « ment infiniment ».

    Et la poésie ? Quelle place a-t-elle dans ce monde ? Quel pouvoir est le sien ?

    Bridée dans son univers de formes, dans son travail de labour, de va-et-vient de la navette, elle est assujettie aux rejets. Elle s’inscrit dans les reprises anaphoriques, répétitions, glissements de sons et de sens — « se taire pour se terrer ». Elle s’arrime à la rime. Suffisante ou riche. En « rime » puis en « ime ». Ou en « ance/ense »… Sans doute par dérision. Elle cabriole sur des vers aux rimes croisées :


    21.

    pas un mot

    pas un geste

    trop c’est trop

    trop funeste

    petit saut

    d’un pas leste

    dans les flots

    pas un reste

    plus un zeste

    plus de peau

    nul n’empeste

    au tombeau


    Et même si la poésie est « insolence », le poème ne se prend surtout pas au sérieux. D’ailleurs « le poème n’empêche pas / le poème n’empêche rien ». Mais si le poème est impuissant à remédier aux maux du monde, il ne peut ni ne doit se soumettre : il «  ne peut servir les rois », il se doit de faire « usage indocile ».

    Avec un humour grinçant, le poète se gausse de toutes les béquilles vaniteuses du moment dont les humains se sont affublés. Tournant le dos à tout ce que ses semblables approuvent, il se désolidarise de la masse moutonnière qui s’en va droit à l’abattoir :


    52.

    […] moutons moutons

    jetez-vous tous sur le couteau

    cochons cochons

    allez tous seuls à l’abattoir

    cochons cochons

    donnez aux dieux votre sang noir […]


    Apparemment attachée à suivre la pente d’une forme de nihilisme, la poésie de Tournant le dos à évolue vers une poésie dénonciatrice des illusions dans lesquelles nous sommes tous englués. Pessimisme, alors ? Réalisme aussi. Affuté et dérangeant, le regard du poète se charge d’une parole crue qui ne mâche pas ses mots. Une manière de provoquer et d’inciter à ouvrir les yeux. Libre à chacun de poursuivre sans tourner le dos à.




    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    _________________________________
    * « Impersonnage » : un néologisme que l’on doit au poète Philippe Beck.








    Tournant le dos à





    MICHAËL GLÜCK


    Gluck Portrait
    Source




    ■ Michaël Glück
    sur Terres de femmes


    « cette chose-là, ma mère… »
    Choral des Septantes, 6 (extrait de Ciel déchiré, après la pluie)
    …Commence une phrase (lecture d’AP)
    L’Enceinte (lecture d’AP)
    Matières du temps (extrait de D’après nature)
    [le ciel emporte le reflet des îles](extrait d’Errances célestes)
    [nous sommes venus d’un ciel à l’envers] (extrait d’Un livre des morts)
    [où de vivants piliers] (extrait de Poser la voix dans les mains)
    Passion Canavesio | Passion-Judas (lecture d’AP)
    [Certains matins les mots] (extrait de Tenir debout dans le grand silence)
    [toujours avoir à se justifier devant la norme] (extrait de Tournant le dos à)
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre (extraits)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur YouTube)
    Michaël Glück – portrait d’un poète (Portrait réalisé par Sonia Viel. Propos recueillis par Thierry Renard. Production Espace Pandora. Festival Voix de la Méditerranée, de Lodève, juillet 2011)





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  • Brigitte Gyr, Parler nu

    Brigitte Gyr, Parler nu,
    Éditions Lanskine, 2011.

    Prix de poésie Charles-Vildrac de la SGDL 2012.



    Lecture de Cécile Oumhani



    « désosser » le cœur des choses
    « désosser » le cœur des choses
    Ph., G.AdC







    DÉFAIRE L’OPACITÉ DU RÉEL



         Défaire l’opacité du réel, ce qui à chaque pas obscurcit, déroute et brouille pour y « désosser » le cœur des choses, c’est « parler nu », écrire nu. Le temps, le paraître, l’incomplétude, l’inaccompli auquel on est voué, tout cela signe la défaite des mots, leur inadéquation, alors qu’ils sont sans cesse balayés par ce qui court de non-dit ou d’indicible à travers tous les interstices de l’être.

    Brigitte Gyr se met en quête de mots qui restent, de pierres qui inscrivent leurs marques, si fragiles et si douloureuses soient-elles. Elle trace et retrace les chemins entre l’abîme et la cime, entre l’après et l’avant, défiant la brûlante terreur.

    En affrontant la menace qui croît en nous, elle affronte sans ciller nos paysages les plus intimes, à la fois rudes et âpres. Le quotidien les dévaste à petit feu de cris muets et de corps d’oiseaux sacrifiés. L’implacable loi, celle du « jeu de l’oie » de l’enfance, règle leur naufrage dès ces origines où nous avions rêvé.

    Lucide et déterminée, Brigitte Gyr explore sans fléchir le souterrain / en devenir / de sous-langue pour tenter de déterrer / ce qui se pense / au plus gris du corps. Peu importe si le chas de l’aiguille est trop étroit, si les idées ne passent plus. Elle exhume ce qui reste enfoui jusqu’à toucher les marges du puits idéal, en creusant la gangue où se figent les danseurs et leur musique.

    C’est un parcours semé de brefs éclats, arrachés sur l’amont perdu, images denses et poignantes, qui convoquent les sens, entre cheval mort / et odeur de noix de coco, qui soufflent le secret d’un souvenir, cette odeur d’éther / le quatre d’un mois oublié. Autant de fragments où ces poèmes résonnent de toute leur force claire.

    Les mots de Brigitte Gyr ont la pureté du minéral, celle qui résiste aux ombres et éclaire après l’épreuve du feu. Sans complaisance.



    Cécile Oumhani
    D.R. Texte Cécile Oumhani
    pour Terres de femmes (août 2012)






    BRIGITTE GYR


    Brigitte Gyr



    ■ Brigitte Gyr
    sur Terres de femmes

    Incertitude de la note juste (lecture de Mireille Fargier-Caruso)
    [Pleinement écloses enfin] (extrait d’Avant je vous voyais en noir et blanc)
    [une frontière se tisse de non-dits](extrait de Parler nu)
    [quand tu as décidé d’en finir] (extrait d’Incertitude de la note juste)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    au plus gris du corps



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la SGDL)
    une note de Mathias Lair sur Brigitte Gyr et Parler nu
    → (sur Recours au poème)
    Le parler nu, par Mathias Lair
    → (sur le site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Brigitte Gyr
    → (sur le site des éditions Lanskine)
    une page sur Parler nu de Brigitte Gyr





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  • Corse_3 Paul de Brancion | Sur un bateau léger | Nant’a u ligeru battellu



    SUR UN BATEAU L-GER
    Ph., G.AdC





    NANT’A U LIGERU BATTELLU aghju marchjatu
    D’equilibru
    eppoi mi sò taciutu
    mi ci hè vulsutu à stridà u nome di e stelle
    à i quattru cardinali.
    Si ne sò allungati di sera
    è m’anu lasciatu spruvistu
    una stonda
    sin’à à chi u rusignolu di maghju
    si stia l’ultimu
    à accumpagnà mi
    à u neru scuru
    di a mio casa bagnata di luna.






    SUR UN BATEAU LÉGER j’ai marché
    D’équilibre
    puis me suis tu
    il m’a fallu crier le nom des étoiles
    à tous les points cardinaux.
    Ils se sont étirés vers le soir
    et m’ont laissé démuni
    un moment
    jusqu’à ce que le rossignol de mai
    demeure le dernier
    à m’accompagner
    au noir obscur
    de ma maison baignée de lune.




    Paul de Brancion, Le Soleil aveuglé in Le Marcheur de l’oubli | U Viandante di smentichezza, édition français/corse, Lanskine / Academia di i Vagabondi, 2006, pp. 76-77. Traduction en corse de Guidu Benigni.




    ____________________________________
        Note d’AP : les poèmes du Marcheur de l’oubli ont été écrits en Haute-Corse sur les sentiers de la vallée du Latiu (Balagne), près de Corbara. Imprégnés de l’âpreté de cette terre, ils évoquent le chemin parcouru pour aller au-delà de la douleur et de la perte, vers un oubli lumineux et incandescent.
        L’ouvrage ci-dessus est accompagné d’un CD de l’enregistrement du Marcheur de l’oubli, cantates profanes de Gilles Cagnard d’après les poésies de Paul de Brancion. Enregistrement effectué à l’auditorium de Pigna (Haute-Corse) le 24 avril 2004. Pour écouter un extrait, cliquer ICI. On trouvera plusieurs autres extraits sur le site de Paul de Brancion, en même temps qu’un extrait d’une courte pièce vocale de Thierry Pécou sur deux poèmes pour cinq voix : « Au-dessous des étoiles » (Le Marcheur de l’oubli), créée le 21 novembre 2007 par l’ensemble Ludus Modalis au Théâtre des Arts de Rouen (France) sous la direction de Bruno Boterf.





    PAUL DE BRANCION


    Paul de Brancion
    Source



    ■ Paul de Brancion
    sur Terres de femmes

    [Il y a cette pluie] (extrait de Concessions chinoises)
    Ma Mor est morte | lecture d’Evelyne Morin
    Ma Mor est morte | lecture d’Angèle Paoli
    Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Tristesse du soir] (extrait de Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre)
    Cheval aquacole (extrait de Rupture d’équilibre)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    le site de Paul de Brancion
    → (sur YouTube)
    des poèmes extraits de Temps mort, lus par Paul de Brancion






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